1.1 Décollage imminent
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"Cinquante millions de vietnamiens
Et moi, et moi, et moi..."
Jacques Dutronc
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Le Vietnam ? Une décision prise sur un coup de tête. Une case cochée à la va-vite sur la plateforme de l'école. Un stage de six mois nécessaire pour valider ma première année.
Je ne savais pas grand chose du Vietnam. On avait bien dû me faire regarder Indochine - le drame historique de Régis Wargnier - vers mes quinze ans, mais il ne m'en restait qu'un souvenir lointain, entre paysages somptueux et domination coloniale.
Et Saigon ? Que dire de Saigon ? Je n'en menais pas large non plus. La perle de l'extrême Orient, plus connue sous le nom d'Ho Chi Minh ville (HCMC) ? Jamais entendu parler. Toutefois, au fil d'investigations assidues sur Google maps les derniers jours, je pouvais maintenant raisonnablement affirmer sans me tromper qu'elle se trouvait à la pointe sud du pays.
"Embarquement immédiat ! " brailla l'hôtesse à quelques mètres de nous, m'arrachant à ma rêverie silencieuse.
Ludivine, assise à coté de moi, sursauta et bondi d'un coup, son sac gonflé comme un ballon sur le dos. Elle m'adressa alors un sourire radieux, tandis que ses yeux remplis d'excitation criaient "Allez ! Mais qu'est ce que tu attends ? C'est parti ! ".
Débuta alors la file d'attente, interminable. Ludivine déversait son flot de paroles habituelles, mais je ne lui prêtais qu'une oreille distraite. Elle était si bavarde, que parfois elle parlait davantage pour elle même que pour les autres. Une année entière passée en la compagnie de Lulu m'avait finalement appris quand fermer mes écoutilles pour ne pas risquer le court-circuit cérébral.
"Votre billet mademoiselle ?" claironna l'hôtesse de sa voix d'automate, comme pour me rappeler à la réalité.
"Un problème ?" Quelques minutes maintenant que je l'observais - telle une poule face à un cure dent - tourner et retourner mon billet sous tous les angles pour le scanner.
Fichu code barre qui n'avait pas l'air de fonctionner ! D'un coup mon rythme cardiaque s'accéléra : Et si je restais bloquée dans ce foutu aéroport ?
Soudain, un bip strident retenti. Ouf ! Le bip salvateur !
"Ah... Mais pour vous c'est de l'autre coté ! Vous avez été surclassée mademoiselle. " m'entendis je simplement dire, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.
"Euh...Pardon ? Vous... vous êtes sure ? " demandais-je sans trop y croire. N'oublions pas que c'est la poule qui se tenait face à moi.
Non, sans rire, ça remonte à quand la dernière fois que tu as été surclassé en business par erreur ? Pour un peu je lui tordrais le cou : c'est pas beau de laisser fleurir l'espoir dans le coeur des petites gens.
"Oui, oui regardez c'est bien écrit business ! " caqueta-t'-elle triomphalement en me pointant du bout de son doigt boudiné l'écriture cursive taille douze police illisible.
"Ah. En effet." En plissant les yeux, le visage approché aux trois quarts, j'aperçu enfin ahurie le détail qui venait tout juste de transformer mes quinze prochaines heures.
Les yeux de Lulu s'arrondirent comme des billes. Elle me fixait avec envie, et d'un air qui se voulait enjoué me lança dépitée: "Bon... bah profite bien ! On se retrouve au Vietnam ! "
Parfait. L'aventure ne pouvait pas mieux commencer. "Je le sens bien ce voyage !" Me réjouissais-je en mon fort intérieur.
Négligemment affalée sur mon siège molletonné, à siroter un verre de bienvenue - du champagne, oui on ne se refuse rien ! - entre deux cacahuètes, je faisais honneur aux avantages de mon nouveau statut.
"Mesdames, Messieurs, le décollage est imminent. Veuillez attacher votre ceinture et...".
Mes mains moites s'agrippaient avec fureur aux accoudoirs, comme si elles pouvaient encore changer le destin de ce lourd bolide de ferraille. Ah que je déteste l'avion ! - Comme tout ce qui échappe a mon contrôle d'ailleurs....
À travers le hublot, les paysages biens connus de la France se rabougrissaient à vue d'oeil tandis que l'engin poursuivait sa folle course, propulsé à la verticale.
Ouf ! Enfin stabilisés dans les airs. Ma respiration retrouvait progressivement un rythme normal. « À dans six mois, la France. » trinquais-je calmement, en mastiquant une cacahuète du bout des lèvres.
Six mois... Je n'étais jamais sortie de France aussi longtemps. Six mois...Une demi année bordel ! Mais quelle idée d'aller si loin ! On m'avait pourtant prévenu : la chaleur suffocante, la mousson, la pollution, les maladies infectieuses, le trafic de médicaments, l'eau non potable et les glaçons à éviter à tout prix. Bon, normalement, pour ce qui est des médicaments, j'étais parée à tout. Même une pénurie prolongée n'aurait pu venir à bout de mes réserves ! Ma mère avait veillé minutieusement à transformer ma valise en pharmacie géante, un véritable kit de survie où se côtoyaient tout un tas de médicaments dont je ne connaissais ni l'utilité ni l'existence, des vitamines en tous genre aux comprimés anti-inflammatoires, sans oublier deux thermomètres pour la route - on ne sait jamais, des fois que l'un des deux me lâche - et des suppositoires. Merci maman.
Une pharmacie de guerre ambulante donc, qui me donnait davantage l'impression de partir pour une expédition dangereuse que pour un stage.
Et que dire des moustiques ? Quel fléau ces bêtes là ! En grande allergique, on n'avait pas idée de se fourrer dans un merdier pareil... Ce n'était probablement pas mon armée de spray vaporisateurs et ma moustiquaire achetée quelques jours plus tôt qui viendraient à bout de ces suceurs de sang vietnamiens parmi les plus féroces du monde !
À ce moment précis, je ne savais plus si c'était l'appréhension ou l'excitation qui me tordait le ventre et me retournait l'estomac. Ma mère avait peut être finalement réussi à me transmettre sa paranoïa....Qu'allais-je donc bien pouvoir trouver dans cette contrée sauvage d'apparence si hostile ? Je n'en avais pas la moindre idée.
Le petit guide du routard que j'avais acheté voilà maintenant trois jours trônait toujours au beau milieu de ma tablette. Quinze heures de vol... C'était le moment où jamais de l'ouvrir. Saigon, "Entre traditions et modernité", déchiffrais-je sur la première page. Hum... Encore une de ces phrases pseudo-philosophiques et pompeuses à deux balles qui veulent à la fois tout et rien dire.
J'en avais déjà bien assez lu. Je refermais donc précipitamment le livre, esquivant la confrontation avec le réel une fois de plus. La peur d'être déçue peut être ? Ou pire encore celle de voir mes craintes se confirmer.
Plus que quelques heures de répit avant le face à face... Pour le moment, je préférais encore laisser jouer mon imagination, et m'en remettre à elle une dernière fois. Ainsi, en fermant les yeux, j'arpentais les rues irrégulières et étouffantes d'une cité archaïque fantomatique, en proie à une jungle sauvage peuplée de moustiques diaboliques.
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"Mesdames, messieurs, nous allons entamer notre descente...Veuillez.."
Tirée de mon sommeil par l'annonce du commandant de bord, je peinais à réaliser que quinze heures s'était déjà écoulées. J'avais du dormir tout le trajet...
"Bienvenue à HCMC, il est dix-huit heures, heure locale et la température extérieure..."
Quoi ? Déjà ? Je n'avais même pas entendu la roue heurter le sol !
"Cette fois ça y est, plus de retour en arrière possible" murmurais-je comme pour moi même. Et je m'empressais donc, le coeur léger plein et d'insouciance, de rejoindre Lulu qui m'attendais à l'attribution des visas. Encore un dernier contrôle, et bientôt plus rien ne nous séparerait d'HCMC !
L'excitation me gagnait. Et je devinais à la mine de Ludivine qu'elle était dans le même état d'agitation que moi.
Les portes automatiques s'ouvrent, nous quittons enfin l'aéroport climatisé.
Soudain, sans crier gare un gouffre de chaleur et d'obscurité nous frappe de plein fouet. L'air est humide certes, mais rien d'insupportable, rien de comparable à ce que l'on m'avait promis. Le corps s'y adapte progressivement : je ne dégouline pas - ou pas encore du moins. En revanche, chose plus troublante, il fait nuit noire. Pourtant il ne doit pas être plus de dix neuf heures...
L'extérieur de l'aéroport - ou plutôt ce que j'en distingue - à des airs de fourmilière. Une multitude de petits nains agglutinés - il faut dire qu'avec mon mètre soixante dix, je domine aisément les foules - , prêts a mettre le grappin sur le premier touriste un peu déboussolé qui passerait par là.
Bien évidemment, Lulu et moi ne dérogeons pas à la règle. Et c'est donc alpaguées par le premier venu, que nous nous lançons dans une savante négociation avec le chauffeur de taxi sans avoir la moindre idée de ce dont nous parlons. La fin de l'histoire vient assez naturellement : malgré la certitude d'une bonne affaire, nous payons la course pour deux fois le prix. Mon premier contact avec HCMC se fit sur fond d'arnaque, donc.
Sur la route qui mène à la maison, stupeur encore. Nulle trace d'une quelconque cité archaïque. Pas plus que de l'existence d'une jungle luxuriante...Pays du tiers monde, pays sous développé, certes. Mais enfin, HCMC n'est en rien comme je l'avais imaginée ! C'est une grande ville moderne. Il y a des routes. Dans le noir on croirait presque une ville européenne si ce n'est ce brouhaha assourdissant, cet amas de scooters qui bondent les rues. Mais ou avais-je la tête ? Avant même d'avoir commencé, je comprends vite que mon expédition Indiana Jones des temps modernes : "À la conquêtes des territoires reculés et sauvages de Saigon" vient d'être avortée dans l'oeuf.
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