Aujourd'hui, quand Alexis arrive au gymnase comme à son habitude et que nous montons au premier étage, là où ne devons avoir notre premier cours de la journée, je vois de la résolution et une forte détermination dans son regard.
Je connais ses intentions, je sais ce qu'il projette de faire...Il veut absolument parler à James ou le faire parler, si jamais lui refuse.

-Il y a quelque chose qui me trotte dans l'esprit depuis des semaines. Depuis ma cérémonie.
-Quoi donc ? demandais-je.
Je suis surprise. Pas qu'Alexis se confie à moi, car il est déjà arrivé dans le passé qu'il me confie des choses, que parfois même sa propre famille ne savait pas encore, mais plutôt qu'il ait passé autant de temps à ruminer des pensées et des doutes sans rien me dire.
-Une odeur. Celle de Christopher, ou du moins son fond d'odeur, m'était plus ou moins familière, mais le James Maurin qui nous a été présenté ce soir-là, c'est-à-dire Stéphane, n'avait pas du tout une odeur proche de celle de Christopher. Voilà ce qui me travaille depuis des semaines. Il est impossible pour deux générations si proches d'avoir chacune une odeur aussi radicalement différente...
Je ne sais que dire. Je me contente de serrer sa main entre mes petits doigts.
-Je vais parler à James ! dit Alexis en relevant les yeux.

On était en train de discuter de ces quelques sujets peu humains quand arrivent Tina et Heiling. Peu après arrive donc le reste de notre groupe, Samuelle, Lou et Nadejda.
Sans James...
Est-ce surprenant ? Je l'ignore.
Il est de nouveau, comme beaucoup trop souvent ces temps-ci, inscrit sur la liste des abonnés absents...Je vois alors du coin de l'œil, encore tout juste dans mon champ de vision, Alexis commencer à voir rouge. Mais pas rouge clair ou rouge orangé, mais rouge bordeaux, voire même rouge sang ! Il serre ma main de guimauve dans la sienne avec toute la force de sa colère grondante qui grandit peu à peu.
Pour deux raisons. La première, il nous laisse tomber, nous, son groupe d'amis, pour aller badiner avec ce coureur de jupons et beau parleur à la noix, pour dirait Alexis lui-même pour rester poli, et la seconde, parce qu'il est déjà suffisamment agacé personnellement par James ces derniers jours de manière générale pour tout.
La sonnerie retentit à travers les couloirs et, lorsqu'on s'apprêtait à entrer dans la salle, on voit alors James débouler à toute vitesse, son sac sur l'épaule, quelques gouttes de sueur brillant sur son front rougi et ses cheveux blonds ébouriffés. Nadejda, les yeux pétillants de malice et de fourberie mêlées, le fixe alors avec insistance et lui lance, ne tenant plus :
-Alors ? Ton Rick adoré a-t-il été assez bon pour satisfaire ton vorace appétit second ?
Je souris, comme souvent quand je remarque les sous-entendus de nature douteuse de Nadejda...Alexis aussi, ça le fait beaucoup rire. Mais bon, pas vraiment en ce moment précis...Il est, disons préoccupé par autre chose. Là, je verrais presque de la fumée sortir de ses narines, ses oreilles et toutes ses pores dilatées...Je l'entends déglutir plutôt bruyamment à son échelle, extrêmement polie et bien élevée, puis nous entrons alors en classe pour notre premier cours de cette longue journée.

Aux pauses depuis quelques temps, après que j'aie photogaphié les dossiers des meutes que je dois apprendre chez moi, je m'instruis durant les dix minutes qui nous sont gracieusement offertes, accordées entre chaques cours. Je suis en train d'apprendre avec surprise quelques détails concernant la meute des Maurin. Je vois qu'ils ont toujours eu depuis des générations des soucis avec le choix de l'héritier de leur alpha, à cause de plusieurs enfants uniques par portée, comme on dirait chez les loups-garous.
Et oui, il faut bien que je m'accommode avec ces termes lupins ! D'ailleurs, soit dit en passant, Alexis aussi...
Samuelle regarde discrètement par-dessus mon épaule pendant ma lecture et quand je la remarque, elle me sourit et me demande :
-C'est quoi, ça ? Ça ressemble à des vieux parchemins anciens...
Je souris un peu bêtement. Elle continue en riant avec amusement :
-Tu mets la luminosité de ton natel bien trop bas pour que je puisse dstinguer quoi que ce soit d'autre !
Je ris avec elle pour ne pas lui montrer que j'ai manqué de faire un arrêt cardiaque...Alexis, assis à côté de moi, sourit un peu sadiquement. Lui, sait...

À dix heures, nous avons la pause de vingt minutes. Ça nous donne un peu de répit...Nous avons déjà tous la tête remplie de formules et de mots divers et variés et je me dis que cette journée va vraiment être longue si ça dure ainsi tout du long. Je vois alors Alexis se lever et suivre James dans le couloir. Je sais tout de suite, presque instinctivement, ce que mon petit ami a en tête. Je me lève précipitamment de ma chaise noire, laissant Samuelle en plan et en train de parler toute seule, et me lance à la suite d'Alexis, lui-même sur les pas de James.
J'arrive alors pile au bon moment. Alexis vient de rattraper notre ami. Je me cache discrètement derrière des casiers et je peux alors voir la scène sans trop risquer de me faire voir. De toute façon, Alexis me sent à l'odeur, bien qu'aveuglé de rage comme en ce moment, il lui est difficile d'utiliser pleinement ses sens, son attention étant déjà focalisée entièrement sur James et quant à ce dernier...À vrai dire, je m'en fiche. Après, ils sauront bien les deux.
Dans ce couloir plutôt isolé et peu passant, c'est idéal pour avoir une petite discussion entre eux deux à l'abri des regards indiscrets. Toutefois, je devrais rester vigilante, on ne sait jamais...

-James ! l'interpelle alors Alexis le souffle court de colère.
Notre ami se retourne.
-Alexis ? Qu'y a-t-il ?
-J'aimerais te parler.
James fait la moue et se justifie quelque peu :
-Ça ne peut pas attendre un moment ? On en parle un peu plus tard. Je dois rejoindre Rick...
-Maintenant !
La voix d'Alexis n'a pris aucun décibel de plus que d'ordinaire, mais par contre, elle s'est montrée très sèche, sévère et ferme. Digne d'un alpha en fait...Je suis surprise aussi. James ouvre des yeux vraiment surpris.
-Mais...Pourquoi ne veux-tu pas me laisser aller vers Rick ? Je ne t'empêche pas de voir Amaryllis, moi...
Alexis avance alors, de toute sa stature, menaçant, ses épaules larges lui octroyant une aura de suffisance très élevée. Il grommèle alors quelque chose entre ses dents qui, je le sens depuis là où je suis, deviennent peu à peu des crocs sous l'effet de sentiments trop intenses, comme en ce moment la colère d'Alexis. Il se met alors à articuler des mots intelligibles pour James et moi :
-Primo, Amaryllis fait partie de notre groupe. Ton gus, non. Secondo, Amaryllis ne cherche pas à m'isoler de mon groupe d'amis. Logique, puisqu'elle y est, après tout. Mais pas comme ton cher copain. Tertio, ne mêle pas mon Amaryllis à ça !

Je vois James reculer de plus en plus devant Alexis qui lui paraît si enragé d'un seul coup. Il finit par se retrouver dos au mur, un mur gris de béton froid qui lui bloque toute issue postérieure.
-Laisse-moi y aller. Le temps avance, tu sais, Alexis...tente James pour essayer de convaincre cet effrayant Alexis de le laisser.
Mais le lycanthrope ne tint plus. Il balança alors sa main fermée en poing en direction du visage de James. Il visait en fait le mur derrière lui, qu'Amaryllis avait entendu craquer sous la force nouvelle et inhumaine d'Alexis. Je ne serais pas étonnée de voir de grandes et longues fissures profondes dans la pierre...Je reporte à nouveau mon attention sur le duo devant moi.

-James, je vais être franc. Ces derniers temps, tu nous laisses un peu trop derrière toi. Nous sommes tes amis mais ce n'est pas une raison pour nous abandonner parce que tu as un petit ami et revenir ensuite vers nous quand tu n'en auras plus. Nous ne sommes ni des objets ni des bouches-trous.
J'éclate presque de rire en pensant à ce que Nadejda pourrait faire de cette phrase à double sens mais je me retiens du mieux que je peux. Il ne manquerait plus que je sois découverte ! James écoute alors les paroles d'Alexis et, toujours plaqué au mur, le dos sur la matière dure et froide, laisse alors ses bras retomber le long de son corps pour montrer qu'il ne tentera pas de s'échapper. Alexis poursuit avec une sérénité que je ne lui connaissais pas mais qui lui va pourtant à ravir :
-Et sincèrement, ça m'agace plus qu'autre chose. Ton copain, c'est important. Je le sais parce que moi, j'ai la chance d'avoir Amaryllis. Mais tes amis aussi, ne l'oublie pas.
James acquiesce alors, un peu penaud, tout honteux.
-Je peux y aller ? demande-t-il alors à Alexis comme un enfant demanderait à sa mère s'il a le droit de faire telle ou telle chose après qu'elle l'ait réprimandé

Je sens la colère d'Alexis remonter d'un petit cran.
-James. Je suis sérieux. Je veux que tu me jures de répondre sincèrement à la question que je vais te poser.
-Je jure, si ça peut te faire plaisir...
Alexis se redresse et plante ses yeux verts et brillants dans ceux, bleus, de James.
-Avoue-le, tu es un loup-garou ! Tu es James Maurin, choisi pour être le prochain alpha des Maurin.
James ouvre alors des yeux surpris.
-Tu...Je ne...
Il bafouille encore quelques mots incompréhensibles puis il redresse son dos et détend ses épaules.
-Comment le sais-tu ?
Je vois alors les lèvres d'Alexis s'étirer en un large sourire carnassier digne d'un loup-garou, presque effrayant comme s'il exprimait une certaine folie.
-Prouve-le moi, ordonne Alexis avec un ton tellement dur qu'il en deviendrait presque palpable.

James ferme alors les yeux et quand il les ouvre, le bleu clair de ses yeux a laissé place au jaune luisant caractéristique de tous les lycanthropes. Il entrouvre ensuite ses lèvres et laisse voir ses canines qui ont soudainement poussé. Il ressemblerait presque à un vampire, pâle comme il est...
Alexis sourit alors encore plus et retire alors sa main du mur qui bloquait James d'un côté de sa tête. Alexis se redresse aussi et je sens qu'il va commencer à jouer un de ses fameux rôles de façade, parmi ceux qu'il utilisait un peu plus avant que l'on se mette ensemble. Alexis relève alors la tête, toisant alors son interlocuteur qui a l'air de ne pas être plus important qu'une crotte de souris tellement il a un air, bien que joué, méprisant.
-Et tu sais qui je suis, j'espère ?
James baisse un peu le regard, probablement par respect ou par peur.
-Tu es Alexis Primus. L'alpha des Primus...
James marque un temps d'arrêt avant de terminer sa phrase :
-Et également mon alpha...

Alexis a un air satisfait et reprend alors une mine normale. Il sourit et dit amicalement à James :
-Je suis ton alpha dans tous les cas. Mais je suis aussi un ami ! Tu as beau être un loup-garou comme moi, mais tu es dans le même groupe d'amis que moi !
James sourit alors à son tour, rassuré. Il hésite mais soutenu par le regard amusé d'Alexis, il se décide à poser sa question :
-Mais dis-moi, comment as-tu su que le James Maurin de cette meute était bel et bien moi ?
Alexis sourit, fourbe.
-Au pif !
Devant l'air dubitatif de James, Alexis part dans un éclat de rire et lui donne alors l'explication :
-À l'odeur, cher ami. Celui qui s'est présenté avec Christopher n'avait pas la même odeur que lui.
-Oui, c'est vrai. Tu l'as bien vu, non ?
-Oui. Stéphane. C'est ta doublure, n'est-ce pas ?
James sourit, un peu gêné, acquiesce et frotte de sa grande main ses cheveux blonds courts, à l'opposé de ceux de sa doublure, très noirs. Je me souviens alors d'une des règles chez les loups-garous pour choisir leur doublure. Seuls les alphas des Primus doivent avoir une doublure qui cumulent odeur et apparence presque identiques. Les autres doublures sont bien plus libres. Je sais que Maria, une des cousines d'Alexis, a une doublure qui ne lui ressemble que très peu mais elle a apparemment presque le même caractère et une odeur assez proche de celle qu'elle est censée incarner. Je sors de mes pensées au moment où Alexis s'enquit :
-C'est Stéphane comment d'ailleurs ?
-Stéphane Bristou, répond James. Le plus cocasse dans cette histoire, c'est quand je me suis rendu compte qu'il sortait avec une de mes amies les plus proches !
-Depuis quand as-tu ta doublure ? demande Alexis, intrigué par ceci à cause du fait que lui-même ne l'avait eue que très tard, vu que cette rencontre était directement liée à sa première transformation.
-Plus ou moins je me suis transformé pour la première fois, un truc comme cinq ou six semaines plus tard...Je devais avoir quatorze ans. Il y a donc trois ans...
-Je vois, lui dit alors Alexis. Et pourquoi n'étais-tu pas présent à ma cérémonie ?
-J'avais attrapé une grippe tellement horrible que la fièvre m'a prise d'assaut comme des chevaliers le feraient avec un château...Je pouvais à peine bouger. Du coup, j'ai, malheureusement pour toi et pour moi, envoyer Stéphane à ma place...
-Je comprends. Je ne savais pas que tu avais été malade. Comme quoi, les loups aussi, attrapent des maladies...Tu sais que tu m'as beaucoup troublé l'esprit ?
James acquiesce, penaud, les épaules hautes et l'air désolé. Il est presque attendrissant, dans cette posture et avec ce regard. Alexis reprend alors l'interrogatoire :
-Et une dernière question, de quoi parlais-tu avec Amaryllis, seul à seule, l'autre jour ?
-On parlait, comme maintenant, de doublure. Comme je savais que dans notre groupe, elle était la seule à savoir pour ta nature de lycanthrope, c'est à elle que j'en ai parlé. Il n'y a que pour elle que j'étais sûr à cent pourcents qu'elle savait pour ce monde lupin dont nous faisons partie, vu qu'elle a été présentée à la cérémonie comme ta compagne, d'après ce que m'a rapporté Stéphane. Du coup, j'ai demandé à Amaryllis la confirmation que tu avais changé ta place avec ta doublure l'autre jour en cours. Il te ressemble beaucoup, d'ailleurs.
-Oui, en effet mais c'est normal. Mais je vois. Tout est plus clair maintenant.
Pensif, Alexis lève les yeux vers la fenêtre qui affiche un ciel bleu avec quelques nuages par-ci par-là.

Soudain, je surgis alors d'un coup devant eux en riant, fraîche comme une fleur.
-Alors, vous deux ? Réconciliés ?