
Pleiku
France J-4 : Buon Ma Thuot
Le 23 décembre 2018 à 9 heures précises, je m'envolerai pour la France.
Dans 4 jours, je tournerai définitivement le dos au Vietnam, à toi, à nous.
Cette perspective me glaçait le sang... Mais je n'avais pas le temps de m'en inquiéter pour l'instant !
L'heure du grand départ était enfin arrivée : nous partions pour Pleiku et rien n'aurais pu gâcher mon bonheur ce jour là !
De HCMC, la route pour Pleiku était longue... Plus de 10h de bus ! Nous décidâmes donc de faire une halte stratégique à Buon Ma Thuot à mi chemin, pour visiter un parc naturel, sur les conseils des locaux.
Le parc était paisible : peu connu des touristes, il n'était fréquenté que par quelques vacanciers vietnamiens.
Après une trentaine de minutes de marche au beau milieu d'une végétation luxuriante, nous arrivâmes enfin aux cascades. Elles se dressaient là devant nous, majestueuses et imposantes, déferlant dans un doux fracas, pour se jeter quelques mètres plus bas dans une rivière à l'eau turquoise translucide.
Nous admirions, bouches bées, ce spectacle de la nature...
Mais très vite, la contemplation se mua en un silence étouffant.
Les montagnes russes émotionnelles des derniers jours avaient laissées place a une rancoeur tenace, impossible à dissiper. Le spectre de nos disputes passées planait nous hantait, menaçant de resurgir a tout moment... Nos blessures réouvertes saignaient à bloc ; et puisqu'aucune parole ne parvenait à les apaiser, le silence s'imposait comme seul remède pour ne pas se faire souffrir encore davantage.
Mais AJ, le silence était-il la solution ? Il n'y avait rien que je redoutais plus que le silence...
Mes efforts pour détendre l'atmosphère étaient vains. La conversation n'était pas naturelle.
Je nous observais avec stupeur, répéter machinalement ces phrases enflammées que l'on avait l'habitude de se dire, les vidant peu a peu de leur substance.
Peut être aurions nous du en rester là, AJ... Finalement tu avais raison, ce roadtrip n'était pas une bonne idée.
Etions nous en train de chercher a forcer le destin ? Comment pouvait on seulement imaginer repartir a zéro, alors que nous nous étions tant fait souffrir ?
Je désespérais. J'assistais impuissante à une scène que je ne voulais pas voir. Là, étalé devant mes yeux, la désagrégation de notre amour...
Seul le temps semblait pouvoir faire son oeuvre et panser nos blessures, mais du temps, on en avait pas...
La situation me devenais insupportable quand soudain, tu eus LA bonne idée.
Puisque ni le silence, ni la parole n'étaient la solution, Il ne restait plus qu'un ultime recours : l'action.
"On va se baigner ?" me lança tu alors.
Bien sûr nous n'avions pas de maillot, mais je ne me posais même plus la question.
"Ici ? Mais c'est un parc ! Il y a des enfants ! " ne pouvais je m'empêcher de te faire remarquer en désignant du doigt une famille vietnamienne venue pique niquer sur les bords de la rivière.
"Par là, on ne nous verra pas ! " répondis-tu sûre de toi, et déjà tu m'entrainais un peu plus bas sous le pont, là ou il y avait du courant.
Les hautes herbes me piquaient ; je n'avais pas vraiment envie de me baigner. Mais pour échapper à cette ambiance pesante, j'étais prête a tout.
Tu repéras un gros rocher large et plat au bord de la rivière, entouré de hautes herbes et de roseaux : l'endroit idéal !
Les ronces et les herbes folles me griffaient les jambes et m'égratignaient. Le rocher me semblait inatteignable...
Mais au moins j'étais sûre qu'ici, personne ne viendrait nous déranger.
L'endroit était incroyablement calme, paisible et beau. La rivière couleur vert de jade n'attendait que nous.
Tu te déshabillas alors, et te jetas à l'eau. Je te rejoignis à mon tour avec précaution ; le courant étant fort à cet endroit.
Le soleil tapait maintenant, et c'était tellement agréable de nager dans l'eau fraiche.
En me déplaçant avec précaution de rochers en rochers pour ne pas me faire emporter par le courant, je cueillais des roseaux sur la rive. Parfois, manquant de perdre mon équilibre, je vacillais en riant aux éclats, faisant de grands moulinets avec les bras pour me stabiliser.
Tu m'observais en silence, un sourire en coin, sans rien dire.
"Qu'est ce qu'il y a ?" te lançais je, détendue, dans un éclat de rire.
"Rien .... Toi." me répondis tu amusée.
Tu marquas un silence puis poursuivis, les yeux pétillants : "On dirait une peinture, tu ne trouves pas ? ... hum....Je devrais peindre cette scène".
J'acquiesçais en riant. Nous retrouvions soudain notre complicité : tout redevenais si facile et naturel !
Je réussissais même finalement a trouver une position confortable dans le courant, entre deux rochers. Les remous me donnaient l'impression d'être dans un jaccuzi. C'était très agréable.
Tu te rapprochas alors de moi et balaya ma poitrine de tes seins, pressant tes hanches contre les miennes. Le simple contact de ta peau sur la mienne me fit frissonner toute entière.
"Yes, please... " te murmurais je alors a l'oreille dans un soupir satisfait, mais déjà tu me prenais par la main pour m'attirer jusqu'au rocher.
Là, tu m'allongeas en douceur, et plaça ta tête entre mes jambes, maintenant fermement mes hanches entre tes mains. Aux vas et viens de ta langue chaude contre ma peau, s'ajoutait le clapotis de l'eau fraiche.
Sentir. Toucher. Lâcher prise.
Aimer...
La rivière chantait a coté de nous, apaisante.
Aimer ...
Soudain, modérer.
Mais Frissonner... Céder. Et s'abandonner à nouveau...
Exalter. Bouillonner. Haleter. Supplier. Fuir ; mais exalter encore ! Et Capituler. Exploser, enfin ! Fusionner ! Tout oublier ! Rayonner !
Finalement se séparer. Et sentir de nouveau...
Sentir, cette fois, les rayons du soleil qui chatouillent nos corps nus.
****
France J-3 : Pleiku
Une courte nuit dans un hôtel miteux de Buon Ma Thuot, et nous voilà reparties de plus belle à la conquête de Pleiku.
À Pleiku, une surprise m'attendrai : tes amis vietnamiens nous emmènerait camper.
Du camping en plein Vietnam ? Ah ! C'était donc ça, ton cadeau d'adieu final !
Et quel cadeau ! Je n'aurais pas pu rêver mieux !
Je n'en revenais pas que tu m'ai comprise aussi parfaitement... Ou avais tu trouvé le temps d'organiser tout ça pour moi ? Je ne t'avais pourtant rien demandé...
Tu étais incroyable !
Je te sautais alors au cou, te couvrant de baisers. L'aventure commençait maintenant !
Me voir aussi heureuse te comblait, et tu me tendis en riant un petit bout de papier sur lequel tu avais noté une adresse.
"Qu'est ce que c'est ? " te demandais-je alors, intriguée.
"Notre point de rendez vous ! " me répondis tu simplement, avec un sourire énigmatique.
En ouvrant google maps pour localiser l'endroit, je me rendis vite compte que deux rues portaient le même nom et correspondaient a ton adresse...
"AJ, on a rendez-vous dans un bar ?"
Tu secouas la tête, l'air de me dire que tu n'en avais aucune idée.
"On demandera notre chemin en arrivant." me répondis tu, très sûre de toi.
Je souriais malgré moi : "Ça commence bien ! " ne pouvais-je m'empêcher de penser.
Une adresse. On n'avait qu'une pauvre adresse écrite en vietnamien, et on se rattachait a ce petit bout de papier comme au Saint Graal !
A Pleiku, nous étions les deux seules femmes blanches. Les locaux semblaient étonnés de nous voir dans cette région méconnue des touristes, et ils nous dévisageaient avec une bienveillance emprunte de curiosité.
Quand à force de patience et de persévérance, nous croyions enfin nous faire comprendre, "Hotel.. Hotel ! " était le seul mot qu'ils avaient à la bouche. Loin de nous indiquer notre chemin, ils pointaient du doigt l'hôtel le plus poche - ou probablement celui d'un parent - en souriant. C'était peine perdue... Nous nous retrouvions livrées a nous mêmes.
Après avoir tournés un petit moment et essayés deux adresses sans résultat, un passant nous indiqua un bar un peu caché, au fond d'une impasse non répertoriée sur nos plans.
Quand j'aperçu la devanture du bar, immédiatement je souris, convaincue en mon fort intérieur que c'était notre point de rendez vous.
C'était un bar très coloré, d'ou se dégageait des airs de musique reggae couplés à une forte odeur de weed.
Mais AJ, quel genre d'amis avais tu là encore ?
En poussant la porte du bar, un doux frisson d'excitation mêlé à une peur certaine me traversa toute entière.
Je ne savais alors absolument pas dans quoi je m'embarquais, mais jusqu'ici, je n'avais jamais regretté de t'avoir fait confiance. Pas plus que de t'avoir suivi dans tes folles aventures ! Tu excellais dans l art de l'improvisation, et il n'y avait pas de raison pour que ça change !
En pénétrant dans le bar, je fus immédiatement envahie par l'atmosphère sombre et poussiéreuse qui y régnait... A l'intérieur, pas de chaises, seuls des coussins a même le sol. Aux murs, des rideaux de perles et des portraits colorés de Bob Marley. En guise de décoration, tout un assemblage esthétique de bric a broc qui donnait un petit air vintage. Original... J'aimais l'ambiance.
Il me fallu peu de temps pour comprendre qu'on était là dans un véritable sanctuaire dédié à Bob Marley, un bar a weed à l'effigie de la star du reggae. Le genre de bar que l'on aurait pu s'attendre a trouver partout sauf ici, au fin fond de cette impasse exigüe de Pleiku. C'était tellement improbable que je ne pouvais m'empêcher de sourire.
Ton ami Ngoc était déjà la et nous attendait. Un groupe de 6 jeunes hommes vietnamiens l'enrouaient : apparement eux aussi seraient de la partie !
Ngoc était fier de sa ville, et il voulait la faire découvrir aux touristes. Il souhaitait plus tard ouvrir une agence de tourisme à Pleiku, et proposer du camping et des randonnées dans la région - Super idée ! Surtout pour tous les amoureux de la nature comme nous, lassés du tourisme de masse, à la recherche d'authenticité et de partage.
Nous étions donc en quelque sorte ses premières clientes, et très professionnel, Il s'était occupé de tout. C'était lui qui nous prêtait le matériel, lui encore qui s'était occupé des courses, le tout moyennant une somme d'argent raisonnable.
Il ne restait donc plus qu'à lui faire confiance, se laisser guider et profiter.
Lancées a pleine vitesse sur ta moto derrière Ngoc, je ne me lassais pas d'observer ces plantations de café à perte de vue, parsemées de petits chapeaux coniques jaune pâle ici et là.
Ou allions nous ? Je n'en avais aucune idée. Tu ne le savais pas plus que moi d'ailleurs.
Ça me faisait sourire : avec qui d'autre aurais-je pu faire ça ? C'était bien simple, personne. Je ne connaissais personne qui avait ta folie.
Nous suivions Ngoc, prêtes a se laisser surprendre sur la route de l'inconnu.
Déjà nous quittions la route pour nous aventurer sur des sentiers sinueux au beau milieu de nulle part.
Très vite Il n'y eu plus une seule habitation a la ronde et nous nous enfonçâmes dans la végétation luxuriante de Pleiku. Des paysages dignes des plus grands western défilaient sous mes yeux et c'était un festival de couleurs : de la terre couleur ocre à l'herbe verdoyante qui n'a pas son pareil en France, magnifiés encore par la luminosité de 16h quand le soleil descend. Je cherchais par tous les moyens a graver a jamais ces paysages dans ma mémoire.
Comme j'aimais voyager avec toi hors des sentiers battus ! J'étais envahie d'un grand sentiment de liberté.
Ngoc nous montra un chemin connu des vietnamien seuls, et posa le campement près d'un lac enclavé dans les montagnes. C'était magnifique, silencieux, reposant.
Jamais nous n'aurions pu trouver un tel endroit par nous même. Il n'était d'ailleurs répertorié sur aucune carte puisque nous n'avions pas emprunté de routes pour le trouver.
J'avais l'impression de vivre une expérience unique, un moment à part.
Je te regardais ravie : nous étions seules au monde, perdues en plein Vietnam.
Ngoc et ses amis insistèrent pour cuisiner pour nous. Nous les regardions faire, un peu gênées, sans trop savoir comment les aider. Le poulet qu'ils préparèrent était délicieux, très bien assaisonner avec des sauces dont je ne saurais dire ni le nom ni la composition. En tout elles lui donnaient un gout que je ne connaissais pas en France. Je crois que ce qui me surpris le plus fût la façon dont ils découpèrent le poulet avec les mains sans utiliser de couverts, donnant lieu a une charpie sans nom. Ça me dégoutait un peu mais je tentais de faire bonne figure malgré tout. Sans parler de la façon bruyante dont ils mangeaient ou de la manière dont ils rotaient sans gène. C'était une autre culture, et il faut dire qu'au restaurant a HCMC j'avais l'habitude de fréquenter des vietnamiens plus européanisés. Ce fut donc une expérience interessante.
En tout cas ils étaient heureux de partager leur culture et que quelqu'un s'y intéresse. Mais la communication était compliquée : ils parlaient tous très peu anglais. On utilisait donc le langage des signes et google traduction, ce qui donnait lieu a de nombreuses incompréhensions et fous rires de part et d'autres, les traductions étant assez approximatives.
Après le diner : place aux bières, à la musique et à la weed achetée au bar. Voila qu'on se retrouvait a faire la fête avec des vietnamiens au milieu de nulle part !
Les musiques américaines qu'ils passaient nous faisaient sourire, car elles étaient largement passées de mode aussi bien dans les pays occidentaux qu'aux Etats-Unis. Je fumais leur pipe, et je sentais ton regard de plus en plus soucieux se poser sur moi.
Je n'avais pas l'habitude de fumer autant...
Tu me fis alors un signe discret de la tête et me proposa d'aller marcher un peu.
"Tout va bien ? J'avais peur pour toi. On ne sait pas ce qu'ils ont mis dans ces pipes, il vaut mieux ne pas trop fumer" ta voix était inquiète.
Je t'embrassais euphorique, une fois, deux fois, trois fois. AJ tu n'avais pas à t'inquiéter ! Je n'avais jamais eu un tel sentiment de plénitude de toute ma vie ! Et tout ça, c'était grâce à toi !
C'était un soir de pleine lune. Il faisait nuit noire, on ne voyait pas à un mètre. J'avais même du mal a distinguer ta pale silhouette quand tu marchais quelques pas devant moi pour me montrer le chemin. Seule la lumière de la lune se reflétait sur le lac et nous éclairait.
Nous arrivâmes enfin à ce ponton en bois blanc, qui s'avançait sur le lac comme une jetée, avec une jolie maisonnette inhabitée au bout. La lumière de la lune le faisait ressortir, blafard, au milieu de tout ce paysage noir ébène ou l'eau, les montagnes et le ciel ne faisaient qu'un.
On aurait un décor de carte postale, une de ces vieilles cartes postales en noir et blanc réalisée par un photographe.
Un regard complice, et voilà que nous nous entrainions dans l'eau fraiche.
L'eau ? Le ciel ? C'était du pareil au même, ils se confondaient. Je me sentais ridiculement petite, perdue dans cette immensité noire. Un têtard dans un océan sans fond.
Le calme plat.
Allongée en planche, je dérivais dans cette immensité, une pluie d'étoile menaçant de me tomber dessus.
"AJ... AJ !! ...Hannah !! ....AJ !! "
Brusque retour a la réalité. Les autres nous cherchaient, il fallait revenir au campement.
Je n'étais pas fatiguée. De toute façon le soleil se lèverait bientôt.
Je décidais donc de dormir sur le hamac que Ngoc avait installé pour être sure de ne pas manquer le lever du soleil.
Toi tu allais dormir dans la tente, des levers de soleil tu en avais vu des tonnes !
****
France J-2
Il ne devait pas être plus de 5h, et déjà le soleil se levait. Le ciel se parait de ses plus belles couleurs : une ligne rosée se dessinait à l'horizon. Les montagnes semblaient prendre feu.
Enfin, on pouvait distinguer ces troncs d'arbres qui dépassaient gracieusement de l'eau ci et là. Une fine brume s'échappait du lac, mystérieuse, féérique. Étais-je encore en train de rêver ?
J'étais comme hypnotisée ; je ne pouvais plus détacher mes yeux du lac. Je ne sais combien de temps je restais là, le regard fixe, sans même m'apercevoir que le soleil brillait maintenant dans le ciel.
Soudain, je sentis ta présence :
"Le petit déjeuner est prêt. Tu viens ?"
Alors que nous dégustions de délicieux Banh mi vietnamien, Ngoc nous proposa une randonnée dans les montagnes environnantes. Il tenait a nous montrer un point de vue, que selon lui, nous ne pouvions pas partir sans avoir vu.
Une randonnée dans les montagnes ? Quelle bonne idée !
Evidemment nous étions partantes. Mais le pauvre, il ne savait pas dans quoi il se lançait !
Très sportive et endurante, tu marchais vite et donnais l'allure. La pente était ardue et le soleil tapait. Il faisait si chaud que je peinais a te suivre, mais je marchais tant bien que mal dans tes pas comme si de rien n'était.
Je n'allais tout de même pas m'avouer plus fragile qu'une femme de 43 ans ! Ah ça non , Il n'en était pas question !
Notre guide, lui avait plus de mal : pourtant habitué a randonner dans les environs, Ngoc trainait la patte derrière nous...
Ce n'était pas un chemin de randonnée classique. En fait, il n'y avait pas de chemin; encore moins d'indications. Nous errions donc a travers des arbres similaires, sur les paroles de Ngoc qui connaissait ces montagnes comme sa poche. En toute honnêteté, j'aurais été bien incapable de me repérer...
Après une montée interminable en plein cagnard, nous arrivâmes enfin au sommet d'un imposant rocher plat.
De là, une vue à couper le souffle s'offrait à nous ; un panorama dégagé sur toute la vallée. La tête dans les nuages, voilà qu'on surplombait tous ces paysages merveilleux traversés la veille sur ta moto ! Notre lac réduit à une marre, le ponton blanc et sa maisonnette maintenant ridiculement insignifiants au milieu de toute cette végétation luxuriante et tropicale ! À nos pieds, pas le moindre signe de la ville... Simplement la nature livrée à elle même, sans aucune trace d'activité humaine.
Nous nous imprégnions en silence de ces paysages sauvages, submergées par une bouffée d'émotions contradictoires : l'ivresse, la puissance, la liberté mais la fragilité et l'insignifiance aussi. J'avais envie de me jeter dans le décor mais ma conscience me retenait.
Mais déjà il fallait redescendre, Ngoc devait retourner travailler en ville.
Téméraire, tu t'élançais déjà. Mais la descente s'avéra encore plus périlleuse que la montée...
Dévalant la pente a toute vitesse et glissant sur la terre, je me raccrochais désespérément à toutes les branches que je pouvais trouver, manquant de tomber à de nombreuses reprises.
"Si Ngoc veut se lancer dans l'organisation de randonnées touristique, il faudrait peut être repenser le concept ! ", sourais-je alors en mon fort intérieur. Ce genre de randonnée, c'est clair que n'était pas pour tout le monde !
L'après midi, nous avions prévu une activité plus calme : une virée au lac bien Ho que tu voulais me montrer. C'était un lac immense - bien plus grand que celui autour duquel on avait campé - au sein d'un parc naturel. Enclavé dans les montagnes, il faisait comme une cuvette. Un imposant bouddha blanc surplombait les chemins de dalles blanches aménagés le long de la rive.
Alors que nous étions engagées dans une promenade sur les bords du lac, je repérai au loin des rizières magnifiques séparées du parc par un simple grillage. De ce coté là, la végétation avait l'air plus sauvage, plus belle.
Je te lançais alors un regard entendu :
"On y va ? "
Mais avais-je vraiment besoin de te demander ?
Comme je m'y attendais, tu ne me freinas pas et tu m'accompagnas même dans mon délire.
C'était parti ! Ni une ni deux, voilà que nous escaladions le grillage...
Une fois de l'autre coté, j'eu un instant d'hésitation : Peut être entrions nous chez des gens ? Mais très vite ma curiosité l'emporta et balaya d'un trait toutes mes inquiétudes.
Nous nous frayâmes donc avec précaution un chemin à travers les rizières, soucieuses d'éviter de piétiner les plantations. Parfois nous croisions quelques modestes habitations en tulles. Les travailleurs interrompaient alors un court instant leur labeur pour nous saluer de la main. Ils avaient l'air surpris de nous voir là, mais pourvu qu'on respecte leur travail et qu'on ne cherche pas à les prendre en photo comme de vulgaires touristes, ils nous souriaient et échangeaient même quelques mots avec nous. J'observais avec intérêt la manière dont ils cultivaient le riz.
Je n'en revenais pas. Il y avait un tel contraste entre le parc bien entretenu que nous venions de quitter et cet endroit quelques mètres plus loin. Ici, pas de doutes, c'était bien le Vietnam profond. On sentait qu'on pénétrait dans le quotidien des gens, on sentait la pauvreté autour de nous.
À un moment, je repérais une surface plane d'herbe. Génial ! Enfin un endroit facile d'accès !
Je m'y engageais donc franchement, les deux pieds dedans...
Mais voilà que l'herbe se dérobait sous mes pieds et je m'enfonçais dans une espèce de boue ! J'avais les pieds trempés !
Ah cette satanée plante qui se prétendait herbe mais qui n'en était pas ! Je criais à l'imposture !
" L'herbe c'est de l'eau !! L'herbe c'est de l'eau !! "
Pourtant c'était bien de l'herbe, simplement une espèce bien particulière qui poussait dans l'eau... Comment aurais je pu le savoir ?
Le pire c'est que dans ma panique, au lieu de regagner la terre ferme, je me mis a courir dans tous les sens, m'enfonçant encore chaque fois un peu plus...
Tu n'en pouvais plus de rire.
Cette aventure m'avait finalement couté une Stan Smith ! La pauvre s'était tellement enfoncée dans la boue que j'avais du l'abandonner sur place...
Mes pieds étaient trempés, pleins de boue...
"On va se baigner ?"
C'était décidément la phrase du voyage !
Un parc naturel avec quelques habitations autour ? Bah on n'en était plus a notre coup d'essai !
Mais là, l'eau était plus trouble que d'habitude et on ne voyait pas ce qu'il y avait sous nos pieds. J'imaginais donc qu'il devait y avoir pas mal de rochers, et j'avais peur de trébucher sur l'un d'eux.
Bien sûr, ça ne manqua pas... Et non pas une mais deux fois !
Tu riais. Décidément je les enchaînais...
Le lac était gigantesque, quelques filets de pêches étaient étendus ci et là. Le bleu azur de l'eau se confondait avec le ciel.
Nous nagions dans l'eau fraiche, complètement nues, au dessus des filets de pêche, se laissant dériver, seules au milieu des montagnes.
Après toutes ces péripéties, on avait bien mérité une petite pause ! Nous décidâmes donc de nous arrêter dans un de ces bars a hamacs comme il y en a beaucoup au Vietnam, en bord de route. Les vietnamiens ont en effet l'habitude d'y faire une halte pour se désaltérer autour d'un tra da, le thé local, puis d'en profiter pour faire une sieste.
Que c'était réconfortant de siroter ce jus de canne à sucre depuis le fond de nos hamacs ! Je me sentais revigorée d'un coup !
Mais ou allions nous bien pouvoir dormir ce soir là ? Nous n'en avion pas la moindre idée. Nous n'avions pas réservé d'hôtel...
C'est là que la même idée folle nous traversa l'esprit : et si on dormait cette nuit encore autour du lac ? Pas besoin de tente, juste d'un hamac !
Le temps d'échanger un rapide sourire complice, et déjà tu te munissais de tes bases en vietnamien et de google traduction pour négocier la location de deux hamacs pour la nuit.
Surpris, le gérant accepta de nous les prêter gratuitement pourvu que nous les rapportions le lendemain. C'était adorable ! Nous le remercions chaudement, et nous voila donc reparties à l'aventure toutes les deux avec nos hamacs !
Le lac offrait pleins de spots merveilleux. On voulait changer d'endroit, mais trouver un emplacement possible s'avéra en fait bien plus compliqué que ce qu'on pensait : les arbres étaient soit trop espacés soit trop proches.
La nuit allait à tomber d'une minute à l'autre, et je commençais à perdre patience...
Soudain, tu eus une idée : le petit ponton blanc !
Mais oui bien sûr, pourquoi n'y avais je pas pensé plus tôt ! On pourrait y suspendre nos hamacs et dormir au dessus de l'eau avec la vue sur les montagnes !
Ouf ! Tu avais sauvé la soirée... Je retrouvais le sourire.
Alors que nous nous discutions, heureuses, déjà en train de faire des plans sur la comète pour le lendemain, je jetais soudain un coup d'oeil distrait à mon portable.
00h13... 22 décembre 2018.
22 décembre 2018 ?!?
Panique... Mais comment était ce possible ? Comment pouvait-on déjà être le 22 décembre ?
Il devait y avoir une erreur...Je vérifiais une nouvelle fois, comme pour m'assurer d'avoir bien vu. Mais d'un coup mon sourire disparu complètement et mon expression se figea...
AJ, demain c'était mon dernier jour au Vietnam, il fallait absolument qu'on rentre !!
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