5 - Les jeux sont faits
C A L E B
Je n'ai pas su quoi faire malgré ces cinquante minutes sur la route du retour. M'attacher est totalement impossible, mais surtout, interdit dans mon métier. Et pourtant, il y a quelque chose chez cette fille qui continue de m'attirer. Elle est un aimant et moi un morceau de fer minuscule qui est complètement impuissant. Le pire, c'est qu'elle ne se rend même pas compte de son charme.
— Je reviens la semaine prochaine, donc si vous avez envie qu'on se revoie, on peut voir pour faire quelque chose ensemble, proposé-je, un peu mal à l'aise.
Pourquoi j'ai sorti ça ? À jouer avec le feu, je vais me brûler et elle avec.
— Oui. Ça me va, confirme-t-elle, avec un petit sourire trop mignon.
J'étais certain qu'elle allait dire non. Visiblement, elle n'est pas peureuse.
— Bien. Bonne nuit !
Je ne lui laisse pas le temps de me répondre. Je remets mon casque, tourne la clé de contact et file comme un sauvage. On dirait un adolescent de seize ans, alors que j'en ai vingt-neuf.
Honteux et pitoyable, bon sang !
Je ne sais pas si c'est une bonne idée que je revienne dans cet hôtel. Sans le vouloir, elle pourrait tout compromettre. Et si, pour une fois, j'écoutais mon cœur et pas mon devoir ? Si je commençais enfin à penser à moi ?
Non.
Ce n'est pas raisonnable. Il faut que je regarde pour changer d'hôtel et ne plus la revoir. L'éloigner de moi est la meilleure chose à faire. Mes pensées se répètent et ma conscience tire le frein à main, mais mon cœur n'est pas d'accord.
Dès que la moto est parquée, je monte d'un pas pressé dans la chambre. En ouvrant la porte, je sens mon téléphone vibrer. Il est presque deux heures du matin, ça ne peut être que Nathan. S'il m'appelle, c'est qu'il n'a pas écouté mes ordres.
— Ouais ? réponds-je en portant l'appareil à mon oreille, tout en enlevant mes chaussures.
— Y a du mouvement.
Mon action reste figée. Cet idiot y est allé seul. En plus, il aurait pu se faire repérer. Pourquoi c'est moi qui dois gérer un bleu ?
— T'es planqué ? questionné-je avec sévérité.
— Oui, soupire-t-il.
— Je t'avais dit de ne pas y aller seul ! Non, je te l'avais ordonné, bon sang ! lui reproché-je.
— Je suis encore capable de me démerder sans toi, riposte-t-il. Et t'étais occupé.
— OK. Je te rejoins ou t'arrive à te démerder, alors ? demandé-je avec sarcasme.
— Nan, rejoins-moi. Nous allons peut-être enfin pouvoir devenir membre, faut qu'on soit ensemble.
— Sans blague... mais c'est intéressant. Je te retrouve où ?
— Rejoins-moi devant le Casino de Saint-Moritz.
— OK. Je suis là dans quinze minutes.
Je remets mes chaussures, retourne jusqu'à la moto et pars rejoindre Nathan.
En entrant dans sa voiture, celui-ci écrase sa cigarette dans le cendrier et me lance un regard en coin. Un changement physique me percute : il a coupé courts ses cheveux blonds et des cernes sous ses yeux indiquent son manque de sommeil. Plusieurs gobelets vides, qui devaient contenir du café, ont envahi le tableau de bord, sans parler du cendrier rempli à ras bord. Comment peut-il être toujours au sommet de sa forme en fumant autant ?
— Tes fringues, ça ne va pas le faire, me lance-t-il sans détour.
— Je suis ton supérieur, donc tu me salues avec respect, ordonné-je sèchement.
— Oui, pardon, monsieur, s'excuse-t-il en se redressant, perdant de son assurance face à mon ton tranchant.
Pendant quelques secondes, il ne dit rien et je le fixe froidement, énervé.
— Pourquoi ma tenue ne va pas ?
— On va jouer.
Il fait un signe de tête en direction du casino.
— En effet, ça ne va pas le faire. Bordel, pourquoi tu ne m'as pas dit au téléphone de prendre un costume ? C'est pourtant basique ! lui reproché-je, énervé.
— Pas pensé, répond-il en baissant les yeux.
Je me pince l'arête du nez. Bon sang, ce qu'il peut m'agacer avec ce genre d'oubli stupide. Il a vraiment encore beaucoup de choses à apprendre, même s'il a de grandes capacités. Si je ne l'appréciais pas à ce point-là, ça ferait longtemps que je l'aurais renvoyé à San Francisco et en deuxième classe.
— Je n'ai pas le temps de rentrer me changer, il sera fermé !
— Ben on y va demain, il ouvre à vingt heures trente, propose-t-il.
— Oui. À demain et essaye de dormir, s'il te plaît. Je ne veux pas jouer avec un zombie et prendre le risque de me faire griller.
— Ouais, ouais, t'inquiète.
— Ben oui, gamin. Je m'inquiète et t'es sous ma responsabilité. Dors ! C'est un ordre ! insisté-je.
Nathan lève les yeux au ciel et se rallume une clope. Stupide gosse. Bon, il a vingt-trois ans, mais je l'appelle quand même comme ça. Il reste une jeune recrue et je sais que ça l'énerve, ce qui me fait plaisir.
Je remonte sur la moto et rentre à l'hôtel tranquillement. J'apprécie de rouler sur ces routes de montagnes, où les arbres ont remplacé les buildings de San Francisco. Sans parler de l'air pur, dénué de pollution. Mes pensées vont vers cette jolie jeune fille que j'ai eu le plaisir de prendre derrière moi. Mademoiselle Max. La sensation de ses bras autour de mon corps était vraiment plaisante. Je secoue la tête.
*
Je trouve mon collègue à l'entrée du casino avec soulagement : il porte un costume et non un jean et t-shirt. Les félicitations seraient presque de rigueur, mais je me retiens. Inutile de gonfler son ego plus qu'il ne l'est déjà. Il est bien coiffé et les cernes sous ses yeux sont un peu plus discrets. Pour une fois, il m'a obéi.
À quelques minutes d'intervalle, nous pénétrons dans l'établissement. Dès que chacun a pris ses jetons, nous choisissons une zone distincte du casino, à la recherche de notre cible. Je finis par la localiser. Le voilà enfin, entouré de quatre gardes du corps. Son costume est parfaitement ajusté, seule une cravate rouge apporte une touche de couleur. Des mois que je prépare ce moment et m'y voilà. L'erreur n'est pas permise. L'excitation se fait grandissante. Après avoir envoyé un message à Nathan pour lui dire où je suis, je m'installe à une table de jeux, en me frottant les mains. Il est si facile de gagner quand on connaît la technique.
En faisant attention de ne pas trop mettre en jeu au début, afin que ça reste une « histoire de chance », j'augmente de plus en plus mes mises, indiquant que je prends de l'assurance, ce qui ne manque pas d'attirer la souris dans mon piège. Il vient prendre place derrière moi, afin d'observer mon jeu, ou ma technique.
Au même moment, Nathan s'installe en face. Nous commençons notre petite mise en scène en jouant l'un contre l'autre. Les autres joueurs lâchent rapidement l'affaire, comme nous l'espérions. Le montant misé augmente à une vitesse folle et nous finissons par attirer le regard des clients curieux. Un petit attroupement se forme autour de notre table. Le plan se déroule à la perfection.
Comme prévu, Nathan se fait avoir et je rafle toute la mise. Il se lève en faisant tomber sa chaise, énervé. C'est un bon acteur.
— Je veux ma revanche ! exige-t-il en tapant le poing sur la table.
— Une autre fois, gamin, réponds-je calmement.
— Non ! Maintenant !
— Va au lit, mon petit, insisté-je avec un sourire mesquin.
Un rire moqueur m'échappe. Je ramasse mes gains, s'élevant à environ vingt mille francs suisses. Une jolie perte pour le casino, mais surtout, pour son propriétaire, placé derrière moi. Un petit sourire satisfait étire mes lèvres quand celui-ci pose sa main sur mon épaule et me demande amicalement de le suivre. Je lance un regard victorieux à Nathan qui me répond par un petit signe de tête, avant de s'en aller.
Les jeux sont faits.
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