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Chapitre XXVI : Potentiel gêneur

Je ne sais pas de quelle manière James a retenu la leçon...
Pas assez ou justement, trop bien ?
Il a amené Ricardo dans notre groupe.
Pour mieux l'intégrer, a-t-il dit. Quand Alexis lui disait que je ne cherchais pas à le séparer de notre groupe car j'en fais partie, le message n'est peut-être pas bien passé. Non, rectification. Le message est clairement mal passé.
James a dû l'interpréter à sa sauce et il a donc fait venir Ricardo dans notre groupe. Et je ne donnerai pas non plus à ce charmeur de pacotille le plaisir de l'appeler par son surnom de dragueur, je ne suis pas là pour lui faire plaisir...

Quand il l'a vu pour la première fois au sein de notre groupe, rire un peu avec Heiling, fille capable de s'adapter plus ou moins bien et relativement vite à n'importe quoi, n'importe qui, n'importe quel climat et n'importe quel endroit, Alexis a failli voir rouge.
Mais rouge sang. Et voir au sens littéral du terme...
J'ai réussi à le calmer, avant qu'il n'égorge la première personne qui passe à sa portée, en le faisant jouer mes cheveux, qui visiblement sont très relaxants à ses yeux, et serrer mes mains de guimauve de toutes ses forces. Et en tant que lycanthrope, il en a, je peux vous le dire !

Alexis est énervé par autre chose aussi. James est un loup-garou, il est assez intelligent pour ne faire aucune mauvaise note, presque surdoué, il a assez de tact pour pouvoir se faire apprécier par beaucoup de monde...Mais il a apparemment un certain manque de jugeote. Ou alors, il le fait exprès, et ça ne fait qu'énerver encore plus son alpha, à savoir, mon Alexis. On dit bien que l'amour rend aveugle mais il y a des limites, tout de même !
Mais le pire dans cette histoire, c'est la prétendue curiosité de Ricardo. Il fourre son nez partout !
J'ignore si c'est juste pour nous embêter, pour rester polie, ou si c'est une vraie curiosité et un réel intérêt pour nous mais vu son expression faciale, je ne pense pas que ses motivations soient seulement saines, afin de juste mieux nous connaître...

L'autre jour à midi dans la cafétéria, quand Lou a appelé Stéphane pour discuter un moment, elle s'est levée et a fait trois pas pour s'éloigner de notre table commune. Et Ricardo, indiscret et avec son air de charmeur sur son affreux faciès, l'a rejointe et a commencé à lui parler, lui poser des questions sur elle et son petit ami et à faire des commentaires sur tout ce qu'ils se disaient. Lou a fini par lui mettre un coup de pied dans le tibia et James est allé le chercher. L'appel avec Stéphane s'est ensuite vite terminé, sur quelques mots doux, de ce que j'ai entendu.
Alexis, en face de moi à table comme toujours, car il préfère me parler ainsi de face que devoir tourner la tête en permamance, me jette un regard noir, noir de colère, de rage et de haine mêlées. Mais je sais que ce regard sombre ne m'est pas adressé. Je sais qu'il serait normalement destiné à Ricardo.
Je tends alors ma main devant moi en souriant gentiment à mon copain. Ce dernier esquisse alors un début de sourire et prend ma main d'abord doucement comme pour me remercier puis la serre pour décompresser et se débarasser d'une partie de son immense colère.

-Comme ils sont mignons ! dit soudain une voix grave qui ne nous est pas méconnue mais qui nous paraît tout aussi insupportable à entendre.
Je sens la main d'Alexis se serrer encore plus autour de la mienne. Il tourne un regard meurtrier, plus que noir, vers Ricardo qui sourit de manière à ce que nous nous sentions nargués. James corrige alors son petit ami :
-Je ne crois pas que ce soit mignon, Rick...Alexis est en train de déverser sa rage hors de som corps en serrant la main d'Amaryllis.
-Sérieux ? fait alors Rick en riant.

Il tend alors sa main à Alexis en souriant, amusé par ce qu'il croit être un jeu.
-Vas-y, serre ! Ce n'est pas bien de défouler sa rage sur sa copine !
Alexis me regarde alors du coin de l'œil. Je vois aussi dans mon champ de vision James qui est à deux doigts de se ronger les dix ongles en entier tellement il craint ce qu'Alexis pourrait faire. Sa colère démesurée est devenue une sorte de légende dans notre groupe. Lou, Samuelle et Tina disent souvent que je suis la seule qui arrive à catalyser cette énergie destructrice née de ses brusques sentiments de rage ou de jalousie, enviant beaucoup de choses et de gens. Et James connaît les désastres matériels que peut commettre Alexis, surtout depuis qu'il s'est découvert loup-garou. Je dis alors :
-Ne lâche pas ma main. Sinon, tu risquerais de faire trop de dégâts.
Mes guimauves de mains sont tout de même bien pratiques, je dois l'avouer...
-Autant que ça ? se marre Ricardo, ne croyant pas au sérieux de la situation et ne faisant pas attention à Alexis qui darde sur lui des yeux haineux. Un garçon aussi peu sportif que toi ne peut pas avoir autant de force, si ?
Il pouffe. James se force à lâcher un minuscule sourire pour ne pas vexer son petit ami mais il appréhende les ravages d'Alexis. D'un loup-garou. D'un alpha !

Quand Alexis se met à serrer la paume de Ricardo, ce dernier perd alors son rictus et commence à grimacer. Je sens sur ma propre main la pression d'Alexis augmenter encore. À mon avis, il doit tout faire pour mettre plus de force dans sa main gauche, qui serre la mienne, que sa droite. Il ne peut pas se permettre de blesser un humain qui ne sait rien des loups-garous avec sa force de lycanthrope, logiquement aussi inhumaine que surhumaine.
Ricardo se mord la lèvre inférieure. Apparemment, ça lui fait mal, très mal.
-Arrête ! C'est bon, j'ai compris ! Arrête s'il te plaît !

Alexis lâche sa main, déjà rouge sur les bords et tremblotante. Il a probablement dû mettre une résistance dans sa main sans le vouloir, c'est une sorte de réflexe intuitif qu'on a mais qui nous fait mal à nous-mêmes, tout seul. Comme quand on retire sa main ou un membre quand un chat nous griffe alors que ses griffes sont courbées vers l'intérieur et qu'il vaudrait mieux attendre que le chat se retire de lui-même plutôt que de tirer et nous griffer nous-mêmes en tout cas deux fois plus violemment que sans avoir fait de mouvement. C'est simplement un réflexe mais c'est aussi ce qui fait mal. Moi, à force de faire utiliser ma main aux gens, et surtout Alexis, en colère, j'ai presque perdu ce réflexe et j'ai moins mal.
Alexis redresse son regard assassin vers son interlocuteur qui a commencé à se masser la main et il déclare, comme pour finir d'assomer Ricardo :
-Dis-toi que je mettais en tout cas le triple de cette force-là sur la main d'Amaryllis.
Ricardo change presque de couleur en entendant ça. James le prend alors à l'épaule et lui dit :
-Alexis n'est pas un garçon agressif de nature, juste un peu colérique. Mais ne le provoque pas, ou il risque de t'arriver quelques bricoles...
-Quelles bricoles ? fait Nadejda, silencieuse jusque-là, en haussant les sourcils d'un air entendu.
On rit tous de bon cœur. On en avait bien besoin ! Je ne sais pas si Nadejda est juste salace au point de sauter sur la moindre occasion pour faire un commentaire peu catholique sans réfléchir ou si elle cherchait à détendre l'atmosphère menaçante et de plus en plus lourde en attendant une remarque de ce genre. Peut-être un peu des deux...
Quoi qu'il en soit, je l'en remercie.
Quant à Alexis, il me lâche la main avant de poser la mienne sur mes phalanges et mes os douloureux. Je sens à travers ma main les pulsations de mon cœur par l'intermédiaire de mon sang qui bat dans mes veines avec ardeur. Alexis plante ses yeux verts et sincères dans les miens et je souris alors tout aussi sincèrement, transparente et sans aucun filtre.

Quand nous devons reprendre les cours, nous montons dans nos classes lentement et nous devançons Ricardo et James de plusieurs dizaines de mètres. On sait qu'ils s'embrassent fougueusement, limite sauvagement, avant de se séparer et même Tina et Nadejda avec leur nature curieuse ne souhaitent pas vraiment voir ce spectacle, ma foi, plus que déroutant...
Une petite minute avant que le cours débute, James prend Alexis à part et je les accompagne. Je leur impose de moi-même ma présence et James ne pose pas de questions. Il sait que je suis comme l'ombre d'Alexis, surtout en ce qui concerne le monde des lycanthropes. Une ombre parce que je le suis sans réfléchir et ne parle peu, voire pas.
James alors fait le salut lupin qu'on adresse aux alphas des Primus et dit alors à Alexis, prenant un ton solennel et désolé à la fois :
-Pardon, Alexis ! Ou plutôt, cher alpha ! Je te prie d'excuser les paroles blessantes, rabaissantes et un peu moqueuses de Rick, enfin, Ricardo. Il ne sait rien de toi alors excuse-le pour sa maladresse d'expression.
Alexis a un petit rictus alors que James a toujours les yeux clos. Dès qu'il rouvre les paupières, Alexis reprend un air plus calme, plus fier et plus noble, celui que doit afficher un alpha digne de ce nom.
-Ça va, dit-il. Je sais qu'il ne sait rien, et tant mieux. Par contre, pour le moment, ne dis rien à qui que ce soit pour ta vraie nature. N'en parle à personne sauf à Amaryllis ou moi, vu que nous savons déjà.
-Bien...dit James, se voyant obligé d'obéir à son alpha.
-Dis-moi encore une chose, avec sincérité...J'ai cru comprendre que tu n'as rien dit pour moi, mais est-ce que tu peux me jurer que Ricardo ne sait rien de ta nature de loup-garou ?
James regarde Alexis dans les yeux.
-Non, il ne sait rien. Les meutes ne parlent jamais de leur nature sauf à l'élu de leur cœur, comme toi pour Amaryllis.
Alexis a un rire nerveux.
-C'était surtout un malheureux hasard pour elle et moi.
J'acquiesce pour confirmer. C'était assez inattendu, quand c'était arrivé.
-Mais dois-je te rappeller qui il est pour toi ?

James se confie alors à nous, perdant alors les honneurs qu'il devrait avoir envers son alpha, redevenant un ami :
-Je ne le sens pas...Je l'aime beaucoup mais je pense que si j'ai accepté de me mettre avec lui, c'est à cause de...
Les mots se bloquent dans sa gorge. Il articule avec difficulté :
-Ma rupture douloureuse avec Mélusine. J'ai profité de ce qu'il m'offrait pour retrouver un peu de chaleur humaine amoureuse. Mais je ne le sens pas comme un amour que je garderai toute ma vie...
-Je vois, fait Alexis avec un sourire, espérant alors comme moi de tout cœur que James se débarasse de cet ahuri. Je peux comprendre. Bien, les cours vont commencer.

James retient alors Alexis par le bras.
-Attends, je peux te poser une question ?
Mon petit ami et moi nous retournons alors vers notre interlocuteur.
-Oui ? demande Alexis avec un petit sourire, bien plus joyeux qu'il ne l'était il y a quinze minutes à peine.
-Tu as dit tout à l'heure de ne rien dire au sujet de ma vraie nature et pourquoi pas notre vraie nature ? Nous sommes tous les deux de la même espèce, non ?
-Oui, fait Alexis. Et non.

James lève un sourcil interrogateur et Alexis s'explique avec un air un peu triste mais confiant à la fois, m'apprenant à moi-même de nouvelles choses :
-J'ai eu ma première transformation en loup-garou tard, je suis encore en plein apprentissage des lois et des mœurs de la société des lycanthropes. Je suis comme un nouveau-né dans ce monde-là, ce qui n'est pas faux vu que je viens à peine de me transformer. J'ai grandi en humain. On m'a offert une enfance humaine qui a duré dix-sept ans. Dans ma tête, je suis encore de loin un humain, je n'ai pas les mêmes valeurs que les loups-garous à qui on ne cache rien depuis leur naissance comme toi, ou que les vieux lycanthropes. Je l'ai déjà dit, je suis un nouveau-né dans ce monde. Je ne rejette pas ma nature de loup-garou, je l'accepte mais je la considère comme une seconde nature, une nature cachée. Ma vraie nature, elle est humaine !

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