La Rupture
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« Hier encore, j'avais vingt ans mais j'ai perdu mon temps
À faire des folies
Qui me laissent au fond rien de vraiment précis
Que quelques rides au front et la peur de l'ennui
Car mes amours sont mortes avant que d'exister
Mes amis sont partis et ne reviendront pas
Par ma faute j'ai fait le vide autour de moi
Et j'ai gâché ma vie et mes jeunes années »
Charles Aznavour – Hier encore
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Le 23 décembre, je serai en France.
15 jours... 15 jours et tout serait fini de toute façon.
AJ, au fond on l'avait toujours su, toi et moi ça ne pouvait pas durer bien longtemps... C'était une erreur de casting, un bug dans l'algorithme implacable de la nature. Nos chemins n'auraient jamais du croiser, nos modes de vie étaient trop différents. Quel avenir avions nous ?
15 jours...
tic... tac... tic... tac...
Le temps nous était compté.
Dorénavant il fallait que chaque jour compte ! Il fallait que nos deux dernières semaines subliment encore toute notre relation !
AJ, toi et moi on ne pouvait pas se quitter sans un feu d'artifice ! Et le bouquet final devrait être à notre image... intense ! sublime ! magique ! mémorable !
AJ, on ne se reverrait sans doute jamais... Je voulais partir sans regrets. Je voulais avoir été au bout de nous.
Mais voilà, finalement tu ne pouvais pas quitter ton travail, en tout cas pas tout de suite. Notre roadtrip d'adieu dans le nord devrait attendre... Tu avais encore beaucoup de choses à régler avec la galerie et tu ne pouvais pas partir, sur un coup de tête, comme ça. Il fallait que je comprenne, que je sois patiente...
AJ, avais-tu seulement vraiment essayé ?
J'étais frustrée. Tant d'heures passées a négocier mon départ avec ma patronne pour rien !
Finalement la semaine passais, tu allais travailler et moi je me retrouvais seule toute la journée dans HCMC...
Quand tu rentrais finalement épuisée par tes entrainements, tu devais encore gérer toute la paperasse liée à l'ouverture de la galerie. Tout ça te laissait peu de temps pour nous...
On était bien loin de mes derniers jours rêvés au Vietnam !
Nos disputes étaient de plus en plus fréquentes... Un mur de non dits et de rancoeurs s'érigeait progressivement entre nous.
Je t'accusais de tous les maux. Je t'en voulais de ne pas être là pour moi, au moment où j'en aurais eu le plus besoin. Je te détestais de ne pas prendre le temps d'organiser ce roadtrip par amour pour moi. Une part de moi finissais même par te haïr pour n'avoir pas assez voyagé ! C'était de ta faute si en 6 mois au Vietnam, je n'avais pas fait la baie d'Halong... Tout ça parce que j'avais choisi de passer mes weekend avec toi ! Tout ça parce que tu n'avais pas les moyens de voyager autant... Bien sûr, Il était plus simple de te blâmer toi, que d'assumer mes choix.
Voyant que je tournais en rond et que je devenais chaque jour de plus en plus irritable, un matin tu me lanças : "Et pourquoi tu ne partirais pas quelques jours en weekend avec Margaux ?"
Avec Margaux ? Mais de quoi allais-je bien pouvoir parler tout un weekend en tête a tête avec Margaux ?
Il n'y a encore pas si longtemps, je t'aurais ri au nez et je ne l'aurais même pas envisagé... Mais voilà, je n'avais plus le choix de toute façon. C'était Margaux, ou finir la semaine comme un lion en cage à HCMC. Et puis, peut être qu'un peu de distance nous ferait du bien à toutes les deux.
Cette fois, quand je rentrerai, tu serais officiellement en vacances et on partirait ensemble, c'était promis. On irait même où je voudrais.
Ok. Je ne demandais qu'a te croire.
Je reprenais donc espoir : j'avais peut être perdu une semaine mais je n'avais pas encore perdu la guerre !
Je passais alors la matinée de mon départ à nous prévoir un roadtrip d'une semaine vers Sapa, cette ville du nord réputée pour ces treks incroyables au sein des minorités ethniques en costumes traditionnels vietnamien. J'étais plutôt satisfaite de moi quand je t'envoyais l'itinéraire.
Enthousiaste, tu me promis d'y jeter un oeil et de m'en reparler pendant le weekend. J'étais heureuse, enfin on semblait repartir du bon pied...
Mais au moment de partir, alors que tu m'embrassais, j'eu une phrase malheureuse :
"Essaye d'être plus sympa quand je rentrerai", je ne pus m'empêcher de te lancer avec malice sur le seuil de la porte.
Immédiatement, je sentis que c'était la phrase de trop. Ton sourire se figea en une fraction de seconde et laissa place à une moue agacée que je ne te connaissais pas. Tu tournas alors les talons et sans plus dire mot, t'engouffra à l'intérieur de la maison.
Je ne pouvais pas te courir après sous peine de rater l'avion. Le taxi venait d'arriver et j'étais déjà en retard ; Margaux m'attendais.
Je ne sais trop comment décrire ce que je ressentis a ce moment là, mais j'avais comme un mauvais pressentiment. Je n'arrivais pas à m'enlever de la tête ce dernier regard que tu m'avais jeté. Il me glaçait le sang.
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Aussi le soir même en arrivant, la première chose que je fis fût de t'appeler. Je voulais apaiser les tensions de la matinée et vérifier que tout allait bien entre nous.
Mais a peine avais tu décroché, que ce que je redoutais arriva :
"On ne va pas pouvoir partir en roadtrip ensemble" commenças tu.
"Comment ça ? ...mais pourquoi ? qu'est ce qui a changé depuis ce matin ?" te demandais je. "Tu te rends compte que j'ai passé toute la matinée a planifier notre roadtrip à Sapa..."
Je rageais, il n'y avait rien que je détestais plus que de perdre mon temps et de me projeter dans un futur qui n'aurait jamais lieu...Mes derniers moments au Vietnam étaient bien trop précieux pour que je les gaspille ainsi ! Tu aurais quand même pu me prévenir avant que tu avais changer d'avis !
"Je ne peux pas être avec quelqu'un qui me renvoie une image négative de moi même", ce fut ta seule réponse.
J'étais interloquée. Je ne réalisais pas ce qu'il venait de se passer. Venais tu de me larguer par téléphone ?
Mais pourquoi faisais tu ça de cette façon ? Dans tous les cas, dans une semaine je serai en France et tu serais débarrassée de moi... Problème réglé ! Ne pouvais tu pas attendre une semaine ?
Et puis, on n'avait pas le temps pour ces disputes... Ne devrions nous pas plutôt être en train de profiter au maximum l'une de l'autre avant mon départ ? Était-ce vraiment la fin que tu souhaitais pour notre relation ?
Je tentais de te résonner tant bien que mal, finissant même par te supplier...
Mais rien à faire, c'était peine perdue. Tu avais pris ta décision.
Je ne comprenais pas. Comment pouvais tu être si égoïste ?
AJ, plus rien n'allait dans ma vie, alors comment voulais-tu que je puisse encore te porter comme avant ? Étais tu avec moi seulement pour l'image que je te renvoyais de toi même ?
Je passais donc une nuit horrible. Non seulement je venais de me faire larguer comme une malpropre par téléphone, mais en plus j'étais piégée sur cette ile de malheur dans mon bungalow au toit en feuilles de palmier qui menaçait de foutre le camp sous la tempête à n'importe quel moment, sans wifi et avec Margaux pour seule compagnie !
Pas de chance, il fallait qu'il y ait une tempête pile le weekend ou l'on avait décidé de venir !
Le weekend paradisiaque sur l'ile en bord de mer venait de virer au cauchemar... Une scène tragicomique.
Incapable de fermer l'oeil de la nuit, je retournais inlassablement la situation sous tous les angles. Et plus j'y réfléchissais, plus je réalisais avec amertume que le pétrin dans lequel je me retrouvais était en grande partie de ma faute. Sans même m'en rendre compte, je t'avais mis une pression incroyable ces derniers jours ! A vouloir que nos derniers jours ensemble soient absolument parfait, je te rendais la vie impossible : malgré tous tes efforts pour me combler, je n'étais jamais satisfaite. A force de mettre la barre si haut, j'en avais fini par oublier tout ce que tu faisais pour moi au quotidien, tout ce qui étais déjà sous mes yeux... Comment avais-je pu être aveugle à ce point ces derniers jours ?
Le lendemain matin, il pleuvait toujours autant.
Je n'avais rien envie de faire. J'étais épuisée, vidée. Jamais je n'avais été dans un tel état...
La pauvre Margaux ! Ce ne devait pas être drôle d'être coincée avec l'épave que j'étais !
Je culpabilisais un peu...Comme j'aurais détesté moi, me retrouver seule avec une copine en plein chagrin d'amour, incapable de faire quoi que ce soit de la journée, le tout par ce temps pourri qui nous condamnait a rester en huis clos !
Mais Margaux était d'une toute autre nature ! Elle, ça ne semblait pas la déranger outre mesure. Ou en tout cas si ça la dérangeait, par égard pour ce qu'il venait de m'arriver, elle savait mettre ses problèmes de coté pour écouter les miens !
Sensible et attentive, elle semblait toute aussi prise au dépourvu que moi par la tournure des évènements, et tentait de me rassurer : "AJ et toi c'est une évidence. Elle t'aime tellement. Vous allez vous réconcilier, j'en suis sûre."
J'étais beaucoup moins optimiste...Je voulais t'écrire un message mais je n'y arrivais pas. Toujours ma foutue fierté qui me paralysait ! J'avais une boule au ventre, la gorge nouée.
C'est alors que Margaux me surpris une nouvelle fois et se comporta en véritable amie : "Il n'y a pas de fierté en amour" me dit elle simplement et elle me proposa d'écrire le message a ma place.
Le message qu'elle m'écrivit était simple, mais il me mettait à nue. Jamais je n'aurais osé envoyer quelque chose qui me laissait si vulnérable, mais je la remerciais chaudement.
Encore une belle personne que j'avais jugé trop rapidement !
Alors que j'étais encore en train de tergiverser pour savoir si j'allais t'envoyer son message, je reçu le tien comme une délivrance.
Tu t'excusais d'avoir balancé comme ça sans vergogne toute notre relation à la poubelle. Toi non plus tu ne voulais pas que ça se finisse comme ça entre nous. Tu espérais qu'on pourrait avoir une discussion a mon retour.
On échangea un soleil.
Ça me réconforta un peu. Nous étions sur la même longueur d'onde.
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A mon arrivée à la coloc, tu m'attendais déjà sur le toit.
Parler. Encore parler et s'expliquer ... J'étais lasse. J'avais comme une impression de déjà vu.
"Tu m'as fait beaucoup de mal..." commenças tu.
"Mais AJ, c'est toi qui m'a larguée !" J'étais révoltée. Je n'avais jamais autant souffert de ma vie et c'était à moi de m'excuser ?
Mais toi non plus tu n en pouvais plus de t'excuser...
Les mots ne suffisaient plus. Tu me pris alors dans tes bras et me dit avec lassitude :" allongeons nous ensemble un moment".
Sur le moment, je n'ai pas compris. Moi j'avais déjà passé tout le weekend a pleurer, je n'avais plus de larmes a verser.
Mais toi tu n'avais pas encore pu évacuer, je pense. Aussi on resta un long moment enlacées, les yeux humides, dans les bras l'une de l'autre.
On s'était fait mal. Tellement mal...
Pour toi, j'étais prête à tout AJ. J'étais prête à dire que je me foutais du roadtirp. Peu m'importais que l'on reste à HCMC pourvu que je sois avec toi ! T'avoir perdue une fois m'avais fait prendre conscience de ce qui comptais vraiment pour moi.
Mais non, c'était toi qui insistas : "Je te promets qu'on partira. Laisse moi finir encore deux - trois trucs à la galerie et je m'occuperai de nous organiser quelque chose de bien." tu marquas une pause, puis : " Que penses tu de Pleiku ? ".
Pleiku c'était l'endroit que tu avais préféré dans tout le Vietnam, et c'est pour cette raison que tu voulais m'emmener la bas.
Mais Pleiku c'était aussi l'endroit qui te tenait le plus à coeur, puisque c'était là que ton père avait été stationné pendant la guerre du Vietnam. Ça me touchait que tu veuilles le partager avec moi.
Tant pis pour le Vietnam nord... Pleiku, c'était davantage toi, c'était davantage nous. Quel meilleur choix pour notre roadtrip final ?
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