Mission Nitos
- Avant propos -
Je souhaite juste vous informer que cette histoire se déroule dans le même univers que
L'antropophytos, et Amande amère.
Bonne lecture !
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Comme tous les soirs ou presque, je me retrouvais au bar du Nymphrodisia club. Shannon, la serveuse, venait de me servir mon cocktail habituel. Depuis les années, elle avait mémorisé ma commande. Je regardais ses courbes parfaites, ne me lassant jamais de la beauté des corps humanoïdes. Elle n'était pas à proprement parler humaine, c'était une Zôon, une espèce humanoïde affublée d'attributs canins ou félins. Shannon possédait deux oreilles dressées sur sa tête blonde, comme celles d'un berger allemand. Elle paraissait si jeune, comme si elle n'avait que la vingtaine à peine alors que je la connaissais depuis bien plus longtemps, peut-être quarante ans déjà.
Je bus une gorgée de la boisson sucrée et amère, quand je sentis une main se glisser le long de mon dos jusque sur ma taille. J'aurais reconnu ce toucher entre mille. Une tête brune apparue dans mon champ de vision et une oreille de chat noire, toute douce, chatouilla mon nez.
" Bonsoir RenJun~"
Je souris légèrement, bien que je ne fus pas d'humeur, et passai une main dans ses cheveux ébènes.
" Bonsoir HyunJin."
Il s'asseya sur un des tabourets à mes côtés, glissant sa main sur ma cuisse, exerçant une légère pression de ses doigts. Je retournai pour ma part mon regard vers mon verre à moitié vide, alors qu'un long soupire passait la barrière de mes lèvres. Les souvenirs d'il y avait à peine une heure me revenaient en tête, apportant avec eux certains bien plus anciens.
" Quelque chose ne va pas ? Tu veux que je t'aide à oublier ? On peut aller à l'étage si tu veux~"
Avait-il dit d'une voix suave et tentatrice. Mais je ne m'adonnais pas à ce genre de choses et il le savait très bien, il voulait simplement essayer de me remonter le moral.
" Merci HyunJin, mais tu connais déjà ma réponse."
" Oui, je sais... Peut-être puis-je simplement t'écouter dans ce cas-là. Je n'ai pas envie de travailler ce soir."
Il se retourna pour caler son dos contre le bar et me regarder. Il pencha la tête sur le côté, ses oreilles de chat se tournant vers moi. Mais je restai silencieux. Je ne voulais pas spécialement parler de tout ça. Je ne voulais pas ressasser un passé si lointain. Ce fut au même moment qu'Albeto arriva en volant et se posa sur le bar.
Alberto était un vieil ami, un jambonnien, une race d'alien qui ressemblait fortement à une loutre aux ailes de pigeon.
De sa petite patte, il ajusta sa moustache en croc et demanda à Shannon un verre de whisky. Il était sur terre pour affaires depuis un peu plus de cent ans maintenant et avait pris goût pour les boissons alcoolisées terriennes.
Il replia ses ailes et me lança un regard interrogateur.
" Qu'a donc notre grand Huang RenJun ? Un coup de blues ?" Demanda le jambonnien.
" Il n'a pas le moral, mais refuse de parler..." Ajouta le jeune zôon aux cheveux de jais.
" Raconte-nous tout ! Les amis ça sert à ça."
Je soupirai. Pourquoi avais-je des amis comme eux ? Ne pouvaient-ils pas respecter mon silence ?
Je terminai mon verre d'une traite et le reposai sur le comptoir.
" Ça n'est rien de grave. Seulement de vieux souvenirs qui me hantent."
Alberto fit une petite moue en fronçant ses gros sourcils broussailleux. Il me connaissait bien mieux que HyunJin et se doutait sûrement de la raison de ma petite déprime. Depuis les années, il m'avait déjà vu dans cet état.
" Toi, tu es entré en contact avec les gens de ton peuple. Laisse-moi deviner. Un de tes frères ?" Me questionna la loutre alien.
Je ne pouvais plus mentir, il avait raison. J'avais bel et bien été en contact avec d'autres individus de mon espèce, mon frère aîné pour être exact.
" Bingo... Je devais régler quelques problèmes par rapport à une arrivée massive d'immigré sur terre. Mais il se trouve que j'ai dû traiter avec mon frère, le plus âgé."
" Et ?" Demanda le plus jeune de nous trois.
Étonnement, ce fut Shannon qui répondit à ma place, en apportant un verre d'eau à l'homme chat.
" D'après toi, pourquoi est-il sur terre alors qu'il pourrait régner sur l'univers avec sa famille ?"
" Parce qu'il m'aime ?" fut la réponse de HyunJin alors que sa main se serra sur ma cuisse, ce qui me fis pouffer de rire. Il était toujours comme ça, mais, grâce à sa plaisanterie, j'avais ris et me sentais un peu plus détendu.
" Mais oui HyunJin, je ne peux me passer de toi, c'est pour ça que je suis venu sur terre avant même que ton arrière-grand-mère ne soit de ce monde."
Alberto qui n'avait rien dit depuis tout à l'heure, trop occupé à siroter son whisky ouvrit finalement la gueule.
" Mais c'est vrai ça, tu ne nous as jamais expliqué pourquoi tu t'es retrouvé sur terre, tu as commis des erreurs ? C'est ta punition ? Car il ne me semble pas que beaucoup de Xihuang comme toi s'occupe des affaires d'une planète depuis la planète même."
" C'est un peu plus compliqué que ça en réalité..." Ajoutais-je en regardant mes deux amis, Shannon étant retournée à son travail.
" Explique-nous alors, comme je l'ai dit je ne compte pas travailler et Alberto n'a, sans doute, pas mieux à faire ce soir." Cette phrase sembla blesser un peu l'égo du jambonnien, mais il ignora simplement le jeunot.
Je ne savais pas si je devais, oui ou non, leur parler de moi, de mon histoire. Ça n'était pas vraiment mon genre de m'étaler. Mais les humains disaient toujours que parler de leurs problèmes les aidaient. Peut-être devrais-je suivre leurs conseils, puisque je me trouvais sur leur planète depuis bien longtemps.
Je réfléchis un moment, passant une main dans mes cheveux bruns.
" Je vais vous expliquer. Mais c'est une longue histoire. J'espère que vous êtes prêts !" Plaisantais-je en m'installant plus confortablement sur mon assise et demandant par la suite un nouveau verre de mon cocktail préféré. Je comptais remonter jusqu'au tout début. Au commencement, alors autant être confortablement installé.
C'était il y a longtemps, très longtemps. Un temps qui ne peut être compté en heures, jours, années terriennes. Je naissais dans un des vaisseaux-mère de notre espèce, les Xihuang. Mes frères étaient tous nés avant moi. J'étais donc le dernier, le dernier-né d'une fratrie de treize. Nous avions tous été mis en incubateur au même moment mais pour une raison inconnue, une erreur de manipulation de la reine-mère, ou une défaillance du système, un de mes frères sortit avant les autres, et moi, je sortis en dernier, en retard.
Lorsque je sortis de l'incubateur dans lequel j'avais grandi, ce fut mon frère aîné, InJun, qui m'accueillit. Je me souviens de ma naissance. C'était particulièrement éprouvant. Je sentis l'air remplir mes poumons, c'était brûlant comme le feu. Je poussais un hurlement quand ses mains se posèrent sur mes joues. Il me regarda dans les yeux et, alors que je pensais la douleur terminée, il me posa une question.
" Pourquoi ? RenJun, donne-moi La Réponse."
C'est alors que je fus frappé par plus grosse migraine que je n'ai jamais eue. Des images défilaient dans mon esprit à une vitesse folle, mon crâne se remplissait de mots, de phrases, de milliers, non, de milliards de choses. Cela dura de longues minutes, de longues minutes où je me tordais de douleur sur le sol et où InJun me regardait, impassible.
Après avoir souffert le martyre durant d'interminables minutes, DeJun et KiJun, deux de mes autres frères, arrachèrent le tube lié à mon cou et me portèrent dans une salle blanche. J'avais l'impression d'être torturé. Je ne sais pas si la naissance pour les humains est aussi douloureuse, mais si oui, je comprends pourquoi la plupart l'oublient.
Une fois enfermé dans la salle blanche, je vis plusieurs anciens passer devant la seule fenêtre qui s'y trouvait. Ils m'observaient, parlaient entre eux. Mais je ne pouvais entendre ce qu'ils se disaient. Après quelque temps, InJun entra dans la pièce et vint s'asseoir face à moi. Il me regarda dans les yeux et demanda d'une voix calme.
" Pourquoi ? RenJun, donne-moi La Réponse."
" Mais je ne l'ai pas la réponse, la réponse à quoi de toute façon ?" Lui répondis-je.
" Et bien La Réponse. Tu ne la connais pas encore ?"
Il semblait troublé. Il fronça les sourcils et plaça deux doigts sur mon front avant de se réinstaller.
" Cela prend plus de temps que prévu..." Murmura-t-il.
Très franchement, tout ce qu'il se passa ensuite fut très flou. Je crois bien avoir été rebranché puis de subir une nouvelle fois l'interrogatoire de InJun. Plus tard, j'appris que j'étais différent des autres, que je n'apprenais pas assez vite. J'ignore encore pourquoi. Personne n'a jamais su, ou n'a jamais voulu m'expliquer. Dans mon peuple, la hiérarchie est très importante et, étant un nouveau-né, et un avec un handicap, je n'étais sûrement pas autorisé à savoir. Mais bref, aujourd'hui tout ça n'a plus d'importance.
Quand j'eu enfin La Réponse, on me confia à mon frère. Il m'apprit tout ce que j'avais à apprendre et en peu de temps j'avais rattrapé mes frères.
Mes premiers siècles furent plutôt calmes, je suivais InJun partout. Personne n'osait me confier de mission, par peur que je la rate, alors je me contentais d'aider mon aîné dans ses tâches. J'étais sa secrétaire en quelques sortes. Mais, plus le temps passait, plus ce sentiment d'injustice montait en moi. Pourquoi, de mes treize frères, étais-je le seul à ne pas avoir de missions ? Pourquoi étais-je le seul à qui on ne confiait que des tâches administratives ? J'avançais dans ma vie en voyant mes frères gravir les échelons et moi simplement rester à stagner.
Un jour, alors que InJun venait d'être envoyé en mission diplomatique sur Kilinos, un des ancien vint me voir avec une de ces tablettes que l'on ne donne qu'aux gens à responsabilités. Au début, je pensais qu'il allait me demander de la réparer ou la donner à l'un de mes frères, mais non. Il me la tendit et dessus était écrit " RenJun". Je n'en revenais pas. Enfin, après trois siècles d'attente, on m'avait enfin jugé apte à prendre part aux activités de mon peuple. Enfin j'étais considéré comme un Xihuang à part entière et non un handicapé, retardé, bon qu'aux tâches ingrates.
J'avais enfin ma propre tablette. A son retour, InJun me félicita et me confia une de ses missions. C'est ainsi que j'eu l'honneur de participer à ma première mission. Ça n'étais pas grand-chose quand j'y repense. Seulement juger d'un crime mineur commis par un Boudinoi. Mais j'étais si heureux. Mon frère, cet être que j'admirais tant, me faisais confiance pour gérer une affaire de la sorte.
Comme prévu, je la menai à bien, mais mon frère avait toujours été là pour m'aider et me conseiller. Je l'avais écouté ne voulant commettre la moindre erreur. Grâce au succès de cette affaire, je me vis rapidement confié d'autres missions de la sorte. Délits mineurs, et erreur diplomatiques de moindre importance. Mais au fur et à mesure, je me rendis compte, qu'en réalité, je n'étais pas plus considéré par mes pères. InJun était toujours le seul à me féliciter et à m'encourager. Ne méritais-je pas un peu plus de considération, certes, j'étais né un peu après DenJun, et certes je mettais double de temps pour apprendre de nouvelles choses, mais je n'étais pas moins compétent que tous mes autres frères. Sauf InJun. Bien-sûr. Car lui, tout lui réussissait, il apprenait plus vite et excellait partout. Il était le modèle de perfection et les anciens l'avaient bien remarqué. Sans même que nous nous en rendîmes compte, InJun avait pris la tête de la fratrie et nous dirigeait. Il était monté dans la hiérarchie et nous lui devions le respect.
Cela dit, avec moi, il resta le même. Il était toujours ce grand frère qui vous aide quand vous avez une difficulté, ce grand frère qui vous relève après une chute. Il avait toujours une main dans mon dos au cas-où je ne bascule, et avait toujours le mot qui restait coincé sur le bout de ma langue.
Il m'aidait tellement qu'après deux autres siècles à m'occuper d'affaires banales et à être assisté par lui, je commençais à croire qu'en réalité, il me prenait pour un véritable idiot. Je ne pouvais pas régler une seule affaire sans qu'il ne me donne un conseil que j'avais déjà eu, ou qu'il ne relise le rapport pour me dire ce que j'aurai pu mieux faire. Ça en devenait vexant. Me pensait-il réellement incapable ? Ou peut-être voulait-il juste que je m'améliore ?
Mais, lentement, en me voyant toujours stagner et surprotégé, je commençais à me sentir jaloux, envieux, et ce sentiment d'injustice grandissait toujours plus. Comment pouvaient-ils tous me mettre ainsi à l'écart, dans une case, dans la case du "retardé". Même les nouveaux-nés, des générations suivantes étaient plus considérés que moi maintenant. Pourquoi devrais-je me contenter de délits mineurs et autres missions inintéressantes, qui sont, la plupart du temps, légué aux espèces inférieures.
Mais, comment pouvais-je faire changer les choses alors que je n'étais pas autorisé à m'adresser directement aux anciens si ce n'était dans le cadre d'une mission ou si eux ne m'avaient abordé en premier ? Ma seule solution était donc mes frères. Mais aucun d'eux n'aurait voulu risquer leur place pour aider leur cadet attardé. Sauf peut-être le parfait InJun. Il m'avait déjà tant aidé que je pouvais peut-être me confier à lui. Lui demander de m'aider.
C'est donc ce que je fis. Un jour, alors qu'il revenait de mission et que je remplissais le formulaire à sa place, je me confiai à lui. Je lui avouai vouloir des missions de plus haute importance. Que je me sentais prêt. Que je ne voyais pas pourquoi nos frères y avaient droit, mais pas moi. Mais les seuls mots qu'il me répondit furent "Il est trop tôt RenJun. Sois patient."
Patience. Je devais simplement attendre, et de toute façon je ne pouvais forcer les choses. Dans notre système, tout est bien trop propre, trop carré, pour essayer de magouiller. Essayer de récupérer une mission en douce, c'était impensable. Tout du moins... A l'époque je le pensais.
Je dus attendre encore un siècle et demi. Un siècle et demi où je pus réfléchir à ma condition. Mais j'étais encore trop égoïste pour me rendre compte de l'aberration des tâches que l'on me confiait. Trop égocentré pour me rendre compte d'autres injustices que celle qui me touchait. Et pourtant, je réglais jour et nuit des affaires en suivant les règles sans me rendre compte de l'absurdité de ces dernières.
Je me souviens de ce jour comme si c'était hier. InJun entra dans ma cabine. Il se plaça face à moi et me sourit. C'était la première fois de ma vie que je voyais une expression sur le visage de mon frère. Ou tout du moins, une expression qui m'était destinée. Je restais idiot quelques instants avant qu'il ne pose une main sur ma tête, qu'il caressa lentement. C'était étrange. Dans notre culture, nous ne nous touchons qu'à la naissance, ou dans des circonstances spéciales. L'affection dont il avait fait preuve ce jour-là, n'existe pas chez nous.
Il s'arrêta et m'expliqua enfin ce qu'il se passait.
" RenJun, c'est le moment. Tu vas avoir ta première mission de catégorie B. Je suis fier de toi. Félicitation."
Je n'en revenais pas, et pour la première fois depuis ma naissance des larmes coulèrent sur mes joues.
Je me vis confié ma première mission de type B, ça n'était pas encore une mission nécessitant un déplacement sur une autre planète, mais j'avais de beaucoup plus grandes responsabilités. Je devais m'occuper de trouver une planète d'accueil pour un groupe de réfugiés. J'étais si impatient de mener cette mission à bien que je redoublais d'efforts pour leur trouver une bonne planète où ils seraient heureux. Une planète qui leur ressemblait, une planète où ils pourraient être eux même.
Cette fois encore, InJun m'aida dans ma tâche en me proposant une liste de planètes apte à les recevoir et dans cette liste se trouvait la terre. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais plus j'en apprenais sur cette planète, plus je voulais en savoir. Mais plus que l'astre en lui-même, c'était ses habitants, les terriens qui me fascinaient. Même après avoir trouvé une planète pour mon groupe de personnes, qui n'était pas la terre, je continuais à cultiver cette obsession pour la "planète bleue" et ses habitants. En secret, je suivais toutes les affaires en lien avec elle. Mais rapidement je me rendis compte que notre peuple n'avait pas une grande juridiction là-bas. Qu'elle était un peu considérée, comme Anoxia, une planète dite "fantôme", où beaucoup de choses se passent dans l'ombre.
Au fur et à mesure des missions, je commençais lentement à me rendre compte que les choses étaient étranges. Ce que je veux dire par là, c'est que beaucoup de nos règles et protocoles, étaient froids et intransigeants. Les lois étaient appliquées à tous et pour tous de la même manière, quelle que soit leur espèce. Mais ça n'avait aucun sens. Chaque individu, chaque peuple ont leur propre culture, histoire. Et je trouvais le système de plus en plus injuste, mais malheureusement il semblait que je fusse le seul à penser de la sorte.
Alors, de mon côté, avec le peu de pouvoir que j'avais, j'essayais de régler mes affaires avec le plus de diplomatie possible, quitte à me faire reprendre par InJun qui pensait sûrement que je n'étais simplement pas capable de suivre le protocole, étant bien trop attardé pour ça.
Un jour, sans que je ne sache comment c'était arrivé, un ancien vint me trouver à mon bureau avec une mission de type A.
" RenJun, en vue de tes résultats lors de tes dernières missions, nous t'avons jugé apte à la prise en charge de ce dossier important. La mission Nitos est à toi."
Il me transféra le dossier puis parti. Mais lorsque je vis ce qu'était en réalité la mission Nitos... Je me rendis compte que je ne pouvais pas simplement la remplir.
Nitos était une planète dans le système d'Armina. Son peuple s'appelait les Nitosies. C'était un peuple séparé en deux castes, les Nitas, et les Sintos. Depuis des millénaires, les deux peuples se livraient à une guerre sans merci, ravageant leur propre planète. La vie sur Nitos n'était quasiment plus possible et, d'après les registres, très peu de Nitas étaient encore en vie, et les Sintos étaient porteur d'un virus qui ne devait en aucun cas se répandre hors de leur planète.
Ma mission était simple; je devais détruire la planète. Éradiquer toute vie sur cet astre. Tuer des milliers d'êtres et autres organismes vivants se trouvant sur Nitos, sans le moindre état d'âme.
Au début, je pensais vraiment mener cette mission à bien. Après tout, je ne connaissais personne de Nitos. Je connaissais leur histoire par cœur et, d'après le protocole, ils devaient tous mourir.
Mais, pris par ce sentiment d'injustice qui me torturait jusque-là, je me décidai à me rendre sur la planète pour y rencontrer les peuples, et ainsi juger de la nécessité d'un acte aussi extrême. Peut-être suffisait-il de trouver un remède au virus et d'expatrier les quelques milliers de Nitas sur une planète plus propice pour eux, une planète sans Sintos, où ils pourraient vivre sans se battre.
Ce fut donc sous la surveillance de InJun que je me rendis en observateur sur la planète grise. Comme dans le registre, la vie y était presque impossible, l'air y était irrespirable, remplis de radiations.
Je parti d'abord à la rencontre des Nitas. Ils vivaient dans des cavernes cachées par un dispositif de camouflage. La vie y était modeste, mais ils semblaient tout de même y être bien. Des enfants commençaient à naître, quelques plantes trouvaient un moyen de pousser. Je fus surpris de voir à quel point ce peuple s'accrochait à la vie. Et moi j'allais les tuer. J'allais leur arracher la seule chose pour laquelle ils se battaient à présent ? J'avais l'impression d'être un monstre.
Après ma visite aux Nitas, je me rendis à la capitale sintosie. Mais ce que j'y vis n'était pas un peuple qui cherchait encore à se battre. Tout du moins, leur ennemi avait changé. C'était la maladie. Les Sintos mourraient tous. Leur virus touchait de plus en plus de gens et les porteurs sains se faisaient de plus en plus rares. Les dirigeants sintosie, mettaient tous leurs pouvoirs à la recherche d'un remède, car, eux aussi, voulaient vivre. Ils ne voulaient pas mourir. Il ne voulait pas que leur fin arrive... Et comme pour les Nitas, j'allais leur apporter ce qu'ils redoutaient le plus.
A mon retour au vaisseau, je m'enfermai plusieurs jours dans mon bureau pour essayer de trouver un détour aux ordres des anciens. Mais il n'y avait aucune faille dans le système me permettant de sauver les Nitosie. Mais je ne pouvais me résoudre à tous les tués. J'avais besoin d'aide. J'avais besoin de mon grand frère InJun.
Je le fis venir à mon bureau et lui expliquai toute la situation. Je lui démontrai que les Nitosie ne devaient pas mourir, qu'il y avait des solutions, que l'on pouvait faire autrement, mais que j'avais besoin de lui et de son pouvoir pour faire changer les choses. Et je pensais sincèrement l'avoir convaincu.
" RenJun, je t'aiderai mon frère."
Avait-il dit en quittant la pièce.
Je passai encore un long moment dans mon bureau à trouver la solution optimale. Une planète d'accueil pour les Nitas. Une équipe de recherche Jambonnienne sur le cas des Sintos. Je trouverai une solution autre que la mort pour ce peuple et, ça, quoi qu'il en coûterait. Il était inadmissible, en mon sens, de détruire un monde. Nous sommes les Xihuang, appelés les princes de l'univers, les juges intergalactiques, comment pouvons-nous nous permettre de faire preuve de tant d'impartialité devant des cas aussi graves ? Comment pouvons-nous prendre la décision de prendre la vie de milliards d'êtres vivants ? Sommes-nous réellement si légitimes pour faire preuve d'aussi peu de compassion ?
Je sortis de mon bureau, dossier en main, prêt à défendre mon projet face aux anciens et leur proposer une solution alternative. Je me rendis dans la grande salle, mais en chemin je croisai quelques anciens, et tous me félicitèrent pour mon bon travail, en me disant qu'ils ne m'en pensaient pas capable, mais que je les avaient étonnés. Je ne comprenais pas pourquoi ils me disaient ça. Avaient-ils tous appris pour mon plan alternatif ? Je ne l'avais pourtant pas présenté encore. Peut-être InJun leur en avait parlé. J'étais heureux de recevoir autant de reconnaissance pour une chose qui, je pensais, me ferais descendre en grade. Je me présentais alors devant la porte de la salle quand l'ancien qui m'avait confié la tâche s'avança. Il s'inclina. Je le regardai et lui accorda un sourire de reconnaissance. Allait-il lui aussi me féliciter pour mon plan ?
" Félicitation RenJun. En te donnant cette mission je ne pensais pas que tu arriverais à la mener à bien. Ton cœur est bien trop compatissant. Mais, je suis satisfait d'apprendre que tu as quand même détruit cette planète. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire. On se reverra pour ta prochaine mission, pour le moment profite de ton succès."
A ses mots, ce fut comme si mon monde s'écroulait. Nitos avaient été annihilé... Mon plan n'avait servi à rien. Tous ces gens étaient morts. Tous ces êtres vivants, innocents, payaient pour ce que leurs ancêtres avaient fait, et tout ça par ma faute. Je me laissais glisser au sol, les larmes perlant sur mes joues. Comment était-ce possible ? Comment Nitos avait-elle pu être détruite sans mon ordre ? Comment ? Et tous ces gens... Je revoyais leurs visages, leur espoir, puis tous disparaissaient dans un souffle de feu ne laissant que leurs cris résonner dans le néant de mon esprit.
Le choc laissa peu à peu place à la rage. Je me redressais d'un coup, serrant les poings. Il n'y avait qu'une seule explication. Qu'une seule personne pour faire ça. Une personne qui, je l'avais compris maintenant, ne m'aidait pas en réalité pour moi, mais voulais seulement que le travail soit bien fait. Cette personne que j'ai aimé, admiré, adulé, détesté. Elle n'avait jamais rien ressenti pour moi, elle voulait seulement faire son boulot, et le mien.
Hors de moi, je me rendis dans le bureau de InJun.
" POURQUOI ? POURQUOI AVOIR DONNÉ L'ORDRE À MA PLACE ? Pourquoi avoir tué ces gens, n'as-tu donc aucun cœur ? Tu es un monstre InJun ! J'aurais pu les sauver, j'avais un plan. Je pouvais tous les sauver ! Mais maintenant ils sont morts par ta faute ! Tu me détestes, c'est ça ? Tu voulais me voir dépérir avec la destruction d'une planète sur la conscience ? JE TE DÉTESTE INJUN, JE TE DÉTESTE !"
Il me regardait de son regard impassible, puis me répondit d'une voix bien trop calme à mon goût.
" J'ai fais ça pour toi RenJun, pour que la mission soit faite. J'avais compris que tu ne détruirais pas la planète. Et, à quoi bon essayer de changer le protocole ? Il est parfait ainsi."
A cet instant je compris alors. Toute ma vie repassa devant mes yeux. Personne. Absolument personne sur ces vaisseaux ne ressentait la moindre émotion. Personne n'avait la capacité d'avoir de l'empathie... Tout était régi par des règles strictes que tout le monde suivait à la lettre, puisque personne ne remettait en question leur fonctionnement, puisque personne ne pouvait ressentir quoi que ce soit. Personne ne pouvait comprendre le sentiment d'injustice, personne ne pouvait comprendre ce que les êtres que nous jugions vivait. Car personne ne ressentait. J'étais en fait le seul. L'handicapé, l'attardé, le défectueux, mais le plus "humain" d'entre nous.
Je quittais la pièce sans ajouter quoi que ce soit. Je ne pouvais rester un jour de plus sur ce vaisseau où je serais pour toujours incompris. Plus jamais je ne voulais avoir à gérer des affaires de cette envergure sans pouvoir changer les choses. Plus jamais je ne voulais revoir ce frère que j'avais tant aimé, tant respecté et qui, au final, ne me voyais pas autrement qu'un vulgaire collègue. Tout ce que j'avais cru être de l'amour, ou de la compassion, dans ses yeux n'étaient que banale reconnaissance et satisfaction. Je me sentais trahi, seul, et en miettes. Comment allais-je pouvoir vivre avec la mort des Nitosie sur la conscience ? Comment allais-je pouvoir vivre quand j'avais passé près d'un millénaire avec des êtres dénués d'empathie ?
J'allais devoir me reconstruire. J'allais devoir réapprendre à vivre, mais je ne le ferais pas sur ce vaisseau.
Après avoir rassemblé le nécessaire, je volai une navette et entrai les coordonnées de ma nouvelle destination. Une planète où les êtres ressentent, une planète belle et accueillante bien qu'imparfaite. Une planète lointaine où je n'aurais plus à me soucier des Xihuang. Une planète qui m'a tant fasciné durant des siècles. La planète Terre.
••••
Fin
J'espère que cela vous a plu !
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