Quand je me lève le lendemain tôt, je vois Amaryllis recroquevillée sur elle-même à côté de moi...
Je souris à cette vision. Elle ne bouge pas beaucoup quand elle dort, on dirait qu'elle vient de s'endormir.
Je m'extirpe de mon lit avec précaution pour ne pas réveiller ma chère et tendre puis vais me doucher. L'eau chaude coule sur mon corps et je déplace le pommeau pour n'oublier aucune parcelle de ma peau. Je lave mes cheveux courts avec rapidité avec un savon pas très bon pour les cheveux avant de sortir de la douche en tirant le rideau sur le côté.
Je m'habille rapidement, mes sous-vêtements, mon pantalon, mes chaussettes de marque...Quand je m'apprête à enfiler mon haut bleu foncé, j'entends la porte s'ouvrir lentement. Ce n'est pas ma mère qui vient pour récupérer le linge sale mais Amaryllis, qui a dû se réveiller et ne plus me voir à ses côtés.
-Tu m'as laissée toute seule...murmure-t-elle.
-Oui...Pardon, dis-je. Je ne pensais pas que tu te réveillerais si tôt.
Amaryllis se colle à moi, contre mon torse nu encore humide de la vapeur ambiante. Elle a ses mains fermées en poings desserrés au niveau de mes pectoraux et le visage qui regarde à sa droite. Je pose mon haut en coton sur le bord du lavabo, seul meuble à proximité de moi, et mets mes mains dans son dos pour la serrer encore plus contre moi.

Depuis la fuite des Minuit, elle a parfois des pics dans son compteur émotionnel et émotif, et a soudainement besoin d'affection. Non pas que ça me dérange, loin de là, mais c'est comme si tous les sentiments qu'elle avait dû retenir au plus profond d'elle-même pendant ses cinq semaines chez les Minuit refaisaient soudainement surface et elle vient chercher mon affection.
Je la lui donne, sans hésiter. Ces semaines ont été dures autant pour moi que pour elle. Peut-être même encore plus pour elle, qui me voyait déprimer mais qui devait quand même continuer à jouer la comédie devant ces chacals de Minuit, comme dirait mon grand-père.
Elle met fin à notre longue étreinte sereine en atteignant mes lèvres avec les siennes et ses mains quittent alors la peau de mon torse. Je frôle sa joue du dos de ma main avant d'enfiler enfin mon haut.

Plus tard, on va voir ma famille. Comme souvent, depuis que je me suis découvert loup-garou. Mon père nous attend sur le pas de la porte, comme un majordome, c'est effrayant. Malgré tout, il a bien récupéré de son dernier combat avec Anna et les Minuit mais il a mis un bon bout de temps avant d'être entièrement guéri. Et encore, ma grand-mère a aidé à sa régénération avec des onguents faits maison. Ils ont embaumé toute la demeure pendant trois jours...
Quand on arrive, mon grand-père a la mine moins grave qu'avant, il a un air satisfait collé sur le visage. J'en ai peur, d'ailleurs. Que concocte-t-il encore ?

-Alexis, Amaryllis ! Vous voilà !
Nous saluons tout le monde avant d'écouter mon grand-père.
-Aujourd'hui, vous deux allez rencontrer notre scientifique des plus performants, Xavier Iyatus !
C'est vrai que je ne l'ai jamais vu réellement. J'ai aperçu une photo de lui dans un dossier et j'ai entendu parler de ses fameux succès et de ses recherches concernant les anticorps spécifiques aux Primus, mais sinon, je ne le connais pas personnellement.
Mon grand-père nous emmène alors Amaryllis et moi à la cave, là où il y avait avanf Edward Gargow, qu'Amaryllis avait aidé à mourir l'âme en paix.

Un homme s'avance alors vers nous. Il est le symbole même de l'idée reçue du scientifique fou, ou du moins, sa tenue. Il a une blouse blanche ouverte sur un chandail sans manches de laine grattante enfilé au-dessus d'une chemise blanche, et porte un pantalon bleu foncé. Il a des chaussures élégantes et cirées à lacets noirs serrés et des lunettes qui ressemblent à des lunettes de natation en plus performant et scientifique, levées sur la tête. Il a des gants noirs et luisants qu'il retire et pose sur une table à notre arrivée. Ses cheveux tout aussi noirs et luisants que ses gants flottent dans l'air, comme une méduse dont les tentacules seraient dirigés vers le haut. Il a une tête rigolote. Je vois aux rides naissantes de son visage qu'il doit certainement avoir plus ou moins une cinquantaine d'années. S'il est au service de mon grand-père depuis bon nombre d'années, ça peut se comprendre...
-Salut, les jeunes ! nous dit-il avec un sourire timide.
-Je vous présente Xavier Iyatus, éminent scientifique lupin de notre temps !
-Arrêtez, Yegram, je vais rougir ! dit-il tout intimidé.
Mon grand-père l'ignore en beauté...On aime le respect mutuel.
-Xavier, voici mon héritier, mon petit-fils, futur alpha des Primus et donc ton futur alpha aussi, Alexis, et sa compagne, Amaryllis.
-Enchantés ! dis-je en chœur avec ma petite amie.
-De...De même ! balbutie Xavier.

Ce n'est pas un scientifique loup-garou solitaire à fort caractère, parfois la principale cause d'un exil volontaire ou non, ou d'un cas de loup solitaire mais quand même rattaché à une meute, mais un scientifique loup-garou solitaire à caractère timide, très timide.
Xavier a l'air vraiment gentil et passionné par ce qu'il fait et accompli pour les Primus. Je le vois dans ses yeux pétillants de vie, un peu comme ceux d'Amaryllis, une fille croquant la vie à pleine dent, sans trop réfléchir et se torturer l'esprit avec tout ça.
Elle a accepté ma nature de loup-garou avec tellement de facilité...Il m'est avis que pas tout le monde en serait capable. Elle est très instinctive, comme fille, en somme. Moi aussi, au final, j'ai accepté gentiment mon sort. À quoi bon me rebeller contre une nature contre laquelle je ne peux en aucun cas lutter ?

-C'est...C'est fascinant ! commence Xavier Iyatus. Les découvertes que je viens de faire quant aux anticorps des Primus somt fascinants !
-En effet ! acquiesçais-je avec vigueur.
-Mais c'est incroyable ! Imaginez des jeunes lycanthropes mais des Primus qui voudraient se droguer...Impossible d'en ressentir les effets ! Grâce à ces anticorps !
-En effet, dit Amaryllis en hochant poliment la tête.
-Mais c'est fascinant ! s'exclame Xavier qui a l'air soudainement quatre fois plus motivé et six fois plus vivant.

Ça y est, je l'ai cerné !
Il fait partie de ces scientifiques qui n'est euphorique et enjoué qu'en parlant d'un sujet qu'il connaît et, ou affectionne particulièrement. Il devient tout de suite cinq fois plus sociable avec un tel comportement. Je me demande si c'est ce qui a plu à mon grand-père quand il a plus ou moins pris Xavier sous son aile.
De ce que j'ai lu dans son dossier, Xavier a toujours été considéré comme un excentrique, un fou, et à cause de ça, il s'est engagé dans un cercle vicieux et encore plus isolé du reste de sa meute. Du coup, il avait fini par ne plus être très accepté par les membres de sa meute, de sa propre famille, et mon grand-père avait décidé de le prendre plus ou moins, de manière pas très officielle, dans la meute des Primus. Là, au moins, il était accepté et respecté et avait gagné de la renommée dans certaines autres meutes proches des Primus, qui le respectaient pour ses recherches et ses connaissances scientifiques.
Je sais également que Georges, l'ayant pas mal côtoyé depuis son enfance, lui voue respect et admiration pour son travail. Et moi aussi, d'ailleurs, je ne serais pas capable de faire tout ce qu'il fait. Et cet homme est une véritable pile électrique ! Infatigable ! Incroyablement efficace et dynamique !

Amaryllis et moi aimons bien cet homme, même après notre première rencontre. Il a su nous attendrir avec ses manières tantôt timides et tantôt folles, comme le scientifique lupin qu'il est. Notre grand-père nous fait un tour d'horizon de cette salle que nous avons déjà vue plusieurs fois mais qui ne nous a jamais été présentée en détails. Nous sommes déjà venus fouiller une fois pour chercher des données sur feu Edward Gargow mais au final, on ne connaissait pas grand-chose.
Xavier nous observait de loin, surveillant probablement quand même si nous faisions des bêtises alors que nous sommes en présence de mon grand-père et également mon alpha. Amaryllis, elle, est moins concernée et soigneuse envers les affaires des autres encore plus que les siennes. Alors Xavier n'a aucun souci à se faire.

Quand nous nous apprêtons à remonter à l'étage, mon grand-père nous dit que Xavier va rester un moment à la maison mais caché à la cave pour des raisons de sécurité. Les Minuit veulent bien évidemment éliminer cet obstacle, ce gêneur. C'est lui qui a découvert les anticorps spécifiques des Primus de notre côté.
Par contre, cela soulève une question. Comment cela se fait-il que les Minuit avaient ces connaissances avant les Primus eux-mêmes ? Ces deux meutes n'ont jamais eu de bonnes relations, en tout cas depuis deux bonnes générations...Je ne cherche pas à me casser la tête, je laisse couler. Qui sait si un jour j'aurai cette réponse...
Les Minuit veulent donc éradiquer cette vermine qu'est Xavier Iyatus à leurs yeux et le perdre serait en revanche trop dangereux pour les Primus. Je le sais.
Quand nous sortons de la pièce, Xavier me retient par la manche et je me retourne. Il est face à moi, le dos bien droit. Puis il exécute plusieurs mouvements, les yeux clos et la mine inexpressive.
Le salut adressé aux Primus.
Je souris et incline la tête en retour. J'aime bien ce Xavier. Il m'est sympathique. Typiquement le genre de personnes que j'aimais bien dans les fictions du temps où j'avais le temps d'en lire et de me bercer dans un monde où les lycanthropes n'existaient pas...De mon point de vue. Les loups-garous existent depuis belle lurette, mais je n'ai connu leur présence que depuis quelques mois, après ma première transformation.
Cette époque me paraît si lointaine...Alors qu'il n'y a eu que quelques mois entre maintenant et cet événement qui a changé drastiquement ma vie...Elle paraissait si simple, lasse et monotone avant tout ça...
Oui, bien sûr, je n'ai plus beaucoup de temps, l'apprentissage d'un futur alpha à la première transformation tardive n'est pas évident mais ça remplit un peu ma vie qui était avant cela, sans compter ma tendre Amaryllis, monochrome et monotone.
Et heureusement qu'Amaryllis est là et qu'elle a accepté spontanément et immédiatement, vraiment tout naturellement, ma seconde nature dans sa vie, même si elle ne la laisse pas entraver ses projets d'avenir.
Je sais qu'elle a envie de poursuivre ses études pour avoir un métier stable. Être compagne, ce n'est pas un métier...Et ce n'est pas forcément stable non plus. Même si je ne compte pas tomber amoureux d'une autre personne qu'Amaryllis ! Elle compte finir ses études au plus vite tout en continuant à s'entraîner à l'épée, acte courageux de sa part, pour ne plus être un fardeau pour notre meute. Elle ne l'a jamais été, mais comme elle est humaine et nous, loups-garous, il a bien fallu, selon elle, qu'elle rattrape cette inégalité de puissance.

Et maintenant que Jeffrey l'a entraînée...Elle est devenue tellement forte...J'admire sa détermination.
Admettons que nos deux rôles s'intervertissent mais que nous gardions les mêmes caractères. Aurais-je eu le courage d'aller cinq semaines dans la meute ennemie et m'y entraîner puis de continuer à pratiquer ? Je ne sais pas, je suis un peu flemmard de nature. Mais un peu seulement. Surtout depuis la découverte de ma seconde nature...
Depuis lors, quand elle sort de chez elle, elle prend son épée. Elle risquerait de croiser un agent, peu importe sa nature, des Minuit et il faut qu'elle soit capable de se défendre et qu'elle ait son matériel de combat avec elle. Ce n'est qu'une fine épée mais de quoi faire peur à une personne normale dans la rue. À ça, on pouvait reconnaître les humains classiques des loups-garous et des humains sachant que les lycanthropes existent.
Elle entretient cette lame avec soin. Comme elle vient des Minuit, je ne l'aime pas mais je sais à quel point les épées d'argent massif sont rares et coûteuses malgré la valeur plutôt faible de l'argent par rapport à d'autres métaux ou cristaux quatre voire cinq fois plus chers. Chez les loups-garous, elles sont rares car elles blessent...
Amaryllis sait tout cela et voilà pourquoi elle garde cette épée.

Xavier a aussi analysé cette dernière et n'avait trouvé dessus aucun mouchard ni radar. Fabrizia devait vraiment être sûre de son coup. Et elle a dû tellement s'en prendre plein la figure quand elle a vu le retournement de veste tellement classe d'Amaryllis !

En tout cas, nous quittons la cave pour l'étage supérieur, plus lumineux.