Chapitre 8 ~ "Tic et Tac jouent au ping-pong"
— Bon, ça y est, t'as fini ?
Je lâche le livre que je tiens pour dévisager mon frère. Killian me fixe, le regard dur, bras croisés, tapant du pied sur le sol. Je vous jure que s'il le pouvait, il me fusillerait du regard. Je veux dire vraiment. Mais en attendant de pouvoir me transformer en gruyère, il se contente de marteler le sol comme un lapin.
Et s'il continue, j'en connais un qui va voir sa carotte lui passer sous le nez.
— Deux minutes.
— C'est ce que tu m'as dit déjà cinq minutes plus tôt ! gémit-il.
— Bah t'attends cinq minutes !
Je sais aussi bien compter que Freezer, pas de bol mon coco.
Je me replonge dans la lecture du dixième résumé que je tiens entre mes mains. Encore une fois, c'est un de ces romans de gare que je risque de torcher en moins de deux jours et d'oublier dans un coin de ma valise. Je lève les yeux au ciel. Pourquoi faut-il que je ne tombe que sur des navets ? Les gars, il fallait être scénariste pour les feuilletons débiles qui passent à la télé l'après-midi !
Au bout de dix minutes, qui doivent paraître excessivement longues pour ce pauvre Killian qui feuillette un magazine assis par terre, je finis par jeter mon dévolu sur un petit bouquin à la couverture fraîche et soignée. Tout ce dont j'ai besoin pour mes vacances.
Le retour se passe dans le silence. Il ne nous faut pas plus de quinze minutes pour regagner le camping. On se gare à quelques mètres de notre mobil home, avant de prendre les courses. J'aperçois que Killian observe le reste du camping, l'air triste.
Pas besoin de poser la question : son trio lui manque. Caniche, Asperge et Bieber junior ne sont sortis ni hier ni aujourd'hui.
Quand je pense à eux, je ne peux m'empêcher de toucher mon menton. Un petit hématome forme une jolie auréole recouvrant presque ma lèvre inférieure. Gary m'a dit que ça me donnait des airs de combattant qui séduirait à coup sûr toute personne que je souhaiterais charmer. Sauf que je ne me suis battu avec personne, hormis avec moi-même. Super, le combattant. Après le coup de pied qui te met au tapis toi-même au lieu de l'adversaire, voici le coup de poing qui te défigure.
Autant dire qu'à part une Schtroumpfette, je ne risque de séduire personne. Paradoxalement, cette blessure de guerre m'a aussi apporté le soutien des trois petits monstres qui accompagnaient Killian. Surtout le plus grand, Evan. Je crois que je l'impressionne. Je ne sais pas pourquoi, je n'ai rien fait d'extraordinaire, pourtant.
J'ai visiblement un don pour attirer la sympathie de beaucoup de personnes. Sûrement grâce à mon célèbre humour. Heureusement, Evan est un gamin sympathique. Il me paraît très chétif, malgré sa grande taille, et son petit regard timide est bien loin de la façon dont mon frère a de vouloir me tuer avec ses yeux. La dernière fois qu'il est passé devant le mobil home, l'Asperge m'a salué et est même venu taper causette !
Un peu dans sa bulle, mais très sympathique.
Les deux autres n'ont pas vraiment attiré mon attention en revanche. La copie du chanteur, que je me dois d'appeler Julian si je ne veux pas en arriver à les appeler par leurs surnoms, est plus causant que son copain, mais aussi plus insolent. Il se rapproche beaucoup de mon petit frère. Je le vois bien. Il serait du genre à avoir des camarades comme Killian. Je suis quasiment certain que c'est par manque qu'il l'a accepté aussi vite, même si mon cadet s'est toujours montré très gentil.
Toute la soirée, je pense à ces nouveaux amis, ces nouveaux liens que l'on tisse pendant l'été. Les vacances sont une parenthèse dans nos existences. Parfois, elles durent plus longtemps qu'une saison. J'espère que ce sera le cas pour lui.
Pour moi... Je ne préfère même pas en parler.
Je souhaite simplement que Killian relève le niveau ; et ce sont ces pensées qui me bercent dans les bras de Morphée...
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Alors que je picore tranquillement les derniers grains de maïs étalés dans mon assiette, j'entends des pas dans l'allée pleine de graviers. Je relève la tête et aperçois avec surprise la mère de Benjamin, le troisième gamin, passer avec son fils. Caniche lui parle tranquillement mais semble quand même assez préoccupé. Il fait une petite moue. Il lève alors la tête et remarque notre présence sur la terrasse :
— Maman ! Regarde ! Il y a mon nouveau copain, là !
— Lequel ? lui demande-t-elle. Julian ?
— Mais non, pas Julian ! Killian ! Avec son grand-frère !
Ils nous saluent rapidement. Je vois bien que sa mère est assez pressée. Peut-être un peu gênée, aussi. Killian, en revanche, se montre plus enthousiaste et salue Benjamin avec de grands signes.
— Eh, Ben ! lui lance-t-il. On se retrouve au terrain, ce soir ? J'ai pas vu les autres !
— Je... Je sais pas, lui répond l'autre gamin, un peu timide, en m'offrant un coup d'oeil en coin. Sûrement. Je sais pas si je vais pouvoir venir, je... Je verrai. Ok ?
— Ok ! rétorque Killian avec un petit sourire chaleureux. A plus !
Ils s'en vont alors. Le sourire de mon frère s'efface petit à petit, tandis qu'il finit sa salade composée d'un air pas tout à fait heureux. Je ne dis rien, me contentant de le regarder du coin de l'oeil. Voir sa tristesse est malheureusement assez contagieux.
Contrairement à moi, Killian n'a jamais été solitaire. Et, là, il a franchement plus de chance que moi...
La seule personne de mon âge à qui j'ai parlé est une folle qui a ruiné ma grasse matinée parce qu'elle ne savait pas tirer ! La seule chose qu'elle a tiré correctement, c'est mon pauvre esprit hors de son sommeil.
Autant dire que c'est plus mal barré qu'une faute d'orthographe !
Je constate d'ailleurs à cet instant que je ne connais pas son prénom... Si le verbe siphonner pouvait être un prénom, ça lui irait certainement comme un gant. Je me demande quel prénom elle peut bien avoir... Juliette ? Camille ? Hortense ? Thérèse ? Lola-Poupoune ?
Ouais, elle a une tête à s'appeler Lola-Poupoune.
Ou Clitorine.
En tout cas, un nom à figurer dans un top des noms les plus moisis.
Mille excuses aux Clitorine. On vous aime quand même. Un peu.
C'est quand même dingue, ce qui peut nous traverser l'esprit tout en mangeant ! A côté de moi, Killian consulte avec avidité son portable, comme s'il n'y avait rien de plus intéressant. Nous restons un long moment sur la petite terrasse, perdus dans nos pensées.
Je me lève pour débarrasser le verre d'eau que je m'étais servi, tout en gardant un œil sur Killian. Ce gamin est encore pire qu'une araignée : quand on la voit, on a peur. Mais quand on ne la voit plus après avoir tourné la tête deux secondes...
C'est à ce moment précis que tu sais que t'es foutu.
Surtout qu'il serait tout à fait du genre à faire le mur pour retrouver ses copains.
Et comme on dispose tous les deux d'un sens de l'orientation qui se barre dans tous les sens, il finirait par se perdre, je vais m'inquiéter, partir à sa recherche et on nous retrouvera, affamés, dans un coin perdu du camping après plusieurs jours d'errance.
Donc je ne le quitte pas des yeux, même si pour ça je dois passer pour un cinglé. Je m'assure alors que ce qu'il fait l'occupe suffisamment longtemps, de façon à ce que je puisse lui tourner le dos.
Je me vautre sur le canapé pour regarder d'un oeil distrait la télévision. Il n'y a rien d'intéressant, mais au moins, ça fait passer le temps. Au bout de dix minutes, qui m'en paraissent cinquante pour être honnête, et deux bouteilles d'eau vidées à grandes gorgées, je laisse mon regard errer dans l'intérieur du mobil home.
Ma tante a vraiment géré sur ce coup. Elle nous a offert un petit cocon très sympathique et bien aménagé. Je ne l'avais jamais remarqué, mais elle a vraiment bon goût ! Il ne faudra pas que j'oublie de lui envoyer encore un petit message pour la remercier.
Sans ma tante, je serais en train de dormir dans une pauvre tente. Autant dire que ça ne me tente pas !
Ou alors, je n'aurais pas eu de vacances, ce qui entre nous est encore pire que d'être forcé de manger des pizzas à l'ananas tout en écoutant les jérémiades et autres reproches de Sarah. Quelle horreur... J'en frissonne, rien que d'y penser. Vous voyez ? Sur une échelle allant jusqu'à dix, dix valant à peu près une fracture ouverte sur laquelle on poserait une pincée de sel... Eh bien, j'en serais à un beau petit dix et demi.
Allez, soyons fous, onze, même !
Je pose les yeux sur la table basse près de moi, où j'ai posé un paquet de chips et une grosse bouteille d'eau. Et à côté, il y a un prospectus. Je le saisis, étonné de l'avoir laissé là. La brochure du camping. Bien que petit, ce lieu de vacances propose quand même quelques activités, en dehors des tournois de belote. Bon, il ne faut pas pousser, il n'y a pas de piscine. Mais ça reste un endroit intéressant, et il y a peut-être quelque chose à faire qui pourrait nous éviter l'ennui.
Voir cette brochure pour le camping balaie soudainement l'état léthargique dans lequel je me trouve, perdu entre l'ennui et le désespoir. Je me lève d'un bond et attrape ma casquette, avant de rejoindre mon petit frère. D'ailleurs, il est toujours perché sur son téléphone. Bientôt, je vais le lui greffer, ça sera plus simple pour tout le monde.
Néanmoins, il n'a pas tout à fait l'air déconnecté, puisqu'il me regarde quand j'arrive à son niveau. Je lui montre la brochure que j'ai emportée :
— Eh, ça te dit qu'on bouge un peu ? J'ai regardé la brochure du camping et je me disais qu'on pourrait voir ce qu'il y a de prévu à la réception.
Il me regarde d'un air désabusé. Je suis sûr que dans quelques secondes, il va me demander si je veux sa photo.
Je vais la lui faire bouffer.
— Non.
— En fait, c'était pas vraiment une suggestion. Je peux pas te laisser seul ici.
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Non.
Un râle désapprobateur accueille ma réponse. Mais je m'en moque complètement. Je sais de quoi il est capable. Et je ne veux pas retrouver notre joli lieu de vacances dévasté comme s'il avait été retourné par une tornade ou complètement cramé. Avec la poisse que j'ai et l'inventivité de mon frère, il n'est pas impossible qu'il foute le feu aux rideaux et que ça se transforme en carnage.
— T'es méchant.
— Non, juste réaliste. Je te connais trop bien pour savoir qu'y aller seul est une très mauvaise idée.
— Mais j'ai pas envie !
— Je ne te demande pas ton avis, en fait.
Il me fusille du regard. La bataille d'arguments continue encore un petit moment jusqu'à ce que j'en ai marre. Je dégaine mon téléphone et compose un numéro avant de tourner l'écran vers le môme :
— Je te laisse une dernière chance : t'arrêtes ou je dis à papy de venir te chercher. Je suis sûr que ça lui fera très plaisir... Vous aurez des choses à vous raconter !
— Non ! Non mais t'es sérieux ?
— Il pourra t'apprendre à changer des pneus de voiture, puisque c'est toi qui as crevé les siens, la dernière fois !
— C'est bon, c'est bon ! J'abandonne ! On va y aller, à ton truc pourri ! Mais range ça.
Voyant qu'il fait des concessions, ce qui entre nous est suffisamment rare pour le souligner, j'acquiesce. Je lui ébouriffe les cheveux gentiment. Il me répond par un grincement de dents, l'air de me prévenir de ne pas trop en faire. Des menaces ? Je n'en ai cure ! Des représailles ? Qu'il essaie pour voir !
Un hôtel ? Trivago !
— Bon, allez. Enfile tes pompes. En plus, apparemment, ils ont un terrain pour faire du sport, à côté de celui où vous étiez.
— C'est vrai ?
J'acquiesce, conscient d'avoir réussi à capter son attention. Il faut bien deux bonnes minutes à pied pour rejoindre le coin de la réception. C'est un petit bâtiment rectangulaire s'étendant sur une large portion de terrain, près de l'entrée. Je crois que c'est là que se passent les inscriptions aux différentes activités et les réclamations.
C'est peut-être là que je pourrais me débarrasser de lui ! Parfait, cet endroit me plaît.
Un simple tour sur moi-même me permet de constater que c'est là que se trouve le plus gros de l'activité et du passage. Beaucoup de personnes discutent, les enfants courent et jouent, les couples d'amoureux entrent et sortent à intervalles régulières, main dans la main.
Et dire qu'on aurait pu être à la place de ces gens, avec Sarah... Dommage, ça a raté !
Dans un coin, à droite, il y a une sorte de gymnase ; il s'agit plutôt une grande salle, qui sert à la fois de piste de danse et de lieu où se déroulent les parties de ping-pong. Le bruit des balles qui s'entrechoquent et des rires résonne même avec la porte fermée. Intéressant !
J'observe les passants en essayant d'ignorer les quelques soupirs de mon frère. Je jette un coup d'oeil dans sa direction au bout du sixième, l'air de dire que je vais l'étrangler s'il continue. Mais je le comprends. Il regarde dans la direction du terrain sur lequel je l'ai récupéré, l'autre jour, avec ses copains. Il espère les voir.
Il finit par vouloir jouer dans un coin. Je fais d'une pierre deux coups : je lui fais plaisir, et comme je m'en débarrasse, je me fais plaisir !
Soudain, je vois un couple s'approcher de moi : un monsieur bedonnant, à la chemise hawaïenne, dont le mauvais goût pourrait rivaliser avec la pizza à l'ananas, marche d'un pas nonchalant, suivi de sa femme. Cette dernière porte un chapeau de paille et des tongs. C'est du moins la première chose que j'ai remarquée.
Ils arborent un magnifique badge doré sur la poitrine, se distinguant ainsi du reste de l'équipe du camping, dont j'ai aperçu quelques membres en arrivant.
En gros, les proprios ont fait un cosplay de Luffy et Homer Simpson... Chouette !
Ils me font de grands sourires et arrivent à mon niveau :
— Melvin ! Que ça fait plaisir de te voir ! lance Marie-Louise en me prenant dans ses bras pour me faire la bise.
J'acquiesce en saluant Jacques, son mari. Ce couple est propriétaire du camping depuis une bonne quinzaine d'années, et j'ai déjà eu le temps de les voir de nombreuses fois. Ce sont des gens très gentils. Un peu spéciaux, mais sympathiques. Je suis content qu'ils soient encore propriétaires. De toute façon, ils ne seraient pas du genre à le céder facilement.
— On n'a pas eu l'occasion de te voir avant ! En même temps, Laure s'est occupée de tout... C'est une femme exceptionnelle, tu sais.
Oui, je sais. C'est ma tante, après tout... J'acquiesce longuement, me contentant de lui raconter un peu pourquoi je suis ici ; pour fêter l'obtention de ma troisième année de licence. Nous parlons un moment de l'université, du camping, de la météo... Parce que, bien sûr, aucune conversation chiante n'est digne de ce nom si on ne parle pas du putain de ciel.
— Et tu comptes rester combien de temps ? me demande Marie-Louise.
— Je ne sais pas trop... Un mois, je pense. Tata m'a laissé les clefs pour toutes les vacances, puisqu'elle part aux Etats-Unis.
Elle acquiesce, jetant un coup d'oeil à Jacques, qui, sollicité par d'autres clients, s'éloigne un peu.
— Vous y avez déjà été ?
— Non, nous n'avons pas eu cette chance, répond-elle, un sourire rêveur sur les lèvres. Peut-être un jour...
— Je vous le souhaite !
— C'est gentil, Melvin.
Je souris à mon tour. Marie-Louise est une dame très charmante, toujours bienveillante, franche et souriante. Quant à Jacques, c'est un grand travailleur et un homme, certes timide, mais toujours prêt à aider les autres.
Nous parlons rapidement de mes parents, et je lui apprends qu'ils sont partis au Portugal, ce qui fait que je suis le seul à pouvoir m'occuper de Killian.
— Oh, ton petit frère est avec toi ? s'étonne-t-elle. Il est si charmant ! Il doit avoir grandi, non ?
— Ouais, c'est sûr, dis-je, un petit ricanement dans la voix. Tiens, il est... Killian !
Mon cadet, à une dizaine de mètres de là, tourne la tête et revient vers nous. Je grince des dents. Le voir disparaître plus de cinq secondes me file des sueurs froides. Je ne sais pas ce qu'il aurait pu faire et je ne veux même pas le savoir. Finalement, ce n'était pas une très bonne idée.
Marie-Louise le regarde avec des yeux si grands que j'ai l'impression qu'elle est en train de reluquer la plus étrange et la plus belle des pâtisseries.
— Killian ! lance-t-elle. Bonjour mon grand ! Oh, qu'est-ce que t'as grandi !
— Bonjour... euh... Marie-Louise... dit-il en me regardant.
Heureusement que je suis là pour lui souffler la réponse ! Cette tête de linotte n'est pas du genre physionomiste. Moi non plus, d'ailleurs. En même temps, je ne peux pas trop lui en vouloir. La dernière fois qu'ils se sont vus, Killian avait cinq ans.
Marie-Louise assaille mon petit frère de questions, qui lui répond tout en espérant pouvoir s'échapper désespérément. Quant à moi, ça me laisse l'occasion de souffler un petit peu. J'en profite pour détailler les gens.
— Hein ?
Je regrette aussitôt d'avoir parlé à voix haute, parce que Marie-Louise, Killian et Jacques, qui est revenu entre temps et qui ne cesse de complimenter mon frère pour sa taille, me dévisagent étrangement.
— Non... Rien.
Maudites joues, ce n'est pas le moment de se teindre en rouge ! Et non, il n'y avait pas rien ! Je reconnaîtrais cette tignasse enflammée entre toutes. Enfin, peut-être pas entre toutes, parce que sept milliards de cuirs chevelus, ça fait beaucoup, vous en conviendrez. Mais vous avez saisi l'idée.
Elle était là ! Elle vient tout juste de passer comme une furie. Elle était là, cette charmante cinglée qui m'a réveillé. Je devrais en toucher deux mots à Jacques, qui s'occupe tant bien que mal de faire le gendarme. Mais pourquoi je n'en ai aucune envie ?
Parce que tu veux la revoir ?
Eh, ce n'est pas le moment, sale cerveau pervers ! Ce n'est pas pour ça ! Je n'ai juste pas envie de me prendre la tête en vacances... Rien d'autre !
Après cinq bonnes minutes de discussion consacrées presque entièrement à mon petit frère, nos deux interlocuteurs se retournent pour saluer quelqu'un que je ne connais pas. Killian en profite pour me filer un coup de coude, attirant ainsi mon attention.
— Euh... C'est qui, ces vieux bonhommes ? C'est eux, les patrons ?
— Killian ! grogné-je à voix basse.
Je vais tuer ce gosse. Je vais l'étrangler. Est-ce qu'il se rend compte qu'ils sont à moins de cinq mètres et qu'ils l'entendent peut-être ?
— Oui. Ce sont des amis de tata Laure. Tu ne t'en souviens pas ?
— Euh... Non. Comment tu voudrais que je m'en souvienne ?
— Mais t'avais l'habitude de manger des glaces chez eux !
— Ah, oui ! Pépé Jacquouilles ! Eh bah, je l'aurais pas reconnu, il a vieilli !
Mon dieu, je vais lui mettre une balayette, à ce gueux.
— Killian ! Fais gaffe à ton vocabulaire !
— Ouais, ouais. Excuse-moi d'être honnête ! Bon, ils se magnent ? On n'a pas que ça à faire !
Je lui lance un regard noir. Au même moment, ils semblent avoir fini de parler avec la dame, puisqu'ils arrivent. Heureusement, leur sourire béat n'a pas disparu ; ils n'ont probablement pas entendu. Leur cliente s'éloigne, mais son chien, un petit truc à poils longs et aux oreilles cornues, vient se coller à nous. On le caresse rapidement. J'aime les animaux, mais pas au point d'avoir des coeurs à la place des yeux quand j'en vois un.
Alors qu'il s'éloigne, Killian esquisse un sourire :
— Oh, le joli chien-chien ! Joli Gremlins, ouais !
— Des Gremlins ? s'enquiert alors Marie-Louise.
Je lance un regard foudroyant au gosse. Bien joué ! Ce qui devait arriver finit par se passer, évidemment ! Je pose ma main sur son épaule, et je ne résiste pas à l'envie de la lui presser un peu, par pure vengeance.
— Hein ? Non, Killian me disait que ce serait bien de regarder les Gremlins ! Hein, Killian ? Ah ah ah !
Vous le sentez, le rire gêné ?
— Ah, oui ! C'est un très bon film ! commente-t-elle.
Nous commençons à parler un peu de cinéma, sous le regard agacé de mon frère qui préfère faire des percussions sur le sol avec ses petits pieds. Il faut dire que Jacques et Marie-Louise ont des goûts... particuliers. Finalement, trouvant un moyen de s'échapper, mon petit frère me laisse alors seul avec Jacques et Marie-Louise :
— Tu voulais peut-être quelque chose, mon grand ? me demande Jacques.
— Ah, oui... Je voulais juste voir les activités et un peu les locaux, comme je n'ai pas eu l'occasion de venir.
— Oh, justement, nous allions afficher celles de la semaine, s'exclame-t-il.
— Parfait !
— On va organiser deux soirées à thèmes par semaine, normalement. Mardi, ce sera... Coquillages et crustacés... Et samedi... Hum... Marie, c'est quoi, le thème de samedi, ma chérie ?
— Attends, c'est... Eh bien... Temps anciens et renouveau !
Si on était dans un manga, on pourrait presque voir la goutte de sueur perler sur mon front. Ces deux thèmes ne m'intéressent absolument pas, et je vois bien qu'ils essaient de faire plaisir à tout le monde... Mais là, ce sera sans moi !
Soudain, un téléphone se met à sonner. Jacques le sort de sa poche et regarde sa femme d'un air peiné.
— Désolé mon grand, on va devoir te quitter... On a un client important.
— Oh, je comprends.
— Quel dommage, se lamente Marie-Louise. On avait aménagé tout un espace pour les activités, en dehors du terrain de basket et du gymnase... Oh, je sais !
Je vois presque la petite ampoule s'allumer au-dessus de sa tête. Elle se met à sourire de toutes ses dents.
— Cette année, comme il y a plus de monde que d'habitude, on a dû recruter des gens. Bon, Sébastian et Tiffany sont occupés à aider Madame Pointrond... Et parmi les autres... Hum... Ah ! T'es bien dans l'aile ouest, c'est ça ?
— Euh, oui... Pourquoi ?
— Viens, je vais te présenter Ezio, c'est lui le plus proche de toi. Il me semble même que vous êtes presque voisins ! Tu verras, c'est un garçon absolument charmant ! Il a ton âge, je suis sûr que vous allez bien vous entendre ! C'est sa pause, là, mais je suis sûr qu'il voudra bien t'aider ! Je l'ai vu entrer dans le gymnase, tout à l'heure.
Marie-Louise me prend carrément la main, comme elle le faisait il y a quelques années, et se dirige à pas rapides vers la salle qui fait office de gymnase. Je suis forcé de la suivre, mais toutes mes pensées sont redirigées vers le fantôme de la folle que j'ai croisée tout à l'heure.
J'espère qu'Ezio est plus gentil qu'elle, parce que si tous ceux de mon âge sont comme cette folle, ça va vite partir en cacahuètes ! C'est moi qui vous le dis ! Je ne suis pas venu ici pour côtoyer des gens pénibles. J'ai déjà la fac pour ça.
Nous entrons donc dans la grande salle. Quand nous ouvrons la porte, le bruit des balles qui claquent contre les raquettes envahit l'espace pour parvenir jusqu'à nos oreilles. Il y a trois tables de ping-pong espacées. Deux d'entre elles sont occupées. Si la première accueille un match de haute volée entre deux personnes âgées, et je ne blague pas concernant leur niveau — elles sont sacrément douées —, c'est la deuxième table qui m'intéresse un peu plus. Et pas que moi. Marie-Louise n'a pas lâché du regard les deux joueurs.
— Quoi ? C'est une blague ? murmuré-je. Mais...
La propriétaire du camping ne fait pas cas de mes lamentations. Pourtant, elle devrait ! Nom d'une étoile de mer atrophiée !
— Ah, tiens, le voilà ! me dit Marie-Louise, en me montrant l'un des deux joueurs. Viens !
J'avance timidement. Le garçon que me pointe Marie-Louise semble effectivement avoir plus ou moins mon âge, et ma taille, à quelques centimètres près. En nous voyant nous approcher de lui, il sourit et se passe une main dans ses cheveux blonds. Il rattrape la balle lancée d'un geste parfaitement adroit.
Mais ce n'est pas vraiment lui qui m'intéresse : c'est son adversaire. Quand celle-ci se retourne, j'ai envie de hurler, mais le son reste coincé dans ma gorge. La dernière fois, je ne l'avais pas remarqué ; mais c'est vrai qu'ils se ressemblent beaucoup. Ils sont frères. Je suis sûr qu'ils sont frères. Quand ils sont côte à côte, c'est encore plus flagrant. Elle me dévisage d'ailleurs, entre la surprise et la froideur.
Tiens, je ne savais pas que Tic et Tac jouaient au ping-pong.
Ezio est le frère jumeau de la folle.
Honnêtement, j'avais imaginé tous les scénarios possibles et inimaginables.
Mais alors ça, je ne l'avais vraiment pas vu venir.
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