Chapitre 2 ~ "Préparatifs et arc-en-ciel"
Les premiers rayons du soleil viennent chatouiller mes yeux, même à travers les volets fermés. Comme le mois de juin est plutôt entamé, ça ne veut dire qu'une chose : l'été pointe le bout de son nez. L'été que j'attendais désespérément !
Je crève de chaud, le moindre mouvement fait perdre dix litres d'eau à n'importe qui, les petits vieux retrouvent leur hideuse casquette tandis que les gamins crient et hurlent à tue-tête. En somme, c'est un magnifique programme qui s'annonce, n'est-ce pas ?
Heureusement, comme je suis d'humeur matinale, je réussis à me préparer assez vite. C'est-à-dire que je quitte mon pyjama Pikachu avant dix heures. A croire que c'est lui qui me donne cette force.
Les miracles existent. Merci Pikachu !
Je suis en vacances. Je suis en vacances. Je suis en vacances.
Non, ce n'est pas une incantation vaudou pour le dieu des vacances, et oui, j'ai besoin de me répéter souvent les mêmes choses plusieurs fois pour y croire. Pas besoin de me lever pour aller à des cours, pas besoin de devoir rendre des dossiers inutiles, pas besoin de m'acharner sur un rapport de stage. Non, tout ça, c'est derrière moi. Et même si ça voulait revenir me hanter, comme c'est derrière...
Parle à mon cul, ma tête est aux Bahamas.
Enfin, pas tout à fait. J'aimerais bien. Ma tête sera bientôt en Charente-Maritime, près de l'océan. C'est déjà ça, je ne vais pas m'en plaindre. Surtout que je serai seul et tranquille, sans rien ni personne pour me gêner ! Et celui qui essayera tâtera du pare-choc de ma voiture !
Bon ok, c'est une Twingo, c'est vrai que c'est pas très impressionnant, mais tout de même ! Faut se méfier du chihuahua tout mignon. Ce n'est peut-être pas une voiture de course, mais elle fait bien son job, et c'est tout ce que je lui demande.
Je soupire en attrapant mon portable, m'attendant déjà à la longue conversation que je vais avoir dans quelques minutes. Quand j'ai annoncé à mes parents que je voulais partir pendant au moins un mois pour mes vacances, ils ont d'abord été très réticents.
Ah bah oui, on est le poussin de la famille ou on ne l'est pas ! Malgré mes vingt et un ans, et demi, s'il vous plaît, c'est important, ils gardent toujours en eux cet instinct protecteur. Je ne peux pas leur en vouloir. Alors pourquoi est-ce que je me sens mal en composant les chiffres ?
— Allo ?
— Maman ? C'est moi.
— Oh, mon poussin !
Et le poussin piou, et le poussin piou...
— Je suis contente que tu m'appelles ! Tu ne prends donc jamais des nouvelles de ta vieille mère ?
— Mais... Maman, t'es pas vieille.
— Je comprends, me dit-elle. T'es occupé, en ce moment. Tu es prêt ? Tu pars toujours ?
— Oui, maman.
Au moins, on ne tourne pas autour du pot. On peut dire que j'ai du pot !
— Ah, d'accord ! Oui, il part toujours ! Quoi ? Dans la salle de bains, je te l'ai dit cent fois !
— Hein ?
— Mais non, je parlais à ton père, mon chéri. C'est super que tu partes en vacances !
— Oui, tata m'a passé les clefs avant-hier.
— C'est bien, ça va te faire du bien !
Pas de déception, rien. Sa voix monte même dans les aigus, signe qu'elle est contente. Ou stressée. Ou les deux. Ou triste. En fait, j'en sais rien. Gary rirait bien en me disant que je suis vraiment un profiler digne des plus grandes séries policières.
Ouais, enfin, là, je serais plutôt du genre Inspecteur Nounouille. Un genre de croisement entre l'Inspecteur Gadget et Colombo.
C'est chelou, cette façon qu'elle a de me parler.
Pourquoi est-ce que je pense à cette vieille chanson de Zaho ? Tout de même, c'est le sentiment que je ressens : c'est louche. Il va falloir que je mène sérieusement l'enquête.
— Tout va bien ?
Je préfère lui demander tout de suite et attaquer en premier.
— Oh, oui... Enfin, je suis contente que tu appelles, je voulais te téléphoner, justement ! Je l'aurais fait plus tôt si ton imbécile de père n'avait pas égaré le chargeur !
— Ne m'insulte pas devant fiston, femme ingrate !
— Je ne fais que lui dire la vérité, faquin !
— Coquine ! lui répond-il, au loin.
— Maraud !
Je ne peux m'empêcher de ricaner. Mes parents semblent s'entendre encore comme au premier jour. Oui, je sais très bien que s'insulter de maraud ou de brigand n'est pas courant, mais il faut de tout pour faire un monde.
Ouais, c'est chelou... Et on s'étonne que je sois en lettres avec des parents comme ça !
Ce n'est pas commun, mais ça me plaît. J'aime bien cette énergie qu'ils ont gardé. Mais là, lors du jour du départ, ça me ferait presque peur. Croyez-moi : mes parents qui ne flippent pas, c'est très mauvais signe.
— Enfin, reprend ma mère, toujours est-il que j'allais t'appeler.
— Mais je t'ai devancée. Les grands esprits se rencontrent !
— Oui. Tu es toujours à la maison ?
— Oui, pourquoi ?
— Ah, tant mieux. On voulait t'annoncer quelque chose, avec ton père.
— Quoi donc ?
Seul le silence, entrecoupé de quelques grésillements, me répond. Je suis certain qu'elle est en train de se déplacer. Derrière, j'entends la voix de mon père.
— Mel ? Toujours là ?
— Ouais.
— On part... en vacances !
— Ah bon ?
Il me faut un petit moment pour digérer l'information. Ils partent en vacances. C'est vrai qu'ils ne partent pas souvent. Rarement, même. Je peux comprendre leur excitation au téléphone.
— Où ça ?
— Dans ton cul.
Oh, ça, c'est signé Papa. Il adore cette blague, et je l'entends même rire comme un idiot. Je ne peux m'empêcher de l'accompagner. C'est vrai que je l'aime bien, cette blague. Elle est simple, efficace.
On peut même dire qu'elle s'insère bien... dans une conversation, hein.
— Guillaume ! gronde ma mère.
— Oh, ça va, c'est plus un gosse, on peut se permettre.
— C'est ton fils ! Excuse-le, mon poussin.
Je tousse bruyamment pour les interrompre dans leur querelle. C'est agréable de les écouter se chamailler, mais deux minutes. Par an, je veux dire.
— Donc, vous partez en vacances, c'est ça ? Où ?
— Oui, on a gagné des places à la radio, un séjour dans une station balnéaire partout en Europe ! Je t'ai même fait une petite dédicace, mon poussin d'amour, reprend ma mère.
— Maman, c'est gênant. Heureusement que personne dans mes amis n'écoute Nostalgie.
Du moins, personne ne me l'a dit.
— Et vous avez décidé de partir où ?
— Au Portugal.
— Au Portugal ? Évitez de parler espagnol, là-bas, hein ?
— Chéri, tu nous prends pour qui ? C'est plutôt à toi de faire attention. Tu comptes partir quand ?
— Bientôt. Avant de manger, je pense.
— Pour t'arrêter sur une aire d'autoroute et manger un sandwich hors de prix et peut-être faire une intoxication alimentaire ?
Je soupire. Avec ma mère, je pourrais mourir rien qu'en me retournant un ongle.
— Tu sais qu'on avale en moyenne cinq grammes de plastique par semaine ? me fait-elle remarquer, autoritaire. Et tu sais le nombre de sandwichs on rappelle ?
Ce qui est un peu débile, parce que vu le temps qu'il faut aux autorités pour se rappeler que les sandwichs en question n'étaient pas bons, ils ont même eu le temps de jouer aux cartes dans l'estomac avant de se frayer un chemin dans les canalisations.
— Oui, oui. Je ferai attention.
— J'espère.
Un court moment de silence me permet de constater à quel point l'immeuble est calme. Mais je reste sur mes gardes : parce que le silence, chez nous, c'est un temps précieux qui permet de passer à l'attaque avec plus de force.
— Au fait, Melvin...
Alerte rouge ! Alerte rouge ! Quand elle utilise mon prénom, c'est que c'est grave. Et vu le silence qu'il y a eu avant, là, ce n'est plus alerte rouge ni noire, mais alerte arc-en-ciel.
C'est qui, qui va en voir de toutes les couleurs ?
— Notre séjour dure deux semaines. Seulement, l'offre n'est valable que pour deux personnes.
Seul petit problème dans l'équation : le monstre qui me sert de petit frère. En effet, même s'il aimerait beaucoup, Killian n'a pas encore l'âge pour rester à la maison seul, et ils ne peuvent donc pas l'emmener. Les gens pourraient dire que mes parents sont égoïstes de se faire plaisir et de laisser le gosse.
Moi, je les emmerde, les gens. Surtout quand ils sont pas bons.
— Ton frère est tout seul, et on vient d'apprendre que Stéphanie ne pouvait pas le garder. C'était notre dernière chance.
Pardon ? J'ai dû mal entendre. C'est une blague, c'est ça ? Est-ce qu'on peut me dire où sont les caméras cachées ? Ils vont apparaître d'une seconde à l'autre et me crier "Surprise !". Je ne vois que cette possibilité. Ils ne vont tout de même pas réduire à néant mes semaines d'espoir !
Lol, MDR, XD, c'est une blague ?
Même mon cerveau s'est débranché. Et pour qu'il se câble sur la chaîne "Kikooland", c'est qu'il faut y mettre beaucoup d'énergie.
— Allo ? Mel ?
C'est plutôt à moi de dire ça !
Allo ! Non mais allo quoi ! Je suis en vacances et je ne suis pas tranquille ! Allo !
— Ouais... Ouais, je suis toujours là.
— J'avais demandé à Stéphanie si elle pouvait, elle m'avait dit oui, mais elle vient d'apprendre un décès dans sa famille. Du coup, elle a annulé... Et je peux pas demander à quelqu'un d'autre.
— Sérieux ? Mais j'avais prévu de profiter de mes vacances ! Et Killian a encore une semaine de cours, je peux pas l'emmener !
— Ton frère va louper. Ce n'est pas grave. Tu sais qu'ils ne font rien la dernière semaine.
— Oui mais...
— Melvin, s'il te plaît. Tu te souviens de...
— Bon, bon, okay ! C'est bon, Maman. Dis-lui de se préparer. Je passe à la maison dans pas longtemps.
— Je savais que t'étais un ange ! Merci, mon coeur.
— Ouais, ouais. Bisous.
Je raccroche, le coeur si lourd que je pense qu'il va tomber dans mes chaussures. Heureusement que je suis un frère génial ! Oh, je crois que c'est mon coeur qui vient d'atterrir dans mes pompes. Sinon, pourquoi est-ce que c'est plus gros, au niveau de mes chevilles ?
Je cours finir de préparer ma valise, en me demandant pourquoi j'en suis arrivé là. Pourquoi est-ce que le karma vient de me mettre un revers digne de Tsonga ? Ils sont beaux, ses revers. Sauf que la balle, là, c'est moi !
C'est qui qui va m'emmerder ?
Quand je sors de l'appartement après avoir tout vérifié, j'inspire un bon coup. Gaz éteint, fait ! Valise pleine de livres et de jeux prête et en main, fait ! Chapeau sur la tête, fait ! Et comme on n'oublie jamais rien, j'ai même rajouté une armure de nuit... Pour les nuits agitées, et je ne crois pas avoir besoin de faire un dessin.
Je ferme l'appartement et glisse les clefs dans mes poches. C'est parti, mon kiki !
C'est qui, qui va m'emmerder ? C'est Kiki, le plus chiant de tous les kikis !
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