Chapitre IX : Ce que cache un entraînement intensif
Nous sommes en vacances depuis hier.
Aujourd'hui, je suis chez mon père. Et aujourd'hui aussi, Amaryllis a pu venir chez moi.
Malheureusement, ce n'est pas pour que je puisse la gâter ou la choyer, non...
C'est pour qu'elle puisse assister à un de mes entraînements de loup.
D'après mon père, il est important pour le ou la partenaire d'un loup-garou, quand il ou elle est humaine, d'être prêt ou prête à savoir comment un loup est entraîné.
Ces entraînements qui sont pour moi, loin d'être une partie de plaisir, n'avaient pas besoin d'arriver aussi vite à la rétine des yeux de ma tendre Amaryllis mais...Mon père. Dans toute sa splendeur ! Et c'est la seule explication possible...
Et quand Amaryllis a su qu'elle pourrait assister à un de mes entraînements spéciaux, destinés aux loups-garous, elle a sauté sur moi et l'occasion. Au moins, je ne peux pas lui reprocher son manque d'enthousiasme...Je me demande à quoi elle s'attend exactement.
Moi, je n'aime pas faire du sport en étant humain alors en loup...Bien que cet animal ait des prédispositions évidentes pour certaines activités, je n'ai pas beaucoup plus de motivation ou d'envie de me bouger.
Soyons honnêtes, je suis un flemmard.
Mais depuis ma première transformation il y a presque deux mois, mon entraînement devenait toujours plus intensif et très physique.
Mon père me malmène dans tous les sens mais je ne comprends pas pourquoi il veut à ce point que je fasse des efforts.
Veut-il que je lui ressemble ?
J'ai déjà vu sa forme loup depuis ma première transformation. Son loup est gris foncé presque partout, beige seulement au niveau du bas des pattes comme s'il a enfilé des chaussettes et ses joues étaient un peu blanches, comme les miennes. Sa musculature lupine n'est plus à former et il paraît fort et imposant. Ce qu'il est sûrement, à mon avis, bien que je ne l'aie jamais vu se battre.
Quoi qu'il en soit et peu importe ce qu'il en est, jamais je ne ressemblerai à ça...Mon loup à moi est apparemment plutôt porté sur l'agilité que la force brute et assez fin, un peu comme moi en humain.
Quoique, mon père sous sa forme humaine n'est pas un culturiste non plus, il est plutôt comme moi. Je dois avoir hérité une grande partie de ma physionomie de lui...Par exemple, ces cils très longs qui sont les miens qui fascinent totalement Amaryllis, j'ai les mêmes que mon père.
Quand ma tendre Amaryllis arrive, je vais lui ouvrir.
Elle est heureuse de me voir, m'embrasse et me contemple alors d'un regard amusé.
Je suis dans ma tenue classique qui précède chacun de mes entraînements, c'est-à-dire en short de sport, pieds nus pour n'abîmer aucune chaussure avec mes griffes par après, et avec un débardeur de tissu bleu foncé très fin que je vais retirer après pour ne pas le déchirer pendant ma transformation.
-Tu es beau, comme ça, me dit-elle avec un clin d'œil.
Elle salue alors mon père avec une certaine aisance que j'ai l'impression ne pas avoir avec ses parents à elle et nous allons alors dans la salle d'entraînement au sous-sol qui nous est exclusivement reservée. Amaryllis s'installe sur un banc de bois sur le côté pour ne pas nous gêner.
Mon père se transforme alors en loup avec une vitesse fulgurante par rapport à la mienne, puis je suis le mouvement en prenant moi aussi ma forme lupine.
Mon père me dépasse de quelques centimètres quand nous sommes de simples humains mais mon loup est plus gros, plus massif.
Ma forme de loup est plus imposante que celle de tous les membres de ma famille alors que je ne suis de loin pas un sportif et encore moins naturellement large d'épaules et de torse. D'ailleurs, je me demande bien pourquoi la nature a préféré me doter moi, et non pas un ou une autre, d'une forme de loup plus grande et plus grosse que la moyenne chez les loups-garous...
Est-ce un hasard ? Mère nature a-t-elle fait exprès ou alors une grave erreur ?
Mon père me demande alors d'un signe du museau de le suivre. Je sais que par là, il entend suivre son rythme. Il va traverser la salle comme un bolide et il me demande, comme si c'était parfaitement normal, de le suivre du mieux que je peux.
Il prend appui sur ses quatre pattes bien rodées et débute sa course folle. Je m'empresse de prendre de l'élan pour le suivre et me mets à courir à sa suite pour espérer ne serait-ce qu'un peu suivre la route qu'il trace et la trajectoire qu'il m'indique.
J'ai l'impression de parcourir un parcours d'obstacles pour un concours canin. Mon père a placé plusieurs objets pour faire des virages très courts.
Je suis obligé de suivre le mouvement et de négocier des virages vraiment très serrés tout en dérapant sur le sol, à l'aide de mes griffes impossibles à rétracter, pour être le plus précis possible.
J'espère juste qu'Amaryllis ne me verra pas comme un chien de compétition ou de concours après cela...Ce que je suis en train de faire ressemble vraiment à un parcous d'obstacles d'un concours canin...
Mon père finit par arrêter sa course folle autour de la salle et je cesse aussi mes mouvements.
Il grogne puis lâche un long hurlement qui ferait presque trembler les vitres s'il y en avait ici. C'est une des nombreuses caractéristiques, comme un stéréotype bien ancré dans l'imaginaire collectif, qui fait la beauté des loups. Je sais que je dois faire pareil que mon père en signe de soutien dans une meute. Il m'a appris ça récemment.
Je vois au loin les étoiles d'émerveillement qui brillent dans les yeux de ma chère Amaryllis. Elle s'extasie vraiment devant tout et rien...Elle est incorrigible, mais je l'aime incorruptible comme elle est, dans tous les sens du terme.
Mon père me fait comprendre que notre entraînement doit reprendre. Il grogne d'une manière encore différente et se jette sur moi alors que j'ai à peine compris ce qu'il veut que je fasse.
Je n'en ai fait que trois contre lui jusqu'à maintenant. Pour moi, il est encore peu aisé de réaliser ce genre d'entraînements.
Une simulation de combat réel.
Je n'aime pas ça, car même si c'est une simulation, cela reste un combat, ici physique, et on peut vraiment se faire mal pendant son exécution. Et, bien que mon loup soit, contre toute attente, plutôt résistant, je n'aime pas avoir mal. Je déteste ça.
En même temps, qui aime souffrir, à part les masochistes complètement malades comme Heiling ? On aime bien dire cela d'elle. Même si elle ne l'est pas, elle reste néanmoins un peu psychopathe et on aime bien.
Quand mon père me mord violemment la patte droite, je pousse un hurlement animal de douleur. Je me libère avec rapidité et me jette à mon tour sur lui. Même s'il est plus entraîné et plus rapide que moi, il me reçoit en plein fouet et je mords agressivement sa patte en retour, la première chose de lui qui me passe sous le museau.
Il grogne avec mécontentement et satisfaction mêlés. Le mécontentement de la douleur et la satisfaction de me voir me battre, l'attaquer et l'atteindre.
J'ignore quel effet cela procure pour un père de voir son fils accomplir les choses auxquelles il s'attend qu'il accomplisse, mais j'imagine que c'est gratifiant.
On continue de se tourner autour mutuellement et de tenter de se mordre ou se griffer. Je n'aime pas ça mais je n'ai pas vraiment le choix. Sinon, je me fais déchiqueter par les crocs aiguisés de mon père et je préfère éviter de finir en charpie pour une raison aussi stupide.
Surtout devant Amaryllis.
Je la vois de loin qui est absorbée par notre affrontement actuel. Elle a les yeux grand ouverts et la bouche légèrement entrouverte, signe d'un intérêt évident pour l'activité que nous sommes en train de pratiquer.
Mais pouvons-nous réellement appeler ça une activité ? C'est bien trop violent pour être juste une simple activité...
Je m'égarais souvent dans des pensées comme celles-ci pendant mes entraînements intensifs avec mon père, une sorte d'échappatoire pour ne pas penser qu'au seul rude combat qui m'attendais dans la vie réelle.
Je reprends mes esprits pour me concentrer sur mon père qui me tourne dangereusement autour. Il faut toujours se méfier d'un grand loup-garou qui se déplace avec des mouvements circulaires, car cela signifie qu'il a trouvé sa proie, sa cible...
Je suis alors le loup gris de mon père des yeux, attentif, tous les sens en éveil et en alerte.
Soudain, avec un effet de surprise et une force insoupçonnée, je me rue sur mon père qui écarquille une fraction de seconde ses yeux jaunes d'étonnement et je le griffe sur le flanc.
Il hurle de surprise et de douleur mais il se reprend vite et tente de me mordre avec sa grande mâchoire. J'esquive grâce à mon agilité légère et je finis par le renverser avec toute ma force. Il est sur le dos et moi, les pattes sur lui, pour l'empêcher de se relever. Je fais mine de lui mordre la gorge et il pousse un hurlement plaintif, exagéré pour répondre à mon imitation de morsure à sa gorge, qui normalement, signifie qu'un loup, ou un loup-garou, se soumet au vainqueur, plus puissant que lui.
Je me retire alors et vois mon père se relever. Il se transforme à nouveau en humain et je fais de même, bien moins rapidement à cause de ma jeune inexpérience.
Amaryllis nous rejoint avec une grâce que je ne lui imaginais pas. Quand elle arrive à ma hauteur, elle me serre dans ses petits bras et je lui rends alors sa chaude étreinte. Pendant cette dernière, Amaryllis murmure alors dans mon oreille :
-Ce combat était très intéressant à regarder. Tu étais très beau.
Je ne réponds rien et me contente de sourire.
Quand elle se détache de moi, mon père déclare alors avec un sourire amusé :
-Allons manger, je meurs de faim !
Il nous fait de ses fameuses omelettes, sa marque de fabrique en cuisine, et je nous sers à tous les trois en même temps du thé froid pendant qu'Amaryllis met la table, voulant se rendre utile.
Quand on se met à table, les discussions vont de bon train.
Mon père est très social, contrairement à moi, et Amaryllis est capable de vaincre sa peur de paraître ridicule aux yeux des autres pour converser normalement avec mon père.
Il lui pose des questions sur le gymnase, sur sa famille, sur plein de sujets divers et variés qui sont plutôt banaux mis ainsi sur la table. Amaryllis répond presque sans aucune gêne. Elle fait toujours attention à ce qu'elle dit.
Quand on finit de manger, on débarasse la table avant de servir le dessert, une sorte de crème à l'ananas et à la pêche.
Avec Amaryllis, on se sert généreusement et je rajoute alors dans tous les bols de la crème fouettée.
On se régale ! Amaryllis a de la crème fouettée blanche sur le haut des lèvres et je lui dis en riant :
-On dirait que tu as une moustache ! Enlève-moi ça, ça te rend moins belle !
Elle rit et retire la crème avec un doigt discret. Elle me sourit. On continue de rire à trois.
Quand il sent qu'on a tous les trois finit notre dessert, mon père prend alors la parole. Amaryllis et moi, on sent tout de suite qu'il doit nous annoncer quelque chose de sérieux, alors on se tait et on écoute ce qu'il a à dire :
-Alexis, Amaryllis, j'aimerais vous mettre au courant de quelque chose. Je voulais profiter de la présence d'Amaryllis parmi nous aujourd'hui pour vous dire cela à tous les deux.
C'est vraiment très sérieux. Mon père n'utilise que très rarement mon prénom complet en ma présence. J'en ai presque peur, tellement il utilise mon surnom au quotidien. Normalement, il utilise mon prénom entier quand il veut me gronder et me punir.
C'est pourquoi je crains le pire...
Il regarde alors ma petite amie et lui dit alors comme un souffle :
-Je ne sais pas si tu es prête à assumer un tel rôle. Alex t'a choisie, toi, alors cela veut dire que tu es sûrement assez mature pour supporter cela, même en étant humaine, mais je préfère te prévenir assez tôt.
Puis il se tourne vers moi. Je ne sais pas quoi dire. Je ne comprends pas de quoi il parle. Il pourrait commencer à parler chinois, russe ou coréen que je trouverais cela tout aussi cohérent. Mon père me dit alors avec un ton sérieux, presque grave :
-Alexis, mon cher fils unique...
Je confirme, c'est vraiment sérieux...
-Si je t'entraîne comme un forcené depuis ta première transformation, il y a une bonne raison. Tu es promis depuis ta naissance à un rôle très important. Celui qu'en fait, ton grand-père assume en ce moment.
Je réfléchis à toute vitesse. Quel rôle a mon grand-père, déjà, dans notre chaotique famille ?
Mon père me fixe de ses yeux bruns. Il me dit alors :
-Tu devras prendre alors la tête, le rôle le plus important de la meute Primus, tu devras être notre alpha.
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