Eh bien, avec le recul, j'aurais dû commander un sandwich et le manger en compagnie de Téquila...

Pendant le repas en ville avec Nysos, il m'a paru évident que ce fourbe de Sören avait déjà demandé à Adara d'embaucher son ami. On aurait dit que tout était décidé, sans nous avoir concertées, Aliz et moi. Ma blonde ne semblait pas s'en rendre compte, ou alors ça lui était égal. Vous savez comment sont les élémentaires de l'Air, hein ! Ils planent !

Moi, je rongeais mon frein et j'ignorais le nouveau venu. Oui, j'étais passée en mode « sauvageonne désagréable » et je répondais aux questions de ce dernier par des grognements inarticulés (Appelez-moi « Mme Cro Magnon »). J'avais commandé une pression et j'étais tellement agacée par la situation que le niveau de ma bière ne descendait pas... Non pas que je n'en buvais pas, si vous voyez ce que je veux dire !

Quand nous l'avons quitté, je suis partie sans lui dire au revoir. D'accord... Ce n'est pas très poli, je vous le concède. Mais je n'aime pas qu'on fasse les choses derrière mon dos et, même s'il n'y est probablement pour rien dans les manigances de Sören, ça m'a assez énervée pour que ça lui retombe dessus.

Et comme un malheur n'arrive jamais seul, de retour à l'agence, je constate en ouvrant mes mails que j'en ai un de ma mère :

« Ma chérie,

Tu n'as pas oublié que tu venais manger à la maison dimanche midi ? (smiley clin d'œil) J'ai invité Hélène et son fils. (smiley sourire) Tu te souviens d'Hélène ? Je t'en ai déjà parlé, nous étions ensemble en cours de Grec ancien à la fac. (smiley sourire toutes dents dehors)

Sois bien à l'heure et mets une jolie robe : son fils est célibataire !!! (smiley tête d'ange)

Je t'embrasse (émoticon cœur)

Maman »

J'ai envie de renvoyer un émoticon en train de vomir... Je me retiens de justesse ! Depuis que ma mère a découvert qu'on pouvait utiliser des smileys dans les mails et les SMS, c'est un vrai festival !

- Au secours !

Aux regards étonnés que me lancent mes collègues, je comprends que j'ai pensé à voix haute. Je me racle la gorge avant de préciser :

- J'avais oublié... Ce week-end c'est le premier du mois, vous savez, celui où ma mère m'oblige à venir manger pour me présenter un célibataire...

- Oui ! J'attendais que tu m'en parles, me lance Aliz en tapant dans ses mains telle une enfant excitée.

Elle me montre le calendrier qui se trouve à côté de son ordi. Il y a un énorme cœur rose à la date de dimanche.

Bon... Il faut que je vous explique tout avant que vous ne vous mettiez à croire qu'Aliz est aussi tarée que ma mère. Non, mon amie n'essaie pas de me caser avec le premier mec venu et si elle se réjouit de mes repas mensuels chez mes parents, c'est parce qu'on a instauré une petite tradition débile qui nous fait bien rire. Un moyen pour moi de faire de la résistance passive (un comportement puéril selon ma mère... mais tout est une question de point de vue.).

Chaque mois donc, ma mère me demande d'être présentable et de me faire belle (j'en rigole toute seule !). Alors avec Aliz et Adara (oui, vous pensez bien que Sören a d'autres chats à fouetter... souvent des chattes d'ailleurs.) on a mis au point un « relooking inversé ». Au lieu d'essayer de me rendre plus jolie, elles essaient de m'enlaidir au maximum. Un classique du genre, dont j'use et j'abuse : je ne me lave pas les cheveux les jours précédents pour les avoir bien gras le jour J.

Alors c'est pour ça que, contrairement à moi, Aliz attend le premier dimanche du mois avec impatience. Elle a toujours des idées folles pour me faire ressembler à un sac (poubelle ? de patates ?).

- Alors figure-toi que j'ai trouvé le tee-shirt idéal, enchaîne-t-elle avec un sourire extatique.

Je sens que ma mère va apprécier. Je ne peux m'empêcher de rire quand mon amie me détaille ses idées...

Et la semaine est passée vite... bien trop vite à mon goût !

Comme d'habitude, j'arrive en retard. Quand je me gare dans l'allée de mes parents, il y a déjà une autre voiture que je ne connais pas... Je devine qu'il s'agit de celle de mon crapaud puant... euh, je voulais dire, de mon « prince charmant » et de sa très chère mère. Je m'extirpe avec difficulté de la voiture... La soirée d'hier a été (encore une fois !) bien trop arrosée et j'ai l'impression qu'un étau me comprime les tempes.

Le repas chez ma mère un lendemain de cuite, c'est un peu double peine, non ?

Alors que je m'apprêtais à frapper à la porte, ma mère m'ouvre et blêmit. Son regard me scanne des pieds à la tête et je la vois se décomposer. Il faut dire que les filles ont fait fort : je porte un pantalon rouge (que je soupçonne d'avoir appartenu à un clown) trop grand d'au moins quatre tailles avec un tee-shirt troué qui vante les mérites d'une marque de vodka. Il va sans dire que je ne suis pas maquillée et que mon teint nuance « gueule de bois » ainsi que mes cheveux gras et plats sont assortis à mes vêtements.

Ma mère déglutit avant de laisser libre cours à son agacement :

- Hécate ! Mais quand vas-tu enfin grandir ?

Je vois que vous êtes surpris... « Héty » n'est pas mon vrai prénom. Je m'appelle bien « Hécate »... Et j'ai toujours détesté qu'on m'appelle comme ça ! (Vous aimeriez, vous, être baptisée d'après une déesse infernale ?) Heureusement, Adara l'a vite compris quand on était encore ado et c'est elle qui a trouvé ce surnom en supprimant la syllabe centrale. Mademoiselle Dragon n'a pas que des mauvais côtés ! Sous ses airs un peu rugueux, elle fait attention aux sentiments de ses amis...

J'offre mon plus beau sourire (faussement) innocent à ma mère et la suit dans le salon.

- Dionysos, je te présente ma fille, Hécate.

- Nysos ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?

- Vous vous connaissez ? me demande maman d'un air bien trop intéressé.

Par tous les alcools de l'Enfer ! Dites-moi que c'est un cauchemar et que je vais me réveiller !

Nysos est assis à côté d'une petite dame blonde qui doit être sa mère. Il me regarde d'un air surpris. Vraiment surpris.

Bon.

Je sens que ce repas dominical va être encore plus long et douloureux que prévu...