19 - Je t'aime
L É O N I E
Je n'arrive toujours pas à le croire. Mes parents sont enterrés depuis deux jours. C'est trop tôt, ce n'est pas normal...
Ce n'est pas juste, putain !
Bien que je sois sur la route, mes pensées restent tournées vers eux et je donne plusieurs coups sur le volant, accompagnés par quelques larmes roulant sur mes joues. Je mets de la musique pour me concentrer sur les paroles et sur la conduite. Gentiment, elle arrive à m'apaiser, mais la colère fait remonter mon amertume. Caleb ne m'a donné aucune nouvelle, malgré mes messages et appels où je tombe directement sur la messagerie. Ma colère envers lui est immense. Je me sens abandonnée au pire moment de ma vie.
Je lâche ma valise dans mon appartement et ferme les stores. Il est environ dix-neuf heures et je veux juste m'isoler dans mon cocon pour arrêter de penser, ne plus avoir le cerveau en surchauffe et les yeux rouges à force de pleurer. J'aimerais réussir à dormir plus de trois heures d'affilée, je commence vraiment à avoir besoin de sommeil, mais ce n'est pas gagné. Pourtant, je finis par m'endormir sur mon canapé en regardant une série.
La sonnette d'entrée retentit dans l'appartement et me réveille violemment. Un coup d'œil à mon téléphone m'indique qu'il est deux heures quinze du matin. Je me lève difficilement et jure. Qui ça peut bien être à cette heure-ci ? Je me frotte les yeux, puis ouvre la porte. Caleb. Mes sourcils se froncent, la colère remonte. Je le dévisage avec un regard sombre. Ma main se crispe sur la porte au point de me faire mal.
— Tu veux quoi ? craché-je méchamment, en croisant les bras sur ma poitrine.
— Léonie, soupire-t-il avec tristesse.
Il continue, sans me regarder.
— Je suis tellement désolé de ne pas avoir pu venir, s'excuse-t-il, une main sur le ventre.
— C'était trop difficile d'envoyer un putain de message ? Je ne demandais rien de plus ! Bordel, Caleb, j'ai enterré mes parents ! Et t'étais pas là ! J'avais tellement besoin de toi ! Je suis consciente que t'as des engagements professionnels à tenir et des imprévus, qu'on est à peine ensemble, mais un putain de message, ce n'est pas compliqué ! hurlé-je.
J'explose. Je serre mes poings et tape contre sa poitrine comme à une porte, folle de rage.
— Je... Je ne pouvais pas, dit-il avec difficulté.
Sa voix. J'entends de la souffrance. Je me fige, les poings sur sa poitrine. Quelque chose ne va pas. Je recule d'un pas et le regarde dans les yeux. Ma colère se transforme en inquiétude. Je remarque qu'il a une très mauvaise mine. La fatigue se lit sur son visage et sa peau est plus blanche que d'habitude. Il respire fort en se tenant le ventre, il transpire. Soudain, ses jambes le lâchent. Il s'effondre à genoux, une main au sol pour ne pas tomber plus pas.
— Caleb ! Qu'est-ce que t'as ? paniqué-je, me mettant à sa hauteur.
Délicatement, je dépose ma main sur sa joue et cherche son regard.
— Aide-moi à... aller... sur le canapé.
Je m'exécute. Il s'appuie sur moi et quand il s'allonge sur les coussins, je vois que son t-shirt est en sang au niveau de son ventre. Pas sûre de moi, je soulève le coton, enlève le tissu enroulant sa taille et découvre une grande coupure sur bien quinze centimètres qui saigne beaucoup.
— J'appelle une ambulance.
— Non ! Surtout pas ! S'il te plaît. Il faut... Il faut coudre la plaie.
— T'es fou ! Hors de question.
Je m'apprête à me lever pour appeler les urgences, mais sa main attrape mon poignet avec une force qui me surprend.
— Ne réfléchis pas, tu dois le faire ! Vite... je vais perdre connaissance, alors fais-le, je t'en supplie !
Il se laisse tomber sur le dos et souffle fort plusieurs fois. Je pose mes mains sur mes joues. Une phrase de mon grand-père me revient en tête « garder son sang-froid ». Oui, je dois me calmer et faire ce qu'il me demande. Je sais que c'est important que je ne prévienne personne. Pourquoi ? Aucune idée, mais j'écoute mon instinct. On doit toujours s'y fier, n'est-ce pas ?
Une bouteille de désinfectant et un kit de couture en main, je reviens vers lui en courant. Sa main contient le saignement. Il me regarde brièvement, le visage souffrant, avant de perdre connaissance.
Oh, putain.
Non. Ne panique pas. Je me mets à genoux sur le tapis et enlève doucement sa main de la plaie. Le saignement est important. Je déglutis. Heureusement que la vue du sang ne me fait rien. Je saisis un fil, mais vu sa finesse, il ne tiendra jamais. Je cherche dans mes boîtes de bricolage une ficelle plus épaisse et miraculeusement, j'en trouve une qui devrait aller.
J'inspire un bon coup et verse le liquide sur la plaie et le fil. Je désinfecte l'aiguille avec la flamme d'un briquet, puis je me lance et recouds sa plaie du mieux que je peux.
Quand j'ai fini, je vais chercher un linge que je passe sous l'eau froide pour nettoyer le sang et y voir plus clair. Ça m'a l'air pas mal. Je verse encore un petit peu de désinfectant dessus et lui bande le ventre. Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver ? Est-ce qu'il s'est fait agresser en venant chez moi ? Je compte bien avoir des réponses.
Lorsque je me réveille, l'horloge digitale à côté de la télévision affiche cinq heures du matin et les événements de la veille me reviennent tout de suite. Je me redresse avec peine, grimaçant en dépliant mon dos. Le soulagement étire mes lèvres en un doux sourire. À côté de moi, Caleb dort toujours et n'a pas bougé d'un millimètre. Son visage est torturé, fiévreux. Je prends un gant de toilette imbibé d'eau glacée que je passe sur son visage, puis je défais délicatement le bandage pour voir l'état de la plaie. À première vue, elle n'a pas l'air infectée. Il s'agite. Je lève mes yeux vers lui et nos regards se croisent. Pendant quelques minutes, nous ne disons rien, puis il prend la parole.
— Merci, me souffle-t-il d'une voix faible. T'as été incroyable.
Pour toute réponse, je hoche la tête. Il y a tellement de choses que j'aimerais lui dire que je ne sais pas par où commencer.
— J'irai te prendre des antidouleurs après le travail. T'es sûr que tu ne veux pas aller à l'hôpital ?
— Certain. C'est une blessure à l'arme blanche et je ne peux pas me permettre que les flics soient au courant, ça pourrait tout compromettre.
— Tu peux m'expliquer ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
— Non.
— Comment ça « non » ? Je viens de te sauver la vie, Caleb ! m'énervé-je.
— Je ne peux pas. Je n'en ai pas le droit ! Je ne devrais même pas être ici, mais j'ai tout de suite pensé à toi. C'est le premier endroit qui m'est venu où me réfugier et je pensais que tu serais encore en Valais.
— Donc tu te fais poignarder et tu penses à venir dans mon appartement car je n'y suis pas.
— Exactement... Non ! se reprend-il en sursautant. Ce n'est pas ce que tu penses.
— Et à quoi je pense ? le défié-je.
— Que je n'en ai rien à foutre de toi.
Touché.
— Je ne voulais pas que tu assistes à tout ça.
— C'est trop tard, dis-je, amère.
Je me lève pour aller me faire un bon café.
— Léonie, m'appelle-t-il.
Je lui fais signe d'arrêter. De l'extérieur, je sais que je parais très calme, mais à l'intérieur, je suis une station nucléaire dont le cœur va entrer en fusion. Il faut que la pression redescende. Pendant que la machine chauffe, je range un peu et mets à la poubelle ce qui est taché de sang en grimaçant. Cinq heures trente du matin, c'est un peu tôt pour voir autant d'hémoglobine.
Je remplis deux tasses, prends le sucre et le lait, puis dépose le tout sur la table basse du salon. Caleb se pousse contre le dossier pour que je puisse m'asseoir. Sa main vient caresser la mienne, posée sur mon genou, et je ne le repousse pas.
— Je suis désolé. J'aimerais pouvoir te parler de tout, mais c'est comme le secret professionnel. Je n'en ai pas le droit.
— OK. C'est bon.
— Ne sois...
— C'est bon ! Vraiment, je comprends, le coupé-je d'une voix plus douce.
Nous buvons notre café et personne ne parle pendant plusieurs minutes. Je finis par me lever pour aller me préparer. L'heure d'aller travailler approche et je compte prendre mon temps sous l'eau chaude.
Quand je suis prête, je m'arrête devant Caleb et ne dis rien pendant de longues secondes, avant de prendre la parole.
— Repose-toi bien. À toute à l'heure, si t'es encore là, ajouté-je plus froidement que je ne l'aurais voulu.
Il me répond par un sourire. Foutu sourire. Mais je vois bien que sa blessure le fait souffrir. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de risques qu'il s'en aille. Malgré ma frustration, je ne peux m'empêcher de déposer un baiser sur son front, puis un fugace sur ses lèvres. Il pose sa main sur ma cuisse pour me tirer un peu plus contre lui. Je souris contre ses lippes, puis quitte l'appartement sans me retourner.
À la fin de mon service, je passe à la pharmacie et demande leur antalgique le plus puissant, sans ordonnance en expliquant que c'est pour ma grand-mère qui s'est coupée en préparant des légumes. L'assistante entre dans mon jeu. J'aurais peut-être pu devenir actrice.
De retour à l'appartement, j'entre doucement et entends la télévision. On dirait que je ne suis pas seule. Je souris et me dirige vers le salon.
— Salut, lancé-je.
— Salut, dit-il doucement.
— Comment tu vas ?
— J'ai déjà survécu à bien pire.
— On n'est pas dans Pocahontas, lui reproché-je.
Il rigole et s'assied maladroitement en me faisant signe de venir à côté de lui.
— Attends, j'arrive.
Je vais chercher un verre d'eau que je lui tends avec les médicaments. Il lit attentivement les informations inscrites sur la boîte, avant d'en prendre deux.
— T'as peur que je te drogue ? l'accusé-je en fronçant les sourcils.
— Non, voyons. C'est une habitude. Merci.
— Mouais. Si tu le dis.
On sonne à ma porte et je le vois sortir un pistolet de son dos. J'écarquille les yeux et lui saute dessus pour le lui prendre. Un petit grognement lui échappe quand mon corps entre en contact avec le sien, mais je l'ignore. Dès que je tiens l'arme, je m'écarte de lui et ouvre la culasse.
— Bordel, t'es complètement fou ! Elle est chargée ! crié-je un peu trop fort.
Caleb ouvre grands les yeux de surprise.
— Tu sais te servir d'une arme ? me demande-t-il suspicieusement.
— Oui, je sais m'en servir, mais ce n'est pas le sujet !
— Tu attendais quelqu'un ? C'était un réflexe...
— C'est Jeanne, crétin ! Un réflexe ? Non, mais tu... Rha ! Bref, mets la couverture sur toi ! T'es malade, si jamais, alors fais semblant de dormir.
Je fulmine alors qu'il me fixe, un sourire malicieux étirant ses lèvres. Ma menace ne l'effraie pas du tout et j'ai envie de le frapper. Je lui lance un regard noir en lui balançant un coussin à la figure et me dirige vers la porte d'entrée. Le pistolet est caché dans un tiroir. J'ai l'habitude des armes car mon père faisait du tir et j'en ai fait, mais hors de question qu'il y en ait chez moi.
La nostalgie m'envahit en repensant à ces souvenirs avec mon père. Nous partions tous les deux au stand, le jeudi soir. C'était mon moment à moi avec lui. Patrick et Léonore ne s'y intéressaient pas du tout, alors que j'adorais améliorer ma visée et être de plus en plus précise.
Je respire un bon coup, ouvre la porte et accueille Jeanne d'un faux sourire, mais elle me connaît trop bien et m'ouvre ses bras. Sans hésiter, je m'approche d'elle et l'enlace également. Elle finit par entrer et voit Caleb en train de « dormir » sur le canapé. Elle me regarde avec air interrogateur. Je l'entraîne à la cuisine et lui explique qu'il est malade et a vomi toute la nuit.
— Le pauvre. Mais tu as une sale tête, remarque-t-elle avec tristesse. Je sais que c'est normal, vu ce qui est arrivé, mais il faut vraiment que tu dormes.
— Oui, j'ai juste pensé à un souvenir avec mon père, avant que t'arrives. C'est dur Jeanne, tellement dur. Je n'arrive toujours pas à le réaliser...
— Oh, ma belle.
Elle m'enlace à nouveau pour me réconforter et nous nous asseyons à la petite table de la cuisine. D'une main, elle pousse la boîte qu'elle a amenée vers moi. J'y découvre une douzaine de macarons.
— Ça va te remonter un petit peu le moral, m'annonce-t-elle en souriant.
— En tout cas pour quelques minutes. Merci.
Nous discutons un petit moment, tout en les mangeant. Nous nous rappelons de notre première rencontre et ça me fait sourire. C'est vrai que ça ne fait qu'une année que nous nous connaissons. Elle a été originale. Jeanne venait de rompre avec son copain et était « au fond du trou ». Elle a voulu oublier, le temps d'une soirée, en buvant en peu trop, toute seule dans un bar. Je suis tombée sur elle dans les toilettes, vomissant tout son estomac, les larmes aux yeux. J'ai tenu ses cheveux et réconfortée, alors que nous ne nous connaissions pas, mais c'était naturel. J'étais avec deux collègues, mais elle me faisait tellement de peine que je lui ai proposé de la ramener chez elle. Depuis, nous sommes inséparables et faisons beaucoup de choses ensemble. Nous nous parlons de tout sans honte ni gêne, sachant très bien que l'autre ne nous jugera jamais.
Nous partons en même temps, après s'être fait la bise et je prends la direction de l'hôtel pour le service du soir, bien que j'aurais aimé rester à l'appartement. Caleb dormait réellement et je ne voulais pas le réveiller.
De retour, peu avant minuit, je découvre qu'il est à la salle de bain. Je m'assieds sur le canapé au moment où il sort.
— Salut, lancé-je timidement.
— Salut, répond-il en souriant.
Il marche presque sans signe de souffrance vers moi, puis s'assied. C'est hallucinant.
— Comment tu te sens ?
— Bien mieux, dit-il avec un sourire.
Nous nous regardons sans bouger. Il y a un tel bordel dans ma tête que je ne sais plus comment me comporter. Je prends sur moi et lui demande avec le plus d'autorité dont je suis capable.
— Maintenant, je veux que tu m'expliques ce qui se passe et pourquoi tu t'es fait lacérer. Je m'en fous de ton secret professionnel bidon.
Bien sûr, à peine je finis ma phrase que son foutu natel sonne. Je découvre que ce n'est pas un tactile comme il a l'habitude d'avoir, mais un vieil appareil à clavier. Il s'excuse et répond. Je grogne en levant les yeux au ciel et m'enfonce dans le canapé.
— Je vais bien... Bordel, calme-toi, April. Oui, ça va aller... Je ne sais pas où ils l'ont emmené... Non, aucune idée. Putain de merde ! Qu'est-ce qu'elle dit sinon ? ... Oui. Non. Mais non ! Oui, Où ? J'y serai, merci ! À plus !
Il raccroche et se lève du canapé en grimaçant. Je suis surprise du nombre d'injures qu'il a prononcées. Ce n'est pas son genre d'employer ce langage. Il récupère l'arme dans le tiroir.
— Tu fais quoi ? demandé-je, ébahie.
— Je dois y aller. Je sais que tu veux me tuer, mais ...
— Tu n'as pas idée à quel point, le coupé-je.
Un petit rire s'échappe de sa gorge et je sens qu'il ne va pas sortir vivant d'ici.
— Je sais. Je t'expliquerai tout dès que je le pourrai. Je t'en prie, ma puce, fais-moi confiance.
« Ma puce ». J'adore quand il m'appelle comme ça. Et le déteste, car il a trop de pouvoir. Je capitule. Nous nous levons en même temps. Je laisse mes bras tomber le long de mon corps et pose ma tête contre son torse, vaincue. De toute façon, je n'ai ni l'envie ni l'énergie pour des négociations. Il m'enlace doucement et dépose un baiser sur mon front. Je l'entoure de mes bras, en faisant attention.
— Je t'aime.
Je me décolle de luiet le regarde dans les yeux, surprise. Choquée ? Je ne sais pas ce que jeressens, il y a trop d'émotions différentes dans mon esprit. Peine, douleur,colère et amour... Il ne me l'avait jamais dit et moi non plus. Notre relationest récente et nous n'avons jamais vraiment défini ce que nous sommes. Ilm'embrasse tendrement. Ce long baiser est rempli d'excuses et d'amour, puis ilpart sans regard, sans mot. Je ne lui ai pas répondu. Je l'aime ? Je ne saispas. Quelle nouille. Une nouille toute emmêlée.
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