37 _ Je suis là
Adrien refusera catégoriquement mon départ précipité. Alors, je reste derrière mon bureau, angoissée au possible.
Eliott m'a expliqué qu'Esteban a récupéré Lexie à l'école. Puisqu'ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, la maîtresse n'y a vu que du feu. En plus de cela, il demeure le père de l'enfant. Il agissait légalement.
Par conséquent, l'oncle ne parvient pas à les retrouver. Seulement, il m'a affirmé que son jumeau ne la garde jamais longtemps. Quelques jours, tout au plus. Malgré tout, j'ai peur que cette fois-ci, les choses soient différentes. Et s'il décidait de la conserver chez elle? Que va-t-il lui faire? Qu'il ne la touche pas surtout.
Il me reste moins d'une heure à tenir avant de pouvoir m'échapper de cet endroit. Depuis tout à l'heure, je fixe l'écran de mon téléphone dans l'espoir des bonnes nouvelles. En vain. Dans la pièce voisine, Liv m'observe, inquiète. Lorsque je lui ai annoncé le problème, elle a tenté de me rassurer. Ce qui n'a pas forcément fonctionné. Cette journée, vive en émotions, m'amène non loin de mes limites.
Pourquoi avoir pris Lexie? Elle est si jeune, si innocente... Elle ne devrait pas se retrouver dans ce genre de conflits. Je redoute que cela n'influe sur son bien-être. J'aurais préféré qu'elle vive une enfance normale, loin de tous ces soucis. Qu'elle ne soit pas confrontée à toute cette noirceur. Elle qui se montre si rayonnante d'habitude.
Quant à Eliott, le voilà de nouveau dans le doute le plus complet. Je déteste devoir me trouver ici, si loin d'eux. Demain, je suis forcée de travailler puis, je serai en week-end. D'ici-là, je ne sais pas quoi faire pour leur venir en aide.
En attendant, je donne le change en feuilletant mes dossiers, notant des choses sur une feuille. En réalité, je ne me concentre absolument pas. Au contraire, les seules choses écrites sur ma page sont les prénoms d'Eliott et Lexie qui torturent sans cesse mon esprit.
— Aux', appelle quelqu'un.
Je sursaute, sur le qui-vive. Ma meilleure amie s'avance vers moi, une ride d'inquiétude sur le front.
— Adrien est parti, m'apprend-elle. Vas-y, je couvre tes arrières.
Immédiatement, je me redresse, remplie d'espoir.
— Tu es sûre?
— Oui, je l'ai vu quitter le bâtiment avec ses affaires.
— D'accord, je vais d'abord appeler Eliott.
Elle acquiesce, sans quitter mon bureau. Récupérant mon smartphone, je mets rapidement le doigt sur le numéro souhaité. Il ne tarde pas à décrocher :
— Je peux quitter mon travail maintenant et être là dans un heure, annoncé-je, commençant déjà à rassembler mes dossiers.
— Non. Je refuse que tu fasses l'aller-retour sur la soirée. Ne prend pas ce risque, me prévient-il, l'air très stressé.
Soupirant, je cherche mon sac du regard. Liv me le tend, mon manteau déjà posé sur son avant-bras.
— Eliott, je te dis que...
— Je ne veux pas, insiste-t-il. Je m'apprête à aller chez mon frère, dans l'espoir qu'ils y soient.
— Mais je...
— C'est ridicule, Auxanne. Tu es déjà suffisamment fatiguée comme ça. Il est hors de question que tu aies un accident alors que tu peux être là demain, me coupe-t-il.
Face à moi, ma meilleure amie fronce les sourcils en comprenant que quelque chose cloche. Il souhaite que je reste ici à me tourner les pouces? Alors que nous ne savons pas où se trouve sa nièce? Impossible. Inconcevable, même.
— Et si je prends le train? proposé-je.
A l'autre bout du fil, je l'entends soupirer longuement. Je rejette l'idée de laisser seul dans une telle situation. Je m'en sens totalement incapable.
— Xa..., murmure-t-il, fatigué.
— Mais, je ne peux pas t'abandonner maintenant. J'appellerai Amaury pour qu'il vienne me chercher à la gare et qu'il me dépose chez toi.
— Très bien, cède-t-il.
Alors, je lui souhaite tout le courage possible avant de raccrocher. Par la suite, je relève le regard sur ma collègue en lui expliquant brièvement les faits.
Elle me pousse sans ménagement afin de s'installer face à mon ordinateur, sous mes yeux curieux. Au bout de quelques minutes, ma photocopieuse se met en marche. Je m'y avance pour y récupérer un billet de train à mon nom. Le départ apparaît dans une heure. Un autre sort de la machine pour mon retour, demain, à six heures du matin.
— Maintenant, dépêche-toi. Ne rate pas ton wagon.
— Merci un milliard de fois, m'exclamé-je en la serrant brièvement contre moi.
Puis je m'éclipse en courant dans les couloirs.
* * *
Je me suis endormie durant le trajet, exténuée. Malgré mon stress, la fatigue l'a emportée. A mon arrivée, je distingue rapidement Amaury sur le quai quasiment vide de la gare. Ses traits paraissent tirés par l'anxiété. Nous ne prenons même pas le temps de nous saluer. A la place, nous nous dirigeons machinalement sur le parking afin qu'il m'emmène dans la cabane dans les arbres. Personne ne pipe un mot tant l'angoisse prend le pas sur tout. Lorsque nous atteignons le lieu convoité, le pick-up d'Eliott ne s'y trouve pas.
— Il doit encore s' trouver, marmonne le barman.
Sans un mot, nous nous avançons jusqu'à la porte d'entrée que je déverrouille, sous son regard curieux.
— Il t'a donné le double des clefs, remarque-t-il.
Je ne réponds rien, entrant simplement dans la maison. Vide. Frustrée, je le cherche dans toutes les pièces avant de revenir bredouille dans le salon.
— Où habite Esteban? m'informé-je.
Amaury penche légèrement la tête, m'observant avec intérêt. Pendant ce temps, je trépigne d'impatience. Néanmoins, percevoir ce silence ainsi que ce néant ici me paraît étrange. Aucun signe de vie à des kilomètres à la ronde.
— C'est déjà très honorable de ta part de t'être déplacée. Simplement, tu n'as rien à faire là-bas. Eliott peut gérer le problème seul.
— Je n'en doute pas, affirmé-je en tournant en rond, torturant mes cheveux bruns.
Je comprends qu'Amaury ne me dira rien. Ainsi, je vais devoir patienter là jusqu'au retour du propriétaire.
— Tu vas t'y rendre, pas vrai? m'enquiers-je.
— Non. Eliott n'a pas besoin de nous sentir constamment sur son dos. Il va croire que nous le pensons incapable de se débrouiller seul.
Offusquée par une telle idée, je m'apprête à répliquer sauf qu'il m'en empêche.
— Nous savons tous les deux que tu es là pour le soutenir. Seulement, à chaque attaque de ce type de la part de son frère, il devient particulièrement fragile. Alors, fais attention à ce que tu dis, me prévient-il.
Comprenant où il souhaite en venir, je me calme instantanément. La dernière chose à laquelle j'aspire serait de blesser involontairement mon petit ami. Alors, j'acquiesce simplement, ne trouvant pas les mots justes.
Amaury observe ses pieds, les mains dans les poches. Il paraît plus triste qu'inquiet. Peut-être est-ce ainsi que je réagirai, à force d'habitude? Je secoue vivement la tête, refusant de m'acclimater à cette situation. Je ne peux pas m'y résoudre.
— Il est possible qu'il revienne sans Lexie, sois en consciente.
— D'accord, murmuré-je, perdue.
Il hoche la tête puis quitte la maison, m'abandonnant avec mes nombreuses interrogations. Comment dois-je agir à l'arrivée d'Eliott? Quand fera-t-il son apparition? Mes yeux fixent mon sac posé sur le sol. Je me sens si désemparée face à tout ça que je ne sais absolument pas quoi faire. Par la suite, je songe que je suis mieux ici qu'à New-York. Je n'aurais pas supporté de ne pas pouvoir l'épauler. Alors, je décide de mettre ma présence à profit. Quitte à avoir effectuer le déplacement, autant qu'il serve à quelque chose.
Lui envoyant un simple message pour le prévenir de mon arrivée, je m'attelle à allumer la cheminée. Pour moi, elle représente une chaleur plus qu'appréciable. Peut-être est-ce la même chose pour lui? Une fois cette tâche effectuée, je me dirige machinalement vers la chambre de Lexie. Fatalement, je la trouve déserte. Sa peluche favorite est installée sur son oreiller. Comment va-t-elle pouvoir dormir sans? Mes iris se posent alors sur celle qu'elle a gagné le mois dernier, lors de la fête foraine. Elle est entourée de quelques sculptures auxquelles la main d'Eliott a donné vie. Tout ce qui représente l'enfant se situe ici. Cependant, il manque l'essentiel : elle. Sa joie de vivre, ses questions incessantes, sa longue chevelure blonde, ses grands yeux bleus et curieux. De quelle façon puis-je camoufler cette absence au retour de son oncle?
Déambulant dans la maison, je cherche une solution, tournant le problème dans tous les sens. Évidemment, je garde l'espoir qu'il revienne avec elle. Pourtant, le barman m'a prévenue : rien n'est sûr. Lorsque j'atteins la cuisine, une idée me vient. Alors, je sors tous les ingrédients nécessaires puis je m'applique à la préparation de ma recette. J'ai bien conscience que ce ne sont pas de malheureux gâteaux qui changeront quoi que ce soit. Malgré tout, j'ai besoin de cela pour me changer les idées. Ainsi, je serai dans de meilleures dispositions pour Eliott.
Au moment où j'enfourne mes cookies, j'entends la porte s'ouvrir. Les griffes de Chester foulent le sol. Dès qu'il m'aperçoit, il s'avance lentement vers moi.
— Salut, soufflé-je en lui offrant sa caresse habituelle.
Puis, son maître se matérialise dans le hall, livide. Malgré moi, je tends le cou derrière lui. Malheureusement, personne ne l'accompagne. Lorsque je pose mon regard sur lui, je me sens défaillir tant il respire le désespoir. Ses magnifiques yeux vairons semblent avoir perdu leur éclat. Il paraît prostré, la tête rentrée dans les épaules, les prunelles dirigées vers le sol. De ma place, je perçois sa respiration saccadée. Je me précipite vers lui, sentant qu'il peut craquer à tout instant. Dès que je l'atteins, des larmes dévalent ses joues afin de terminer leur course sur le parquet. Sans y réfléchir un dixième de seconde, je le prends dans mes bras, l'entourant comme je peux. Je devine qu'il se retient. Me dressant sur la pointe des pieds, je pose ma main sur sa nuque afin de pousser doucement son visage contre le mien.
Au moment où je sens des gouttes salées couler contre ma peau, mon cœur se brise en mille morceaux.
Alice, tu n'avais pas prévu qu'il me toucherait tant que le voir si mal me rendrait malade.
S'il te plaît...
Je t'en supplie...
Ne te brise pas.
Aucun mot ne traverse la barrière de ma bouche tellement je me sens bouleversée. L'homme que j'aime ne parvient pas à contenir sa peine, j'ai du mal à réfréner mes émotions.
Chester s'allonge à nos pieds en couinant, se sentant sûrement aussi impuissant que moi. Je m'accroche à Eliott de toutes mes forces pour ne pas qu'il plonge dans la noirceur, pour qu'il conserve une accroche à la réalité. Il tremble, cherchant désespérément un signe d'espoir. Aucun mot ne sort de sa bouche. Seulement un gémissement de douleur. Il émane la détresse. Probablement qu'il se sent désarmé face à la situation. Je le conçois totalement.
— Nous allons nous en sortir, affirmé-je finalement, la voix fluette.
Malgré tout, mon ton se montre sûr de lui puisque j'y crois. Il ne me répond pas, préférant se cacher dans mon cou. Ses larmes se sont calmées même s'il paraît toujours aussi agité.
Je me doute qu'une confrontation avec Esteban a dû être dure à vivre pour lui. C'est pour cela que je ne tente pas de le repousser dans ses retranchements, ne souhaitant pas le brusquer. Je meurs d'envie de savoir de quoi il en retourne. Néanmoins, je saurais me montrer patiente.
Avec douceur, je lace mes doigts aux siens puis l'entraîne dans le salon. Il conserve la tête baissée, essuyant d'un geste las les derniers vestiges de ses sanglots. Alors, il s'installe sur le canapé face à la cheminée crépitante. Je choisis mes mots avec précaution, comme me l'a suggéré Amaury. Contre toute attente, il me devance :
— Tu as fait des cookies?
Surprise par sa question, je mets quelques secondes avant de répondre par la positive. M'asseyant à ses côtés, je remarque que Chester nous a suivis.
— Tu en veux? questionné-je.
— Non, je...
Il se tait brusquement, comme perdu dans ses réflexions. Je presse gentiment son épaule pour lui montrer mon soutien. Je les trouve extrêmement tendues.
— Il dit qu'il veut s'en occuper pour quelques jours, lâche-t-il finalement. Il affirme qu'il en a le droit. Je ne peux pas l'en empêcher, il a la loi de son côté.
A nouveau, il se renferme, en proie à des doutes monstrueux.
— Pour l'instant, assuré-je.
Brusquement, il relève son visage vers le mien. Ses yeux sont bouffis, rougis. Son expression, inconsolable. Mon myocarde rate un battement tant cette vision me fait souffrir. Puis, il détourne le regard, comme s'il se sentait honteux.
— Je n'ai pas envie de te parler du reste.
En réalité, il n'en a pas besoin. Je sais pertinemment qu'Esteban s'est acharné sur lui à coup de violences verbales. Il n'a pas l'air d'avoir de séquelles physiques, voilà déjà une bonne nouvelle.
— Lexie paraissait effrayée, je n'ai rien pu faire, soupire-t-il en tiraillant ses cheveux.
— Si. Tu y es allé, tu as essayé de toutes tes forces. Elle l'a vue, cela représente déjà beaucoup.
— Mais elle n'est pas ici! s'énerve-t-il en se levant d'un bond. Elle devrait courir partout, m'agacer parce qu'elle parle trop, me demander constamment quand reviendras-tu, me raconter sa journée en boucle, jouer dans le coin du salon, s'amuser avec Chester. Certainement pas se trouver là-bas entre les mains de mon frère.
Je le rejoins en tentant de conserver mon sang-froid face à ce problème épineux. J'enserre son bras et le rapproche doucement de moi.
— Nous en sommes tous les trois conscients, Eliott. Tu n'es pas en tort.
Il se laisse lourdement tomber dans le sofa, faisant tomber un coussin par terre.
— Parfois, murmure-t-il l'air torturé, j'en veux à mes parents d'être décédés. C'est atroce.
Même si cette idée me révulse, je la comprends. Je refuse de le juger sur ce point-là.
— Eh, tu es perturbé par tout cela, je le conçois. Mais...
— Il la ramènera, me coupe-t-il. Il est incapable de s'en occuper et encore moins de la supporter.
Je réprime une parole que je pourrais regretter. Comment Esteban peut-il agir ainsi avec une enfant aussi adorable que Lexie? Eliott ramène ses genoux contre lui et les enserrent afin d'y poser son menton.
— Pourquoi continue-t-il de s'acharner sur moi? questionne-t-il, désorienté.
— Ce n'est pas de ta faute, certifié-je en sentant son doute implicite.
— Tout cela à cause d'un pacte. Je suis trop con, grommelle-t-il en prenant sa tête entre ses mains.
— Tu ne peux pas dire ça enfin!
— Bien sûr que si. Mon idiotie me perdra un jour.
Subitement, il se lève en se dirigeant vers la cuisine. Révoltée par de telles affirmations, je le rejoins en quelques secondes.
— Eliott...
— Laisse tomber, me coupe-t-il brusquement, les yeux à nouveau vitreux.
Il boit son verre d'eau d'une traite, le reposant sur le plan de travail avec un bruit sourd.
— Non, insisté-je. Je refuse catégoriquement que tu te dénigres de la sorte! Tu as sacrifié ta vie entière pour lui. Tu donnes tout ce que tu possèdes à sa fille. Tu n'as rien à te reprocher.
Je perçois cette lueur d'incertitude dans ses prunelles. Au moins, il prend mes dires en considération. Je devine que son état d'esprit est dû à la récente confrontation avec Esteban. Il l'a manipulé, le fragilisant. Alors, je décide de ne plus insister. Pour ce soir.
Il lorgne sur mes gâteaux, dans le four. Je les sors puis les pose sur le plan de travail.
— Ils sont tous pour toi. Fais attention, ils sont chauds.
Cependant, à présent, c'est moi qu'il dévisage. Perturbée par son regard transperçant, je perds mes moyens.
— Tu peux les garder pour demain, balbutié-je, sentant le rouge me monter aux joues.
Finalement, il se détourne, la tête toujours rentrée dans les épaules.
— Il est tard, murmure-t-il. Allons nous coucher.
Ne parvenant à deviner ses pensées, j'acquiesce simplement en le suivant dans la chambre. Il s'assoit lourdement sur le matelas.
— Il n'a même pas pensé à son doudou, déplore-t-il en secouant la tête.
— Je l'ai vu, dans sa chambre.
Il hoche lentement la tête tandis que Chester prend place par terre. Eliott laisse s'échapper un long soupir tremblant. J'esquisse un geste vers lui, glissant ma main dans ses cheveux. Lentement, je l'attire contre moi.
— Je suis là, chuchoté-je avant de déposer un baiser sur le haut de son crâne.
A l'entente de cette phrase, ses bras entourent mon corps frêle.
— Tu es là, souffle-t-il.
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Bonsoir :)
Lexie n'est pas de retour dans ce chapitre mais ça arrive, promis!
Que pensez-vous d'Eliott?
D'Elixael? (ça faisait longtemps, ce petit nom!)
Avez-vous des suppositions pour la suite? Tout est déjà prévu, simplement savoir si vous vous doutez de la tournure des évènements!
Je vous dis à ce week-end pour la suite! :*
Fantine
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