Chapitre 19
- A...
- A ? l'encouragea-t-elle avec bienveillance.
- A... Na, termina Jack.
Sa tête lui tournait toujours, et il avait horriblement mal au crâne. Il y voyait flou. Très flou. Ses pensées délirantes s'étaient arrêtées. Son cerveau entier, à vrai dire, avait arrêté de fonctionner. Il voyait simplement une silhouette se dessiner devant lui. Il avait mis quelques minutes avant de comprendre qui était penché sur lui. Le pauvre garçon avait tout essayé, rempli d'espoir. Le premier mot qui était sorti de sa bouche était "Jane", puis "Eyllée", et Anna lui avait adressé un sourire triste.
- Non, Jack. C'est moi, tu me reconnais ?
Puis, après une pause, elle avait corrigé :
- Tu me vois ? C'est Anna. A-nna.
Le cœur de l'adolescent s'était alors empli de chagrin, avant de ressentir un profond soulagement. Il était vivant. C'était la seule chose dont il était sûr à présent. Il ne se souvenait plus de rien. Et il ne faisait aucun effort pour se remémorer l'événement qui l'avait fait atterrir là. Un mauvais pressentiment lui tordait le ventre, et il n'avait aucune envie de voir de quoi il s'agissait. Tout ce à quoi il aspirait, à ce moment, était un verre d'eau. Et le sommeil. Il voulait s'endormir pour oublier la douleur que sa tête l'obligeait à supporter.
- Ça va ? s'enquit la médecin.
Jack ne savait pas que répondre. Il ne savait pas si ça allait ou non. Vraiment pas.
En voyant son air décontenancé, Anna lui tendit de l'eau. Elle avait deviné son désir le plus cher. De l'eau. Quand il eut avalé trois verres pleins d'un seul coup, l'adolescent se sentit mieux. La douleur s'était estompée. C'était magique. La mémoire commençait à lui revenir. Il la laissa l'envahir, tandis qu'une main reposait son verre de doliprane, dont il n'avait même pas senti le goût.
À ses côtés, M. Brown l'observait avec compassion, et une pointe de curiosité scientifique quant au comportement qu'il avait. Il n'avait pas prévu d'analyser les résultats d'un contact avec l'extérieur sur les enfants de la base, mais cet accident lui en donnait l'opportunité.
Jack cligna des yeux, comme s'il ne croyait pas ce qu'il pouvait voir. Le directeur se rapprocha. Anna tourna la tête vers lui.
- Son amnésie se dissipe, chuchota-t-elle.
Il hocha la tête. C'était sans aucun doute le moment le plus important. Il brûlait malgré lui d'apprendre de nouvelles informations, qui n'avaient pas été sues à l'avance, sur la deuxième apocalypse.
Jack ouvrit la bouche pour bégayer quelque chose. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à réaliser.
- Jane est... Jane... morte... tenta-t-il d'articuler.
- Intéressant, bougonna le directeur.
Anna allait le rassurer, mais M. Brown l'en empêcha.
- Laissez-le, Drake. Laissez-le.
Elle obéit sans rechigner. Jack continua de parler.
- ...Et moi aussi.
- Wouah ! s'exclama-t-il en sortant un carnet. Vraiment, vraiment très intéressant. Mais tu as raison, mon garçon. Tu n'es pas passé loin.
- Tu es bien vivant, ne t'inquiète pas, lui murmura Anna, dérogeant à la recommandation du directeur. Et Jane aussi...
À ces derniers mots, Jack bondit de son lit, regardant de tous les côtés.
- Non, non ! Vous mentez ! Elle est morte, Jane est morte, je le sais ! Pourquoi vous ne me dites pas la vérité ? Elle est morte, je vous dis. Je l'ai vue.
- Je vous l'avais dit, Drake, chuchota M. Brown. Maintenant on est coincés. On doit lui dire la vérité. Le pauvre.
Anna soupira, et tenta de calmer l'adolescent.
- Jack, elle est...
- MORTE ! Elle est morte !
Il avait hurlé, faisant sursauter tous ceux qui l'observaient. Des médecins, des scientifiques, qui étaient là à la fois pour le soigner et étudier son comportement. Jack était décontenancé. La haine heurtait son chagrin, et le choc que cela provoquait en lui était effrayant. Finalement, il finit par fondre en larmes dans les bras d'Anna.
- Pourquoi ? Pour...quoi ?! Je voulais... juste... voir... dehors, hoqueta-t-il. Juste... voir. C'est ma faute, tout est de... ma faute ! Oh, Jane, pardon, pardon !
La médecin lui caressa la tête affectueusement. Elle pleurait elle aussi, touchée par la tristesse du garçon. Elle ne savait plus ce qu'elle devait faire, ou dire, et la colère commençait à monter en elle, car personne autour d'eux ne semblait se préoccuper de l'état mental de Jack. Les médecins affirmaient que sa vie n'était plus en danger, et les scientifiques, animés par une curiosité malsaine, observaient ses réactions avec un sourire intrigué qui faisait froid dans le dos.
Anna prit une voix encore plus douce et calme pour essayer de le résonner.
- Elle est bien vivante, je peux te l'assurer.
Elle fut soulagée de voir qu'il ne se remettait pas à crier. Il n'avait pas bougé, et répondit simplement, murmurant presque, entre deux sanglots.
- Je sais qu'elle est morte. Je l'ai vue. Elle m'a dit... Adieu... puis elle a fermé les yeux et... Son cœur ne battait plus. J'ai pris son pouls ! Elle n'en avait pas, je le jure. Elle ne respirait pas, non plus. Sa poitrine ne se soulevait plus, ni par les battements de son cœur, ni par l'air qui aurait dû entrer dans ses poumons.
Anna le laissa terminer. Puis, sans un regard pour les autres membres de l'élite, elle le fit se relever et l'entraîna par la main.
- Restez ici, Drake ! ordonna M. Brown.
Elle ne répondit pas, et se dégagea vivement quand on essaya de la retenir. Un scientifique allait lui arracher Jack, mais le directeur l'en empêcha.
- C'est bon, Clark. Laissez-là partir, dit-il à l'homme, qui baissa les yeux. Et ôtez-moi cet air de chien battu de votre visage, pitié !
Puis, agacé, il partit sur les pas du docteur, avant de claquer la porte au nez des scientifiques qui allaient pour le suivre. Anna marcha jusqu'à une autre chambre, très proche de celle-ci. Après leur avoir donné les premiers soins, ils les avaient redescendus au camp Destiny et les avaient séparés dans deux chambres différentes. Dans celle de Jane, il n'y avait pas tout ce régiment d'élite, mais simplement Thomas. La jeune fille n'étant pas encore réveillée, personne d'autre n'avait trouvé utile de rester à son chevet, puisqu'aucune réaction "intéressante" n'était à guetter.
Quand elle poussa la porte et croisa le regard de Thomas, tandis que Jack apercevait Jane, un silence de quelques secondes s'installa dans la pièce. Il fut très vite brisé par l'adolescent qui accourut auprès de Jane.
- Pardon, pardonne-moi, ma Jane, pleura-t-il en arrivant près d'elle. Je suis désolé, tellement désolé.
Des larmes coulaient encore le long de ses joues, alors que son esprit gardait toujours en tête la pensée qu'elle était morte.
- Si tu savais à quel p...
Il s'arrêta net. Ses yeux s'agrandirent, et il eut un mouvement de recul. Autour de lui, les trois adultes retenaient leur souffle. Et Jack crut bien que son cœur allait s'arrêter de battre à cause du choc. Elle respirait. Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier. Elle respirait. Il tendit une main tremblante et la posa sur son cœur. Il battait. N'y croyant toujours pas, il posa cette fois sa tête, pour écouter de sa propre oreille. Il avait tellement peur de se tromper qu'il avait de la peine à réaliser ce qui pourtant était évident. Elle vivait.
Un rire lui échappa quand il comprit. Un rire si fort, si pur, si beau, qu'il aurait tiré des larmes au plus rigide des humains. Un rire qui exprimait tout son chagrin, sa peur, son désespoir, et qui les effaçait d'un seul coup, les transformant en un sentiment de liberté incroyable.
- On devrait les laisser, fit remarquer M. Brown, que personne n'avait vu arriver.
Anna sursauta, et Thomas le dévisagea. Il n'avait pas souvent eu affaire à cet homme, mais la facette qu'il avait découverte ces dernières heures n'avait rien à voir avec l'image qu'il s'était faite de lui, entre les ragots et l'histoire avec Mike qu'il avait laissée de côté quelques mois.
Le directeur les regardait, affichant un sourire plein d'empathie et de bienveillance qu'ils n'avaient encore jamais vu. Pris de court, ils s'exécutèrent, et refermèrent la porte derrière eux.
- Vous devriez fermer à clé, fit-il remarquer. Ça s'ouvre de l'intérieur, et ça empêchera ces connards de scientifiques d'entrer.
Anna était effarée. Était-ce bien le même homme qui, il y avait quelques minutes à peine, rentrait dans le lot des « connards de scientifiques » et prenait un malin plaisir à observer le pauvre garçon ? M. Brown avait peut-être un cœur, après tout.
Dans la chambre, Jane s'agita. Jack se remit debout, ne sachant que faire. Il l'appela par son prénom. Elle fronça les sourcils dans son sommeil et tourna la tête vivement des deux côtés, comme si elle sortait d'un cauchemar. Puis, brusquement, elle ouvrit les yeux. Jack retint sa respiration. Les pupilles de la jeune fille glissèrent pour rencontrer son regard. Un sourire ému apparut sur leurs deux visages, simultanément.
Jack se jeta dans ses bras. Il l'aimait tellement. Aucun des deux ne put dire un mot. Mais le silence qui régnait était suffisamment éloquent. Le garçon posa sa tête à côté de celle de Jane, qui n'esquissa pas un geste.
Il approcha son visage de son oreille et chuchota :
- Tu m'as manqué.
Puis il l'embrassa sur la joue avec tendresse et y colla son front, l'enlaçant de ses bras. Une larme coulait le long de la joue de la jeune fille. Lui aussi, il lui avait manqué.
Brusquement, Jane pivota la tête pour se retrouver face à lui, et ses lèvres glissèrent pour saisir les siennes. Ils auraient pu rester comme cela, blottis l'un contre l'autre, pendant le reste de l'éternité. Leurs regards se croisèrent une nouvelle fois. Leurs yeux exprimaient chacun un mélange d'émotions indescriptibles.
Les bras de Jane glissèrent à leur tour dans le dos de Jack, et elle le ramena vers elle, collant sa poitrine contre la sienne, tandis qu'il remontait ses jambes sur le lit. Elle le serra à l'en étouffer. Elle ne le lâcherait plus jamais. Les souvenirs affluaient en même temps, elle se souvenait de ce qu'elle lui avait dit avant de se croire morte, elle se souvenait de son visage à ce moment-là, et cela lui faisait si mal qu'elle avait l'impression que si elle desserrait son étreinte, maintenant, et qu'elle le voyait s'éloigner, elle ne survivrait pas. Plus rien ne les séparerait jamais, à présent. Ils avaient réchappé à la mort, et rien ne lui faisait plus peur quand il était là.
La main de Jack remonta pour se prendre dans les cheveux de Jane, et approcher son visage encore plus près du sien. Il l'embrassa encore, désirant faire durer ce moment plus que toute autre chose au monde. C'était si irréel, plus irréel encore que quand il avait cru la voir mourir. Et pourtant c'était bien vrai, elle était bien là, vivante, collée contre lui, sa tête dans sa main et ses lèvres contre les siennes.
Jane décolla son visage et le fixa quelques secondes sans desserrer son étreinte.
- Je t'aime, murmura-t-elle de sa voix douce. Je t'aime, Jack.
Le garçon ferma les yeux et attira contre lui la tête de la jeune fille, posant son front contre le sien, de façon à ce qu'elle ne puisse pas voir ses yeux remplis de larmes.
- Promets-moi une chose, lui dit-il en tentant de masquer son émotion.
- Laquelle ?
Jack étouffa un sanglot.
- Ne me dis plus jamais Adieu.
*
* *
Le bruit de leurs pas rapides résonnait dans l'I.T.B. De temps en temps, Anna accélérait pour rester au niveau de M. Brown, qui marchait un peu trop vite pour elle.
- Donc vous pensez qu'il a tout imaginé ? en conclut-elle.
Le directeur se frotta le menton.
-Non, c'est plus subtil que ça.
Elle soupira. Il ne répondait toujours qu'à demi-mots, ce qui ne parvenait pas à satisfaire sa curiosité. Ils arrivèrent devant une grande salle laboratoire dans laquelle étaient regroupés tous les scientifiques qui avaient été dans la chambre de Jack.
Tous étaient occupés à quelque chose : certains étaient penchés devant un ordinateur, analysant des données ; d'autres, munis de lunettes et de gants, manipulaient avec minutie des solutions de couleur. Personne ne bougea à leur arrivée.
- Qu'est-ce qu'ils font ? demanda Anna, curieuse.
M. Brown se pencha vers elle.
- A votre avis, Drake ? Ils étudient la deuxième apocalypse.
La jeune femme haussa les épaules.
- Je m'en doutais. Ce qui m'intéressait était de savoir ce qu'ils avaient trouvé.
Elle n'obtint pas de réponse. Le directeur s'avança vers un des scientifiques et ils se mirent à parler à voix basse. Puis il fit un signe à Anna qui les rejoignit.
- Vous voyez, ça ? dit-il en lui montrant un des écrans d'ordinateurs du doigt. Cette courbe représente l'évolution de la présence des nuages de brumes dans le monde au cours de ces dernières six heures. Regardez : ça ne cesse d'augmenter. La planète est envahie par ce truc.
Il changea de fenêtre.
- Et sur celle-là, c'est la température, par zone géographique, il y a une semaine. Elle était relativement normale. Et là, regardez... Voilà, quand on sélectionne cette fonction, vous allez voir comment ça a évolué heure après heure jusqu'à aujourd'hui.
Sur la carte, qui affichait plusieurs températures différentes à divers endroits, les compteurs s'affolèrent. En antarctique, elle augmenta de dix degrés en une seule journée, avant de ralentir, pour atteindre tout de même les trente-sept degrés. Le scientifique zooma sur l'Arizona et recommença le processus. La température arriva à soixante-quatre degrés. Anna était effarée. Avec une chaleur pareille, impossible de survivre plus de quelques heures dehors. C'était inconcevable. Le directeur lui jeta un coup d'œil.
- Je sais ce que vous pensez Drake. Et je suis d'accord avec vous. Se sortir de là risque d'être plus difficile que prévu...
Il soupira, puis afficha une autre courbe.
- Ça, c'est l'évolution de l'intensité de la brume. Jack et Jane ont eu de la chance de ne pas mourir à son contact. À la même heure, dans d'autres régions du monde, leur dangerosité est au plus haut.
- Et vous savez ce qu'elle provoque ? le coupa Anna, impatiente. Les hallucinations, on en sait un peu plus ?
- Des hallucinations, oui, en effet. Avec ce qu'on a pu observer sur Jack, les hallucinations se rajoutent par-dessus la réalité. Elles transportent les certitudes du subconscient en illusion. Par exemple, il a vu que Jane avait arrêté de respirer et n'avait plus de pouls. C'était faux. Son cerveau, qui en était intimement convaincu, et par l'effet de la brume, le lui a fait croire. Il a d'ailleurs dit que Jane lui avait dit Adieu. La pauvre petite avait également le sentiment profond, encore une fois à cause de la brume, que son dernier souffle approchait. Elle a cru qu'elle était morte. Réellement.
- C'est affreux.
- Comme vous dites.
Il la regarda avec gravité.
- Et c'est pour cela que nous devons tout faire pour les préparer à ce qui les attendra dans le monde de demain. Je pense que nous avons assez attendu. Nous pouvons lancer la phase deux.
*** Note d'auteur ***
C'est la fin de ce triplet seconde apocalypse ! J'espère que ça vous a plu (c'était un peu les montagnes russes, et c'en était que plus marrant à écrire).
Je publierai sûrement un chapitre ou deux pendant les vacances (la phase 2 se lance, c'est super excitant haha)
D'ici là, bonne journée à vous !
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