Chapitre 19 : La proposition
Après leur séance de yoga à jeun, tout le petit groupe se réunit autour du feu de camp pour partager un repas très végétal dont Sonia en déclina les effets sur le corps avec délectation. Rebecca se rapprocha peu à peu discrètement de Baptiste, comme elle avait cherché à le faire toute la semaine. Une fois que tout le monde eut fini de manger, elle se proposa d'aller faire la vaisselle avec le professeur qui s'était spontanément désigné quelques secondes avant.
Pour la première fois, Maggie ressentit un soupçon d'agacement vis-à-vis du comportement de la fausse blonde. Alors qu'elle les observait du coin de l'œil, elle se mit rapidement à chercher un prétexte pour les rejoindre au bord du petit ruisseau d'eau claire. Ne trouvant pas de justification, elle décida de se rapprocher, l'air de rien.
« —Oh et je ne t'ai pas dit la dernière fois, quand on est tous sortis en pyjama l'autre soir pendant la scène de Kate ! s'exclama Rebecca. J'adore ton humour ! »
Le t-shirt avec marqué « Je ne ronfle pas, je ronronne », estampillé d'un chat cartoonesque provocateur, s'imposa à l'esprit de Baptiste qui eut un sourire en coin.
« —C'est un cadeau de ma femme, mentit-il en adressant un clin d'œil complice à Maggie. »
Rebecca se retourna vers la détective qu'elle n'avait pas vue arriver, sans même chercher à camoufler sa colère. Ravie de la réponse de son complice, la nouvelle venue afficha un immense sourire.
« —Elle a bon goût, lâcha la fausse blonde à contrecœur.
—Évidemment, rebondit Baptiste, sinon elle ne m'aurait pas épousé.
—Bon, je vous laisse, j'ai besoin de me reposer avant la randonnée de cet après-midi. »
Et Rebecca s'en alla à grandes enjambées rejoindre sa yourte.
« —Il est ridicule ton pyjama, se moqua tout bas Maggie en terminant la vaisselle avec son ami.
—C'est parce que c'est un cadeau de mon ex, répondit le professeur en pouffant.
—Dommage que tu n'aies pas pu le lui dire, j'aurais adoré voir sa tête en l'apprenant.
—C'était vraiment tentant. »
Alors qu'ils riaient tous les deux avec complicité, une voix chantonnant résonna derrière eux :
« —Cooomme vous êtes mignooons ! »
Après un haussement de sourcils synchrone, les deux infiltrés se retournèrent en affichant leur plus beau sourire. Sonia vint s'accroupir auprès d'eux pour les aider à transporter la vaisselle mouillée.
« —Vous êtes ensemble depuiiis longtemps ? demanda la guide attendrie.
—Sept ans, répondirent en chœur les faux tourtereaux pour qui l'entraînement intensif avait visiblement porté ses fruits.
—Ouaaah ! C'est énooorme et pourtant siii peu par rapport à tout ce qui vous attend encooore ! Quels sont vos projets pour l'aveniiir ?
—La routine, lui répondit Baptiste jouant le jeu à fond. Je pense que nous n'allons pas tarder à essayer d'avoir notre premier enfant. »
Cette dernière phrase suffit à faire chavirer le cœur de Maggie dans une mélancolie teintée de nostalgie. Elle se rendit compte qu'Alex lui manquait, et la culpabilité vint s'inviter dans son magma émotionnel. Bien qu'elle fût en mission, elle passait malgré tout du bon temps avec Baptiste au point d'en oublier son petit-ami qu'elle avait laissé sans même lui dire au-revoir.
« —Ça va Sophie ? demanda Sonia soudainement préoccupée. »
La jeune détective tenta de vite réfléchir, prise de panique. Elle avait fait ce que Patron avait tant redouté. Elle s'était laissée dépassée par ses problèmes personnels en pleine infiltration d'une secte dont ils ne pouvaient en mesurer le danger.
« —Oui, répondit Maggie en adoptant un air pensif. Votre question m'a simplement rappelé que nous devrons bientôt retourner à notre quotidien. Et je ne suis pas si sûre d'avoir envie de retrouver ma vie de femme au foyer. C'était tellement palpitant cette reconnexion à la nature. »
La pirouette était parfaite. Sonia ne sembla pas s'être aperçue de quoi que ce soit. Au contraire, elle rebondit sur la réplique de la détective avec un ton de confidence :
« —Vous savez, vous pouvez prolonger ce moment.
—Ah oui ? interrogea Maggie feignant l'intérêt, imitée par Baptiste.
—Oui. Nous pouvons proposer, aux personnes qui sont réellement motivées, d'emménager dans notre village. Là-bas, vous pourrez adopter de manière pérenne la vie que nous menons ici depuis plusieurs jours.
—Oh ! C'est vrai ?
—Tout à fait. J'ai d'ailleurs ressenti beaucoup d'énergie positive émanant de vous deux. Dès le départ j'ai vu que vous étiez un couple solide et proche de la nature. C'est tout ce que nous recherchons dans notre communauté qui est... Comment dire... Un peu à part. Et je perçois chez vous une grande intelligence.
—Et comment fait-on pour intégrer votre village ?
—Il faut que j'en parle à notre maire. Lui seul peut approuver les demandes d'emménagement. Par contre... Je dois vous prévenir de quelque chose...
—Quoi donc ?
—Notre mode de vie n'est pas forcément accepté de tous. Pour beaucoup, nous passons pour des hurluberlus. Les gens n'ont pas suffisamment de sensibilité pour comprendre les fondements de notre philosophie. Cela nous a causé énormément de problèmes et a mis en péril notre équilibre de trop nombreuses fois.
« C'est pourquoi, à l'unanimité, nous avons décidé, il y a plusieurs années, de ne plus fréquenter que les autres membres de notre petite communauté. Seuls les plus aguerris d'entre nous, ceux qui ont prouvé qu'ils étaient dignes de confiance, peuvent occuper des rôles comme je le fais avec vous depuis le début de notre aventure commune.
« Alors, il vous faudra couper les ponts avec les personnes que vous côtoyez aujourd'hui. Je suis franche avec vous, mais c'est une condition sine qua non. Les personnes qui refusent ce lien à la nature, qui sont donc contre-nature, ne peuvent que nous apporter de mauvaises énergies. Nous ne pouvons pas les laisser nous menacer à nouveau. Nous avons trop souffert pour que cela recommence. Vous comprenez ? »
Maggie et Baptiste hochèrent affirmativement la tête.
« —Et mon travail, Sophie, tu y penses ? demanda naïvement l'homme à sa fausse épouse.
—Il y aura toujours de la place pour des professeurs ou des coaches sportifs parmi nous, lui répondit Sonia comme si la question lui avait été adressée. Vous trouverez du travail qui sera, je pense, bien plus épanouissant pour vous qu'aujourd'hui. L'Éducation Nationale est malade, ça contribue à vous rendre vous-même malade. Songez-y sérieusement. »
Silence. Sonia attendait la prochaine question en fixant le couple de ses grands yeux couleur violine.
« —Est-ce que, commença Maggie, si ce mode de vie ne nous convient pas, nous avons la possibilité de revenir en arrière facilement ?
—Bien sûr ! répondit la guide avec tellement de conviction qu'ils y crurent presque. Nous ne vous retiendrons pas prisonniers, vous nous prenez pour qui ? »
Elle se mit à rire, très bien imitée par les deux infiltrés.
« —Rassurés ? demanda Sonia doucement une fois qu'ils eurent repris leurs esprits.
—Oui ! affirmèrent-ils en chœur.
—Mais nous avons encore besoin de réfléchir, fit Baptiste avec un ton grave. Ce n'est pas une décision qui se prend à la légère.
—Comme je vous comprends ! L'inverse m'aurait étonnée. Si vous le souhaitez, nous pourrons peut-être en reparler à la fin de votre séjour ? Vous pensez que vous aurez pris votre décision à ce moment-là ?
—Ça fait court, hésita Maggie.
-Je sais... Mais malheureusement, les places au sein de notre village sont peu nombreuses au regard du nombre de demandes, et j'ai peur de vous faire rater l'occasion en vous faisant miroiter un temps de réflexion plus confortable... »
Sonia se pencha vers les deux individus et leur dit sur le ton de la confidence :
« —Étant assez bien placée au sein de notre communauté, je sais qu'en ce moment, nous avons quelques places de libres. J'ai aussi la possibilité de vous faire signer une promesse d'emménagement dès la fin du séjour. C'est pour ça qu'il ne faut pas hésiter à sauter sur l'occasion.
« Oh ! Et puis... Je ne devrais pas vous le dire, mais... Nathalie et Sylvain sont aussi fort intéressés par ce changement de vie... Nathalie m'en a longuement parlé hier soir. Entre nous, j'ai une petite préférence pour le jeune couple dynamique que vous êtes. Mais je ne vous ai rien dit bien sûr ! »
Sonia se redressa et adressa un clin d'œil complice à ses deux interlocuteurs qui lui répondirent par un sourire enchanté.
« —Booon ! se remit-elle à chantonner. Merciii pour la vaisselle ! On se retrouve dans une grosse demi-heure au feu de camp. Cet après-midiii, c'est farniente au spa pour un peu de balnéothéraaapie. »
Et elle s'éloigna en sautillant presque.
« —Quel baratin ! lâcha Baptiste une fois que les deux complices furent retournés dans l'intimité de leur yourte. Et je suis sûre qu'à Nathalie et Sylvain elle leur a servi la même histoire, mais en les mettant sur un piédestal.
—C'est fort probable, soupira Maggie.
—Tu crois qu'ils sont tous comme elle dans leur « communauté » ? questionna le professeur en mimant des guillemets avec ses doigts pour appuyer l'ironie de son propos. Parce que je ne tiendrai jamais le coup si c'est ça. La torture, ok. Mais les filles qui chantonnent à longueur de journée en sautillant gaiement, plutôt crever.
—Elle sautillait pas en marchant ton ex ? demanda la jeune femme avec une fausse naïveté amusée.
—Elle se faisait sauter un peu partout, mais c'est tout. »
Ne s'attendant pas à une réponse aussi directe, Maggie ne sût comment réagir, arrondissant ses yeux de surprise. C'est le rire communicatif de Baptiste qui fut décisif. Le faux couple se marra avec complicité avant qu'un silence gêné ne retombe entre eux.
« —Ne va pas croire que je suis quelqu'un d'irrespectueux, se justifia l'homme avec culpabilité.
—Je n'ai jamais dit ça, lui répondit Maggie en se voulant rassurante. Elle t'a sûrement fait beaucoup de mal, je ne vais pas te blâmer pour ta blague. »
Baptiste sourit à la détective qui se sentit attendrie.
« —Bon ! lâcha-t-elle soudain pour éloigner les émotions qui commençaient à dangereusement l'envahir. En tout cas, maintenant, on a presque notre ticket d'entrée pour leur secte ! Et pas besoin de passer par leur formation de naturopathie. C'est toujours ça de pris.
—Oui, bien joué. Oh, et je voulais m'excuser pour ce que j'ai dit à propos du projet d'avoir un bébé. J'ai parlé sans réfléchir. Je te demande pardon d'avoir remué le couteau dans la plaie. »
Maggie réprima une grimace d'inconfort émotionnel.
« —Ce n'est pas grave, finit-elle par dire avec assez peu de conviction. En tout cas, me concernant, je m'en fiche. C'est ma vie privée, c'est à moi de la gérer. Par contre, pense à te concentrer davantage par la suite. Je ne pourrai pas rattraper toutes tes gaffes. Et bientôt, on n'aura plus le droit à l'erreur. »
Baptiste ne répondit pas. Il se sentait trop honteux pour le faire.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro