2. Fascination
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« Je n'aurais jamais cru qu'on se rencontrerait
Le hasard est curieux, il provoque les choses
Et le destin pressé un instant prend la pause
Non je n'ai rien oublié... »
Charles Aznavour -Je n'ai rien oublié
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Nos chemins se sont croisés début septembre.
Je venais d'emménager au 2 duong so 59, une maison avec terrasse dans le district deux d'HCMC - le quartier d'expatriés. Une colocation de six personnes - trois filles, trois garçons, tous français.
Moins d'une semaine après, tu débarquais sur ta grosse moto crachotante et prenais la place d'Henri qui s'en allait.
Je me souviens, je me suis tout de suite dit en te voyant pour la première fois « Eh bah on ne va pas s'ennuyer ! ». Une première intuition qui s'est par la suite révélée juste...
Adèle, une de mes colocs et amie la plus proche m'avait alors confiée « AJ je ne l'approcherai pas avec un bâton ! ». J'acquiesçais en riant.
Tu avais tout de la personne marginale que j'aurais snobée, méprisée, et jugée a tort, moi la petite étudiante bien pensante d'école de commerce, jamais vraiment sortie de son milieu bobo et snobinard.
Look de baba-cool, piercing au nez, tatouage au pied, quarante-trois ans et dans une coloc de jeunes à faire la fête avec eux comme si tu en avais vingt. Tu parlais trop fort, fumais de la weed à longueur de journée, parlais la bouche pleine, débarquais tout droit du New Jersey, USA ...
Le parfait cliché du beauf américain tel qu'on se le représente dans les pays européens !
En y repensant je ne peux m'empêcher de sourire... La rencontre, donc, improbable entre deux clichés aux antipodes. On pourrait facilement croire à un gag comique.
Dès le premier soir tu as capté mon attention. Tu avais une telle énergie, un tel charisme, tu semblais drôle. Tu avais énormément voyagé et tu avais toujours une anecdote pertinente à raconter sur n'importe quel sujet. Ton mode de vie si particulier m'intriguait.
Chaque jour, j'apprenais un peu plus de toi. Ainsi je me suis vite rendue compte que tu avais vécu l'équivalent de dix vies en une : coach de fitness, non tu n'étais pas seulement cela ! Véritable touche à tout, tu étais aussi artiste peintre, réalisais des tatouages, chantais... Lors de l'une de nos premières soirées tous ensemble sur la terrasse (roof) tu avais chanté et ta voix éraillée, grave et puissante m'avait transportée... Quand tu entonnais Bobby Mcgee de Janis Joplin, ma chanteuse préférée, je vibrais avec toi au son de chacune des notes. Je ressentais alternativement toutes tes émotions à fleur de peau, entre passion et détresse ; force et vulnérabilité.
https://youtu.be/WXV_QjenbDw
Et avant tout ça tu avais pratiqué l'aviron à haut niveau dans l'équipe de ta fac, puis été entraineur. Sans parler de ton bref passage par Hollywood où tu avais assisté Sean Penn. Que ne savais-tu pas faire ?
Mais mieux encore, c'est ton magnifique projet qui m'a fait t'admirer et t'estimer encore davantage. Et oui ! comme si tout ça ne suffisait pas tu avais décidé de faire vivre les mémoires de ton père en retraçant son parcours au Vietnam. Il avait fait la guerre du Vietnam et était mort d'un cancer il y a deux ans aux Etats-Unis, suite à son exposition à l'agent orange, gaz utilisé par les soldats américains pendant la guerre. Traumatisé par la guerre, il voulait revoir la vie au Vietnam, mais était mort avant d'avoir pu réaliser son souhait. Tu avais donc décidé d'entreprendre ce voyage pour lui et de disperser ses cendres à Pleiku, là où il avait été stationné pendant la guerre du Vietnam, là où il était mort une première fois. Ton but était de libérer la parole sur la guerre du Vietnam, de parler a tous ces américains traumatisés par la guerre, aussi bien les militaires que leurs enfants. Tu avais beaucoup souffert du syndrome de stress post-traumatique, qui se transmet chez les enfants de militaires dont tu faisais partie. Ton idée était de laisser un témoignage, de te mettre à nue en lisant ses mémoires en live vidéo. J'ai trouvé ça simple, beau authentique, touchant. Tu m'impressionnais, je t'admirais.
Tu n'avais jamais eu d'argent et tu ne t'en cachais d'ailleurs pas. Ta mère était ancienne strip-teaseuse et alcoolique ; ton père soldat américain pendant la guerre du Vietnam. Tu m'as raconté que les autres enfants se moquaient de toi à propos de cette mère qui titubait en venant te chercher à la sortie des classes ou encore de tes habits jugés trop cheap. Pourtant tu ne lui en avais pas gardé rancœur, et même au contraire tu admirais tes deux parents pour les valeurs qu'ils t'avaient transmises, leur esprit libre, et leur intelligence.
L'un de nos premiers soirs tous ensembles sur le roof, alors que nous dansions tous comme des déjantés, tu t'es soudain approchée de moi et m'a dit à quel point tu me trouvais sexy. Je me souviens avoir été profondément surprise et choquée ; j'ai saisi Adèle par le bras et me suis enfermée dans les toilettes avec elle pour lui expliquer dans un rire nerveux que tu me draguais...
Je n'avais jamais été draguée par une femme auparavant.
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Oui je te vois venir : "Mais c'est toi tu m'as qui m'a draguée la première ! Je ne me serais jamais permise de draguer ouvertement quelqu'un d'aussi jeune !"
Passée la surprise des débuts, je crois maintenant en te connaissant mieux, il est vrai que tu aurais pu dire à n'importe quelle fille que tu trouvais belle et sexy qu'elle l'était, sans arrière-pensée. Surement une différence de culture... ton franc parler d'américaine face au naturel français plus réservé.
En tout cas moi je ne l'ai pas compris comme ça. Et heureusement ! Car c'est de ce malentendu qu'est née notre histoire.
Je pense maintenant que c'est parce que j'ai cru que tu t'intéressais à moi, que j'ai voulu savoir si je pouvais t'avoir, toi une femme de quarante-trois ans. J'étais consciente de mon pouvoir de séduction sur les hommes, mais qu'en était-il sur les femmes ? Je ne l'avais jamais testé, je ne m'étais d'ailleurs jamais posée la question. C'était justement l'occasion de le découvrir.
Au début il ne s'agissait donc que d'un simple jeu de séduction, et le coté dangereux et inconnu de la situation m'excitait.
Ainsi, dès nos premières soirées, je fis en sorte de te provoquer pour que tu sentes que je m'intéresse à toi.
Je m'asseyais à côté de toi et pendant que les autres parlaient, pressais légèrement ma cuisse contre la tienne, te jetant des regards espiègles à la dérobée. Comme je te sentais réceptive, je poursuivais en frôlant délicatement l'intérieur de ton poignet et de ton avant-bras avec l'extrémité de mes doigts, te caressant légèrement. Je te sentais frémir, et là encore je rencontrais ton regard. Tu soutenais le mien ; nous échangions un bref sourire complice.
Le jeu était lancé. Nous étions lancées.
Je savais que tu me comprenais, et personne autour ne semblait se rendre compte de notre petit manège. C'était très drôle et excitant à fois.
J'aimais ça. Je voyais dans tes yeux que toi aussi.
Tu rentrais progressivement dans mon jeu et faisais en sorte d'être proche de moi le plus souvent possible. Tu recherchais le contact de ma peau sur la tienne. Je ne savais alors absolument pas où tout ça allait nous mener, mais je voulais m'amuser, profiter de l'instant présent sans trop me poser de questions.
Bref, j'aimais plaire, j'aimais flirter, et toi aussi.
Ce petit jeu de séduction que j'avais avec toi, je l'avais aussi mis en place quelques semaines avant avec Julien et Henri, les deux garçons de la coloc. Mais avec toi c'était différent. Ta personnalité singulière m'intéressait. J'aimais passer du temps avec toi. Nous partions souvent sur des débats à n'en plus finir à propos de tout et de rien. Un soir, après une soirée bien arrosée sur le roof, nous avons discuté si longtemps que tout le monde avait fini par aller se coucher. Nous avons alors emprunté tant bien que mal le petit escalier en colimaçon qui menait au toit de la maison et offrait une vue panoramique incroyable sur tout HCMC. Il devait bien être au moins trois heures du mat', et on continuait sur notre lancée à débattre avec passion, entre deux pas de danse, à tituber en riant joyeusement sous les premiers rayons du soleil. Le ciel était d'un rose très pale, c'était magnifique. On s'observait, on se découvrait. Tu riais. Je réalisais que tu étais une très belle femme. On savait qu'on se plaisait, mais on ne se le disait pas. Les mots étaient inutiles. C'était platonique...
Mais tout a vraiment commencé ce jour où, avec Adèle et une de ses copines, nous sommes allées faire de l'escalade. Même si nous étions dans la même école et avions beaucoup d'amis en commun, je ne connaissais Adèle que de vue avant le Vietnam. Nous n'avions jamais réellement pris le temps d'échanger autrement que très brièvement, en soirée. Pourtant très vite, dès mon arrivée à la coloc, nous sommes devenues inséparables. C'était une fille à l'humour mordant, intelligente et simple. On avait une vraie communion de penser.
Nous étions donc allées au Saigon Outcast, là où il y avait un mur d'escalade et j'avais proposé à toute la coloc de nous rejoindre. Evidemment, je savais que tu adorais l'escalade, et j'espérais secrètement que tu viennes. Je n'ai pas été déçue ! Je me souviens encore comme j'avais été heureuse de te voir assise au bar, seule à nous attendre, en train de manger un burger (Quel cliché !). Évidemment pour toi qui escaladait des immeubles, un mur d'escalade c'était un jeu d'enfant. Je te regardais faire avec admiration. De mon côté, j'avais dû faire de l'escalade deux ou trois fois dans ma vie et encore je devais avoir douze ou treize ans... on ne jouait clairement pas dans la même cour. Pourtant contre toute attente et à force de ténacité je me débrouillais plutôt bien. Il faut dire que j'étais grande et assez sportive. Tu me montrais les prises les plus simples, et faisais même le parcours avant moi pour m'aider. Je me rappelle comme je recherchai ton contact. J'avais envie que tu me touches, j'avais envie de sentir tes mains me guider sur le parcours mais à la place tu me guidais avec ta voix.
Nous avons ensuite pris un verre toutes ensembles. Ce soir-là, j'avais prévu d'aller à une soirée de networking entre expat, mais les filles proposèrent plutôt une soirée sur la terrasse. Elles insistaient toutes tellement pour que je reste... Mais c'était inutile. La seule personne avec qui j'avais envie de passer ma soirée c'était toi, AJ. Je me suis donc facilement laissée convaincre. Et c'était repartit pour une de nos soirées sur le roof, incroyables comme elles l'étaient au début. Nous buvions tous beaucoup trop et dansions à en perdre haleine. Notre tour au loin, le Landmark, nous faisait son spectacle de lumière comme tous les soirs. Julien me faisait danser le rock et tourner dans tous les sens encore et encore. Je riais aux éclats. La soirée battait son plein ; rien ne semblait pouvoir nous arrêter.
https://youtu.be/724zNpXESyU
C'est à ce moment-là que Camille qui voulait dormir eu le malheur de venir nous demander de baisser la musique. Je la rembarrais un peu méchamment en lui disant qu'elle ne savait pas s'amuser et hurlait à Adèle d'augmenter encore le son dans la foulée. C'était le moment de faire la fête, de « party hard » j'avais décrété... Et c'est exactement ce que nous avons fait.
J'étais alors au cœur de la dynamique de la maison : j'étais la meilleure amie de Ludivine, Adèle me considérait comme la personne avec qui elle avait le plus d'affinité. AJ, Henri et Julien me désiraient tous les trois. Il n'y avait que Camille qui ne me portait pas vraiment dans son cœur, mais elle était quasi inexistante et sortait peu de sa chambre de toute façon. J'étais donc au cœur de toutes les intrigues de la maison et j'avoue que j'aimais en jouer, m'amusant à attiser les rivalités.
Alors que la soirée touchait à sa fin, nous nous sommes tous posés sur les canapés de la terrasse pour discuter tranquillement. Tu t'étais assise à côté de moi, comme d'habitude, et j'avais négligemment posé mes jambes sur tes genoux, m'étirant de tout mon long sur le canapé. Tu avais posé ta main sur mes jambes, comme pour me garder contre toi, et c'est toi qui cette fois laissait courir discrètement tes ongles sur ma peau. A un moment, tu as du t' absenter quelques minutes pour aller aux toilettes, libérant alors ta place à côté de moi sur le canap'. Julien a alors saisi sa guitare et s'est immédiatement installé à ta place, me faisant une déclaration d'amour dans la foulée. Prise au piège de mon propre jeu, je l'ai recalé gentiment. Il m'en voulait, disait que je l'avais allumé ; peut-être n'avait-il pas tout à fait tort. Quand tu es revenue sur la terrasse j'ai pu voir ton exaspération. Tu sentais que Julien me désirait. Tu lui lançais d'ailleurs une pique sur le ton de l'humour, lui rappelant que c'était TA place sur le canapé. Ça me fit sourire. J'ai fait en sorte que tu vois que Julien ne me plaisait pas en te lançant un regard de détresse. Julien du se sentir mal à l'aise et il descendit avec Adèle ; je pensais alors qu'ils étaient partis se coucher.
Immédiatement tu as repris ta place à côté de moi, et après avoir ri avec toi de la situation bizarre qui venait de se dérouler sous nos yeux, je t'ai embrassée... une première fois d'abord, puis encore et encore, langoureusement, jouant avec tes lèvres. C'était si naturel de t'embrasser, je n'ai pas hésité une seule seconde. Et puis tu embrassais si bien...J'aurais pu t'embrasser toute la nuit. Je ne pensais à rien, j'étais dans l'ivresse du moment. Dans l'ivresse tout court d'ailleurs : J'avais beaucoup trop bu ; toi aussi. Et c'est peut être la raison pour laquelle j'ai osé. Pourtant je savais exactement ce que je faisais. Adèle et Julien sont remontés pile à ce moment-là et nous ont vues. Je les ai entendus rire au loin puis repartir en silence. Je m'en foutais. J'avais tellement bu... Tu m'as tiré par la main jusque dans ta chambre et m'as allongée sur ton lit. Tu as alors commencé à me déshabiller, nous rions. Mais toi tu voulais faire les choses correctement : tu avais trop de respect pour moi et pour toi-même pour faire ça comme ça. Tu voulais que je sois sûre de moi. Tu avais peur que je ne ressente pas le même désir pour toi en étant complètement sobre, tu avais peur que je regrette. Je t'assurais que non, que je savais parfaitement ce que je faisais. Tu riais face à mes tentatives folles pour te le prouver. « Rien ne presse » me disais tu, « nous avons le temps ». Evidemment tu avais raison. Je t'en remercie.
Nous nous sommes donc endormies l'une à côté de l'autre. Le lendemain matin je me réveillais dans ton lit, me demandant ou j'étais, complètement désorientée et avec une forte migraine. La porte de la chambre était ouverte, tu avais oublié de la refermer en partant comme tous les matins a 5h pour donner ton cours de fitness. Je ne sais même pas si tu avais pu dormir un peu... Ma tête cognait, j'avais une puissante envie de vomir. Dans le couloir j'aperçu Julien qui passait. Je l'appelais à l'aide depuis le fond de ton lit. Il me regarda et passa une première fois devant moi en m'ignorant totalement, puis m'adressa un « je crois que tu n'as plus besoin de moi » glacial et s'en alla. Je ne comprenais pas... Mais qu'est ce qui lui prenait tout d'un coup ?
Je réussissais finalement à me lever et à aller travailler comme tous les jours à 9h. Sur mon Grab, le service de uber local mais qui se fait en scooter, ma tête tournait et ma vue se troublait. Je ne m'aperçu même pas que j'étais descendue du scooter sans même retirer le casque et le rendre au chauffeur... j'arrivais donc tout naturellement au travail, le casque encore sur la tête sous le regard éberlué de ma patronne !
Au travail, j'envoyais alors un message à Adèle qui me répondait froidement, elle aussi. Elle me disait que je lui avait mal parlé pour la musique la veille et me reprochait de devenir ingérable quand les choses n'allaient pas exactement comme je le voulais.
Je ne me souvenais pas lui avoir mal parlé pour la musique...
Camille de son côté ne répondait pas à mes messages.
Mais qu'avais-je pu dire ou faire hier soir pour me mettre comme ça toute la maison à dos ? Des parties de la soirée me manquaient c'était sur, mais bizarrement aucune de celles où j'étais avec toi...
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