Chapitre 14 : Trois semaines pour se préparer
Maggie n'arrivait pas à mettre Alex de côté dans ses pensées. À chaque fois qu'elle essayait de se concentrer sur quelque chose, le souvenir de son petit-ami quittant leur maison, sac sur le dos, s'imposait à elle. Et cette préoccupation inquiétait ses collègues, mais surtout son supérieur.
Patron lui concocta un emploi du temps dont le mot « chargé » en serait un doux euphémisme pour le décrire. Elle n'avait presque plus une seconde à elle, sauf pour répondre à ses besoins primaires. Ainsi, il espérait lui faire s'éloigner le fantôme d'Alex de ses pensées. Et cela se fit. Lentement, mais sûrement. La date de début d'infiltration arriva à grands pas.
Régulièrement, en-dehors des heures d'école de Baptiste, Maggie et lui se retrouvaient chez l'un, chez l'autre, ou autour d'un verre, afin de faire connaissance. Heureusement pour l'enquête, ils s'appréciaient assez. Si bien que, durant la troisième semaine, ils attendaient même avec une certaine impatience leur rendez-vous quasi quotidien.
« —Et donc, tu as fait des études de sociologie, c'est ça ? demanda le professeur à la détective.
—C'est ça, confirma-t-elle. J'ai fait mes trois années de licence.
—Pourquoi cette voie ? »
Maggie eut un rire gêné, mais le doux sourire de Baptiste l'encouragea à donner ses explications :
« —Quelqu'un m'a plutôt très bien vendu ce cursus.
—Laisse-moi deviner, Alex ?
—Exactement. J'étais jeune, naïve, et je voulais lui plaire. Alors je me suis intéressée à ce qu'il faisait, et je me suis inscrite en fac de socio.
—Ta stratégie aura été payante.
—Pas tout de suite. Comme je te l'ai déjà expliqué, nous avons douze ans de différence. Et j'ai commencé mes études supérieures à dix-sept ans parce que j'ai sauté mon CE2. Lui en avait déjà vingt-neuf. Pour moi, j'étais loin de voir le mal, j'étais amoureuse. Mais pour lui, il était hors de question qu'il ne m'approche. Avec le recul, c'est vrai que c'était glauque.
—Comment il a fini par céder ?
—Il a essayé de résister encore un peu après mes dix-huit ans, mais il fallait se rendre à l'évidence, on était faits l'un pour l'autre.
—C'est mignon. »
Le regard de Maggie se baissa sur son verre. Elle fut soudainement envahie par une vague de triste nostalgie.
« —C'est un peu compliqué aujourd'hui, fit-elle tout bas. Il n'accepte pas vraiment mon travail. Et cette infiltration le met hors de lui.
—De ce que tu me racontes, je suis sûr que ça lui passera.
—J'espère que tu as raison. »
Baptiste lui fit un sourire qui se voulait réconfortant. Le moral de Maggie regonfla légèrement, et leur conversation se poursuivit sur un tout autre sujet.
Les jours s'enchaînèrent à grande vitesse. Patron leur fournit de faux papiers d'identité. Très bientôt, Maggie Annisterre et Baptiste Guilhaume deviendront Sophie et Jérémy Couttand.
Les deux nouveaux amis durent aussi apprendre des bases de naturopathie pour se voir accorder les faveurs de la secte. Leur professeure était une femme d'une quarantaine d'années, plus que passionnée par son métier de naturopathe.
Souvent, dans ses cours, elle partait dans des délires philosophiques durant lesquels Maggie et Baptiste se retenaient difficilement de rire. Le comble de leur amusement arrivait lorsque Patron passait devant la salle de réunion par hasard au mauvais moment et leur jetait un regard noir, pensant les calmer plutôt qu'attiser leur fou-rire durement refoulé.
La complicité naissante des deux enquêteurs blessait Ewen. S'il ne disait rien, il avait pourtant l'impression de se prendre un uppercut à chaque fois qu'il les voyait rire ensemble. Il aurait voulu partager cette mission avec Maggie. Il aurait voulu rigoler aux éclats avec elle pour réduire le stress qui montait au fur et à mesure. À sa place, Patron avait décidé d'envoyer un parfait inconnu.
Sentant qu'il était arrivé comme un cheveu sur la soupe, Baptiste faisait tout son possible pour se faire le plus discret en présence des détectives. Il utilisait habilement son humour, mais il percevait bien cette distance installée par Ewen. Et il en était affecté, car il pensait qu'ils pourraient peut-être devenir amis.
En revanche, il en était tout autre pour Djamila.
« —Ça va peut-être être immodeste de ma part de dire ça, fit Baptiste à l'intention de Maggie, mais je crois que j'ai tapé dans l'œil de Djamila.
—Ce n'est pas immodeste, rétorqua la jeune femme, c'est la vérité. Elle ne jure que par toi. Je ne l'ai jamais vue comme ça. C'est agréable, d'habitude, elle est plutôt... distante. Mais c'est une chouette personne. Et toi ?
—Quoi moi ?
—Tu es sous le charme aussi ?
—Ma rupture était un peu trop violente et encore beaucoup trop récente. Je vais avoir besoin de temps.
—C'est habilement répondu pour me dire « non ».
—Si on continue comme ça, je n'aurais bientôt plus de secrets pour toi, rit-il.
—Après tout, nous sommes mariés. »
Et ils rirent à nouveau de bon cœur.
De son côté, Béthanie continuait de filer Laura Varet jour après jour, en vain. Elle n'arrivait pas à mettre en avant quoi que ce soit d'anormal. La sœur de leur disparue vivait tranquillement sa vie.
Régulièrement, Arnaud Palski prenait des nouvelles concernant l'avancée de l'enquête. Son inquiétude était palpable. Il savait que les premières heures suivant les disparitions étaient décisives. Là, c'étaient des semaines qui s'écoulaient. Parfois, il arrivait dans les locaux des détectives en colère. D'autres fois, il était affligé. Toujours, il était résigné à la retrouver.
Le moment était venu de faire sa valise. Le lendemain, Maggie partirait avec Baptiste passer une semaine pour une « retraite thérapeutique énergétique de reconnexion à la nature ». Autrement dit, une semaine pour se faire arnaquer dans le but de peut-être se faire recruter dans leur secte. Ils payaient pour se faire endoctriner.
Baptiste était passé voir la jeune détective une dernière fois avant d'emprunter leur nouvelle identité pour un certain temps. Alors qu'elle s'activait d'une pièce à l'autre de sa maison pour remplir intelligemment sa valisette, lui était tranquillement installé à table en sirotant son thé noir au jasmin.
« —Pas trop stressée ? demanda-t-il avec un sourire au coin des lèvres.
—J'essaie de mettre mes émotions à distance pour me concentrer sur ma mission. »
Maggie n'ajouta pas qu'elle était triste, terriblement triste. Demain, elle quitterait sa maison, au mieux, pour plusieurs semaines, au pire, à jamais. Et elle ne pouvait pas dire au-revoir à Alex. Elle avait essayé de l'appeler et de lui envoyer des sms à plusieurs reprises. Si iPhone avait vendu la mèche en lui indiquant qu'il avait lu ses iMessages, jamais elle n'avait reçu de réponse. Et cela la terrifiait bien plus que sa mission.
« —Et toi ? demanda la jeune femme.
—J'ai vraiment, vraiment, vraiment hâte. Depuis le temps que j'attendais ça ! Je vais enfin revoir ma cousine ! »
Baptiste se rembrunit.
« —Et si elle décide de nous dénoncer ? lâcha-t-il d'un air sombre.
—J'y ai pensé, et je pense que Patron aussi. Il n'a pas pris cette décision à la légère. S'il a choisi de t'envoyer toi, sans expérience, à la place d'Ewen, c'est qu'il a estimé que la balance bénéfices-risques penchait davantage en notre faveur ainsi.
—J'espère que tu as raison. C'est marrant de faire aveuglément confiance en un type dont tu ne connais même pas le prénom.
—Il a déjà fait ses preuves. »
Les deux nouveaux compères continuèrent à papoter un moment encore. Lorsque Baptiste quitta la maison de la détective, il était déjà assez tard.
Maggie le raccompagna jusqu'au pas de sa porte d'entrée. Il lui glissa une dernière blague pour se détendre avant de s'éclipser, faisant rire aux éclats la jeune femme.
Ce que Maggie n'avait pas vu, c'était Alex qui descendait de sa voiture, légèrement caché par la haie, qui avait observé toute la scène. Il avait vu, à vingt-deux heures, un homme inconnu sortir de chez lui, et visiblement très proche de sa compagne qui ne semblait pas aussi affectée qu'elle pouvait le raconter dans ses messages.
Silencieux, et sans se montrer davantage, il remonta dans sa voiture et s'éloigna prestement de cette scène qui lui déchira l'âme. De nouveau garé au pied de l'immeuble de sa mère, il frappa compulsivement son volant et, pour la première fois depuis bien longtemps, il pleura.
Patron l'avait prévenu que Maggie s'en allait le lendemain dans un bref sms. Il ne voulait pas qu'elle parte sans qu'ils puissent se dire au-revoir, sans qu'il puisse s'excuser, sans qu'il puisse lui dire qu'il l'aimait et qu'il avait confiance en sa réussite. À la place, il s'était déjà vu remplacé. C'était le break de trop, Maggie n'avait pas supporté, elle était finalement passée à autre chose avec quelqu'un qui partageait sûrement sa volonté de ne jamais fonder de famille.
Il pensait avoir perdu Maggie.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro