Chapitre XXI : Pur réconfort
Je suis hors de moi.
J'ai rarement eu des poussées de colère aussi fortes, aussi puissantes que celle-ci, aussi colérique que je sois...
Quand je suis monté la rage au ventre retranscrite dans mes pas lourds et bruyants, je me suis directement dirigé vers la petite chambre sous les toits. C'est une pièce mansardée et exiguë, avec des tapisseries de style ancien sur les murs et de la moquette d'un gris moucheté un peu vieillot sur le sol. Sur les tapisseries sont accrochés divers tableaux des Primus, représentant surtout la jeunesse de mon père et ses deux frères aînés, mes oncles. La seule fenêtte de la pièce ne peut jamais être complètement fermée et en cette saison, le vent de l'automne s'engouffre à travers les fines fentes que laisse le cadre de la vitre.
Je suis assis en boule sur le lit d'un style un peu vieux, au centre de la chambre, le regard sombre partant droit devant moi. L'atmosphère autour de moi est lourde, pesante, chargée de l'électricité de ma rage et orageuse.
Alors que je suis en train de mâcher et ruminer ma colère et ma rancœur pour pouvoir la ravaler en espérerant pouvoir l'oublier ensuite, j'entends alors de petits pas doux et discrets avec ma fine ouïe. Je reconnaîtrais ces pas entre mille, ce sont ceux d'Amaryllis.
Cela ne manque pas. Quelques secondes plus tard, les pas s'arrêtent et les gonds de la vieille porte de bois grincent de toute leur ancienneté. Une tête féminine apparaît alors dans l'encadrement de la porte.
-Tu es là, Alexis !
Je me contente de tourner mes yeux oscillant entre le vert et le jaune vers elle mais sans rien dire. Je n'ouvre même pas ma bouche sur mes crocs aiguisés pour dire quelque chose.
Je suis encore très énervé. La jauge que je peux remplir et vider à ma guise pour représenter ma colère, ma rage, ma rancœur et parfois, mais pas ici, ma haine, est proche du maximum de sa capacité.
Amaryllis vient alors s'asseoir à côté de moi sur le lit, ne prenant pas garde à l'aura sombre, presque maléfique qui règne autour de moi, ayant presque envie de tout dévorer sur son passage.
Quand elle pose une main sur mon épaule voûtée et tendue, je sursaute. Puis je me détends. Comment peut-elle me faire un pareil effet ? Elle a toujours un effet bénéfique, pour et sur moi...Elle se met alors à parler sans pouvoir voir l'expression toujours renfrognée de mon visage :
-Alexis, je sens que tout cela t'énerve, te met hors de toi. Je sais que ce n'est pas facile non plus d'accepter tout cela d'un coup. Pour moi aussi, c'est parfois compliqué.
Je me tourne vers elle, le regard plus ou moins redevenu neutre.
-Pardon de t'avoir embarquée dans tout cela involontairement. J'aurais bien voulu pouvoir te laisser en dehors de ces histoires de famille...
Elle me sourit tendrement et me fait un clin d'œil.
-Quant à moi, je suis heureuse de pouvoir partager cette aventure fantastique avec toi !
Elle sait trouver les mots. Je ne sais pas comment. Mais elle sait...Et grâce à ça, ma colère retombe d'un coup. Je sens alors une chaleur bien connue apparaître dans mon ventre plus profond. Mes pulsions...Les pulsions sauvages qui font les loups-garous, qui sont leur essence même...
Je pousse Amaryllis sur l'épaule de ma main et elle tombe sur les draps du lit. Je la fixe dans ses yeux de jais tellement sombres qu'on les prendrait presque à chaque coup pour des abysses sans fond...Je la surplombe et je vois son air étonné et ses iris pétillantes, reflets de sa bonne humeur constante.
Je plonge ma tête dans son cou mais je ne fais rien. Je me retiens. Je retiens mes pulsions de lycanthrope. Je sens alors mes iris changer de couleur et mes canines grandir jusqu'à devenir des crocs pointus et aiguisés. En un mot, dangereux. Je chuchote alors :
-Tu veux bien te laisser faire ?
Amaryllis me prend soudainement à deux bras à la nuque et mon visage se retrouve alors collé à l'oreiller sur lequel sa tête repose aussi, à côté de cette dernière. Elle m'a pour le moins surpris ! Elle ne fait pas souvent ce genre de premier geste...Ce genre de geste qui fait exploser mes fameuses pulsions sauvages lupines...
Je me mets alors à grogner. Avec ce son si particulier, c'est une façon de produire un signe à son attention entre l'agacement de ne rien pouvoir lui faire et le bonheur de son geste. Je ne la vois pas en face mais je la sens sourire quand elle me dit :
-Fais ce que tu veux...Je t'aime de toute façon !
Elle relâche la pression et je peux me redresser sur mes bras fins.
-Alors prépare-toi ! je lui dit, avec un sourire narquois, tout en rougissant un peu.
Elle soupire d'aise et de bonheur et laisse un peu plus à découvert son cou. Il est si beau, un peu brillant si l'on regarde bien et attentivement...Je m'en approche, les lèvres prêtes. J'embrasse son cou à la manière d'un humain puis je commence à mordiller sans chair de mes grands crocs, de façon à augmenter ce caractère lupin qui m'anime.
Elle sourit. Elle aime.
Je recommence alors mes baisers et mes mordillements dans un cycle qui pourrait être éternel et finis par remonter le long de son cou. J'arrive à ses joues que je couvre de baisers et que j'essaie aussi de mordiller. Mais c'est dur, de mordre une surface presque plane ! Heureusement, Amaryllis a des pommettes plutôt voyantes alors j'opère ici...
Puis je redescends légèrement et arrive à ses lèvres. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas embrassée comme un humain. Ces temps, ma nature de lycanthrope avait pris une proportion et une place plutôt importantes dans mon quotidien monotone passé. Je le regretterais presque, des fois...Amaryllis me laisse alors faire, totalement, sans bouger un seul cheveu. Elle aime tout ce que je lui fais ressentir. Et j'aime lui faire plaisir !
Après un petit instant de bonheur pendant lequel j'ai pu m'échapper de tout, mes soucis et mes problèmes, ma fatigue, ma détresse et mon stress, je me détache à contrecœur de ma tendre Amaryllis. Elle me fixe encore un instant de ses prunelles de nuit puis, avec une impulsion dans les muscles de ses bras qui ressemble à une sorte de prise d'élan et s'assied à mes côtés, calme et sereine comme à son habitude. Des fois, elle me stresse rien qu'avec sa tranquilité presque toujours constante...Paradoxal, n'est-ce pas ?
Elle m'écoute alors me plaindre, sans piper mot, pendant que je débite un monologue entier, me faisant de temps en temps une petite tape sur l'épaules ou le genou. Je proteste, je râle, je peste, je maugrée, je ronchonne, mais Amaryllis m'écoute avec toute l'attention du monde dans les yeux. Je sais que même si je suis en train de raconter des stupidités ou de déverser ma rage et ma haine contre le monde dans mes paroles, Amaryllis m'écoutera sans faillir. D'ailleurs, heureusement que je mets la force et la vitalité de ma haine dans mes paroles et non mes gestes et actions...Ce serait pour le moins dangereux, surtout depuis que je me suis découvert lycanthrope...
-C'est pas possible qu'ils soient aussi calculateurs que ça ! Je n'en reviens pas !
Mon ton de voix commence un peu à redescendre en terme de décibels et d'agressivité. Amaryllis l'a remarqué, comme tout le reste. Elle a sa main sur ma cuisse depuis cinq minutes au moins, calme et posée, comme son tempérament, malgré mon bouillonnement apparent qui n'a pas l'air de l'influencer.
-Enfin bon...Ma foi...
Je me laisse tomber et m'affale sur le lit derrière moi. Je suis épuisé d'avoir autant parlé et si intensément. Il n'y a pas que le sport physique, qui fatigue, mais aussi le sport mental et ici, oral...
Amaryllis se penche vers moi et me sourit gentiment avant de m'embrasser fugacement. Je pose ma main sur sa joue avec une douceur et une tendresse que j'aurais été incapable de lui donner il y a une minute à peine. Je vois alors les petites griffes pointues de mes mains redevenir des ongles courts d'humain. J'imagine que mes yeux sont aussi redevenus verts et dans ma bouche, je sens avec ma langue mes crocs qui se sont rétrécis pour redevenir des canines humaines normales, bien que les miennes soient plus visibles et plus grandes que la moyenne...
Nous discutons encore un moment de diverses choses quand mon père nous appelle depuis en bas pour qu'on descende prendre un goûter. Amaryllis me voit serrer les dents de colère. Si ça continue ainsi, toute la rage que j'ai exprimée et qu'Amaryllis a su calmer va ressortir...Ma petite amie pose alors sa main sur une de mes épaules et me sourit.
-Je vais lui dire que je suis avec toi et que nous ne n'avons pas faim.
Je la remercie du regard et elle s'en va. J'entends alors la conversation en bas en tendant beaucoup l'oreille. J'écoute alors Amaryllis dire ce qu'elle avait prévu à mon père puis ce dernier qui lui demande alors comment je vais. Je ne saisis pas tous les mots mais je comprends alors dans les grandes lignes qu'elle dit que je vais bien et que, apparemment comme elle lui a promis, elle est à mes côtés. J'entends alors mon père soupirer, je suppose de soulagement, puis lui dire :
-Je suis rassuré, je te remercie...Si tu savais quelle aide précieuse tu lui apportes. Tu es un grand soutien psychologique pour lui !
J'entends alors des bruits de couverts sur de la porcelaine qui se rapprochent de moi. Je comprends alors ce que c'est quand je vois Amaryllus débarquer dans la chambre avec un plateau dans les mains, sur lequel il y a une petite assiette de biscuits, deux tasses de thé fumantes tellement leur contenu est chaud et deux petits chocolats en forme de cœur. Mon odorat s'éveille d'un coup quand il reconnaît le thé servi. C'est un thé noir aromatisé à la bergamote, un Earl Grey French Blue. Mon favori...Je fixe alors Amaryllis qui pose le plateau sur la table de nuit qu'elle déplace devant nous. Elle m'explique, répondant à mon regard interrogateur :
-Mimosa tenait à ce que tu manges quelque chose.
Nous prenons alors chacun une tasse qui nous brûle les doigts à cause de sa température élevée. Elle souffle sur la surface de son thé et commence à boire, ou plutôt essayer de boire, en tentant de ménager ses lèvres très sensibles à la chaleur. Je fais de même, pensif.
Maintenant que mes pensées sont de nouveau claires et que mon esprit n'est plus aveuglé par la colère, je me rappelle de quelque chose qui s'est passé il y a quelques jours qui m'a beaucoup intrigué.
Je prends alors une grande inspiration pour pouvoir discuter calmement avec ma petite amie sans que ma colère récente ne refasse trop vite surface. Je n'aime pas me disputer avec les gens, et surtout pas avec Amaryllis. Elle compte trop pour moi et je ne veux en aucun cas la perdre. Et je sais qu'elle non plus ne veut pas me perdre.
C'est normal après tout, on s'aime !
Je prends alors mon courage à deux mains, ou à deux pattes, au choix, et je commence à parler :
-Amaryllis, est-ce que je peux te poser une question ?
Elle tourne ses yeux plus noir encore que le thé qu'elle est en train d'avaler.
-Tu viens de le faire, mais oui, vas-y, je t'écoute.
Je déglutis en même temps que j'engloutis ma gorgée de thé brûlant. Je baisse légèrement les yeux, comme si j'étais honteux alors qu'il n'y a pas de raison. Comme pour m'intimer de poursuivre, elle penche la tête sur le côté.
C'est trop mignon ! J'ai envie de lui sauter dessus tel un loup, l'embrasser et de la mordre !
Mais je me retiens...De toutes mes forces de loup-garou. Il ne faudrait pas que ça dégénère...
-L'autre jour, de quoi parlais-tu avec James ?
Un silence suit ma question. Je m'empresse de donner une sorte de jusitification :
-J'ai entendu le mot doublure dans votre discussion et du coup, je crains le fait qu'il parlait de celles du monde dans lequel nous sommes entrés il y a peu de temps, celui avec des loups-garous. Alors j'aimerais juste savoir.
Je regarde alors Amaryllis dans les yeux, sérieux.
-Surtout en sachant qu'il s'appelle James Maurin...
Ma petite amie me fixe alors dans mes yeux verts et brillant du désir de connaître la vérité. Elle ouvre alors lentement la bouche et me dit avec un petit sourire presque triste :
-Pour que tu saches, oui, il parlait bien des doublures de lycanthropes, comme Paul ou alors Gary pour toi...Mais si tu veux savoir pourquoi il sait cela et m'en a parlé, je pense qu'il vaut mieux que tu lui parles toi-même la semaine prochaine...
Et Amaryllis boit une gorgée de thé pour conclure sa déclaration, qui m'a donné l'impression d'un seul coup de passer sous une douche glacée.
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