Chapitre XXIX : Inspection
Aujourd'hui est un grand jour.
Ou un jour particulièrement stressant, selon le point de vue...
Je me sens bien trop serré dans mon costume. Le col de ma chemise blanche et immaculée me colle au cou et j'ai l'impression que ma cravate noire ne sert qu'à m'étrangler et compresser ma pomme d'Adam, mon gilet bleu foncé me donne l'impression d'avoir le torse dans un étau resserré dans ses conditions les plus optimales et ma veste me donne juste l'impression de mettre mon corps au maximum de ses capacités sudatoires. La ceinture noire à boucle de mon pantalon bien repassé est serrée autour de mon bassin à son paroxysme mais les plis du tissu sont bien formés. J'ai aussi dû chausser belles chaussures vernies.
-Mais quelle classe ! me dit une voix bien connue, dans mon dos. Tu as vraiment de l'allure, comme ça, Alexis !
Je me retourne tout en ajustant ma manche, pour qu'on voie ma chemise blanche en dépasser, et souris en voyant ma petite amie s'approcher de moi. Je la détaille. Elle porte une sorte de survêtement de sport noir assorti. De sa poche sortent des gants et un masque pour le nez et la bouche, eux aussi noirs, qu'elle enfilera après, et elle porte à ses petits pieds de simples chaussures fermées, facilitant ses mouvements et ses déplacements.
Notre mission va bientôt commencer.
Nous nous rendons en voiture jusqu'à la demeure des Minuit. Quand nous arrivons devant, j'admire les magnifiques fioritures qui ornent la façade sombre et les décorations diverses. On dirait presque une maison de type ancien mais elle est bel et bien moderne.
Mon grand-père se gare près d'un buisson touffu et quand j'ouvre la portière, Amaryllis se glisse dans la végétation discrètement. Si jamais un membre des Minuit nous observait depuis une des fenêtres de la maison, il n'aurait absolument pas vu la présence d'une quatrième personne, indésirable et n'étant pas annoncée.
C'est là que mon chemin me sépare d'Amaryllis.
Je me baisse et fais semblant de rattacher mes lacets et, caché derrière les feuilles du buisson, j'embrasse avec rapidité ma petite amie, pour lui souhaiter bonne chance. Elle en aura bien besoin. On ne connaît ni l'entièreté de la maison des Minuit ni la totalité de ce qu'elle contient ni ce sur quoi Amaryllis pourrait tomber...
Mon grand-père, mon oncle Valentino et moi, tous les trois en costume, très bien vêtus, entrons alors dans le jardin par la grille et nous sonnons alors à la porte pricipale. Elle s'ouvre et apparaît dans l'embrasure Fabrizia Minuit, l'alpha actuelle de la meute.
-Bienvenue, mes très chers ! J'espère que vous avez fait bon voyage !
Mon grand-père acquiesce et rajoute :
-Merci de ton attention, Fabrizia, nous allons bien et le trajet s'est bien déroulé.
-Entrez, entrez. Je vais vous faire prendre le thé !
Cette louve-garou est habillée avec un mauvais goût. On dirait qu'elle a mis tout ce qui lui tombait sous la main sans réfléchir aux accords entre les habits. Elle a une robe rouge qui lui arrive un peu au-dessus des genoux qui serait probablement une belle robe simple et qui offrirait un beau décolleté mais elle a enfilé sous cette dernière une chemise à laquelle elle a mis une broche et un jabot aussi blanc que sa chemise autour du cou. Elle a des bracelets qui cliquètent à ses bras et, comme la première fois que je l'ai vue, des escarpins noirs à talons très hauts. Ses cheveux sont lâchés en casacde sur ses épaules et elle porte du vernis sur ses ongles courts qu'elle doit avoir coupés récemment.
Nous entrons alors dans cette demeure inconnue. Dans l'entrée, très haute de plafond, je ne vois rien de spécial mais quand Fabrizia nous mène dans la salle de séjour, ou disons le salon, je vois de la décoration partout. Le papier peint jaune à fleurs est un peu ancien mais le reste est moderne et bizarrement, ça s'accorde bien avec le papier peint. Des tableaux des anciennes alphas sont accrochés aux quatre murs de la pièce. Je reconnais les visages des alphas que j'ai pu voir dans le dossier sur les Minuit.
Fabrizia nous fait nous asseoir tous les trois sur un canapé bordeaux. Pratiquement tout dans cette maison respire les couleurs connotées nobles, des couleurs foncées telles que le bleu roi et les bleus foncés généralement, le rouge et le bordeaux ou encore le gris et le noir. Il y a peu de blanc ici et les meubles sont faits de bois massif d'après le peu de choses que je connais à ce sujet.
Nous avons traversé de nombreux couloirs, longs et richement décorés, mis en valeur ou non, avec des meubles d'apparat et des vases remplis de fleurs rouges, pour donner une impression de fraîcheur. Pourtant, quand je passais devant elles, ces fleurs me donnaient la chair de poule comme si elles étaient ensanglantées et non pas teintées natutellement.
La couleur par excellence des Minuit, contrairement à ce qu'on pourrait croire à cause de leur nom qui nous fait penser à la nuit et donc au bleu foncé ou au noir, c'est le rouge. Beaucoup d'éléments de cette demeure sont rouges et me tapent dans l'œil avec une telle violence que je pourrais presque devenir aveugle rien que de loger dans cette sordide habitation.
Dans la pièce où je me trouve, les rideaux, les tapis par terre, les vases, des parties des meubles sont rouges. Mais ce qui me frappe le plus, c'est la robe de Fabrizia, dont cette couleur rouge est aussi brutale qu'un moucheron qui m'aurait foncé droit dans un globe oculaire ! Et qui me gênerait par la suite pour le retirer en me frottant l'œil. Mais à la différence que là, je ne peux pas faire disparaître Fabrizia juste en me frottant un œil, même si ce serait bien beau...Mais il serait dangereux de me laisser avec un tel pouvoir dans les mains. À vrai dire, si je pouvais faire disparaître des personnes rien qu'en me frottant les yeux, il ne resterait plus grand-monde dans mon entourage. Que dis-je, sur la planète !
Je pense alors à Amaryllis...Que fait-elle ? Est-ce qu'elle s'en sort, toute seule ? Je me sens un peu mal de lui avoir parlé de tout ça, sans quoi elle n'aurait peut-être pas fait partie de cette mission. Mais je me serais senti encore plus mal de lui mentir, même pour la protéger...
Débarque soudainement Anna, l'héritière de Fabrizia. Elle est plutôt jeune pour assister à ça mais elle veut être avec sa mère et ça se comprend. Et comme elle est la future alpha de la meute, il n'y a à peu près aucune raison de la faire s'en aller ou l'exclure de la discussion.
Anna apporte la seule touche de couleur claire dans cette immense maison aux teintes nobles et sombres. Elle est vêtue d'une robe turquoise pâle, qui tire un peu sur le vert très clair, ce qui accentue encore plus sa peau presque blanche, ses cheveux blonds et ses magnifiques yeux bleus, étonnamment clairs aussi.
Elle a l'air tellement pure dans ce décor sombre, comme un ange immaculé et brillant arrivant dans le monde des humains, sombre et malsain.
Cela me semble bizarre qu'elle soit la fille de Fabrizia. La couleur des cheveux ne m'étonne pas trop, entre blond et roux couleur de feu, ce n'était pas trop un problème pour la génétique mais les yeux, si. Fabrizia a les yeux bruns. Son défunt mari, que j'ai vu en photo dans le dossier des Minuit, aussi...À moins que les deux soient porteurs du gène des yeux bleus, ce qui serait un surprenant hasard, c'est pratiquement impossible d'avoir eu un enfant avec des yeux bleus. Et si clairs naturellement, c'est également étonnant.
Mais finalement, je m'en fiche. Elle a l'air tellement pure, et je suis tellement fourbe, méfiant et calculateur...Je finis par me dire que je n'ai pas besoin de douter sur et de tout.
Anna s'installe sur le canapé en face de nous, aux côtés de sa mère qui ne lui jette qu'un regard un peu dédaigneux avant de se retourner vers nous, en ignorant quasiment totalement sa fille. La table entre nos deux meutes est en verre transparent à l'extrême et les bordures sont simples et faites de métal noir, et couverte de dossiers divers et de papeterie variée.
Commence alors la partie administrative de l'inspection.
Mon grand-père passe en revue des tonnes de documents, tous plus différents les uns que les autres, il met d'autres documents à jour, il en remplit des nouveaux...Les deux interlocuteurs que je vois en face à côté de moi traitent de tous types de sujets, que ce soit en rapport avec la meute Minuit en elle-même ou ses membres, de leur territoire, du monde des humains et du monde des lycanthropes, les nouvelles lois votées il y a quelques temps, un peu avant que je ne devienne un loup-garou pour la première fois, et d'autres sujets encore plus complexes.
Pour le moment, vu que je ne suis pas encore alpha, je ne fais qu'écouter ce qui se dit entre Fabrizia et mon grand-père, son alpha. Mon oncle Valentino reste silencieux lui aussi. Il a le dos droit et bombe légèrement le torse. Je le vois qui s'ennuie un peu tandis qu'Anna, probablement dans le même cas, s'en va. Mon oncle est un loup-garou plus sauvage et instinctif que mûr et réfléchi, d'où la naissance de cet ennui apparent qui est sien, tout comme une bonne partie de mes cousins. D'ailleurs, voilà à mon avis en partie la raison pour laquelle ils draguent et charment tout ce qui bouge, et même ce qui ne bouge pas, se laissant porter par leurs envies et leur instinct, sans vraiment trop s'embêter à réfléchir sur quelque chose d'aussi futile que ça...
On entend soudainement un grand bruit dans le couloir, mais pas juste à côté mais bien plus loin, à l'opposé de nous, et probablement un étage au-dessus. Nous avons juste une bonne ouïe en tant que lycanthropes.
Fabrizia lève alors les yeux vers la porte restée entrouverte après le départ de sa fille il y a quelques minutes et elle nous assure avec un sourire qui sonne faux :
-Laissez, je crois que c'est simplement Anna qui s'amuse et qui est tombée. Cela arrive souvent.
J'ai des doutes. Ce bruit n'était pas celui produit par une petite fille de même pas dix ans. Il était bien trop lourd, bien trop sourd. J'observe alors la réaction des membres de ma famille.
Mon grand-père toussote et ne se laisse pas troubler. Il reprend alors sa discussion administrative et formelle avec Fabrizia qui commence à me courir autant sur le système que sur le haricot, avec son petit sourire insouciant pour deux sous et son air tellement confiant qu'il en devient agaçant. J'ai envie de lui sauter dessus mais pas comme avec Amaryllis, avec qui je veux être un bon petit loup-garou. Là, j'ai envie de planter mes crocs dans le cou de Fabrizia pour bien lui faire sentir que je ne l'apprécie pas.
Mais ce ne serait pas très diplomatique. Ni très prudent non plus. Je finis par me calmer peu à peu mais je me tortille dans mon coin de canapé en grommelant intérieurement. Soudain, mon oncle Valentino me lance en riant, comme pour se moquer de moi :
-Alexis ? Besoin d'aller au petit coin ?
Je vais lui rétorquer que non mais quelque chose me retient...Je dis alors avec un calme presque parfait à Fabrizia :
-Pardon, je sais que cela ne se fait pas en pleine séance et que c'est malpoli d'interrompre ainsi quelque chose d'aussi important, mais puis-je vous emprunter vos toilettes ?
Cette louve me regarde avec des yeux pétillant de malice, mais pas la même qu'Amaryllis quand elle veut m'embêter par exemple, mais une malice mauvaise et presque malsaine. Je me sens un peu mal à l'aise sous le regard fixe, immobile, vide et insistant de Fabrizia. Elle finit par parler :
-Bien évidemment, cher futur alpha. La quatrième porte à gauche en partant à droite en sortant de la pièce.
-Merci beaucoup !
Je sors de ce salon et arrive dans le couloir aux couleurs sombres mais éclairés par les grandes fenêtres dont les rideaux sont tirés. Je fais quelques pas dans la direction qu'elle m'a indiquée pour ne pas éveiller les soupçons avant de me changer en loup pour courir plus furtivement avec mes coussinets, encore plus étouffé par les tapis épais du couloir. Le bruit que nous avons entendu avant était dans la direction opposée à celle que m'a indiquée Fabrizia pour les toilettes et je m'empresse alors de m'y rendre.
Les toilettes étaient un parfait prétexte pour pouvoir sortir de cette pièce. J'ai un mauvais pressentiment et j'espère qu'il ne concerne pas Amaryllis comme je le crains. Je cours rapidement mais en prenant bien garde à ne pas marcher sur le parquet avec mes griffes, cela ferait du bruit et tout serait alors raté...
Je cours alors à toute vitesse pour rejoindre l'endroit où nous avons entendu ce bruit sourd tout à l'heure.
Quand j'arrive sur les lieux, je n'en crois pas mes yeux de loup...
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