Chapitre XV : Enquête
Nous avons repris les cours depuis une semaine. Nous sommes samedi et nous avons failli mourir avec la montagne de tests que nous avions à réviser...
Aujourd'hui, je suis encore à la cave, chez mes grands-parents, avec Amaryllis à mes côtés, assise avec le dos droit sur une simple chaise de bois ancien et usé. Nous étudions et apprenons, en plus de notre travail scolaire suffisamment dur, toutes les archives des Primus, avec lassitude mais détermination.
Aujourd'hui, nous prenons alors en main, aussi littéralememt que figurativement, le dossier de la meute Minuit. Fabrizia nous a particulièrement déplu et rendus très mal à l'aise alors nous avons donc décidé d'approfondir nos recherches sur le sujet de cette meute en particulier.
On apprend alors en feuilletant les premières pages que depuis neuf générations avant Fabrizia, les alphas ont été des femmes. Ou des femelles, tout dépend du point de vue qu'on adopte...
On trouve alors dans la suite du dossier des tonnes d'affaires suspectes et assez sombres et mystérieuses auxquelles les Minuit ont été mêlés ou même qu'ils ont dirigées.
On trouve alors directement dans les premières pages de cette partie-là des trafics de drogues, tous plus illégaux et clandestins les uns que les autres. Apparemment, l'apha avant cette Fabrizia, sa propre mère, avait mis fin à ces activités illicites mais quelque chose soufflait à Amaryllis et moi que cela rapportait trop gros pour qu'ils aient totalement arrêté ou n'aient pas repris après avoir cessé. Amaryllis n'était absolument pas de nature méfiante comparé à moi, un vrai ange, mais là, même elle sentait que quelque chose n'allait pas. Puis, on a lu patiemment toutes la liste des drogues diverses et variées, ainsi que leur quantité, que la police des loups-garous avait trouvé chez différents membres des Minuit au cours des dix dernières années.
Sur les pages suivantes, on tombait immédiatement de haut comme des nues et surtout sur des choses qu'on aurait préféré ni savoir ni voir.
Meurtres, attentats, tortures...Voilà les mots les plus récurrents de ces pages couvertes d'encre noire, avec diverses ratures et quelques corrections. Les actes horribles que sont les meurtres et les attentats étaient presque toujours dirigés contre des loups-garous, les propres congénères de la meute Minuit. Par contre, les tortures avaient été commises sans exception sur des humains.
Amaryllis et moi nous posions des questions. Pourquoi tant de violences et de cruauté envers tout le monde ? Un souci ironique d'égalité ? Je riais nerveusement à cette idée. Ridicule et à mon avis encore trop idéaliste par rapport aux vrais motifs !
On voit alors quelques détails, de petites lignes en plus sous les paragraphes principaux. Selon beaucoup de rumeurs qui tournaient dans le monde des lycanthropes et certaines sources, peu fiables mais existantes, les humains torturés étaient en réalité tous des loups-garous sous leur forme humaine. Étrange...Amaryllis, traversée par le même éclair de lucidité que moi, tourne ses yeux noirs comme les ténèbres vers moi et me demande :
-Alexis, tu es bel et bien plus résistant sous ta forme lupine ou même semi-lupine que sous ton apparence d'humain ?
-Effectivement, je lui réponds avec les yeux dans l'ombre de mes sourcils froncés. Et on ne peut pas se transformer en l'un ou l'autre sans la volonté de le faire. Donc, à choisir, ce serait plus avantageux de choisir une des formes de loup mais pas humaine...C'est vraiment étrange...
Je pose une de mes mains sur mon menton pour réfléchir. J'ai beau tourner le problème dans tous les sens dans mon esprit mais rien n'explique ce raisonnement manquant clairement de logique. Enfin, de notre point de vue.
Quelque chose aurait donc contraint ces loups-garous à rester sous leur forme humaine ? Quasiment impensable...Avec du chantage peut-être ? Ou alors, je voyais le complot trop loin, comme me disait souvent Amaryllis pour rire. Mais ici, ça n'avait rien de comique et je ne peux pas croire que ces lycanthropes se soient laissés faire du mal multiplié par deux, ou dix je ne sais pas, exprès. Avions-nous affaire à des masochistes ? Pratiquement impensable également...Et ma petite amie ne semblait pas avoir plus d'idées ou de suppositions que moi. J'oubliais aussi parfois qu'elle, ne réfléchit de loin pas autant et aussi loin que moi.
On constate aussi selon les enquêtes mêmes des Primus sur le terrain, que les meurtres commis sur des loups-garous se passaient souvent pendant des nuits de nouvelle Lune, quand nous sommes les plus vulnérables et surtout, sur le territoire exact des Minuit. Jamais un mètre, ni même un seul centimètre, au-dehors. Les humains assassinés étaient aussi des loups-garous, sous leur forme humaine au moment de leur mort.
Les attentats étaient plus rares, bien plus rares que les meurtres. Il y en avait eu que quelques-uns depuis trois générations, bien qu'avant ces dernières, il n'y en avait jamais eu aucun...
Mon cerveau bouillonnait dans sa boîte crânienne et je malmenais clairement mes deux hémisphères que je tuais à la tâche. Je commençais vraiment à me poser des questions.
Pourquoi tuer des loups-garous, membres de leur propre espèce, et uniquement dans leur territoire défini ? Y avait-il un lien entre ces deux faits ? Et y avait-il un rapport aussi grand entre tout ceci et la meute Minuit ?
Mon cerveau finit presque par lâcher à force d'échaffauder dans ma tête des plans et des scénarios tous plus tordus les uns que les autres dans ma tête. Je me lève alors de ma chaise avec une élégance rapide et je regarde Amaryllis dans les yeux. Je lui tends alors ma main pour l'inviter à quitter cette pièce respirant alors l'obscurité. Elle me sourit puis prend dans une main la lanterne puis de l'autre, ma main tendue. Elle se lève avec grâce et nous sortons alors de la pièce pour regagner le salon.
On entend soudainement un bruit sourd frapper contre quelque chose...On a eu peur, on a sursauté et j'ai senti Amaryllis se coller à moi, apeurée, mais on remonte vite alors à l'étage.
Quand mon grand-père et quelques-uns de mes cousins me voient débarquer en panique, je me sens à la fois ridicule de paraître ainsi devant eux et à la fois agacé de ces manières peu cavalières mais constantes. Je lance alors un regardé enflammé à mes cousins qui rigolent en douce puis je regarde, beaucoup plus calmement, mon grand-père.
Il a l'air de savoir ce qui vient de nous arriver comme coup de frayeur. Ses yeux sont sereins et tranquilles. Je remarque alors quelque chose.
-Tu n'es pas mon grand-père. Qui es-tu ? lâchais-je, sans réfléchir.
-T'en as mis, du temps ! me lancent alors Maurice et Georges, quasiment en chœur.
Le vieil homme en face de moi sourit et me dit avec une voix amusée et plus aiguë que celle de mon grand-père :
-Enchanté ! Tu dois être Alexis Primus, le prochain alpha. Je m'appelle Paul Griantine.
Il a un léger accent mais je ne saurais dire de quelle origine. Il me fait alors le salut des loups-garous pour l'alpha des Primus. Il a l'air gentil et pacifique, je sens Amaryllis se détendre à mes côtés. Je dis alors avec une certaine fierté :
-Ravi de te rencontrer, Paul Griantine. Veux-tu bien me dire qui tu es ?
Il me regarde de ses yeux rieurs. Les rides recouvrant son visage témoignent des longues années, qu'elles soient dures ou douces, qu'il a vécues, exactement la même impression que j'ai quand je regarde le visage de mon grand-père.
-Je suis la doublure de Yegram, ton grand-père. Quand une situation semble plus ou moins dangereuse ou alors précaire, c'est moi qui me présente devant l'assemblée des loups-garous.
Je fixe alors ce Paul Griantine, avec un air plutôt interloqué. Des questions me viennent alors en tête. J'en pose une :
-Est-ce que moi aussi, je devrai avoir une doublure ?
C'est alors que mon grand-père débarque en souriant, avec une expression satisfaite. Paul se tourne alors vers lui dans un salut lupin. Mon grand-père me répond :
-Oui, Alexis, tu devras avoir une doublure. Tous les alphas et héritiers des alphas doivent avoir des doublures. Normalement, une doublure peut être un humain ou un loup-garou mais chez l'alpha des Primus, la doublure doit être un loup-garou. Un loup-garou qui doit te ressembler et avoir la même odeur de surface que toi.
-Je vois, dis-je en déglutissant.
-Ton père et tes oncles sont déjà à la recherche d'une doublure pour toi, tu n'auras pas à t'en charger.
-Je vois. Merci, dis-je. Et tous les loups-garous peuvent avoir une doublure ?
Je pense notamment à mes cousins. Ils seraient largement aptes à m'envier beaucoup trop, moi, le pauvre cousin qui est un peu plus intelligent qu'eux mais moins beau, moins mannequin...Malgré tout, Amaryllis me le dit aussi, c'est moi actuellement qui ai une petite amie. Eux n'en ont pas tous. Cette fois, c'est Paul qui répond :
-Les alphas et leur héritier doivent avoir une doublure, et pour les Primus, un loup-garou qui leur ressemble un peu pour tout dans l'apparence. La doublure doit aussi adopter au mieux le comportement de celui ou celle qu'elle est censée incarner. Mais pour les autres loups-garous, rien ne leur interdit d'avoir une doublure. Si elle est humaine, cela reste à voir mais si c'est un autre loup-garou, ce dernier demandera sûrement une petite rémunération.
Ma cousine Maria se lève et me dit alors avec un sourire sincère que je vois rarement :
-Moi, par exemple, j'ai une doublure. Elle est humaine, je ne la paye pas beaucoup mais d'après elle, ça lui suffit et même si elle ne me ressemble pas autant que Paul à Grand-Papa, cela suffit largement. Pour certaines cérémonies ou ce genre de choses.
Mon grand-père rajoute alors :
-Par contre, si la doublure est humaine, on doit avoir le respect de ne pas l'envoyer n'importe où, comme par exemple dans une assemblée où il y aura vraisemblablement une meute de loups-garous enragés. En général, la famille de la doublure ne sait rien, alors que l'on est obligés de tout dire de notre nature à sa doublure quand elle est humaine et débarque dans notre monde, alors on évite au maximum la mort des doublures. Qu'elles soient humaines ou lupines.
J'opine alors lentement du chef. Cela fait beaucoup d'informations à avaler. Je me demande alors si à la grande réunion de l'autre jour, il y avait des doublures parmi ceux que j'ai vus. Je pose alors ma questions et mon grand-père me répond :
-À ce genre de cérémonie de présentation, il n'y a aucune doublure. À moins d'un cas exceptionnel. Il est possible qu'il y en ait eu quelques-unes, il y en a toujours, mais il ne me semble pas les avoir vues. Ou je me fais juste vieux...
Je soupire et continue :
-J'imagine que la doublure doit être du même genre que celui ou celle pour qui elle se fait passer ?
-Oui.
La réponse est simple et direct mais au moins, compréhensible. Cela fait beaucoup, comme informations, pour mon cerveau fatigué. Amaryllis et moi sortons d'une séance d'apprentissage de données à n'en plus finir et à en perdre la tête et la raison, alors emmagasiner encore plus de choses en rapport avec les lycanthropes...
Je remercie alors mon grand-père et sa doublure Paul puis je vais m'asseoir sur le canapé du salon, suivi par Amaryllis. Je lui fais un petit signe, qu'elle comprend, et elle s'assied alors sur mes genoux avec douceur. Elle a toujours peur de se laisser aller de tout son poids quand elle s'assied sur les genoux de quelqu'un, elle me l'a elle-même dit. Quant à moi, je lui ai dit que depuis ma première transformation, je suis bien plus résistant et bien plus fort qu'avant, et donc qu'elle peut s'asseoir sur mes genoux sans crainte.
Je soupire. Amaryllis me prend alors la main alors que les membres de ma famille et Paul se dispercent dans la maison.
Ma petite amie me regarde de ses yeux noirs, ressemblant à l'espace et tellement profonds que je pourrais m'y perdre littéralement des heures...Elle me murmure alors d'une petite voix toute mignonne :
-Ça va ? Ce n'est pas trop, tout ça, pour toi ?
Je souris tendrement.
-Ça va. Tant que tu seras avec moi, tout ira bien ! Tu es un soutien à toi toute seule !
Elle me sourit avec un amour sincère.
Notre moment de complicité de couple est alors brusquement interrompu par un long hurlement qui retentit dans toute la maison...
Un hurlement qui m'est étrangement familier...
Un hurlement de loup-garou...
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