À mon réveil, je me sentais enfin reposé – ce qui avait pris plus de vingt heures, si j'en crois mon réveil sur la table de chevet.

Merde ! pensai-je en me levant d'un bon. J'ai vraiment dormi vingt heures ?!

Je sortis de mon lit pour tenter de retrouver les autres, mais je m'arrêtai en remarquant un sac en plastique noir au sol, avec une note posée dessus. « Je me suis occupé du déménagement – Math. PS : Tu ronfles comme un tracteur ».

Je poussai un soupir en froissant la note et la lançai vers la corbeille, au coin de la porte, et ouvris le sac pour voir qu'il y avait mes vêtements que j'avais laissés chez Cynthia. Moi qui voulais encore prendre un temps pour réfléchir entre ici et chez elle... Faut croire que Math avait vraiment hâte que je sois ici pour de bon.

Je me pris une douche et m'habillai d'un simple jean et chandail à manche longue avant de sortir dans le corridor, mes cheveux mouillés dégoulinant encore dans mon cou. J'allai à la salle à manger pour croiser un bon paquet de clones, y compris Tom et Math qui me salua d'un mouvement de main pour ensuite me présenter la place libre à côté de lui. C'était bien ma chance de m'être réveillé à midi.

- Si c'est pas la belle au bois dormant ! s'écria-t-il. Sérieux, je me demandai bien quand tu allais te réveiller.

- Je suis on-ne-peu plus réveillé, et tout aussi affamé.

Je pris une pomme dans la corbeille à fruit au milieu de la table et croquai dedans avant de m'appuyer à nouveau dans ma chaise. En mâchant, je pris le temps de regarder tout le monde autour de la table. Au moins, avec dix clones, elle ne semblait plus excessivement grande.

Simmer, le seul omnivore parmi les clones, ne se gênait pas pour gouter à tout, autant à la salade qu'au poulet. Arthur, à côté de lui, mangeait une pomme, pendant que Seth et Albert rongeaient avidement leurs cuisses de poulet. Je remarquai Aël qui ne mangeait rien, les bras croisé et enfoncé dans sa chaise ; il était insectivore, de sa nature d'araignée, et j'étais bien heureux qu'il s'abstienne en public. Un peu plus loin, je reconnus Télio ; il mangeait son poulet en fronçant les sourcils, répugné de manger un oiseau. À côté, c'était forcément Léo et ses cheveux longs ; les corbeaux aussi sont omnivores, ça expliquait la diversité dans son assiette. Il semblait étrangement calme malgré ce que m'avait dit Télio à son sujet. Il avait surement menti, ce qui n'était pas étonnant. Et enfin, je remarquai, pour mon étonnement, Riley, entre Hadrien et Aël. Il s'était enfin transformé ! Malgré tout, il semblait tellement faible qu'Hadrien devait parfois l'aider à soulever sa fourchette.

- T'as manqué tout un spectacle, hier, dit Math pendant qu'il coupait sa viande avec un couteau. Un peu après que tu t'es endormi. Remi est arrivé ici en hurlant que tu t'étais échappé et qu'il fallait te ramener à l'hôpital. C'était presque la guerre entre lui et papa. Moi, j'ai eu le temps de retirer toutes les plaques sur les portes de chambre pour qu'il ne sache pas où te trouver. Il a presque attaqué je sais plus qui en pensant que c'était toi.

- Moi, dit Aël en relevant la tête. Il m'a trainé de force sur près de vingt mètres. J'ai pas eu le choix de me transformer pour lui prouver que j'étais pas toi, et je suis atterris sur sa main. Tu imagines le cri de mort qu'il a fait en me voyant en araignée escalader son bras ? Il a failli me tuer !

Je me retins d'éclater de rire en imaginant la scène. Hadrien, lui, avait une main sur la bouche et les yeux écroutements clos sous la pression. Aël envoya une claque sur la tête d'Hadrien en passant au-dessus de Riley, qui s'était penché au-dessus de son assiette pour ne pas recevoir le coup.

- Et pendant que Remi n'était plus là où il aurait dû être, Riley s'est transformé, dit Télio. Je savais plus quoi faire; on m'avait dit d'avertir Remi quand ce sera fait. Alors je l'ai apporté ici, dit-il dans un haussement d'épaules.

Riley hocha la tête, sans se prononcer. Il regardait fixement Léo, assis en face de lui. Léo avait les yeux dans son assiette, sans rien remarquer. Ou peut-être même qu'il l'ignorait. J'aurais presque pu croire que c'était louche.

Math me donna un petit coup de coude dans les côtes, juste assez fort pour me faire sursauter.

- Hé, Miöche, tu veux que je mette quel film, aujourd'hui ? Je pourrai mettre fantastic beasts, pour continuer Harry Potter qu'on a écouté sans toi, hier...

- Hé, Math, dit Simmer en relevant la tête de son assiette, la bouche pleine. Tu pourrais pas nous laisser des petites vacances, de temps en temps ?

Tous les autres clones approuvèrent en hurlant des « ouais ! ». Math baissa la tête, les joues rouges. Tom pouffa de rire, mettant une main devant la bouche pour s'empêcher de s'étouffer avec ce qu'il mangeait.

- Miö, défend-moi ! marmonna Math tristement.

- J'allais dire la même chose, en fait.

Math me donna un second coup de coude, cette fois un peu plus douloureux. Je lui renvoyai le coup, et rapidement, ça se transforma en une guerre de coude. Les autres clones assis autour de nous se mirent à crier des « vas-y, Miö ! » et des « défends-toi, Math ! ».

- On se calme, les enfants ! dit Tom, qui ne pouvait s'empêcher de rire avec nous.

- Hé, on a un fugitif !

J'arrêtai la guerre pour tourner la tête vers celui qui avait parlé ; je ne sais plus si c'était Télio, Léo, Aël ou Hadrien, mais ça venait pour sur de ce coin-là. Je remarquai assez vite de quoi il parlait ; Riley s'était levé pour s'éclipser. Il se retourna vers nous, sachant qu'il avait été démasqué.

- Je veux juste aller me reposer, un peu. Je suis fatigué.

Je n'avais pas de doute à le croire, je comprenais assez bien ce qu'il vivait. Pourtant, il y avait un petit quelque chose sur son visage qui n'allait pas. J'étais assez bien placé pour le savoir ; j'avais le même visage.

- Tu veux que je t'accompagne ? proposa Arthur en se levant de sa chaise.

- Non, je... (Il leva les yeux vers Léo, une seule seconde, avant de reporter son attention sur Arthur.) Je connais le chemin. C'est pas loin.

Arthur hocha la tête en s'asseyant à nouveau. Riley tourna les talons et partit vers les chambres. Il y eut ensuite un long silence, où tout le monde se dévisageait. Moi-même, sans vraiment connaitre Riley, je savais déjà qu'il était du genre à dormir en s'appuyant sur l'épaule de son voisin plutôt que d'aller lui-même ailleurs.

- Ouah, ça plombe l'ambiance, dit Math. Il va bien ?

- Autant que d'habitude, dit Arthur en haussant les épaules. Pas vraiment.

- Faut que j'aille chercher Remi ? Je dois aller à la tour de toute façon, dit-il en levant les yeux vers l'horloge au mur. Vu que Miö a un peu saboté la course d'hier, faut que je me reprenne.

- J'aimerais ça, moi aussi, faire des tours de piste, dit Seth, la bouche pleine de poulet. Ça doit être amusant !

- J'en parlerai à Stanton.

- Moi aussi ? demanda Arthur.

- Je demanderais pour vous tous !

- Cool ! s'écrièrent tous les clones en même temps.

- Vous pourriez faire la course dans la cour, y'a assez d'espace, dit Tom.

- Ouais, mais sur une vraie piste, ça serait tellement mieux, dit Seth.

- Mais ce serait plus pratique pour vous de le faire ici.

Seth prit un moment avant de répondre, reposant la cuisse de poulet qu'il avait à la main dans son assiette. Il dévisagea Tom d'un œil noir.

- Tu nous tiens enfermé, ou quoi ? D'abord, tu veux pas qu'on se transforme, et maintenant, tu veux même pas qu'on sorte ?

Tous les clones s'arrêtèrent de manger pour porter leur attention sur la conversation. Le visage de Tom vira au rouge devant la dizaine de paires d'yeux qui le fixait. Il y eut un moment de silence tendu, avant que Tom s'exclame :

- Je ne veux pas déclencher de guerre civile, et je sais qu'on vous déteste assez pour que ce soit une possibilité ! Donc, oui, je ne veux pas que vous sortiez !

- Qui nous déteste ? m'étonnai-je.

En même temps de prononcer ces mots, je me souvins de ma petite mésaventure chez Debbie, quelques jours plus tôt, avec son père. Lui, il était évident qu'il me détestait, et pas seulement parce que papa voulait protéger sa petite fille.

- Je dois vraiment énumérer ? soupira Tom en s'enfonçant dans sa chaise. Télio a tué le premier roi, Miö a tiré une balle dans la tête du deuxième. Aël et Hadrien ont chacun empoisonné un garde qui surveillait les portes, avec un venin qu'ils ont naturellement en eux. Enfin, vous avez tous tué au moins une personne lors de cette nuit-là, avec Mikaël.

- Pas moi, dit Albert. Je n'étais même pas là. Riley et Léo non plus.

- OK, mais qu'est-ce que ça change ? Les autres ne sauront même pas faire la différence entre vous.

Il fallait avouer que Tom avait de bons arguments, et je n'étais pas le seul à le penser, vu les autres qui se dévisageaient entre eux d'un air dépité.

- Tu as une très belle maison, Tom, mais je ne saurais pas y rester enfermé pour toujours, dit Seth. Ta cour arrière ne sera pas suffisante pour moi.

- S'il te plait, dit Tom en joignant ses mains en prière. Je vous demande une semaine, le temps que je trouve une solution. Je vous promets que, aussi tôt que possible, vous serez libre d'aller où vous voudrez !

- OK, dit Simmer avant que Seth ne lance ses arguments. On va te faire confiance là-dessus. On comprend le dilemme. Mais... ouais, s'il te plait, fais vite.

- Une semaine, répéta Tom en hochant lassement la tête, les yeux rivés à son assiette. Je trouverais bien quelque chose pour vous. Après tout, je comprends que vous ne faisiez que survivre tout du long – même si, Télio, tu es allé un peu fort en tuant le roi.

- Il était de mèche avec le vieux ! s'écria Télio en frappant du poing sur la table. (Léo sursauta sur sa chaise, renversant son verre d'eau qu'il s'apprêtait à boire sur lui. Il reposa le verre en épongeant son vêtement de sa serviette, le visage rouge.) En plus, il martyrisait Miö.

- Me jette pas le blâme sur le dos, tu avais pété les plombs par toi-même, dis-je. (Télio haussa les épaules en boudant. Il tourna la tête une seconde pour regarder Léo d'un air un peu perdu, alors qu'il épongeait toujours son teeshirt.) Donc, moi aussi, je suis confiné ici ? demandai-je en me retournant vers Tom. Tu m'avais bien permis hier d'aller en cours.

- Oui... mais toi, tu es ici depuis toujours, j'avais pensé que ça ne changerait rien. Et Télio... Il fallait bien que je te donne quelque chose à faire, et tu en sais déjà plus que les autres, il fallait bien que je te donne un plus haut niveau de chose à apprendre. Mais là, vraiment, je ne sais plus. On est samedi, de toute façon, j'ai jusqu'à lundi pour régler votre cas. D'ici là, s'il vous plait, vous resterez ici !

- OK, dis-je en même temps que Télio.

Tom hocha la tête d'un air satisfait, puis reporta son attention au contenu de son assiette, déjà presque vide. Pour ma part, ayant terminé ma pomme, je me servis un peu de salade.

Moi qui avais prévu passer mon weekend avec Debbie, comme ça faisait si longtemps que je ne l'avais pas fait... Évidemment, il y avait toujours un petit quelque chose pour nous séparer.