Chapitre XXXIII : Racontars et culpabilité
On finit par rentrer à la maison. On dépose Amaryllis devant chez elle et elle nous salue de la main. Je suis triste de me séparer d'elle mais on se reverra. Et si jamais, on se retrouvera au gymnase.
En attendant, nous allons de ce pas raconter tout cela au reste de la famille Primus. Je ne sais pas comment mon père, qui dans sa fratrie avait le plus le profil pour devenir alpha, et mes cousins vont réagir aux choses horribles que nous avons à leur raconter. Je sais qu'Amaryllis reste disponible par messages au cas où il nous manquerait une information, une précision ou un détail.
Quand j'entre dans la maison de mon grand-père, sur les pas de mon oncle Valentino, je me fais assaillir par mes cousins avec mon père au premier rang. Ils me bombardent de questions toutes plus variées les unes que les autres et je finis par lever les mains devant moi pour dire avec un sourire un peu benêt :
-Du calme, du calme ! Nous allons tout vous raconter, je ne vais pas tout oublier en l'espace d'une minute ! Laissez-moi arriver !
Mon grand-père se fraye un chemin à travers le groupe composé de ses petits-enfants et se tourne vers moi.
-Alexis, veux-tu bien nous préparer du thé ? Celui de l'hôtel était absolument imbuvable, un véritable scandale !
Je ris de bon cœur, sachant que ce qu'il dit n'est qu'ironique, et réponds :
-Avec plaisir !
Je m'en vais dans la partie cuisine et je vois de là où je suis mes cousins et le reste des membres de ma famille s'asseoir sur le canapé ou à table, pendant que je commence à faire chauffer l'eau dans une casserole pour le thé. Tout le monde est présent, sauf ma tante et mes deux plus jeunes cousines, encore un peu petites pour être directement confrontées à la violence de ce monde sombre qu'est celui des loups-garous. Leur mère, ma tante, veille sur elles.
-Alors ? demande Georges, impatient.
S'il est aussi trépignant, c'est parce qu'avant que je ne me transforme, c'était lui qu'on désignait comme le prochain alpha des Primus, au vu de son âge, même s'il avait des frères et sœurs et même sans que cela soit officiel. J'ai appris que dans le cas où il n'y a aucun enfant unique dans une famille, ou meute, ou s'il y a justement plusieurs enfants uniques, c'est l'alpha qui doit judicieusement choisir son héritier.
Mais malheureusement pour Georges, j'ai quand même fini par me transformer et au passage, lui ravir cette place d'alpha qui lui était promise.
S'il est aussi enthousiaste d'entendre le récit que nous allons faire dans quelques minutes, c'est parce que c'est lui qui aurait dû y aller et participer. Il tient donc vraiment à savoir ce qui s'est passé là-bas, encore plus que les autres qui sont juste intrigués. Et d'un certain point de vue, je le comprends bien. Je suis, de nature, un peu curieux donc j'aime bien presque tout savoir, sur tout et n'importe quoi, les grands complots comme les ragots et les rumeurs...
Nous commençons à raconter en essayant de n'oublier aucun détail. Mon grand-père monopolise l'attention de la famille et me demande mon avis ou mon point de vue pour certaines choses. Valentino reste totalement silencieux. Moi non plus, je ne parle pas beaucoup mais je corrige aussi ce que dit mon grand-père. Après Amaryllis, c'est moi qui ai le plus vécu l'action vu que mon oncle et mon grand-père sont restés avec Fabrizia dans le salon, mais la plus au courant concernant ce qui s'est passé comme action dans cette maison est Amaryllis.
C'est elle, une fois seule, qu'Anna a été voir pour lui demander de l'aide alors qu'il n'y a pas de raison apparente d'un point de vie externe.
C'est elle qui a été attaquée par Alberto après s'être trouvée sur son chemin.
C'est elle qui a été blessée par cet affreux loup-garou sans doute artificie au vu de sa taille immense peu naturelle.
C'est elle qui a réalisé cette mission comme un agent secret, une espionne.
C'est elle qui a pris tous les risques...
Je me sens mal quand je pense à ça. Elle est humaine, une simple humaine qu'un loup-garou pourrait tuer en un coup de mâchoire ou de griffes, et elle a pris tous les risque de cette sorte de mission que je savais pertinemment dangereuse.
Elle a pris ces risques à notre place parce que la nôtre était malheureusement devant Fabrizia pour ce fichu contrôle...
Je sens alors le regard des gens sur moi et le silence de mon grand-père qui me fixe de ses yeux perçants et comme toujours, plissés. C'est quand il ouvre entièrement les paupières qu'il devient dangereux et c'est à ce moment-là qu'on doit le craindre et faire attention à tout ce qu'on fait...Je demande alors, surpris :
-Pardon, je n'ai pas suivi. Que disiez-vous donc ?
Je vois de ma place mon père sur une chaise autour de la table soupirer, l'air de se dire que je suis bien distrait, et pendant que mes cousins rigolent en douce dans leurs manches à la place de m'aider, mon grand-père vole à mon secours :
-Je parlais de ta confrontation avec Alberto Minuit que l'on croyait mort selon le rapport que nous avions reçu de Fabrizia peu avant la cérémonie où Amaryllis et toi aviez été présentés. Malgré tout, il y a quelque chose d'ironique dans cette histoire.
-Le fait qu'il est mort en tombant dans les escaliers ? se moque Greg en regardant son grand frère Georges du coin de l'œil, qui ricane aussi.
-Vous ne savez pas de quoi vous parlez, dis-je avec un sourire en coin. Il est bel et bien mort en tombant dans les escaliers. Ou plus exactement, je l'y ai poussé...
Un violent vertige me prend...
Je me sens soudainement ridicule, tout petit, horriblement mal et coupable...
Comment ai-je pu tuer un de mes semblables ?
Bien sûr que je me sens humain dans ma tête et que le loup qui se terrait en moi depuis des années dans le plus grand des secrets est une seconde nature pour moi, et non pas ma vraie, mais j'ai tué quelqu'un...De mon propre gré, en plus ! C'est de pire en pire...Cela va de mal en pis ! Jamais en devenant loup-garou, je pensais être confronté à la mort de quelqu'un et que ce soit entièrement ma faute.
Je ne dis plus rien. J'ai le regard vide, je le sais, mais je n'y peux pas grand-chose...
Mon grand-père serre légèrement la mâchoire et termine de raconter l'histoire de l'aventure que nous venons de vivre en tentant de mettre de l'ordre dans ses idées et ses souvenirs.
-Les chacals ! s'écrie mon père avec indignation qui, pour l'exprimer, abat son poing sur la table.
Cela ne me fait aucunement sursauter, ce qui pour moi est très peu commun étant donné que je saute au plafond pour le moindre petit bruissement. Alors que là, c'était un geste délibérément violent et bruyant. Maurice se croit drôle en ajoutant :
-Mais non, tonton ! On ne dit pas chacals pour eux, mais plutôt loups-garous.
Personne ne réagit à sa blague, ou tentative de blague, et quelques secondes se passent dans un silence radio jusqu'à ce que mon deuxième oncle, Eric, déclare :
-Qu'est-ce qu'on attend ? On n'a qu'à les accuser puis les attaquer et ça finira bien par les détruire.
-C'est une possibilité, dit mon grand-père devant cette réflexion clairement irréfléchie. Mais nous ne pouvons guère les accuser sans aucune preuve tangible. Et impossible de s'en procurer pour le moment malgré ce qu'a vu Amaryllis dans cette salle...
-Peut-être ment-elle pour renverser la situation à notre avantage...dit Valentino avec un sourire qui m'est clairement destiné.
Je grince des dents et lui lance avec un air de noble exagérément prononcé :
-Tu accuserais la jeune compagne de ton futur alpha de mentir ? Voilà bien une idée saugrenue et peu agréable à entendre...
-J'en conviens, me répond alors mon oncle avec un regard plus sérieux qu'à l'accoutumée.
Nous finissons alors gentiment la discussion et nous clôturons celle-ci avec panache en la terminant avec une belle phrase qui redonne de l'ardeur dans le cœur des membres de cette famille :
-Soyons forts et soudés, la famille et meute Primus est solidaire, bien au contraire des loups solitaires !
Je souris et puis m'en vais dans la chambre qui m'est réservée quand je suis chez mes grands-parents, celle où il y fait froid, dont la porte de bois est au fond du couloir. Je me mets dans mon lit, sous les draps, pour faire une sieste. J'ai largement besoin de penser à autre chose, me vider l'esprit après une telle aventure et une journée pareille. J'ai à peine le temps de penser que je suis tranquille pour un moment que je suis presque aussitôt rejoint par mon grand-père qui s'assied au bord de mon lit en me demandant gentiment :
-Ça va ?
-Oui, oui, dis-je en redressant mon torse et en m'appuyant sur un de mes deux coudes pour mieux le voir.
-Alpha, ce n'est pas trop dur ?
-Alpha ou alpha des Primus ? je souris en regardant mon grand-père de biais avec un sourire.
-Tu es malin, mon petit-fils ! rit-il en souriant beaucoup.
Il prend alors une mine plus sérieuse et me demande :
-Tout à l'heure, tu pensais à Alberto ?
-Oui, je dis sans le cacher.
Cela ne servirait à rien de cacher, nier ou mentir à mon grand-père, qui en plus est aussi en quelque sorte mon alpha, bien qu'il soit dans ma tête plus un instructeur, un enseignant ou une figure bienveillante au-dessus de moi. Je suis son héritier, notre confiance est réciproque, je n'ai pas à lui mentir. Je n'y gagnerais rien à part perdre cette confiance qui nous lie, et je ne suis pas sûr que ce soit vraiment un gain...
-Tu te sens coupable de ce qui lui est arrivé ?
-Oui, quand même...soupirais-je. J'y suis pour quelque chose dans sa mort. C'est moi qui l'ai poussé et qui ai un peu écrasé sa nuque...Je me dis que j'aurais dû trouver une autre solution, mais par manque de temps, j'ai simplement optimisé mes chances de le vaincre au plus vite...
-Je comprends bien cela, me dit doucement mon grand-père. Mais dis-toi aussi que sans Fabrizia, Alberto n'aurait sans doute jamais été ainsi.
-On ne peut pas le savoir, je dis en posant ma tête contre mon oreiller en arrière. On n'est sûrs de rien. Et si nous continuous sur cette voie pour savoir qui a eu la faute en premier, nous pouvons alors accuser la première cellule qui nous a donné la vie. Tout est lié, dans ce cas...
-J'admets, dit mon grand-père, une main sur le menton, l'air pensif. Mais sans elle, nous ne serions pas là à discuter toi et moi.
-Je sais, je souris avec un peu de peine.
-Ne culpabilise pas. Tu n'avais pas d'autre solution sur le moment et tu avais peu de temps. Tu te devais aussi de protéger ta compagne et ça, c'est le plus important. Elle a été blessée mais elle est en vie et de loin pas menacée à cause de sa blessure. Mais habitue-toi déjà à cela car dans des circonstances futures qui sont celles qui appartiennent à l'alpha, tu seras fréquemment mené à faire une sorte de genre de sacrifice. Alors ne te sens pas frustré, coupable ou terriblement désolé. Crois-moi, cela ne va pas trop te servir quand tu seras alpha à ma place.
Je me sens fatigué. Mes paupières sont lourdes et je vois mes cils en dépasser. Le poids dans ma poitrine, signe que je ressens de la culpabilité, me pèse et doit probablement aussi jouer dans ma fatigue soudaine actuelle. Je bâille en mettant me main devant, histoire de ne pas martyriser mon grand-père à lui faire admirer mes magnifiques ganglions au fin fond de ma gorge. Il me tapote la tête et part sur cette phrase :
-On mange dans une heure et quart. Tâche d'être en bas sans retard.
-Oui, oui, lui dis-je, insouciant, en retournant entièrement sous ma couette et en me tournant dans toutes les positions possibles et imaginables.
Mon grand-père s'en va, je l'entends descendre les escaliers carrelés au son que produisent les chaussures de style ancien qu'Amaryllis affectionne tant. Je me remets sur le dos, les bras écartés en angle droit par rapport à mon torse pour contempler le plafond. Je songe à ma petite amie, pas si loin que ça mais seule et je me sens soudainement triste. Je n'ai pas su la protéger, du moins pas immédiatement, et elle a été blessée...Je me sens un peu coupable malgré tout.
Je sens alors le sommeil gagner lentement du terrain sur mon corps...Il me parcourt et me jauge.
C'est en pensant à Amaryllis, à la place d'Alberto, que je m'endors et que je me sens bercé, tranquille, l'esprit un peu embrumé et de plus en plus, serein...Loin, à des kilomètres de tous ces problèmes et ces soucis que je me fais quand je pense à mon futur rôle d'alpha...
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