43 _ Il a gagné
Je me trouve actuellement devant la cabane dans les bois. J'ai décidé de m'y rendre dès la fin du déjeuner. Le souffle coupé, j'observe la maison à moitié calcinée. Malgré moi, mon esprit me ramène des souvenirs mauvais. La fumée noire et âcre. Le désespoir en tirant Eliott à l'extérieur. Les flammes qui s'amplifient. La chaleur effroyable.
Prenant une grande inspiration, je sors du véhicule puis claque la portière. Des bouts de bois calcinés parsèment le sol. Je me dirige vers les escaliers. Les pompiers avaient raison : seule la partie superficielle de la demeure a été brûlée. Les pilotis possèdent toujours leur couleur normale ainsi que les fondations. Alors, je grimpe les marches sans trop d'inquiétude.
La porte n'existe plus. Par conséquent, j'entre, faisant virevolter des tas de cendres. Puis, un cri d'horreur m'échappe. Le salon ainsi que la cuisine ne sont plus. Les murs, du moins ce qu'il en reste, apparaissent noirs. Le mobilier a subi le feu. Quelques vestiges de meubles résistent. Je frissonne à cause d'un courant d'air. Ce dernier amène la poussière noire à se soulever du sol. J'évite de marcher trop vite, ne souhaitant pas entraîner une quinte de toux. Le sol paraît calciné jusqu'à l'entrée du petit couloir donnant dans la chambre de Lexie. Je préfère ne pas me risquer à monter à l'étage. En effet, les premières marches semblent brûlées également. Je progresse lentement dans la pièce à vivre. Le parquet craque sous mes pieds sans casser. Seuls les résidus de bois produisent ce bruit.
Mes doigts frôlent la cheminée. Est-elle en cause? L'a-t-on laissée allumée en partant pour la clairière? Je me sentais tellement contente de retrouver Lexie que je ne m'en souviens pas. Je m'aventure dans la cuisine. De la vaisselle parsème ce qu'il reste de plan de travail. Je ne parviens pas à discerner de trace de lutte.
Que s'est-il passé ici?
J'avance précautionneusement jusqu'à l'antre de l'enfant. Lorsque je pousse sa porte, tout à l'air indemne. Ses affaires n'ont pas bougé d'un iota. Ainsi, je récupère un sac jonchant le sol et le remplis des sculptures de son oncle, de peluches, de vêtements propres. Et, de son doudou. Lui rapporter des repères ne peut qu'être positif. D'une main, je lisse ses draps avant de m'y asseoir l'espace de quelques secondes. Un long soupir s'échappe de mes lèvres.
Cette maison représentait tant à mes yeux. J'y ai construit ma relation avec Eliott. Ma confiance en moi y est réapparue. J'ai appris à chérir l'enfant d'une autre. J'ai apprivoisé Chester. Beaucoup de souvenirs résident dans ces murs. Les voir en si piteux état me fait mal. Par conséquent, je décide de passer un peu de temps dans cette pièce sauvée, tout en me convainquant que le reste n'a pas été brûlé. Les couleurs vives caractéristiques de cette chambre me mettent du baume au coeur. Elles n'ont pas été tâchées par le brasier. Le rose se mélange étrangement au vert, à l'orange, aux teintes de bleus ainsi qu'aux nuances de violet. Je suppose que c'est Lexie qui a choisi la peinture.
Finalement, je me lève, les jambes tremblantes.
Par la suite, je m'avance dans le couloir puis m'arrête devant la porte encore verrouillée. C'est étrange : comme si l'incendie avait épargné cette salle. Les traces de suie s'estompent juste avant. Je glisse la clef dans la serrure, d'une main fébrile, avant de la tourner. Et j'abaisse la poignée. Elle s'ouvre dans un grincement. La lumière du jour me surprend, me forçant à fermer les paupières. Je m'habitue progressivement au soleil éclatant. Très peu de cendres se sont frayées un passage ici.
Interdite, je découvre l'atelier d'Eliott. Mais pas que. Si seulement...
J'effectue quelques pas, déconcertée. Pourquoi a-t-il décidé de me cacher cet endroit? La réponse me paraît simple, en fin de compte : parce qu'elle le représente. Il y a, certes, des outils dont je ne connais ni le nom ni l'utilité. Simplement, les murs sont recouverts de photos.
Je les observe intensément, découvrant une autre facette de mon compagnon. Il sourit, rit. Toujours, une autre personne l'accompagne. Lorsqu'il est plus petit, je suppose qu'il s'agit de ses parents biologiques. Ses cheveux frisaient, à l'époque. Malgré tout, ses yeux m'hypnotisent toujours.
Je me décale, remarquant un Eliott adolescent. Moins sûr de lui. Amaury apparaît à cette période-là.
Par la suite, il existe un vide de plusieurs années probablement. Jusqu'à ce que Lexie naisse. Bébé, d'abord. Puis, je vois son évolution avec les années. Des images la montrent lorsqu'elle perdait ses dents de lait, quand elle joue, en compagnie de Chester.
J'accède au dernier pan de mur où une unique partie possède des photographies. De nous. Que nous soyons deux, trois ou quatre, nous recouvrons ce petit bout de paroi.
Désorientée, je me retourne et me retrouve nez-à-nez avec une sculpture en cours. Un dragon absolument splendide. Il n'a pas l'air méchant. Simplement, il est d'un réalisme saisissant. Pour un peu, je sentirais presque le vent provoqué par ses ailes.
D'autres œuvres en bois sont stockées dans un coin de la salle, parmi les morceaux de sciure. Pourquoi les cache-t-il? Son talent est impressionnant. Lorsqu'il fabrique les animaux de Lexie, il ne peut pas se permettre de créer autant de détails. Elle risquerait de se blesser. Simplement, ce travail-là m'estomaque.
M'asseyant sur son tabouret, je comprends pour quelle raison refusait-il de me montrer tout cela.
Cela le représente, lui.
Ces photos doivent lui permettre de se rassurer : des gens l'aiment.
Ces sculptures : il est capable de faire quelque chose seul.
Cette serrure sur la porte : personne ne peut l'atteindre. Surtout pas Esteban.
Mon souffle se coupe en saisissant autre chose. La maison a brûlé mais, pas cette pièce. Pas lui.
Eliott a survécu.
Malgré moi, les larmes dévalent mes joues pour terminer leur course sur mes mains. Mon homme subsiste. Il se bat de toutes ses forces, il va y parvenir. Il est toujours là, vivant et décidé. Et personne ne sait à quel point je suis fière de lui.
Lors de ce brasier, il n'a pas perdu face à son double.
Il a gagné.
J'essuie les gouttes salées d'un geste lent. A présent, il est probablement le plus fort de nous deux. Reprenant doucement mes esprits, je passe ma main sur l'ébauche de dragon, majestueuse. Non de par sa hauteur, mais de par sa qualité.
Mon Robinson des bois a bien évolué, depuis.
Il ne mérite plus ce surnom puisqu'il ne vit plus reclus au fin fond de sa forêt. Eliott...
Qui aurait pu déceler une si grande expertise de sa part. L'animal fantastique paraît bloqué puisque le bas de son corps n'existe pas encore. Pourtant, je sais que mon petit ami fera des miracles.
La première fois que je suis entrée dans cette maison, je n'aurais pas pu deviner ce que cachait cette porte. Finalement, il s'agit d'une bonne chose : je n'aurais pas compris l'ampleur de sa signification. A présent, je comprends beaucoup de choses. Mais surtout : tout est fini. Esteban ne possède plus la même emprise sur son frère. Ce dernier va pouvoir vivre comme il l'entend, pour la première fois.
Je me lève, parcourant la pièce du regard. Finalement, je trouve ce que je cherchais : la caisse à outil bleue. D'un geste fébrile, je la soulève et souffle dessus afin d'en retirer la poussière. Manifestement, personne n'y a touché depuis longtemps. Elle paraît lourde. Cependant, je ne peux pas l'ouvrir, un cadenas m'en empêche. Il semble rouillé, abimé par le temps. J'ai conscience que les outils présents ici me permettraient de briser cette chaîne. Malgré tout, je devine qu'Eliott m'en montrera le contenu. Alors, je m'abstiens.
Je m'empare de sa poignée puis me dirige vers la porte. Sans le vouloir, j'observe une dernière fois ce lieu si symbolique avant de sortir. Je récupère les affaires de Lexie et, d'un pas rapide, je m'échappe de cet endroit.
* * *
Quelques jours plus tard, je m'extirpe de mon lit à une heure plutôt matinale. Depuis que je suis arrivée, Lexie dort avec moi. Le canapé du salon est convertible seulement, je me voyais mal lui refuser cette demande. Quand elle a aperçu son doudou dans mes bras, son regard s'est illuminé. Depuis, elle ne le lâche plus. Et moi non plus, d'ailleurs.
Ainsi, je réussis à ne pas la réveiller en avançant en direction de la cuisine. Amaury et Mary s'y trouvent déjà, travaillant aujourd'hui. Ils paraissent surpris de me voir.
— Ne vous occupez pas de moi. Je veux simplement aller rendre visite à Eliott dès la première heure, expliqué-je, mal à l'aise.
— Fais comme chez toi, tant que tu te reposes, me prévient le barman, le regard sévère.
— C'est prévu mais, cette après-midi.
Il acquiesce, replongeant le nez dans son café.
— Et Lexie? s'interroge Mary.
— Je la réveillerai au dernier moment, elle m'accompagne.
Me dressant sur la pointe des pieds, j'attrape un bol que je remplis de lait. Je me sers juste un morceau de brioche, ne voulant pas abuser de leur hospitalité.
Rapidement, ils partent au travail. Chester se réveille, quémandant de quoi manger. Je m'empresse de m'en occuper, lui offrant un câlin. Une fois rassasiée, je me glisse dans la chambre d'amis. Les cheveux d'or de l'enfant sont étalés sur son oreiller. Elle serre fermement son doudou contre elle. La veille, elle a pris soin de ranger ses animaux en bois, contente de les retrouver.
M'asseyant sur les draps, le matelas s'affaisse légèrement. Elle bouge dans son sommeil. Je sais qu'elle sera contente de revoir son oncle. Cela fait des jours qu'elle me le réclame. Ce dernier se remet bien, il pourra bientôt rentrer. Alors, je caresse ses cheveux en appelant son prénom. Progressivement, elle sort du monde des songes pour rejoindre le notre. Désorientée, ses paupières papillonnent jusqu'à s'ouvrir, déjà curieux. Attendrie, je caresse sa chevelure.
— Salut, souris-je. On va voir Eliott?
Instantanément, elle se redresse en se frottant les yeux. Sa bouille adorable encore endormie me fait face. Elle me tend ses bras afin que je la prenne contre moi. Je ne me fais pas prier et l'emmène dans la cuisine où j'ai préparé son petit déjeuner. Je la laisse manger tranquillement tandis que je coiffe mes cheveux. J'ai envie d'être belle, pour Eliott. Par conséquent, je me maquille légèrement et enfile une jupe haute beige agrémentée d'un T-shirt à manches longues noir. Ne désirant pas m'accaparer toute la garde-robe de Mary, j'ai fait un peu de shopping.
Mon épiderme renaît peu à peu, rendant ma peau d'un rose pâle. Le même que celui d'un bébé.
Par la suite, je rejoins Lexie.
— Tu es jolie, affirme-t-elle.
— Merci, réponds-je en rougissant légèrement.
Elle m'offre un sourire flamboyant avant de s'échapper dans le couloir. Je n'ai pas encore eu l'occasion de discuter de ma visite à la cabane avec Eliott. J'espère pouvoir le faire aujourd'hui. La caisse bleue est entreposée dans le garage d'Amaury, toujours verrouillée.
Perdue dans mes pensées, je n'ai pas entendu Xie arrivée. Étonnée, je la regarde vêtue d'une robe à motif. Souriante, elle m'attend.
— C'est pour tonton Eliott, ces beaux habits?
Elle acquiesce en tournant sur elle-même, faisant virevolter les volants de sa jupe. J'en connais un qui va être content...
* * *
— Il faut faire attention, d'accord? prévins-je Lexie.
Elle hoche vivement la tête, impatiente. Alors, je pousse la porte de la chambre d'hôpital afin que nous y pénétrions. J'anticipe la réaction de l'enfant en conservant mon emprise sur elle.
— Salut vous deux, déclare Eliott, rictus aux lèvres.
Seulement, la petite semble effrayée par ces machines et ces bandages. Du coup, elle s'arrête net, accrochée à ma main. Elle recule de quelques pas pour se cacher derrière moi. Surprise, je m'agenouille à sa hauteur, espérant la rassurer :
— Tout va bien Xie. C'est normal. Viens avec moi.
Elle a envie de courir vers Eliott. Simplement, elle hésite. Alors, je l'entraîne avec moi vers son oncle puis, je la soulève afin de la poser sur le matelas. Ce dernier ne paraît pas lui en tenir rigueur, il conserve son sourire.
— Bonjour ma grande, murmure-t-il, en posant doucement sa main sur la sienne.. Vous êtes magnifiques.
— C'est pour toi, affirme Post-It, peu sûre d'elle.
Sentant son trouble, Eliott enroule un bras autour de sa petite taille. Il lui explique la situation avec des mots d'enfant qu'elle comprend probablement mieux. Du coup, elle se détend, retrouvant son expression joyeuse. Son doudou qu'elle entraîne partout repose sur le matelas, derrière elle. Je m'installe sur une chaise pendant qu'elle relate les derniers évènements de son quotidien à son oncle. Ce dernier, comme à son habitude, lui prête une oreille attentive. Toutefois, il me jette quelques coups d'œil amusés parfois. Quant à moi, je patiente tranquillement.
Je les observe à la dérobée, les trouvant touchants. Ils donnent l'impression de recharger leurs batteries. Finalement, la petite se tait. Alors, je les rejoins.
— J'ai le droit de parler maintenant? rigolé-je.
Lexie me tire la langue, vexée.
— Aller Post-It, fais pas la tête, la réprimande Eliott en emmêlant ses cheveux.
Elle se met à bouder, restant dans les bras de son oncle. Ce dernier me rassure : elle changera vite d'avis. Cependant, il devine que je souhaiterais aborder un sujet particulier avec lui. Par conséquent, je me lance :
— Nous n'avons pas pu discuter de ta pièce secrète, commencé-je prudemment.
— Hum.
Il ne se détourne pas. Au contraire, il m'incite à continuer, l'air curieux.
— Pourquoi caches-tu un tel talent?
Il s'adosse à son lit, posant ses prunelles sur le plafond.
— A cause de mon frère. En plus, je façonne ce genre de sculptures seul, sans que personne me dérange. Je ne veux pas que cela devienne un engouement ou que sais-je encore, explique-t-il. Il s'agit de mon jardin secret.
J'acquiesce, soulagée qu'il ne ressente pas de honte à ce sujet-là. J'avais raison : il a grandement évolué. Cela fait plaisir à voir.
— Et les photos?
— Oh, ça. J'aimais bien voir que je pouvais être moi, sans mon jumeau.
Je passe ma main dans sa chevelure brune, attendrie par cet homme.
— Je te raconterai demain, me murmure-t-il, espérant que sa nièce ne l'ait pas entendu.
Visiblement non puisqu'elle joue avec sa peluche sans nous prêter attention. Je hoche la tête, pressentant déjà son récit. Depuis qu'il est arrivé ici, il a été impossible de converser seul à seule. Ainsi, je voyais bien qu'il désirait se confier à moi. Simplement, il n'en a pas eu l'occasion.
— Tu rentres avec nous? interroge la blonde.
— Malheureusement, pas pour l'instant.
— Oh, murmure-t-elle, déçue.
— Bientôt, c'est promis.
Eliott s'en sort bien. Quant à son double, je n'ai même pas pris la peine de me renseigner. Cela ne m'intéresse pas. Je ne sais pas si mon petit ami s'occupe de son cas de son côté. Cela le regarde, je n'ai pas mon mot à dire à ce sujet.
Toutefois, je préfère profiter de ce moment à trois, mettant de côté tous ces soucis. Ainsi que ce que me racontera Eliott demain.
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Bonsoir!
Alors, cette rentrée?
Voilà, vous connaissez le rôle de la pièce secrète. En réalité, elle sert surtout à montrer ce moment charnière où Eliott sort de l'emprise de son frère. J'espère que cela vous paraît clair et cohérent?
Vous l'avez compris, prochain chapitre = révélations d'Eliott sur l'incendie!
On se retrouve ce week-end pour la suite!
Bonne soirée à vous :*
Fantine
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