Chapitre 4 ~ "Après l'effort, le réconfort !"
Si l'on m'avait dit que conduire autant était si épuisant, je n'aurais jamais écouté mes camarades à la fac. En première année, comme je galérais tel un campagnard obligé de faire trois kilomètres à pieds, ils m'ont poussé gentiment dans une auto-école pour que je renie le clan des piétons.
Bon, ok, je ne peux pas leur en vouloir. Conduire m'a changé la vie. Conduire m'a ôté tous mes rêves de concurrencer Usain Bolt.
Et ça m'a appris qu'en chaque personne sommeille une voix qui te dit que, là où tu peux gueuler et insulter des gens, tu te dois de le faire, surtout quand t'as un volant entre les mains.
Voilà déjà une bonne heure que nous sommes rentrés à l'intérieur du mobil home, et je suis enfin installé sur ce transat dont j'ai rêvé pendant toute l'année. Je n'ai pas arrêté de bosser depuis qu'on est là : entre l'installation de nos valises, la chasse aux mouches et l'appropriation des locaux...
Et bien sûr, ce n'est pas sur Killian que je peux compter ! Toujours vexé de s'être fait engueuler — et en plus, comble du malheur, devant une gamine de son âge que je n'avais pas vue — il ne m'a pas vraiment adressé la parole.
Enfin, si, je suis menteur. Quand il a posé le pied par terre, il s'est contenté de regarder notre lieu de vacances et de souffler :
— On est arrivé ? C'est vraiment le trou du cul du monde.
Ne le frappe pas. Ne le frappe pas...
— Eh bah putain ! Qu'est-ce que c'est moche.
Oups ! Ma main a glissé contre l'arrière de son crâne. Il a gémi, mais voyant que je lui disais d'avancer avec ma grosse voix, il n'a pas demandé son reste et a filé.
Une petite claque aux petites mauvaises odeurs.
Non mais ! Je ne vais pas laisser un collégien faire sa loi et me pourrir les vacances, tout de même ! On va vite régler ça, c'est moi qui vous le dis.
Toujours est-il qu'à cause de cette petite attention fraternelle, il a posé en vrac ses valises et n'a fait que le strict minimum. Et qui s'est tout tartiné ? Je vous le donne dans le mille : Bibi ! Allez, courage ! Tu es en vacances, Mel ! En vacances ! Personne ne réussira à t'embêter !
Ni ton sale gosse de frère, ni le soleil de plomb, ni les éventuels relous qui pourraient nous servir de voisins !
Puis au pire, je leur proposerai une partouze, ça va vite les calmer. Faites l'amour, pas la guerre !
Maintenant que je suis confortablement installé, j'ai l'impression que tous mes soucis sont loin derrière moi. Une chaise, un ciel bleu, le vent frais qui fuit sur mon visage, le bruit des feuilles qui s'agitent... Me poser ici me donne l'impression que mes problèmes viennent de se dissiper comme par magie.
Mais c'est aussi ça, le bonheur ; un petit rien qui vous pousse à vous rendre compte de la chance que vous avez d'exister.
Pourtant, tout au fond de moi, je peux sentir mon coeur se serrer dans ma poitrine. C'était ma dernière année de licence. Voilà trois ans que je me suis attaché à ce petit monde. Bien sûr, je retrouverai une parcelle de cette ambiance quand je retournerai finir mon parcours universitaire. Malgré tout, rien ne sera vraiment pareil. Mon dieu, je hais les départs.
Je ferme les yeux un long moment. Je ne veux pas me polluer l'esprit avec des pensées négatives. Inspirer. Expirer. Voilà, on reprend le contrôle. N'empêche, les yeux fermés, allongé comme une feignasse sur la mini-terrasse dont on dispose, je ne contrôle rien du tout.
Et surtout pas les agissements de mon petit monstre détesté, ce qui a le don de m'inquiéter.
— Kiki ?
Pas de réponse.
— Killian ?
Il ne me répond pas. J'ouvre les yeux, un peu sonné quand même. Le soleil, il tape fort, l'enfoiré. Je rappelle mon frère une troisième fois. C'est à ce moment que j'entends des pas à l'intérieur. Je vois sortir sa petite tête mécontente. Soulagé, je me rallonge.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ?
— Tu pourrais répondre quand je t'appelle !
— C'est important ?
— Bah, ça aurait pu l'être !
— Est-ce que c'est important au point de me couper dans ma partie ?
Je peux l'étrangler avec les fils de sa manette ?
— Bon, tu voulais quoi ? Un coup de main pour te lever de ton transat, papy ?
Sale petit con.
— Non, m'assurer que t'es pas parti faire un caprice à l'extérieur du camping, sale gosse. C'est bon, retourne jouer.
Il souffle et s'en va pour retourner jouer à l'intérieur. Pour être tout à fait honnête, je pense qu'il pourrait rivaliser avec Gary, en ce qui concerne leur capacité à tout le temps soupirer.
C'est ça. Soupire, ça fera dégonfler ta tronche de cake joufflue.
Je me redresse de mon transat. Tout seul, comme un grand. J'ai vingt-et-un an, pas cent cinquante ! C'est une petite victoire, mais c'en est une quand même. Je prends mon portable dans la poche de mon short. Puis je me rallonge. Faut pas déconner, je suis sur un transat, autant qu'il serve.
— Allo ?
Je ne savais pas que ça faisait autant de bien d'entendre une autre voix que celle nasillarde de mon frère, qui est à peine en train de muer.
— Salut, Riri. C'est moi, Melvin.
— Tu sais, Mel, ricane-t-il, ton nom est affiché en haut du tel quand t'appelles. Je sais que c'est toi.
— T'es con, dis-je, un petit sourire en coin.
— Bon, t'es bien arrivé ?
— Ouais, depuis une heure. Eh, tu sais c'est quoi, la meilleure ? J'ai eu mes parents, avant de partir.
— Et ?
— Ils m'ont laissé mon petit frère pour les vacances.
— Non ! Sérieux ? Oh la vache, l'angoisse ! Oh, merde, si j'avais su, je t'aurais accompagné ! Alors comme ça, t'as Killian toutes les vacances ? Mon pauvre.
Eh oui, mon petit frère est une vedette à la fac ! Chaque fois que je reviens de chez mes parents, j'ai des anecdotes croustillantes à raconter. Et du coup, la plupart de mes camarades le connaissent, de près ou de loin. Gary le connaît un peu mieux que les autres, comme il est déjà venu chez mes parents, il a même eu l'occasion de voir le démon à l'oeuvre.
Je lance un regard en biais, vers l'intérieur, histoire de vérifier que le principal concerné ne m'entend pas. Sinon, je suis bon pour une crise de nerfs pendant une heure. Et je n'ai pas franchement la foi de me lever pour lui botter les fesses.
— Eh si... Mais bon, on va faire avec. Même si je t'avoue que ça me casse pas mal les couilles.
Quel bon grand-frère je fais, vous dis-je !
— De toute façon, s'il me cherche, il tâtera de mon coup de pied légendaire.
— Celui que tu nous as montré, la dernière fois, quand t'es venu à ma séance de karaté ? C'est vrai qu'il est efficace, mais il est pas un peu risqué ? Il ne met pas toujours au sol la bonne personne, si tu vois ce que je veux dire...
— Oh, la ferme ! Il réussit de temps en temps, au moins. C'est déjà pas mal, non ?
— Si tu le dis... Bon, et à part ton frère, t'as de la charmante compagnie ?
Ah, enfin une question pertinente ! C'est vrai que c'est particulièrement important. Vous vous souvenez ?
Y a du soleil et des nanas !
— Bah, tu sais, je n'ai pas encore croisé beaucoup de monde. Je connais quelques personnes qui viennent. Des habitués. Mais je sais pas s'il y aura beaucoup de jeunes. Quelques uns, j'en suis sûr. En tout cas, j'espère.
J'espère, parce que même si c'est vachement sympathique un après-midi, je ne me vois pas passer mon temps avec Patrick, soixante-cinq ans, fan de Johnny Hallyday et de pétanque ou Marguerite, soixante-dix ans, reine de la belote.
Parce que même si j'apprécie énormément les chansons de Johnny Hallyday, je reste une brêle à la pétanque et je suis aussi doué en jeu de cartes qu'en dessin.
Bon, c'est pas nul non plus, je maîtrise au moins les bonhommes-bâton ! Eh, oh ! Respect, hein !
— T'as fait le tour du camping ? me questionne Gary.
— Je le connais un peu comme le fond de ma poche. Et cet endroit est d'ailleurs vraiment comme le fond de ma poche. On y trouve pas grand chose, mais c'est sécurisant.
— Tu vas pas trop t'emmerder, si la moitié de la population du camping a plus de cinquante ans ?
— Avec un peu de chance, je vais repartir avec des pots de confiture.
— Profiteur, va ! soupire mon ami.
— Faut bien. Ce serait dommage de ne pas le faire.
— J'espère quand même que tu réussiras à trouver des personnes pour qui Plus belle la vie n'est pas la meilleure série du monde.
— Oh, bah ça devrait être facile, non ?
Encore une fois, Gary soupire. Si ce mec ne donne pas son nom à une tempête, c'est qu'il y a un gros problème, parce que je suis sûr qu'il peut souffler plus fort qu'un cyclone.
— Pour être franc, ça l'est moins qu'on le pense !
Je ne réponds rien, me contentant de ricaner.
— Mais du coup, t'es pas sorti de ton camping encore ?
— Non, il m'a fallu du temps pour tout installer, vu que je fais le travail de deux tout seul.
— T'as même pas été à la réception ?
— Ma tante s'est occupée de tout, en fait. Je n'avais plus qu'à m'installer.
— Chanceux, va. Tu devrais quand même y aller. S'il y a des activités, peut-être que tu y croiseras des gens qui n'ont pas connu la création de l'électricité.
— De l'ampoule électrique, tu veux dire ? L'électricité n'a pas été... créée, si tu vois ce que je veux dire.
— Oui bon ben ça va !
— Rage pas, Riri ! Je devrais dire... Ô, rage pas !
Je l'entends soupirer, amusé. Comme je le dis toujours, une journée sans jeux de mots est une journée perdue !
— T'es tellement perché que je vais finir par croire que t'as pas la lumière à tous les étages.
Je laisse échapper un grognement. Je sais qu'il plaisante, mais se faire insulter, c'est jamais drôle. Surtout en vacances.
Eh, j'suis pas venu ici pour souffrir, okay ?
— Ne sois pas jaloux, je sais que tu envies mon éclair de génie.
— La seule chose dont j'ai envie actuellement, c'est un éclair au café.
Hmmmmmm, éclair au café.
Mon estomac se met à grogner... Et pourquoi dans ma tête, ma conscience s'est mise à imiter Homer Simpson ?
— C'est malin, mec. J'ai la dalle, maintenant, dis-je.
— Dans le tee-shirt ou dans le pantalon ?
— T'es con.
— Si t'as faim en bas, me fait-il remarquer, n'hésite pas à me tenir au courant de ton régime alimentaire !
— Cesse de comparer mes éventuelles conquêtes à de la nourriture. Tu vas me faire passer pour un connard.
— Cesse de comparer tes éventuelles copines à un territoire que tu dois envahir comme un bon gros bourrin militaire du Moyen-Âge, tu es en train d'être un connard.
Gary l'escargot marque un point, tandis que c'est un zéro pointé pour le vacancier !
— Mais t'inquiète, je te préviendrai.
— T'as intérêt ! Je veux rien louper. T'es un peu mon Secret Story à moi, ma télé-réalité d'amour.
— Y a pas de caméra chez moi. Tu voulais te rincer l'oeil, cochon ?
— J'aurais bien aimé !
On éclate de rire au même moment, ce qui me vaut un regard en biais d'un couple passant juste devant la terrasse. Je leur fais un petit sourire. J'espère qu'ils ne croient pas que je suis un trouble-fête !
Visiblement, ça marche. Bon, tant mieux.
— Désolé, mec, mais ça marche pas comme ça ! Je t'ai dit, je te tiendrai au courant. Sans faire de mauvais jeu de mots.
— Si t'as une bonne prise, oui, j'aimerais !
Je crois que ce sera possible. Après tout, le camping se trouve quasiment au bord de la mer, ce qui va attirer tout un tas de vacanciers pressés de se baigner. Peut-être des étudiants, comme moi.
D'ailleurs, depuis que je parle avec Gary, plusieurs voitures sont arrivées. C'est bien ma veine, tiens ! Moi qui rêvais d'un peu de tranquillité... J'avais même prévu d'arriver avant la plupart des gens pour me retrouver dans un premier temps tranquille.
Mais je me demande si ce n'est pas plus mal, au final. Je vais pouvoir m'amuser. C'est important, de s'amuser. Je sais que je me répète, mais c'est les vacances, après tout !
— Sinon, tu m'as pas dit, tu pars quand, toi ?
— Je ne sais pas trop... Dans deux semaines, je dirais. Je pars d'abord chez mes parents.
— Mais pendant ces deux semaines, tu vas faire quoi ?
— Profiter, penses-tu ! Y a quelques gars de l'équipe qui sont encore là. On va sortir...
— Et encore vous bourrer la gueule. Comme des étudiants normaux, c'est ça ?
Gary acquiesce, tandis que mon regard est attiré par une nouvelle voiture qui vient d'arriver. Elle se gare rapidement, quasiment dans un dérapage. Non mais n'importe quoi ! Qu'est-ce que c'est, ce conducteur du dimanche ? Il s'est cru dans un film d'action ?
A mon avis, il faudra que je lui dise ma façon de penser, à ce cinglé. Il me connaît pas, mais il va vite apprendre à le faire, s'il refait ça. Surtout quasiment en face de ma terrasse !
Comme il y a des graviers, sa bagnole va me foutre de la poussière partout. Surtout qu'il y a toujours un danger, si l'autre petit monstre vient jouer devant. D'ailleurs, je l'aperçois dans le reflet de la porte vitrée.
— On va sûrement encore sortir, ce soir. Y a Nico et Sam qui ne bougent pas, du coup ils m'ont proposé de sortir. On est allé au bar. Tu sais qui j'ai vu ?
— Non, non...
— Eh, mec, j'ai vu notre prof de littérature antique !
— Hmm.
Ne l'écoutant que d'une oreille, je surveille le taré sortir du bolide.
— Quoi ?
— J'ai rien dit, me répond Gary.
Normal, abruti, c'est pas à toi que je le disais. Bon, je sais que c'est sexiste, mais je ne m'attendais pas à ce qu'une femme sorte de la voiture... et d'autant plus si jeune ! Je ne sais même pas si elle a mon âge.
À ses côtés sort un jeune homme... QuI lui ressemble énormément. En fait, je ne vois que leurs cheveux, puisqu'ils me tournent le dos. Mais rien que leur silhouette me fait penser qu'ils sont de la même famille.
Bordel, on dirait un swap color dans les jeux vidéo, sauf que là, c'est un swap de sexe.
— Ouais, donc je te disais quoi... Ah, oui ! Notre exceptionnelle rencontre avec notre prof. La meuf, elle s'enfilait les shots les uns après les autres ! J'ai jamais vu ça. C'est un truc de dingue !
— Ouais, ouais.
La fille qui sort de la voiture semble bien agitée. Elle engueule à moitié celui que je suppose être son frère. Elle prend sa valise dans le coffre, et fait le tour des lieux du regard.
Ce qui forcément amène à la situation bien gênante des regards qui se croisent.
Mon level de malaise est over 9000.
Je ne sais pas si j'ai une sale tronche, ou un air antipathique, mais le regard qu'elle me lance ne veut sûrement pas dire qu'on va faire une soirée pizza ensemble.
De toute façon, je ne partagerais pas avec une copie de Schumacher.
Ça n'a duré qu'une seconde, à peine. Ce n'est pas comme dans ces romans ou ces films débiles, dans lesquels on trouve souvent un regard décrit en dix paragraphes ou tournés au ralenti. Non, là, c'était un éclair.
— Oh, Mel, tu m'écoutes ?
— Désolé. Je... J'ai été occupé, en quelque sorte. Zeus m'a lancé un éclair.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? Je comprends rien ! BMel ? Oh... Attends... Je crois que j'ai compris.
Elle disparaît seulement une vingtaine de secondes après être apparue, laissant traîner derrière elle le spectre de sa longue chevelure tirant entre le blond et le roux. Ça avait presque un côté divin. Même si elle n'avait pas grand chose de céleste. Est-ce que je viens de rêver ? En tout cas, c'était vachement réel, vu les frissons qui me courent sur le haricot.
— Je crois qu'il va y avoir de la tension, dis-je.
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