Mirror Names
Un jeune homme encapuchonné est tapi dans les hautes herbes aux abords d'un sentier, scrutant attentivement les environs.
- "Voilà qui a l'air très intéressant".
Il plissa les yeux afin de mieux observer la file de caravanes sombres qui avançait lentement en direction d'un château isolé non loin. Chaque chariot arborait un blason aussi étrange que clinquant, dont le métal luisait à la clarté de la lune.
-"De qui peut-il bien s'agir ?" murmura-t-il....
- "Visiblement de quelqu'un avec de gros moyens, Hiarus", répondit une jeune femme en s'approchant derrière lui. " Une nouvelle procédure liée à la collecte de richesses, peut-être ? "
- "Il faut qu'on en sache plus sur cette bâtisse, Karlia. Va en ville et apprends tout ce que tu pourras à son sujet de ce château", lui ordonna Hiarus. "De mon côté, je vais tâcher de me renseigner sur ces convois. Retrouvons-nous demain soir au sommet de la colline."
Le jeune voleur avait toute confiance en sa partenaire. Elle avait deux spécialités : crocheter les serrures et obtenir des informations. Elle arriva au lieu de rendez-vous à la tombée du jour, et Hiarus la rejoignit une heure plus tard.
- "Ce château s'appelle Aldolyra et il remonte à deux siècles et demi'", répondit-elle. "Plusieurs nobles l'ont bâti pour se protéger durant l'une des épidémies de peste. Ils ne voulaient pas que les paysans malades les approchent et les contaminent. Aussi se sont-ils dotés d'un système de sécurité particulièrement sophistiqué pour l'époque. Bien sûr, il n'est plus en l'état de nos jours, mais j'ai une petite idée des pièges et des serrures qui devraient encore fonctionner. Et toi, qu'as-tu découvert ?"
- "Je n'ai pas été aussi efficace que toi", reconnut Hiarus en fronçant les sourcils. "Personne ne semble savoir qui sont ces gens, ni même ce qu'ils font ici. J'étais sur le point d'abandonner mais j'ai miraculeusement fini par rencontrer un moine du nom de Parathion, qui m'a révélé habiter au château, et que ses maîtres faisaient partie d'un groupuscule secret appelé l'Ordre de Parzhag. Nous avons longuement discuté, et selon ses dires, un rituel est prévu ce soir même au château."
- "Sont-ils riches ?" demanda Karlia, impatiente.
- "Tellement que ça en devient presque gênant, d'après ce brave moine. Mais ils repartiront dès demain."
- "J'ai mes crochets avec moi", le rassura Karlia d'un clin d'œil. "La chance nous sourit, ce soir."
Elle traça par terre un plan rapide du château : la salle à manger et les cuisines se trouvaient à proximité de l'entrée, les écuries et l'armurerie occupant pour leur part l'arrière de la bâtisse. Les deux voleurs avaient l'habitude d'appliquer une méthode qui n'avait jamais échoué : Karlia s'infiltrerait dans le château pour ramasser tout ce qui pouvait l'être, tandis que Hiarus créerait une diversion. En attendant que sa partenaire ait escaladé le mur d'enceinte, il alla frapper à la porte. Allait-il prétendre être un barde ou un aventurier égaré ? Il ne le savait pas encore, l'improvisation étant pour beaucoup dans le plaisir qu'il prenait en ce genre d'occasion...
Karlia entendit Hiarus échanger quelques mots avec une femme qui lui avait ouvert, mais elle se trouvait trop loin d'eux pour comprendre ce qui se disait. Mais le succès de son compagnon ne faisait aucun doute. Quelques instants plus tard, il entra et la porte se referma derrière lui. Quand il le voulait, Hiarus pouvait se montrer charmeur.
Seules quelques serrures de l'armurerie étaient fermées et une poignée de pièges à peine avaient été armés. Nul doute que la plupart des clés avaient été perdues au fil des siècles, mais le serviteur chargé de veiller à la sécurité des trésors de l'Ordre avait pensé à ajouter quelques verrous à ceux du château. Karlia passa de longues minutes à les ouvrir avant de s'attaquer à ceux d'origine. Elle perdait du temps, mais l'excitation faisait battre son cœur à tout rompre. Les trésors cachés derrière ces portes devaient forcément être grandioses pour mériter un tel dispositif de protection !
Quand le battant s'ouvrit en silence, elle s'aperçut que ses rêves de richesses étaient loin de la réalité : une montagne de pièces d'or s'offrait à sa vue, agrémentée d'anciennes reliques magiques, d'armes de grande qualité, de pierres précieuses grosses comme le poing, de rangées de potions et de piles de parchemins et de documents. Elle était tellement fascinée qu'elle n'entendit pas l'homme qui s'approchait derrière elle.
- "Ah, vous devez être Dame Tressed", dit-il d'une voix rauque tandis que Karlia fit un bond de surprise.
Le nouveau venu était un moine vêtu d'une robe à capuche, noire et tissée de fils d'or et d'argent. Karlia resta un moment bouche bée, pensant à une mauvaise plaisanterie de Hiarus. Son partenaire adorait ce genre de situation, mais elle détestait ça . Elle hocha la tête en regardant autour d'elle d'un air incertain.
-"Je... j'ai bien peur de m'être perdue", bredouilla-t-elle.
- "Je vois cela", répondit-il avec un grand sourire. "Vous vous trouvez dans l'armurerie. Venez, je vous conduis à la salle à manger. Nous pensions que vous ne viendriez pas... Le repas est presque terminé."
Karlia traversa la cour intérieure en suivant le moine. Ce dernier ouvrit la porte à double battant menant à la salle à manger. Une robe identique à celle qu'il portait était pendue à un crochet et il la lui offrit avec un sourire. Elle l'enfila sans un mot, cachant ses traits sous la capuche avant d'entrer.
Des silhouettes étaient assises autour d'une grande table, éclairée par un grand nombre de torches. Chaque convive portait la même robe noire empêchant de distinguer le moindre visage. Apparemment, ils venaient juste de finir de manger, à en juger par les assiettes et verres vides devant eux. Karlia eut une pensée émue pour la vraie Dame Tressed, qui avait visiblement manqué un excellent banquet.
Le seul objet inhabituel de la pièce était un énorme sablier doré qui trônait au centre de la table, et dont le sable avait presque fini de s'écouler.
Il était impossible de différencier les individus attablés, mais certains discutaient tandis que d'autres somnolaient et qu'un autre encore jouait du luth. Karlia remarqua qu'il s'agissait de l'instrument de musique de Hiarus et reconnut l'anneau de son compagnon au doigt du musicien. Elle remercia silencieusement sa capuche. Pourvu que Hiarus ne la reconnaisse pas et qu'il ne réalise pas qu'elle s'était fait repérer.
- "Dame Tressed", présenta l'homme.
Aussitôt, les membres de l'Ordre encore éveillés se tournèrent vers elle et l'applaudirent, après quoi ils se levèrent pour lui baiser la main et se présenter tour à tour.
-"Je suis Nirdla, enchanté."
-"Mon nom est Sueléc."
-"Je me nomme Kyler, ravi de faire votre connaissance. "
Hériah fronça les sourcils. Les noms sonnaient de plus en plus étranges.
-"Je me présente, Toikrap."
-"Tillys, pour vous servir."
-"Noihtarap, enchanté."
La jeune femme éclata de rire. "Je comprends ! Vous parlez à l'envers. En réalité, vous vous appelez Aldrin, Céleus, Relyk, Parkiot, Syllit et Parathion."
- "Tout à fait", confirmèrent les individus en cœur.
- "C'est l'un de nos petits jeux", répondit Céléus.
- "Puis-je vous offrir un siège ?" demanda Parathion
-"Iuo", répondit-elle avec un sourire en se prenant au jeu. Est-ce que ce magnifique sablier aurait un lien avec cette situation coquasse ?
-"C'est exact, Tressed", dit Syllit. "Nous reprendrons nos noms initiaux lorsque tout le sablier aura fini de s'écouler. Ce château nous a paru un lieu de festin idéal, il a été conçu pour tenir à distance les victimes de la peste, qui étaient pour ainsi dire devenues des morts-vivants."
Les torches dégageaient une étrange senteur et Karlia sentit soudain que la tête lui tournait. Elle se cogna à l'homme qui dormait sur sa droite et il s'affala sur la table.
-"Pauvre Ecnatsisér ed Talp", dit un convive en redressant le moine inanimé. "Lui qui avait tant donné de sa personne..."
Mal à l'aise, Karlia se leva et fit quelques pas hésitants en direction de la porte.
-"Mais où veut donc aller notre Tressed ?" fit l'un des hommes d'un air moqueur.
- "Je ne m'appelle pas Tressed ! ", grommela-t-elle en tirant le bras de son voisin encapuchonné. "Amène-toi, Hiarus. C'est fichu, on s'en va."
Le dernier grain de sable s'écoula du sablier, et le joueur de luth rejeta sa cagoule en arrière. Ce n'était pas Hiarus. Ce n'était pas même un humain, mais un monstre épouvantable à la peau livide et ridée, aux yeux affamés et à la mâchoire déformée par d'horribles crocs.
Titubant vers l'arrière, Karlia heurta une nouvelle fois l'homme inerte que les autres avaient appelé Ecnatsisér ed Talp. Il tomba de sa chaise et elle vit qu'il s'agissait du cadavre de Hiarus. Ses traits étaient d'une pâleur morbide, comme si on l'avait vidé de son sang.
Ce n'est que lorsque les créatures se jetèrent sur elle que Karlia comprit que son autre nom, Tressed, avait lui aussi été prononcé à l'envers.......
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