Le soir venu, après un repas aussi bio et végétarien que le midi, tous restèrent assis autour du feu de camp qui crépitait en diffusant sa réconfortante chaleur. Le soleil n'était pas encore tout à fait couché, mais les hauts arbres de la forêt lui bloquaient le passage, ce qui amena prématurément la nuit au sein du petit groupe.

« —Si ça vous intéresse, fit Sonia sur le ton de la confidence, je vais vous raconter comment je suis devenue Naturopathe chez Natur'amie. »

   Tous approuvèrent la proposition, au moins par politesse.

« —J'avais 21 ans, commença la guide après avoir pris une grande inspiration. J'avais raté mes deux années de PACES, je ne pouvais donc plus poursuivre en médecine. Mon rêve était de devenir médecin urgentiste pour sauver des vies. Ce rêve venait donc de partir en fumée.

  « Et comme un malheur n'arrive jamais seul, mon papa venait de perdre la vie dans un accident de la route. Un poids-lourd lui a grillé la priorité alors qu'il était en mobylette. Mort sur le coup. Après ça, je suis retournée vivre chez ma mère qui était bien seule dans sa grande maison vide. La dépression devenait notre linceul.

   « Un beau jour, j'ai voulu me reprendre en main. Je suis allée voir un psychiatre qui a tout de suite voulu me prescrire de la Fluoxétine. Un puissant antidépresseur. Moi, naïve, j'ai foncé. Il devait forcément avoir raison puisqu'il avait fait de grandes études pour savoir ça.

   « Ce médicament a fait de moi un zombie. Je n'étais plus capable de penser par moi-même. Je suis devenue l'ombre de la pétillante adolescente que j'étais avant de commencer des études qui m'ont détruite. Ce traitement était là pour m'achever. En plus, ce médecin ne m'écoutait pas. Il n'avait que le temps pour remplir son ordonnance après avoir pris ma tension.

   « Ma mère vivait la même chose que moi. Heureusement pour nous, une amie à elle a tout de suite remarqué le changement. Elle nous a dit que ce n'était pas possible de continuer à se laisser abîmer de cette façon. Elle nous a orientés vers son thérapeute naturopathe. 

   « Ça a été le jour et la nuit pour nous. Il a remplacé la Floxétine par un mélange personnalisé de Fleurs de Bach. Je m'en rappellerai toute ma vie de la composition de mon petit flacon : de l'olivier olea europaea, du prunier myrobolan prunus cerasifera, et de la moutarde sinapis arvensis. Les effets ont été quasi immédiats. J'ai senti ma dépression s'envoler pour laisser la place à un apaisement total. J'ai repris confiance en moi, et je suis devenue une femme épanouie et heureuse.

  « Mon thérapeute prenait même le temps de m'écouter parler pendant des heures et des heures, et il m'aidait à trouver des solutions aux problèmes un peu plus épineux. Il était réellement là pour moi. Aussi, grâce à d'autres puissants mélanges de plantes, mes difficultés les plus intimes se sont envolées. 

  « Parce que... Je ne vous l'ai pas dit... Mais... Je souffrais d'endométriose. La médecine m'avait condamnée à ne jamais avoir d'enfants. Grâce aux crèmes intimes 100% végétales, croyez-le ou non, mes douleurs ont disparues et, aujourd'hui, je suis maman de cinq magnifiques enfants. Si vous ne me croyez pas, je peux vous montrer mes résultats d'examens. Je garde tout chez moi tellement j'ai moi-même beaucoup de mal à y croire.

  « Maintenant, je suis une femme comblée. Heureuse en ménage grâce à un équilibre des forces au sein de mon couple. Mes projets se concrétisent tous sans accroc. Mes enfants sont la prunelle de mes yeux et me comblent de bonheur. Et je suis une femme bien dans sa peau, digne d'être aimée parce que je m'aime moi-même. »

  Sonia marqua une pause très théâtrale en regardant chaque membre du groupe droit dans les yeux, d'un regard bienveillant et aussi chaleureux que le feu qui brûlait devant eux. En un discours, elle avait réussi à cibler les problèmes de chaque personne présente ici, en leur trouvant une solution miracle grâce à la naturopathie, le tout en faisant passer ce récit à dormir debout pour sa propre histoire. Elle était forte, très forte.

« —C'est pour cette raison que j'ai voulu devenir naturopathe, ajouta-t-elle sur un ton beaucoup plus léger. Mon thérapeute est devenu mon mentor. Et j'ai pu rejoindre la grande famille de Natur'amie. C'est très facile, et peu onéreux. Aujourd'hui, je sauve donc la vie des gens, mais de manière plus naturelle que si j'étais devenue médecin urgentiste. Comme quoi, ils ont bien fait de me faire rater ma PACES. »

   Nathalie était pendue aux lèvres de la guide. Kate avait adopté une attitude un peu plus ouverte, visiblement très intéressée par l'histoire qui venait d'être racontée. Sylvain était présent, sans plus. Rebecca était particulièrement touchée par ce discours. Et Maggie et Baptiste étaient assis l'un contre l'autre, donnant l'illusion parfaite du petit couple pudique mais amoureux.

« —C'est incroyable, souffla Nathalie. J'espère tellement que, moi aussi, je pourrai dire un jour que je suis fière de ma ribambelle d'enfants.

—Nous allons passer une semaine ensemble, lui dit doucement Sonia. Je vais apprendre à parfaitement vous connaître et, au terme de cette semaine, je vous proposerai une thérapie personnalisée que vous serez libre de suivre, ou non. Il n'y a pas de problème humain que la naturopathie ne peut traiter. »

   Une larme roula sur la joue de Nathalie qu'elle ne chercha pas à essuyer pour ne pas que ses mains quittent celles rassurantes de Sonia. C'est la guide qui s'en détacha avec douceur pour se remettre à parler au groupe.

« —Booon ! chantonna-t-elle à nouveau. On va se coucher ? Demain, je vous lève aux aurooores. Une grooosse journée vous atteeend ! N'oubliez pas, la nuit prochaine, de laisser votre bracelet sur le paaas de votre porte. Il y aura une magnifique pleine-lune en gémeaux, il faut en profiter pour recharger le pouvoir de vos pieeerres ! »

  Encore ému de cette soirée, le petit groupe se souhaita bonne nuit, et chacun alla retrouver sa yourte. Cachée derrière le paravent, Maggie enfila son jogging avec lequel elle passerait ses prochaines nuits.

« —Je te préviens, fit Baptiste en soulevant la couette de leur lit, chez moi, je dors nu et je ne compte pas changer mes habitudes parce que tu es là. Je ne suis pas quelqu'un de pudique. »

  Maggie ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Voyant l'air éberlué de la détective, le professeur éclata de rire.

« —Je rigole, articula-t-il avec beaucoup de mal tellement il riait. J'ai prévu un pyjama, t'en fais pas. Franchement, si tu pouvais voir ta tête... »

   Il dut se tenir les côtes secouées par son rire incontrôlable. Amusée d'être tombée dans le panneau, Maggie se saisit de son oreiller, et elle le lança au visage de son ami qui ne cessait de pouffer.

  La jeune détective se glissa sous les draps en coton. Lorsque Baptiste sortit de derrière le paravent, en pyjama, ses yeux pétillaient encore de son fou-rire tout juste passé. Timidement, il vint prendre place à côté de son amie.

   La situation était étrange. Pour la première fois en dix ans, Maggie était couchée dans un lit avec un autre homme qu'Alex. De son côté, Baptiste était tout aussi gêné. Socialement plus habile que sa partenaire, il tenta un trait d'humour pour détendre l'atmosphère qui s'alourdissait autour d'eux :

« —En sortant de là, je ne veux plus jamais entendre une seule personne chantonner. Cette Sonia est juste insupportable.

—Je la trouve plutôt terrifiante, rebondit Maggie avec sérieux. Tu as bien écouté son discours à faire pleurer dans les chaumières ? Elle a repris exactement un morceau de chacune de nos situations. Elle a parlé d'une vie de couple idéale avec des projets qui se concrétisent tous rapidement et sans heurts pour nous. Elle a abordé des problèmes de fertilité comme Nathalie et Sylvain. Elle a insisté sur son estime d'elle-même et son orientation professionnelle en rapport avec, je pense, Rebecca et Kate. 

—Tu en déduis quoi, Madame la détective ?

—Je pense que les questionnaires qu'on a dû remplir en s'inscrivant n'étaient pas uniquement destinés à nous faire chercher des cailloux colorés made in China pour créer des bracelets hideux, mais qu'ils avaient pour but de personnaliser l'approche de Sonia.

—À ce propos, rebondit Baptiste, qu'est-ce qui t'a dérangée quand tu assemblais les pierres tout à l'heure ? »

    Maggie fit une moue agacée.

« —J'ai été prise d'un doute, répondit-elle  avec hésitation. Un doute qui peut changer beaucoup de choses.

—C'est-à-dire ?

—Il y a un élément qui a été plusieurs fois soulevé dans mon assemblage personnalisé des pierres. Sauf que je ne suis pas sûre de l'avoir indiqué dans le questionnaire.

—C'est quoi ?

—Il était plusieurs fois fait mention de lutter contre les migraines. Je souffre de céphalées plus ou moins violentes depuis mon plus jeune âge. Mais je ne me rappelle plus avoir donné cette info. Je ne sais pas si c'est mon hypervigilance qui me met le doute, ou s'il y a vraiment un problème.

—Parce que ça voudrait dire...

—Ça voudrait dire qu'ils nous ont déjà repérés, et que nous sommes en danger. »