Renaissance
Pas loin de trois mois après l'arrestation de Gaunt père et fils, la maison correspondait un peu plus à l'appellation cottage que masure. Merope avait commencé par décrocher le serpent qui pendouillait tristement sur la porte d'entrée et de fil en aiguille, dégager les rameaux qui menaçaient d'engloutir les fenêtres, réparer les carreaux, balayer le plancher, nettoyer le fourneau et les casseroles de leur crasse, secouer le tapis de la chambre. À chaque tâche abattue , le poids de la soumission s'était un peu plus détaché de ses épaules. À chaque mission accomplie, ses capacités magiques s'étaient lentement déliées. Elle avait découvert un nouveau monde, elle s'était découverte. À présent, ses doigts ne frémissaient plus lorsqu'elle agitait sa baguette, ses lèvres ne bafouillaient plus lorsqu'elle prononçait des formules. Elle s'émancipait en s'essayant à de nouveaux sortilèges, s'éloignant toujours plus de la limite des sorts ménagers, et elle ne cessait de se perfectionner.
Le seul point noir à l'horizon s'appelait Cecilia. Car Merope persistait à guetter l'apparition du beau moldu, aveuglée par l'amour qu'elle nourrissait à son égard depuis tant d'années. L'absence de sa famille n'avait rendu son addiction au fils Jedusor que plus forte. Elle n'avait plus besoin de dissimuler ses sentiments et elle se sentait dévorée par sa passion trop longtemps refoulée. À toute heure du jour et de la nuit, elle répondait présente pour l'observer furtivement passer à cheval. Oh, elle savait que cette Cecilia ne ferait pas longtemps parti du tableau, ayant elle-même remplacé Elsa, qui avait déjà supplanté Capucine et ainsi de suite. Les jolies prétendantes ne manquaient pas, et Tom s'en désintéressait rapidement pour passer à la suivante.
Mais Merope le voulait pour elle et pour elle seule. Et elle l'aurait.
Il lui avait fallu faire plusieurs essais avant de parvenir à concocter un philtre d'amour. À la fin de l'été, penchée sur son chaudron, ses cheveux rendus poisseux par la chaleur étouffante relevés sur sa nuque, elle ajouta précautionneusement un ingrédient à sa mixture. Elle fronça des sourcils concentrés en remuant le mélange d'abord dans le sens des aiguilles d'une montre, puis dans le sens inverse. Elle entendit à peine le glissement d'un corps léger sur le sol, toute à sa potion. Elle était si proche du but ! Puis, du coin de l'œil, elle discerna une forme onduler tout près d'elle, se rapprochant dangereusement de ses chevilles. Un serpent. L'ancienne Merope aurait certainement tressailli et reculé, traumatisé par les jeux douteux auxquels Morfin avait coutume de se livrer avec les reptiles. Mais contre toute attente, elle émit un simple claquement de langue irrité. La vipère se stoppa brusquement et darda ses petits yeux aux pupilles fendues sur elle, sa langue fourchue apparaissant brièvement comme pour la mettre au défi. Elle répugnait à parler le Fourchelang, trop intimement lié à son père, son frère et à une myriade d'obscurs souvenirs de sa vie antérieure. Aussi se contenta-t-elle de pousser un long sifflement hargneux pour tout avertissement. L'animal sembla hésiter une fraction de seconde avant de battre en retraite et la fille Gaunt retourna à son chaudron sans plus de cérémonie.
Le lendemain, son philtre était prêt. Elle avait vu et revu toutes les étapes de préparation jusqu'à être absolument certaine de sa réussite. Ne lui restait plus qu'à attendre. Si ses calculs étaient exacts, Tom emprunterait la route à flanc de colline d'ici une heure. Il était bientôt treize heures et elle savait qu'il se rendait à Great Hangleton tous les vendredis après-midi pour jouer au cricket, un sport moldu, avec ses camarades d'université. Par cette chaleur, elle ne devrait pas avoir trop de mal à le convaincre de boire un verre d'eau.
La jeune femme faisait face à son reflet déformé par le miroir craquelé. Elle n'avait pas les magnifiques boucles brunes de Capucine, ni les délicates mains de Cecilia et encore moins les somptueuses tenues d'Elsa. Mais son inespéré affranchissement lui avait fourni suffisamment d'assurance pour lui faire redresser le menton et les épaules. Et bientôt, ses cheveux ternes et son strabisme n'auraient plus aucune importance. Même les guenilles qui lui servaient de robe appartiendraient au passé.
L'impatience se mêla à l'appréhension. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Aurait-elle le cran de l'aborder ? Mais surtout, voulait-elle réellement le dominer en l'envoûtant de la sorte, elle qui avait été si longtemps sous le joug de son père ? Les rares fois où elle s'était autorisée à rêver de lui, le début de leur idylle était diamétralement différent. Le romantisme et la beauté se fondaient harmonieusement avec leur ardente passion. Elle l'imaginait la prendre dans ses bras pour l'embrasser tendrement, avant de la faire monter sur son cheval et de s'asseoir dans son dos pour l'emporter loin de sa pitoyable existence. Une image digne d'un conte de fées moldu.
La cadence régulière de sabots sur le chemin cahoteux retentit soudainement, dissipant tous ses doutes et réticences. Son rythme cardiaque s'accéléra et elle aurait juré que son palpitant s'était jeté contre ses côtes d'excitation. Merope attrapa la cruche d'eau faussement innocente et suivit le sentier qui menait hors du bosquet. Ses mains tremblaient fébrilement, manquant de renverser le précieux breuvage. Elle regretta de n'avoir pas eu suffisamment d'argent pour se payer de nouveaux vêtements. Mais alors qu'elle se hâtait, elle vit le pelage alezan du cheval s'éloigner. Elle aurait dû se poster plus tôt près de la route ! Alors qu'elle était prise de panique, des sifflements s'échappèrent sans crier gare de sa bouche. Une minute plus tard, un hennissement sonore résonna, aussitôt suivi d'une exclamation masculine et d'un bruit de chute. Elle se précipita pour découvrir son beau moldu à terre, son étalon se cabrant d'affolement devant une vipère dressée. Merope rappela à l'ordre le reptile en Fourchelang et s'empressa d'attraper la bride avant que le cheval ne piétine son cavalier.
- Tom ! Vous allez bien ?
Merope se mordit la langue. Quelle imbécile ! Elle ne lui avait jamais parlé et voilà qu'elle l'appelait par son prénom de façon atrocement familière.
- Je n'ai rien, Dieu soit loué. Ce serpent a surgi de nulle part ! Merci pour votre aide.
La jeune femme s'immobilisa, ahurie. Son sang se rua dans ses veines et du rouge colora son teint pâle. Il venait de la remercier ! Et avec la même voix de gentleman qu'il employait lorsqu'il s'adressait à ses conquêtes. Peut-être le philtre d'amour ne serait-il pas nécessaire ? Peut-être pouvait-il tomber amoureux d'elle sans l'aide d'un quelconque subterfuge ?
Jedusor s'était remis sur pied, époussetant son pantalon. Il leva les yeux vers celle qui était venue à sa rescousse. Les lèvres de Merope dessinaient un sourire plein d'espoir, ses yeux d'un chocolat plus doux que ceux de sa famille brillaient d'émotion.
Mais à l'instant où il la reconnut, son expression changea. Un rictus narquois s'empara de ses lippes et fendilla les espérances de la fille Gaunt. Ses traits séduisants et aristocratiques se tordirent en un masque railleur au même rythme que ceux de Merope se décomposèrent. Elle détourna le regard, et vit la cruche qui gisait en mille morceaux non loin. Une vague de désespoir menaça de la submerger. Elle contracta la mâchoire, se forçant à retrouver sa détermination.
- Souhaitez-vous un peu d'eau ? Pour vous aider à vous remettre de votre frayeur, et par cette chaleur...
Elle ne s'attendait pas à ce qu'il accepte. C'est pourquoi, transportée de joie par sa réponse affirmative, elle occulta complètement les accents goguenards qui perçaient à présent dans la voix du jeune homme. Sans doute brûlait-il simplement de curiosité pour ce taudis que son riche de père ne pouvait faire raser, et quelle meilleure occasion que celle-ci pour se moquer de cette famille de miséreux ? Mais Merope ne voyait que ce qu'elle voulait bien voir.
Lorsqu'ils parvinrent devant la minuscule maison, Jedusor ne put s'empêcher de hausser les sourcils, surpris. Il ne s'en était jamais approché et n'avait fait que lui jeter des coups d'œil méprisants depuis la route. Mais il était persuadé que la dernière fois où il lui avait prêté attention, un serpent - encore ! - était cloué à sa porte et qu'elle semblait sur le point de s'effondrer à tout instant. Il eut un bref sentiment de malaise, mais s'ébroua. Que pouvait-il bien lui arriver ? Il n'y avait aucune trace du père et du frère, et cette fille sordide était à peine capable de mettre un pied devant l'autre sans s'étaler lamentablement.
La fille sordide en question entra chez elle. Elle remplit une coupe et sortit une des fioles qu'elle avait préalablement préparées. Prenant une grande inspiration, elle la déboucha et versa la potion d'un rose tapageur dedans. En un rien de temps, elle retrouva l'apparence d'un banal verre d'eau. Merope s'apprêtait à ressortir et faillit rentrer de plein fouet dans Tom. Un nouveau sourire ironique étirait sa bouche. Il étudia le living room avec un air supérieur. Nous étions bien loin du fastueux et opulent manoir des « Jeux du sort ». Tout un monde les séparait. Il avait hâte de régaler Cecilia de la description pathétique de cet endroit. Il s'empara de la coupe avec la fierté de celui qui est persuadé d'avoir le monde à ses pieds et la porta à ses lèvres.
Merope le dévisagea anxieusement, prise d'un nouveau doute tandis qu'il buvait. Une petite voix dans sa tête lui serinait que les choses ne devaient pas se passer comme cela. Un hoquet la fit sursauter et la tira de ses pensées. Jedusor avait l'air hagard. Elle crut qu'elle avait fait une erreur dans sa décoction... puis il baissa les yeux vers elle. Toute trace de dédain avait déserté son visage fin et exquis. Une lueur s'alluma au fond de ses pupilles tandis qu'il plongeait son regard dans le sien et lorsqu'il se fendit d'un sourire béat, comme si elle était la plus belle créature qui ait jamais foulé la Terre, toutes les hésitations de Merope s'évanouirent.
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