Chapitre 20 : La fin du séjour
La fin du séjour arriva enfin. Maggie s'était habituée à son bracelet de pierres qu'elle effleurait passivement lorsqu'elle réfléchissait. Alors que le faux couple rassemblait leurs affaires pour refaire leurs valises, quelqu'un frappa à la porte en bois de leur yourte. Baptiste reposa le sweat qu'il était en train de plier pour aller ouvrir.
« —Saluuut les amoureux ! chantonna Sonia en entrant dans l'habitation. Comment alleeez-vous aujourd'hui ?
—Assez tristes de devoir tous vous quitter, mentit habilement Maggie. Nous nous sommes beaucoup amusés, ce séjour nous a fait énormément de bien. On s'est vraiment attachés à vous tous.
—Justement, fit assez gravement la guide en vérifiant que la porte était bien refermée afin d'assurer toute la confidentialité nécessaire à ce qu'elle allait dire, je viens vous voir un peu à ce propos.
—Ah ? l'encouragea Maggie à poursuivre. »
Sonia leur fit signe de se rapprocher de la table. Elle invita les deux faux tourtereaux à s'asseoir sur chacune des chaises, tandis qu'elle resta debout, appuyée sur ses bras tendus, les dominant de toute sa stature.
« —J'ai pu parler de vous à mon responsable, attaqua frontalement Sonia qui avait perdu toute mélodie dans sa voix. Je leur ai présenté votre... candidature... si je peux m'exprimer ainsi. En toute transparence, j'ai fait la même chose pour Nathalie et Sylvain. Je lui ai évoqué votre volonté de poursuivre sur la voie que nous avons commencée à emprunter cette semaine. Je lui ai parlé de votre implication, de vos connaissances déjà bien établies, de votre gentillesse, de tout. »
Elle fixa Baptiste et Maggie tour à tour de ses yeux à la couleur si rare. En retour, ils ne savaient quelle attitude adopter. Ils se contentèrent de sourire poliment, attendant la suite qui ne tarda pas à arriver :
« —Sylvain ne semble pas prêt à suivre sa femme dans cette nouvelle vie. Tandis que vous, vous êtes un couple solide, qui se soutient et qui partage la même vision de l'avenir. C'est pourquoi j'ai tout particulièrement défendu votre cas. Et il a accepté. Si vous le voulez toujours, vous pourrez emménager chez nous. »
Sonia marqua une nouvelle pause afin d'accentuer le caractère important de son annonce. Baptiste et Maggie se regardèrent, et un immense sourire s'installa sur leurs visages. Pour la guide, ce sourire représentait la joie de rejoindre leur communauté. Pour eux, c'était l'accomplissement d'une partie importante de leur mission.
« —C'est génial, merci ! lui dit Baptiste dans un parfait jeu d'acteur.
—Attendez, les calma immédiatement Sonia. »
Nouveau silence percutant.
« —Il y a plusieurs conditions, reprit-elle. Comme je vous l'ai déjà dit, il vous faudra couper les ponts avec votre vie d'avant. Vous m'avez dit être prêts. »
Baptiste et Maggie hochèrent la tête.
« —Ce n'est pas juste couper les ponts. C'est faire disparaître les personnes que vous étiez avant. Vous vivrez une véritable renaissance parmi nous. Votre famille et vos amis tenteront sûrement de vous empêcher de suivre ce changement. Ils s'érigeront entre vous et votre idéal de vie. Pour en limiter les conséquences néfastes sur votre bien-être, il faut que vous soyez prêts à renoncer à tout ce que vous étiez et ce que vous possédiez avant sans les alerter. Vous me suivez ? »
Nouveau hochement de tête.
« —Ce sera comme un sparadrap qu'on retire d'un coup pour éviter la douleur, monologua-t-elle. Et une fois que vous aurez adopté un mode de vie plus respectueux de vous-mêmes, ce sera trop difficile de revenir en arrière. Ça risquerait de bousculer trop de choses en vous. Alors il faut que vous sachiez que ce choix n'est pas sans conséquences.
« Il est l'ouverture vers une nouvelle vie en faisant table rase du passé. Vous deviendrez des personnes en bien meilleure santé à la fois physique et mentale. Vos énergies seront naturellement maintenues dans une parfaite homéostasie naturelle, sans compléments chimiques irrespectueux de votre biochimie personnelle.
« J'ai aussi lu dans votre fiche de renseignements pour ce séjour que... que vos relations familiales à tous les deux étaient plutôt tendues... J'en suis la première désolée, croyez-le sincèrement. Eh bien, voyez-vous, les membres de notre communauté sont dans un tel état de bien-être qu'ils se soutiennent tous les uns les autres. Pas un seul d'entre nous n'est laissé à la traine.
« Nous avons recueilli énormément de personnes qui étaient fracassées, au fond du trou, et qui sont devenues des individus épanouis. Combien de gens sont rejetés du monde ordinaire ? Beaucoup trop. Nous, nous les accueillons à bras ouverts. Nous les bichonnons. Ils n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes et ont pu devenir le soleil de leurs vies et de celles des autres.
« Et nous voulons vous apporter notre aide à vous aussi. Nous voulons vous aider à mener à bien votre désir de fonder une famille dans les meilleures conditions possibles. Vous sentez-vous prêts malgré tout ce que cela implique ? »
Maggie et Baptiste marquèrent un léger temps de latence avant de donner leur réponse. S'ils se précipitaient à accepter, cela serait suspect. Sonia les fixait de ses grands yeux pénétrants, avec un sourire chaleureux.
« —Je crois que nous avons pris notre décision depuis le soir où vous avez sauvé Kate, finit par dire Baptiste après un ultime regard entendu à la détective. Et nous n'avons plus grand-chose à perdre de notre vie actuelle. En tout cas, rien que nous ne pourrions regretter une fois que nous serons installés et acceptés parmi vous.
—Je suis vraiment heureuse de vous l'entendre dire ! s'enthousiasma Sonia. Est-ce que ça pourrait vous convenir que je passe chez vous ce soir afin de régler les derniers détails ? Nous pourrions vous déménager dès demain.
—Oh ! fit semblant de s'offusquer Maggie. C'est vraiment rapide !
—Oui, comme un sparadrap. C'est nécessaire. C'est sur recommandation de nos psychopraticiens les plus compétents. Cela permettrait de mieux vivre le changement, de s'acclimater plus rapidement. Faites-nous confiance. Vous n'êtes pas les premiers et ne serez pas les derniers. Nous avons l'habitude. Le lâcher-prise commence maintenant pour vous. »
Maggie comprenait qu'on puisse se laisser endoctriner sans s'en rendre compte. Sonia semblait être si douce, si gentille, si affirmée. La détective avait presque envie de lui faire confiance. Une aura de sympathie et de générosité émanait de la femme à laquelle il était difficile d'attribuer un âge précis tant elle semblait à la fois jeune, mais emplie d'une expérience que trop peu de personnes peuvent se vanter de posséder.
Baptiste prit une grande inspiration, jeta un regard à sa fausse épouse, puis il lâcha d'une traite :
« —On est d'accord. On veut cette vie, et nous sommes prêts à franchir ces étapes s'il le faut. »
Le visage de Sonia se fendit d'un sourire encore plus grand que tous ceux qu'ils avaient vus jusqu'alors. Ses yeux se remplirent d'une gaieté communicative.
« —Comme je suis conteeente ! fit-elle avec sincérité. Vous habitez bien à l'adresse indiquée sur la fiche de renseignements ?
—Oui, lui répondit Baptiste, tout à fait.
—Parfaaait ! Je passerai donc vous voiiir ce soiiir vers dix-neuf heures. En attendant, je vous laisse faire vos vaaalises le cœur léger ! »
Sans attendre de réponse, Sonia quitta la yourte avec tellement de légèreté qu'elle donnait presque l'impression de ne pas fouler le sol à chacun de ses pas. Lorsque la porte en bois fut refermée, Maggie et Baptiste se regardèrent.
« —J'imagine que ce n'était qu'une introduction jusqu'à présent, dit-t-il, et que l'aventure commence vraiment maintenant.
—J'en ai bien l'impression.
—T'as peur ?
—Non. Et toi ?
—Je ne sais pas. Je n'ai pas vraiment peur de les infiltrer, j'ai même plutôt hâte. Mais j'ai peur de repartir déçu de ne pas avoir retrouvé ma cousine et de m'être complètement planté sur l'endroit où je pensais qu'elle serait.
—Tu as quand même fait de longues recherches pendant plusieurs mois, la probabilité que tu aies fait une erreur est quand même très maigre. Je suis sûre qu'on va la retrouver.
—Ne sois pas aussi confiante.
—Comment ça ?
—Le « village », comme elle aime l'appeler, serait en réalité une petite ville d'environ un millier d'habitants. On a assez peu de temps pour mener nos missions à bien, c'est-à-dire retrouver trois femmes parmi mille individus au cerveau lavé. »
Maggie garda le silence un instant avant de répondre :
« —Tu connais l'effet Pygmalion, ou Rosenthal ?
—J'en ai vaguement entendu parler pendant mon Master MEEF. C'est lorsqu'on croit quelque chose et qu'on va faire en sorte que ça se produise ?
—C'est ça. Ce n'est pas forcément conscient. Mais si nous sommes persuadés d'un truc, notre comportement va s'adapter pour correspondre à notre croyance. Tu vois où je veux en venir ?
—Oui. Alors je retiens ce que j'ai dit. On va y arriver. »
Un petit sourire en coin se dessina sur le visage de la détective. Elle n'avait pas menti, elle n'avait pas peur. Elle ressentait une certaine excitation pour cette enquête inédite qui promettait de lui faire vivre les sensations fortes dont elle avait besoin. Elle avait encore et toujours besoin de se prouver qu'elle était quelqu'un de capable. Qu'elle était digne d'exister.
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