Télio

Je lançai un regard à l'arrière, par curiosité. Miö était encore loin derrière moi, il n'avançait même pas ! J'allai gagner les doigts dans le nez. Puis, un peu tard, je réalisai que c'était un peu bizarre. Math s'arrêta une seconde près de lui, puis recommença à courir. Et Miö s'effondra au sol, tête première.

Debbie, qui était toujours dernière et avait tout vu, tripla de vitesse pour le rejoindre. Je m'arrêtai de courir, sans plus comprendre ; qu'est-ce qui se passait avec Miö ? Zack et Math, qui me suivait toujours, remarquèrent enfin qu'il se passait un truc bizarre et s'arrêtèrent à leur tour. Zack n'était plus qu'à quelques mètres de moi.

- Qu'est-ce qu'il a, celui-là ? C'est... (Il me dévisagea, puis baissa les yeux pour voir mon badge que je portais toujours, inscrit « Télio, l'indésirable »). C'est Miö, là-bas ?

Je marmonnai un « ouais », les yeux toujours rivés sur mon clone. Il ne s'était toujours pas relevé. Math, Saphie et Stanton étaient regroupés autour de lui.

J'abandonnai Zack pour rejoindre les autres. Je m'agenouillai devant Miö, poussant Debbie d'un coup de coude pour avoir un peu de place. Miö était totalement dans les vapes, une mince goute de sang coulant de la narine. Il était incroyablement blême. Math le tenait par une épaule pour le garder sur le côté.

- Tu sais ce qu'il a, Télio ? demanda Math, me lançant un regard nerveux.

- Heu, je sais pas... c'est la première fois que je le vois comme ça !

Sans prévenir, je sentis quelqu'un m'agripper par le dos de mon teeshirt et me tirer par en arrière, me faisant tomber sur les fesses. Je levai les yeux, étonné, pour croiser ceux de Debbie. Son visage était rouge et j'avais des doutes que ce soit la faute de l'activité physique.

- Qu'est-ce que tu lui as fait ?! demanda-t-elle, les poings serrés.

- Mais rien ! dis-je en me levant pour lui faire face. Enfin, vous avez tous vu ; j'étais loin devant quand il est tombé. Et à ce que j'en sais, j'ai pas encore de pouvoir psychique.

Debbie ne répondit rien à ça, ce contentant de me lancer un regarde meurtrier. Je lui tournai le dis, l'ignorant, et m'accroupit à nouveau près de Miö. Une nouvelle goute de sang suivait le sillage de la première, déviant vers sa joue pour disparaitre dans son cou.

Stanton était de l'autre côté de Miö, les doigts sur son poignet.

- Faut l'apporter au sixième, dit-il. Je sais pas ce qui se passe avec lui, mais Remi saura surement.

- C'est forcément ta faute, continua Debbie.

- Arrête !

- Calmez-vous ! s'écria Stanton. (Il prit Miö dans ses bras avec une infinie précaution, même si, comparé à lui, Miö était certainement un poids plume.) Tu viens avec moi, Télio.

- Je viens aussi ! dit Math et Debbie en même temps.

- Non.

Stanton se leva et, Miö toujours dans les bras, partis en direction de la tour, qui de chance était droit devant. Je me précipitai à sa suite, moi-même suivit de Math et Debbie malgré le refus de l'entraineur.

- Télio, dit Math en me rattrapant, tu dois forcément avoir une idée de ce qui se passe !

- J'ai une idée. (Les larmes me montèrent aux yeux alors que ladite idée faisait son chemin dans mon esprit. Je serrai les poings pour me contrôler ; il était hors de questions qu'ils me voyaient aussi faible.) C'est encore un coup du vieux.

- Par le vieux, tu veux dire... votre père ? demanda Debbie.

À sa façon de le dire, je voyais bien qu'elle avait pensait plutôt à « créateur ».

- Ouais, lui. C'est forcément lui !

Je ne dis plus un mot, jusqu'à ce que nous soyons dans la tour. J'entrai dans l'ascenseur avec Stanton, qui refusa de laisser entrer Debbie et Math, même s'il était évident qu'ils allaient simplement prendre le prochain.

L'ascenseur s'ouvrit à nouveau, Stanton emmena Miö à sa chambre pendant que je partais à la recherche de Remi. J'allai au bureau de Marissa, la réceptionniste, et poussai d'un coup de coude la femme qui était déjà en train de lui parler.

- Eh, ça va pas ?!

- C'est Miö, dis-je dans un souffle.

- Tu n'es pas Miö, dit-elle en avisant mon badge.

- Non, je suis Télio, mais y'a un problème avec Miö !

- Encore ? dit-elle en écarquillant les yeux. Où est-il ?

- Dans sa chambre.

Marissa hocha la tête, puis le leva d'un bon pour retrouver Remi. Je la suivis à la trace jusqu'à une petite pièce, où Remi faisait une prise de sang à une fille que j'avais brièvement aperçue au deuxième village. Elle était blême, les yeux rivés au plafond.

- J'ai presque fini, dit-il doucement. Oui, Marie ?

Marissa attendit qu'il retire l'aiguille du coude de la fille avant de parler.

- Y'a un problème avec Miö, dit-elle nerveusement.

Remi perdit aussitôt ses airs aimables, passant près d'échapper la fiole de sang qu'il avait entre les doigts. Il inscrivit rapidement quelque chose dessus, puis se leva d'un bon de sa chaise. Il donna la fiole à Marissa avant de se tourner vers moi.

- Où est-il ?

- Dans sa chambre, dis-je à nouveau.

Remi me poussa d'un coup d'épaule pour passer et courut dans le corridor du sixième jusqu'à la chambre de Miö. Je le suivit pour trouver Miö allongé dans le lit, Stanton assis sur la chaise à côté.

- Expliquez-moi ce qui s'est passé.

- Il courrait sur la piste, expliqua Stanton. Il avait déjà fait un tour. Puis il a accéléré...

- On avait fait un pari, dis-je honteusement.

- Il s'est arrêté au bout d'une minute, il avait l'air épuisé. Il a essayé de s'y remettre, et c'est là qu'il s'est effondré.

Remi sera les poings en secouant la tête.

- Il n'était pas assez rétabli. Je n'aurais pas dû le laisser sortir, hier !

- Mais hier, il allait bien ! dis-je. C'est l'effort qui l'a achevé. C'est comme... Comme Riley, terminai-je dans un soupir. Miö est devenu aussi inutile que Riley.

- Miö n'est pas inutile ! s'énerva Remi. Et il va s'en remettre de lui-même. Il faut seulement qu'il se repose.

- Oui, mais il pourra plus jamais faire d'effort !

- J'en sais rien, je n'ai jamais vu ce cas avant lui...

- Moi, j'ai vu. Riley. Et il dort tout le temps !

Remi garda le silence, ne sachant plus quoi dire. Au même moment, Math et Debbie débarquèrent dans la pièce. Math s'arrêta près de moi, incertain, et Debbie se précipita pour s'agenouiller au côté du lit. Elle prit une main et Miö entre les siennes.

- Pas de progrès ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.

- Il a pas bougé, dis-je.

- Je vous ai dit de ne pas venir ! dit Stanton.

- Me dit pas ce que je dois faire, je suis le prince ! s'énerva Math.

Stanton n'osa pas répondre à ça.

- Miö a besoin de tranquillité, dit cette fois Remi. Il vaut mieux pour lui le laisser tranquille, mais je vais permettre à une personne de veiller sur lui.

- Moi, dis-je aussitôt. Je suis son frère.

- Je suis sa petite amie ! dit Debbie en se levant pour faire face au docteur.

- Je suis le prince, répliqua Math.

- Tu commences à m'énerver, avec ça ! dis-je.

- OK, ça sera Debbie. Télio, je t'aime pas, et Math, tu commences vraiment à avoir la grosse tête.

- C'est pas juste ! m'écriai-je en même temps que Math.

- Ouste ! dit cette fois Stanton.

Il se leva de sa chaise d'un bon et se précipita vers nous pour nous prendre chacun par un bras et nous trainer hors de la pièce. Il nous lâcha qu'une fois dehors, fermant la porte derrière lui.

- Retournez chez vous, maintenant. On reprendra l'entrainement demain.

- Je vais le dire à mon père ! dit Math d'un air menaçant.

- Rien à foutre, Malfoy.

Enfin, ça lui cloua le bec.

Sans dire un mot, je pris Math par le poignet et l'entrainai à ma suite dans le corridor. Stanton nous laissa aller, croyant que nous allions vers l'ascenseur, mais je pris un corridor différent.

- Tu vas où ? s'étonna Math.

Je ne répondis rien. Je savais que, dans mon état, je ne saurais que l'insulter. Or, le karma me faisait sérieusement peur.

J'arrivai rapidement à destination, trainant toujours Math derrière moi. J'ouvris la porte devant moi et trouvai de l'autre côté, dans une chambre de patient, Seth et Riley, tous les deux endormis dans le lit. Riley avait toujours sa forme de chat.

Je me raclai la gorge et Seth se réveilla en sursaut, regardant partout. Il se détendit en me voyant.

- T'es venu me remplacer ? dit-il en sortant du lit sans mouvement brusque pour ne pas réveiller Riley – précaution inutile, selon moi.

- Non, plutôt... mais t'es là depuis quand ? dis-je, soudainement curieux.

- Je sais plus... On est quel jour ?

J'échangeai un regard avec Math. Il haussa les épaules en secouant la tête.

- On est le 29 avril, ça fait deux jours que t'es ici.

- J'ai des questions pour toi, dis-je en m'asseyant dans le deuxième lit de la pièce. Sur l'état de santé de Riley. Est-ce que ça s'est jamais amélioré, pour lui ? Je veux dire, entre temps qu'il n'allait pas chez le vieux.

- Oh, j'ai pas grand-chose à te dire là-dessus, soupira Seth dans un haussement d'épaules. On n'a pas Riley avec nous depuis très longtemps. En dehors de Miö et toi, c'était le dernier arrivé. Si Riley a déjà été en bonne santé, je ne le connaissais pas, à l'époque... Pourquoi cette question ?

Je baissai les yeux vers Riley, étendu dans le lit. Il ne ressemblait à rien de moins qu'un chat paresseux. J'imaginai, à sa place, une chauvesouris paresseuse, et je sentis une boule me compresser douloureusement l'estomac. J'expliquai en quelques phrases ce qui s'était passé il y avait tout juste dix minutes sur le terrain, puis levais les yeux vers Seth. Il semblait complètement démuni ; il n'avait sérieusement rien qu'il pourrait me dire pour m'aider.

Alors, j'éclatai en sanglot, le visage dans les mains, incapable de me retenir plus longtemps. Je sentis une main se poser lourdement sur mon épaule et me levai pour y échapper, la respiration haletante.

- Miö va s'en remettre, dit Seth en secouant la tête. Arthur est déjà passé par là. Je sais pas si on l'a déjà dit, à toi... (Je secouai la tête.) Arthur s'était fait avoir de la même manière que Miö, là-dessus. Riley avait fugué et il était parti seul pour le rattraper, mais le vieux l'a eu. Il a été coincé une semaine entière dans sa forme de cheval avant de pouvoir aider Riley et le ramener au village. Par la suite, Arthur était un peu mou, je me souviens l'avoir vu s'évanouir de fatigue une ou deux fois. Mais c'était il y a plusieurs mois, et depuis, il va aussi bien qu'avant.

Je penchai la tête de côté, essayant de comprendre. J'essuyai mes larmes de mes mains, étant enfin parvenu à m'arrêter de pleurer.

- Il a été coincé dans sa forme animale durant toute une semaine ? dis-je d'une voix encore un peu tremblante. Mais, pour Miö, c'était qu'une seule journée.

- Plus de vingt-quatre heures, pour sûr, ajouta Math, appuyé contre la porte qu'il avait fermée derrière lui. Trente-quatre heures, pas plus...

- Alors ça veut dire que Miö en a reçu beaucoup moins qu'Arthur, qui va super bien aujourd'hui. Donc, vous pouvez être sûr que Miö va s'en remettre aussi. Ça va peut-être lui prendre un peu de temps, mais tout va bien aller.

- En fait, c'est un peu différent, dis-je en me redressant, venant tout juste de me souvenir d'un détail. Ce n'était pas la première fois que Miö se faisait injecter ce truc, mais la quatrième. La fois qu'on était allé chez le vieux, rien que lui et moi. Celle où il a essayé de retenir les gardes de retourner à mon village. Et aussi... (Je baissais les yeux, honteux.) La fois qu'on l'a fait sortir de force de l'hôpital, j'avais provoqué sa transformation pour qu'il soit plus léger et plus facile à transporter.

- Oh.

Je levai les yeux vers Seth. Il s'était à nouveau assis dans le lit, aux côtés de Riley qui dormait toujours.

- Quatre fois... ça commence à faire beaucoup.

Je sentis à nouveau ce poids faire son retour sur mon estomac.

- Écoute, Télio ; ça sert à rien de t'en faire. Laisse couler quelques jours, voir une semaine, et tout ira bien, d'ici là.

- Tu dis ça pour me remonter le moral.

- Bah ouais, mais je le pense aussi. Et maintenant, arrête de chialer, tu me soules. Alors, va-t'en ou prends ma place.

Je levai les yeux en soufflant. C'était cruel de me ramener à ma place alors que j'étais si bien partie pour chialer.

- Je vais prendre ta place. Mais c'est surtout pour être près de Miö.

- Pour un type qui a failli le tuer deux fois, tu t'es vraiment attaché à lui, hein.

- La ferme et fou le camp !

Seth leva les mains en l'air en secouant la tête, puis se leva du lit et alla vers la porte. Math s'éloigna pour lui laisser la possibilité de passer.

- S'il se réveille, ou s'il se transforme, tu dois appeler Remi, dit Seth. En appuyant sur l'espèce de corde bizarre qui pend à côté du lit.

- Ça s'appelle une cloche, dit Math.

- C'est bon, je sais.

Je m'étendis dans le lit, fermant les yeux. Veiller sur Riley s'annonçait à être aussi ennuyant que ne rien faire du tout.

J'entendis les pas s'éloigner, la porte se fermer. Je me tournai de côté dans le lit, regardant, dans le deuxième de la pièce, Riley. Même Seth n'avait su cacher son trouble ; Miö était peut-être destiné à devenir comme lui.