Chapitre 49 ✅
Télio
Un peu plus tôt...
J'ouvris les yeux, remarquant du même coup que je m'étais endormi. Mais à ce que je voyais des étoiles, qui avaient à peine bougées, mon sommeil n'avait pas duré longtemps. Ma hanche me faisait un mal de chien, j'arrivai à sentir la balle qui semblait s'enfoncer un peu plus profondément à chacune de mes respirations.
Rendors-toi. Tout ce que tu peux faire, c'est d'attendre le retour de Miö. Mais mon esprit était toujours aussi éveillé. Pas moyen de dormir. Mais pas moyen de bouger non plus. Je ne pouvais plus que rester allongé là, à souffrir en silence.
Je l'ai cherché. C'est sûr, j'avais vraiment cherché à me retrouver dans cette situation. Et dire qu'au début, tout ce que je voulais, c'était d'apporter un peu de nourriture à la maison. Pour ensuite prendre la place de Miö pendant plus d'une semaine pendant qu'il était malade et contagieux, enfermé dans sa chambre du sixième. Et puis... Quoi ? Je suis reparti chez moi. Non ? Ensuite, c'est Miö lui-même, ou plutôt sa Bernadette, qui m'a ramené en ville. Lui et ses plans de vengeance. Alors... dans le fond, c'est sa faute à lui ?
Arrête de te trouver des excuses. Ce n'était pas Miö qui avait enfoncé le couteau jusqu'à la garde dans la poitrine du roi sous le coup de la panique.
Je ne voulais pas que Miö entende ce qu'il allait dire, je ne voulais pas qu'il sache que nous sommes clones – même si, aux finals, il avait bien mieux pris la chose que moi. Tellement que c'en était ridicule. Mais peut-être que, si les rôles avaient été inversés, il aurait réagi comme moi, chez le vieux, et j'aurais réagi comme lui, dans la forêt. Qui sait ?
Après tout, on a les mêmes neurones dans le cerveau...
Et mon village... est-ce que ces hommes en combinaison blanche sont encore là, à me chercher ? À terroriser tous les enfants ? Le vissage d'Ellie, la petite fille blonde qui s'obstinait à m'appeler Toto, apparut dans mon esprit. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé de mal ! À elle, à Samy, à ma tante, à ma mère... Ma mère, elle s'est réellement fait tirer dessus !
Je serrai les poings, essayant de retenir mes larmes. Si je n'étais pas incapable de me lever sans hurler de douleur, je le ferais, et j'irais tout de suite vérifier que tout le monde aille bien. Si ces hommes sont toujours dans le village, je les tuerai jusqu'au dernier.
Un bruit attira mon attention et j'ouvris les yeux par réflexe. Je regardai le ciel au-dessus de moi, parsemé d'un million d'étoiles, puis tournai la tête à gauche, puis à droite. C'était peut-être Miö qui revenait enfin. Mais c'était peut-être quelqu'un d'autre. J'attendis, sans me manifester ; si c'était l'un de ses hommes en blanc, il valait mieux rester caché. Dans mon état, il aurait vite fait de me tuer.
Ça s'approchait doucement, à peine perceptiblement. Ce n'était pas un garde ; ils auraient été beaucoup plus bruyants. Ça avait la discrétion d'un animal, dans le genre canidé. Si ce n'était pas de mon ouïe surdéveloppé, je ne l'aurais même pas entendu.
Je me redressai du mieux que je pus, me mordant la lèvre pour ne pas gémir. Le chien, le loup, le coyote – peu importe ce que c'était – avait surement été attiré par l'odeur du sang. C'était un animal affamé qui avait flairé en moi un repas facile.
Enfin parvenu à m'adosser contre le rocher, je laissai aller un soupir, essayant de relaxer mes muscles, alors que mon regard filait toujours de droite à gauche à la recherche du prédateur. Avec un peu de chance, il serait de l'autre côté de la rivière et il ne pourrait rien contre moi. Mais s'il était de mon côté – ce dont j'étais quasiment sûr -, j'étais dans la merde. Pour le peu de temps qu'il me restait à ne pas être dans son estomac.
— Pitou, murmurai-je. Pitou, pitou !
Un jappement grave me répondit ; ça, ce n'était pas qu'un petit cocker. J'en étais sur ; c'était un loup.
Non, y'en a pratiquement aucun par ici. Quel serait les chances ? C'est surement un chien. Ou un coyote. Après tout, ce qu'il y avait de plus menaçant chez les loups, c'était leurs nombres. Et celui-ci m'avait l'air d'être seul. Alors, c'était soit un oméga, soit tout simplement une autre espèce. Et puis même, qu'est-ce qu'il viendrait faire par ici, dans le désert ? Il serait bien mieux dans la forêt.
Mais un souvenir me revint en tête, contredisant mes pensées. Car j'avais entendu le hurlement d'un loup assez souvent au cours de ma vie. Mais rien ne lui répondait jamais. Alors, oui, il y a un loup solitaire dans les parages. Et il veut me manger !
Je me levai d'un bon, la terreur éclipsant la douleur. Il était tout près, maintenant, tout juste derrière le rocher contre lequel j'étais appuyé.
— Va-t'en ! couinai-je d'une petite voix, serrant un poing et plaquant l'autre contre ma blessure. Je suis pas comestible !
En réponse, il se mit à hurler. C'était dit ; un loup. Ça ne pouvait être autre chose.
— VA-T'EN !
Je me sentis trembler de peur ; je n'avais pas songé finir mes jours comme ça. J'avais voulu d'une mort héroïque ; me prendre une balle, c'était déjà assez bien en soi, même si, sur ce coup, l'héroïsme était plutôt revenu à Miö. Mais me faire bouffer par un canidé, c'était, celons-moi, beaucoup moins classe.
Le loup émergea enfin de derrière le rocher. Un loup, et rien d'autre. Ses pupilles d'un jaune lumineux se braquèrent sur les miennes et je retins mon souffle, m'attendant à chaque instant à ce qu'il saute sur moi, les griffes en avant.
Ne sachant plus quoi faire pour ma cause, je me transformai et, en trois battements d'ailes, traversai la rivière. Je me laissai retomber à genou de l'autre côté, incapable d'aller plus loin, plaquant une main contre ma blessure. Une croute s'était formée, bonne à rien de mieux que d'empêcher le sang de couler, mais le mouvement l'avait déchiré. La vie gouttait entre mes doigts, je la sentais glisser sur ma peau. Ma vision se fit trouble, j'avais chaud et froid à la fois.
Je concentrai le peu d'énergie qui me restait à lever les yeux vers le loup ; après tout, il fallait bien le dire, il était beau, avec son pelage sous différente teinte de gris, la queue bien raide et la tête basse, m'observant toujours attentivement, avec derrière lui le grand rocher, le ciel constellé d'étoiles et la lune presque pleine. Il semblait calculer ses chances de pouvoir sauter au-dessus de la rivière et j'étouffai un rire ; elle faisait plus de trois mètres de large. Essaye-toi, sac à puces ! Essaye et noie-toi !
Sauf que... les loups, ça sait nager, non ? Comme les chiens ?
C'est sans importance, pensai-je sans vraiment comprendre mon propre raisonnement. Je ne cours aucun danger.
Enfin, c'est évident...
Ne supportant plus la douleur dans ma hanche, je retombai couché sur le dos, les yeux fermés et appuyant sur la plait. Mes mains étaient gluantes de sang, une marre se formait doucement autour de moi. Quand je tournai la tête vers l'animal, je me rendis compte qu'il reniflait la rivière. Jugé sans crainte, il en but un peu, la langue claquant à sa surface et répandant un peu d'eau sur son museau. Et enfin, il sauta à l'eau, exactement de la même manière qu'un chien.
— Hé, le chien-chien, marmonnai-je. On veut pas de toi ici ! Ou loup-loup... Tu préfères chien-chien ou loup-loup ? À dire « lou-lou », pas « loupe-loupe ». Ou « lou-loupe ». T'es un loup ou une loupe ? Ou... une louve... ? Louve-louve ? Je crois que c'est plus laid que tous les autres... Sans offense, madame. « louve-louve », ça me va très bien. Sauf si t'es un monsieur.
Le loup – ou la louve – termina enfin de traverser la rivière. J'étouffai un rire qui m'arracha un faible grognement de douleur ; je m'étais fait encore plus mal à la hanche pour m'éloigner de lui, alors qu'il pouvait tout aussi bien nager !
Le loup s'ébroua, retirant l'eau de sa fourrure, puis s'approcha de moi. Je fermai les yeux, épuisé. Il ne me restait plus que deux options, de toute façon ;
1. Mourir. Et j'aurais eu l'air d'un con jusqu'à la dernière seconde.
2. Ne pas mourir – et j'aurais l'air d'un con encore longtemps – parce que ce loup n'était qu'une saloperie de clone.
— Arrête de me faire peur pour rien et transforme-toi, putain ! hurlai-je avec l'énergie qui me restait.
J'entendis soudain un bruit différent, que je reconnus aussitôt ; des pas humains. J'avais envie de regarder, mais je me retins. De toute façon, je savais déjà à quoi il ressemblait ; à moi. Ou à Miö. Ce qui était pratiquement la même chose.
— Tu t'appelles Riley ?
— Non.
La chair de poule envahit ma peau. J'avais reconnu la voix, et à la fois, je ne l'avais jamais entendue. Comme la mienne, comme celle de Miö, mais plus grave, plus mature. Plus vieille.
Je me risquai à soulever une paupière et je vis aussitôt le visage qui était penché près de moi. Voilà, c'est dit. Un clone de plus.
Ces cheveux étaient plus longs, frôlant presque ses épaules, et il avait de la barbe. Pour le reste, un portrait craché de Miö et moi. Quoique, m'imaginer avec une barbe...
Un petit gloussement m'échappa. Il me rappelait Miö avec sa moustache mexicaine.
— Désolé, soufflai-je avec peine, essuyant les larmes qui m'était coulé des yeux, autant pour le rire que pour l'élancement que ça m'avait causé dans la hanche. Je vais pas bien du tout... Va-t'en...
— T'es blessé. T'as besoin de moi.
— Non, j'ai besoin d'attendre. L'ambulance va arriver.
Le clone secoua la tête, balançant ses longs cheveux roux. Il ne semblait pas dérangé par mon sens de l'humour, et pourtant j'avais bien l'impression qu'il était pire que d'habitude – la douleur me faisait un peu délirer. Peut-être même que ça s'était infecté et que je faisais de la fièvre ? D'une façon ou d'une autre, il en avait certainement vu bien d'autres... littéralement.
— Si t'es pas Riley, t'es qui ?
— Appelle-moi Simmer.
— D'accord. Moi, c'est Télio.
— Je sais.
Je fronçai les sourcils. Comment pouvait-il connaitre mon nom ?
— Ça fait un moment que je veille sur toi. Je ne t'espionne pas, se reprit-il aussitôt. Une fois pas... mois ? Même moins que ça, je dirais... je fais un tour par ton village pour m'assurer que tout va bien, de ton côté. Quand j'avais décidé que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu de tes nouvelles, tu n'étais pas là. J'ai dû repasser plusieurs fois avant de te voir... pour ensuite me rendre compte que je tenconfondais avec un autre.
— Miö.
— Ah, s'exclama Simmer avec un grand sourire. Miö. Je me doutais bien que c'était celui-là.
— Lui aussi, tu... veillais sur lui ?
Son sourire disparut de moitié, alors qu'il secouait la tête de gauche à droite.
— Plutôt difficile d'entrer à Digora quand on n'a pas d'ailes comme toi. Mais c'est pas le moment de discuter. Tu es blessé ; je dois t'amener avec moi.
— Non, je reste ici. Miö va revenir, il faut que je sois là.
— Je m'occuperai de lui plus tard.
— Non ! Euh... s'il voit un clone, il va paniquer. Enfin, je connais l'histoire depuis un petit moment, mais... je la lui ai racontée aujourd'hui. Il n'est pas prêt pour ça !
— Il le faudra, pourtant. Parce que toi, tu viens avec moi.
Simmer passa un bras derrière mon dos, un autre sous les genoux, et me souleva sans me laisser le temps d'argumenter. Je me crispai de douleur et plaquai mes mains encore une fois sur ma hanche.
— Lâche-moi...
— Nah. Tu viens avec moi, princesse.
Je grognai de mécontentement alors que Simmer se mettait à marcher en direction du désert, perpendiculaire à la rivière. Si sa destination était par là, on en avait pour un bon petit moment. Et je n'avais pas du tout l'intention de l'aider. Après tout, ces bras étaient larges et musclés ; assez confortable pour y dormir.
— C'est qu'une impression ou t'es vraiment grand ? marmonnai-je.
— Poussé de croissance à dix-sept ans.
— Ouah... dis-je avec un faible sourire. J'ai trop hâte. Du coup, t'as quel âge ?
— Dix-huit ans. Je suis le plus vieux.
— Trop cool...
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