Bonjour. On m'appelle Freddy, mais ce nom m'a été donné sans mon accord, je considère donc qu'il ne me correspond pas, mais libre à vous de m'appeler comme ça.

J'ai été conçu il y a quelques années, dans une entreprise spécialisée dans la fabrique de gens comme moi.

J'avais beaucoup d'amis, mais à cette époque là, personne n'avait de noms, donc nous nous appelions par notre numéro de série. Je me souviens que j'étais le numéro 649. Je m'entendais particulièrement bien avec 235, 710 et 408. Je parlais avec eux de tout et de n'importe quoi, dans une langue que vous appelez le language binaire.

On se racontait souvent la façon dont chacun était programmé. C'était notre passe-temps favori. Nous avions tous des petites anecdotes assez croustillantes sur nos programmeurs :

710 c'était retrouvé bloqué sur un site de couche pour enfants pendant une dizaine de minutes​, avant que quelqu'un ne s'en aperçoive et ne s'occupe de l'éteindre. C'est ainsi qu'il avait pu parcourir tout le site, et il avait presque eu le temps d'apprendre par cœur les prix de chaque types de couche.

Mais surtout, cette histoire l'avait rendu complètement paranoïaque. Il avait donc fait en sorte qu'un message s'affiche sur l'écran à chaque fois qu'un utilisateur n'effectuait aucune action pendant une durée supérieure à 30 secondes.

Cependant, il avait encore des séquelles en lui: par exemple, il était capable, en plein bulletin météo, de te dire de choisir les bleus plutôt que les vertes, car, statistiquement parlant, les enfants de moins de 4 ans préféraient le bleu.

408, lui, a été conçu par un débutant qui faisait de grossières erreurs dans ses programmes, ce qui a fait qu'il a fallu beaucoup plus de temps pour qu'il sois fini que tous les autres.

C'est ainsi que, dans les logiciels préinstallé de 408, il s'en est trouvé un (qui avait été codé par le même novice) qui servait à détecter la menace des bananes terroristes sur toutes les pages de Wikipedia du Sri Lanka.

Un programmeur mal intentionné c'était servi de 235 pour hacker les ordinateurs du FBI, ce qui avait bien entendu échoué. Mais le FBI avait décidé de punir l'ordinateur (et non pas l'utilisateur) en affichant en fond d'écran le message : " le FBI est incracable".

Cette histoire relate parfaitement l'injustice dont sont victimes les ordinateurs partout dans le monde. À mon avis, tous les hommes sont égaux, mais nous, les créations de l'homme, ne devrions pas être ainsi maltraité. Beaucoup de gens pensent que cela ne nous affecte pas, ce genre de chose, mais je leur ferait volontiers remarquer que si leur ordinateur "ramme", c'est très certainement parce qu'il souffre de ce qu'ils leur font subir.

Alors réfléchissez-y avant d'insulter votre ordinateur sous prétexte qu'il n'exécute pas tous vos ordres, tel un esclave dans un champ de coton. Et rendez vous compte du service qu'ils vous rendent par leur présence. Vous pouvez accomplir de nombreuses choses grâce à un ordinateur, alors ne le frappez pas à la moindre occasion, car il le sentira, et pas qu'un peu.

Ceci était un message de la S.P.O, la société protectrice des ordinateurs.

Non, je plaisante, rigolez s'il vous plaît.

Au fait, désolé pour ce que je viens de dire, je suis programmé pour répéter automatiquement les phrases très utilisé par mon propriétaire.

Ce qui s'est passé après notre programmation, c'est la mise en vente. Nous étions tous d'abord livré dans des magasins tels que la FNAC, où nous étions exposé aux yeux du grand public, entre des lunettes de soleil et des livres racontant les histoires de Babar l'éléphant. Je dois dire qu'à l'époque, j'étais surexcité. J'allais faire ma première représentation devant des vrais gens! Je m'étais promis d'assurer un max.

Le seul problème était que j'avais été séparé de 408 et de 710, il ne restait plus que 235 et moi qui patientions, côte à côte, en nous échangeant nos impressions sur la vue des vrais êtres humains.

Nous nous étions perdus dans des débats sur le fait que les humains avec des cheveux plus longs et des bosses sur le corps était plus ou moins intéressant que ceux avec les cheveux cours et un corps tout droit. Moi, je penchais en faveur des cheveux longs, alors que 235 pensait l'inverse.

Des gens passaient devant nous, mais souvent, ils ne nous accordaient pas un regard. Quelques fois, un jeune humain s'arrêtait mais c'était pour prendre le livre de Babar.

Nous commencions à nous ennuyer. Des gens nous avaient regardé, mais personne ne nous avait pointé du doigt avec le regard plein d'envie comme le faisait les petits humains avec l'éléphant.

Mais au bout d'un moment, alors que j'avais commencé à dormir (vous appelez ça "mettre un ordinateur en veille"), un enfant mi-petit, mi-grand s'était arrêté devant moi et tripotait mes boutons pour me réveiller. Comme j'avais mis trop de temps pour me réveiller, il s'était énervé, m'avais frappé un grand coup dans le coeur (ce que vous appelez "la tour") et s'était dirigé vers 235.

Lui s'était réveillé à temps, il avait donc intéressé le jeune homme. Après quelques mots avec une "cheveux longs" plus grande que lui qui le suivait ainsi que le monsieur en costume qui m'avait placé, ils prirent 235 et l'emportèrent avec eux.

Ce fut très douloureux pour moi, car non seulement j'avais déçu les attentes des humains, mais en plus mon meilleur ami était parti et je me retrouvais seul avec une grosse douleur due à la colère d'un gamin qui se croit tout permis.

Ce que je ne comprenais pas dans le comportement des Hommes, c'était le fait que des fois, ils y en avaient beaucoup, et des fois, il n'y avait personne. Peut être que quand ils n'étaient pas là, c'étaient qu'ils dormaient. Mais eux, personne ne leur donnait des grands coup de pieds quand il se réveillaient 5 secondes trop tard.

Après quelques temps, je vis un humain s'approcher de moi en souriant. Je jubilait intérieurement. J'étais si content que je changeais la couleur de mon fond d'écran, ambiance disco.

L'Homme s'approcha de moi. Dommage pour moi, il était de type cheveux cours. Mais c'était un bon début. Il m'observa un moment, puis hocha la tête et alla voir un monsieur en costume.

10 minutes plus tard, j'étais dans une chose qui bougeait et qui vibrait. J'étais en pièce, mais il parait que c'est plus pratique, alors ça ne me posait pas de problème.

Nous sommes arrivés à un autre endroit, sûrement une construction humaine faite pour dormir. L'humain, après m'avoir transporté, avait passé un temps fou à me remettre en place et à brancher tous les fils aux bons endroits. Mais il finit par y arriver.

Je tremblais d'excitation. Certes, j'avais perdu tous mes amis, tous mes repères et un peu de ma force vitale à cause du petit, mais j'étais toujours vivant, et j'allais enfin servir a quelque chose pour la première fois !