«Rester sur place te fera reculer à un moment ou un autre»

Plus énervé que jamais contre cette petite allumeuse de Luna, je passe le pas de la porte de ma maison. Directement, je vois la mère de ma famille d'accueil venir vers moi. Je sais que je vais passer un sale quart d'heure, d'autant plus que je ne suis pas sobre, que j'ai fait le mur et qu'il est 2h du matin.
Après m'être fait bien engueulé, je monte dans ma chambre et claque la porte de celle-ci, histoire de bien faire savoir que je suis rentré. Mes compagnons de chambre se réveillent tous.

-Gars ! Fais un peu moins de bruit nan ?-râle Mathieu.

-Ta gueule.

Je suis fatigué, bourré, donc il faut pas me chercher.

-Ton daron il est pas venu te chercher ou quoi ? Ah bah non il a crevé.

Je peux garder mon sang froid dans plusieurs situations, mais lorsque l'on parle de mon père, et en plus de cette façon, on ne peut pas me reprocher de m'énerver.

-Espèce de fils de pute !

Je m'avance vers lui et le prends par le col, le forçant à se lever.

-Je te reprends une fois à parler comme ça de mon père et crois-moi que toi aussi tu vas crever, connard !

Je le lâche et il tombe au sol. Je sors de la chambre et me dirige vers une autre. C'est la chambre d'un gars chelou qui s'appelle Lucas. Il est accro aux jeux vidéos et je crois qu'il se croit là-dedans dans la vraie vie. Il est vraiment trop addict.
Il reste toujours un lit de libre dans sa chambre parce que personne ne veut dormir avec lui, mais ce soir je vais faire une exception pour cette nuit. Je préfère dormir avec un gars chelou qu'avec une bande d'immatures qui ne pensent qu'à la baise.
En arrivant dans la chambre, je remarque qu'il joue toujours.

-Je peux dormir avec toi ?-je demande avec une petite voix.

Il se retourne vers moi. Ses lunettes retombent sur le bout de son nez et je vois tout son appareil dentaire puisqu'il me sourit comme un gogole.

-Oui, viens ! Tu veux jouer ?

Je souffle juste un «non merci» et vais me coucher dans le lit libre. Je sais dans quel lit il dort, au cas où ce genre de situation arrive. Je ne veux pas dormir dans le même lit que lui, on ne sait pas ce qu'il fait... Je l'entends souvent gémir et ce n'est pas parce qu'il fait de la musculation, je peux vous le certifier... Non pas que je m'y connais hein ! Je ne suis pas ce genre de gars qui ne pensent qu'au sexe. En fait, je n'y pense que très peu et quand j'y pense, je me pose seulement des questions.

Lorsque je réussis enfin à m'endormir, mon con de "coloc" décide de crier après son jeu. Putain de merde.

-Tu peux pas te la fermer j'essaye de dormir putain !

-Ouais bah euh... Si ça te plaît pas bah euh... c'est la même chose.

-Ouais bah nan. On est pas censés vivre en communité ici ? Alors tu me laisses dormir. Merci.

Moi quand je suis fatigué, il faut me laisser dormir. Surtout que là je suis énervé.
Donc je ferme les yeux et m'apprête à m'endormir, lorsque je sens ma poche arrière vibrer. Merde, je me suis pas changé. Mais qui est l'enfoiré qui peut m'appeler à cette heure putain ?
Je décroche et attends que l'autre parle.

-Matteo ?

-Bon dis moi ce que tu veux qu'on en finisse là !

-Bah, t'es passé où ?

Merde je l'ai pas prévenu que je partais ! Putain je suis con!

-Chez moi. Ciao.

Je pose mon téléphone et m'endors pour de bon. Tant pis pour mes habits, celui que ça dérange bah il ferme sa gueule.

Ploc ! Ploc ! Ploc !

Des gouttes d'eau qui tombent. Je suis dans un endroit tout noir et je n'ai que ce bruit pour me guider. Je me dirige donc vers ce son mais j'ai l'impression que plus je m'approche, plus il s'éloigne. Pourtant je sais qu'il est par là. J'avance encore une et encore dans cet endroit infini. Puis d'un coup, je tombe. Pendant quelques minutes je tombe. Puis je vois le visage d'un homme. Il me se trouve en bas. Je tombe et ai l'impression d'avoir mal au bras. Cet homme* me fait un sourire.

-Ne t'inquiète pas, je vais t'aider.

Cet homme s'avance vers moi et sans que je ne m'y attende, il se met à métrangler. Je ne respire plus.

Mes yeux s'ouvrent et j'ai l'impression d'étouffer. Je n'arrive plus à respirer. Je suffoque ce qui attire l'attention de mon coloc.

-Matteo ça va ?

C'est comme si on métranglait. Comme ce que me faisait cet homme dans mon rêve. Un rêve très étrange d'ailleurs.
J'essaye de reprendre ma respiration mais ma gorge me serre. Je commence à paniquer et j'ai chaud.

-T'es tout rouge Matteo ! Respire !

Comme si j'essayais pas de le faire depuis avant !

Il reste planté devant moi, affolé. Mais va chercher de l'aide, merde !

Après une grande inspiration, j'arrive à nouveau à respirer, juste au moment où ce con de Lucas est allé chercher quelqu'un. Je récupère peu à peu ma respiration et enlève mon haut. C'est juste à ce moment que je me rends compte qu'il fait déjà jour.
Lucas et Marie, la mère de ma famille d'accueil, arrivent. Ils viennent vers moi alors que je récupère encore ma respiration. Elle me demande si ça va mais je n'arrive pas à répondre, encore trop perturbé par le rêve que j'ai fait. Je sens des gouttes de sueur perler sur mon front. Je suis encore paniqué. Cet homme m'a étranglé dans mon rêve, et après je me suis réveillé et j'étouffais, comme si on m'etranglait.
Le regard dans le vide, je sens que tout autour de moi se met à tourner.

-Matteo ! Matteo réponds-moi !

-J'ai besoin d'eau..

Ja m'allonge histoire de me calmer. J'en fais des cauchemars, mais jamais ils n'ont eu cet effet.
Je ferme les yeux histoire d'arrêter ce tournement parce que j'ai l'impression que ma tête va exploser. Quelques instants plus tard on me donne un verre d'eau et je le bois d'une traite. Je reprends peu à peu mes esprits

-Ça va mieux ?

-Oui...

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Je me redresse en frottant mes mains sur mon visage histoire de me calmer.

-Je sais pas... Un rêve... Au début j'entendais de l'eau tomber, j'étais dans un endroit sombre, j'ai marché je ne sais combien de temps. Après j'ai commencé à tomber et j'ai vu cet homme. Il m'a dit qu'il allait m'aider. Puis il m'a étranglé et je me suis réveillé puis j'arrivais plus à respirer. Je sais pas c'est bizarre...

-Ça va aller...

Elle me prend dans ses bras mais je me dégage de son emprise. Je n'aime pas les câlins. Et j'aime encore moins qu'on ait pitié de moi.
Je me lève de mon lit avec l'image de cet homme en tête.

*Cet Homme: Son apparition récurrente dans les songes de gens qui ne se sont jamais rencontrés a toutes les apparences d’une légende urbaine. Pourtant, sa présence onirique a pris une telle ampleur qu’il existe depuis quelques années un site regroupant des centaines de témoignages de rencontre avec « This Man », Cet Homme, comme l’ont baptisé spontanément de nombreux rêveurs.

Selon le site ThisMan.org, l’un des plus curieux objets jamais secrétés par Internet, l’histoire de cet inquiétant personnage a pris forme en 2006 à New York, dans le cabinet d’un psychanalyste. Un patient a dessiné le visage de ce personnage au front dégarni et aux sourcils broussailleux dont il ne cessait de rêver. Le thérapeute a laissé traîner le croquis sur son bureau et quelques jours plus tard, un autre patient s’est exclamé en l’apercevant : « Cet homme, je le vois souvent dans mes rêves ». Troublé, le psychanalyste a confié le portrait à quelques collègues qui l’ont à leur tour montré à leurs patients : quatre d’entre eux auraient reconnu This Man.

Depuis, on ne compte plus ceux qui assurent avoir été visités par This Man. Certains voient en lui un « dream surfer », un homme de chair et d’os mais disposant de l’étrange capacité de glisser d’un rêve à l’autre. Sur thisman.org, les témoignages proviennent du monde entier, Los Angeles, Berlin, Sao Paulo, Téhéran, Pékin, Rome, Barcelone, Stockholm, Paris, New Dehli, Moscou…

La popularité de Cet Homme a inspiré des chansons, des vidéos et des expositions. Un peu partout dans le monde, des rêveurs, obsédés par leur visiteur nocturne, placardent des avis de recherche où figurent le visage mystérieux et les mots : « Avez-vous rêvé Cet Homme ? »…

[...]

Mais si les premiers témoignages du site sont de pures inventions, ceux qui arrivent quotidiennement sur la page Facebook de This Man, ont tous les accents de la sincérité. La plupart commencent par : « I dreamt this man », « J’ai rêvé cet homme ». Voici l’un de ces rêves daté du 11 octobre partagé par un résident du Maine : « J’ai rêvé une fois Cet Homme. Le rêve était étrange et bref. C’était lui, dans une pièce obscure, vêtu d’un trench-coat. Il m’a posé une question : "Si vous savez si bien écouter, pouvez-vous entendre ceci ?". Je me suis réveillé en sursaut quelques secondes avant que mon réveil sonne. Ce rêve était court mais si étrange qu’il est resté gravé dans ma mémoire. »

Un autre visité, dont la raison semble ébranlée, demande de l'aide et assure : « Je rêve Cet Homme depuis 14 ans. Je ne sais plus quoi faire... »Mais la création du surfeur de rêves ne remonte pas à plus de sept ans...