
Chapitre 48 ✅
Je m'étais aussitôt envolé en direction de la cité, laissant un Télio agonisant derrière moi.
En fin de compte, c'était tout à son avantage que je ne l'aimais pas tellement. S'il avait été quelqu'un d'autre, Math par exemple, mon meilleur ami, j'aurais paniqué. Voir Math se prendre une balle, j'en aurais perdu mes moyens. Je serais resté bêtement figé là, la bouche ouverte et les yeux écarquillés, à me dire « Oh, mon Dieu ! Qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je dois faire ?! » et, pour finir, il aurait succombé à ses blessures sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Et je serais probablement mort avec lui.
Mais tout de même... ce que j'avais fait ? J'ai tiré sur deux types de la ligue ! Je leur ai tiré dessus ! D'accord, dans le moment, c'était eux ou nous, mais... on aurait plutôt dit le genre de truc que Télio aurait fait, pas moi.
Après tout, on a les mêmes neurones dans le cerveau...
Si ça se fait savoir... ce dont je ne doute pas... je serais tout aussi traqué que Télio. Je suis tout aussi traqué que lui.
Et dire que je l'ai suivi en dehors de la ville toute la journée par simple envie – connaitre la vérité, pourquoi il avait assassiné le roi, mais surtout parce que je ne savais pas quoi faire de mieux, sur le moment – m'avait conduit à ça. Blesser gravement – peut-être même tuer ? – deux hommes.
Qu'est-ce qu'il me reste à faire, maintenant ?
*
En quinze minutes, j'étais de retour à Digora. J'entrais tout droit par la fenêtre éclatée du dixième étage de la tour, mais, sans m'arrêter, continuai de voler jusqu'à l'ascenseur. Je ne me transformai que pour appuyer sur le bouton, ce faisant avant même que mes pieds ne touchent le sol. La porte s'ouvrit et je m'y engouffrai, appuyant cette fois sur le bouton du sixième. Les portes se refermèrent avec un léger « ding », puis la cage se mit à descendre doucement.
Un nœud se forma dans mon estomac, appréhendant toutes les mauvaises choses qui pourraient m'arriver. Des gardes, armés et prêts à me tuer, sachant d'une quelconque manière que je passerais par là.
Impossible ! tentai-je, en vain, de m'entrer dans la tête. Tout ça s'était produit il y avait quinze minutes, seulement. Ils étaient à pied ; il leur faudra des heures avant de revenir en ville.
L'ascenseur s'ouvrit à nouveau, me présentant un long couloir de l'étage « hôpital » de la tour. Je poussai un soupir de soulagement en remarquant que personne n'était là à m'attendre, puis me transformai pour couvrir plus rapidement la distance.
J'arrivai devant la porte de ma chambre, facilement repérable avec sa petite plaque où il y était inscrit « Miö ». Je changeai de forme à nouveau alors qu'un deuxième nœud me tordait l'estomac. Je pressai une main dessus, espérant passer le mal. Pourquoi faut-il que, peu importe mes décisions, je me retrouve toujours ici ?
Je pris une grande inspiration, repoussai une longue expiration, regardai à gauche et à droite dans le corridor, puis entrai dans la pièce, refermant derrière moi.
Ce genre de truc me mettait les nerfs en pelote. C'était un job de voleur, après tout, et j'avais l'étoffe d'un espion ; c'était même inscrit dans la clé USB de feu le roi.
Je secouai la tête, essayant de retrouver mon sérieux, puis m'avançai vers les tiroirs pour les ouvrir un à un, cherchant une paire de pinces minuscule ; assez mince, mais à la fois assez longue, pour retirer la balle – ou peut-être les morceaux de balles – du corps de Télio. Encore une fois, c'était une chance pour lui que je ne l'aimais pas ; je n'aurais jamais pu faire ça sur Math. J'étais trop nerveux pour être un bon docteur. Par contre, je ne serais jamais contre pour faire souffrir Télio, alors ça égalisait un peu les choses.
Ce n'était pas d'ordinaire quelque chose que l'on trouvait dans une chambre de patient, mais je dégotais tout de même assez rapidement la paire de pinces, et une bouteille d'alcool en prime. Puisque je n'étais pas n'importe qui - on m'opérait tellement souvent que Jeremy avait fait venir la salle d'opération dans ma chambre. Ça avait évité bien des déplacements inutiles à Jeremy et sa petite équipe, mais pour moi, ça avait été le sujet de plusieurs crises de panique. Qui pourrait dormir normalement dans le même lit où il se faisait torturer un jour sur trois ? Pendant près de deux mois, je m'étais obstiné à dormir à même le sol, parfois dans la baignoire.
Je réprimai un frisson au souvenir, serrant la pince et la bouteille dans mes mains, puis sortie de la chambre. Maintenant, tout ce que j'avais à faire était de remonter au dixième et de m'envoler pour retrouver Télio.
En route vers l'ascenseur, j'entendis des bruits de pas depuis le corridor voisin. Ces pas allaient dans la même direction que moi. Je figeai, me demandant un instant ce que je devais faire. Rester cacher et attendre qu'il passe ?
Arrête de paranoïer ! me répétai-je en boucle. Les gardes ne sont pas encore revenus ! Personne ici ne sait ce que tu as fait !
Je serrai la pince et la bouteille un peu plus fort dans une seule main, puis avançai vers l'ascenseur. Et comme je l'avais prévu, je croisai la route de quelqu'un alors même que j'arrivai au but. C'était Remi.
Il figea en me voyant et je baisai aussitôt les yeux. Cachant les objets médicaux derrière mon dos, je levai mon autre main pour appuyer sur le bouton, mais Remi m'intercepta, se plaçant entre les portes et moi.
— J'ai su ce qui s'était passé, ce matin, dit-il.
— C'était pas moi. C'était Télio.
J'essayai à nouveau d'atteindre l'ascenseur, mais Remi attrapa le bras. Je me dégageai aussitôt, mal à l'aise.
— Où étais-tu, aujourd'hui ? Personne ne t'a vu nulle part... Tu étais avec lui ?
— C'est sans importance, marmonnai-je.
— Si, ça en a.
Remi posa ses mains sur mes épaules, l'air grave. L'air d'un père se préparant à faire une leçon de morale à son fils.
T'essayes pas ! T'es pas Jeremy !
Les mots passèrent en un éclair dans mon esprit, mais je me retins de justesse de les dire. Pourquoi avais-je pensé ça ?
— Miö... si tu étais vraiment avec lui, c'est tant mieux. Tu fais ce que tu veux, je ne suis personne pour te dire ce que tu dois faire... mais laisse-moi seulement te donner un conseil ; éloigne-toi de lui. Il ne peut t'attirer que des ennuis.
Je levai les yeux vers Remi, ne sachant plus du tout quoi dire. En réalité, il avait parfaitement raison. Tous les problèmes que j'avais pu avoir ces trois dernières semaines avaient tous été causés par Télio.
Mais d'un autre côté, je le voyais étendu près de la rivière, une balle dans la hanche, des larmes de douleurs débordant de ses paupières closes, attendant patiemment que je revienne pour tenter de la retirer. C'était un bon menteur, mais je savais aussi qu'il ne jouait aucune comédie quand il pleurait quant au sort de son village, par sa faute. Il y avait encore de l'espoir pour lui.
— Je n'étais pas avec Télio, dis-je avec autant de sérieux possible, mettant même une once de colère à l'accusation. J'avais seulement eu besoin d'un peu d'air. Enfin, j'étais quand même là, je l'ai vu... tuer le roi ! Et tu crois que j'aurais tout de même « trainé » avec lui toute la journée ?
Remi secoua la tête, avouant que ça n'avait aucun sens.
— J'étais dans la forêt, pas très loin, expliquai-je. À quelques centaines de mètres, en suivant la rivière, il y a une grotte pleine de chauvesouris.
Cette fois, Remi était convaincu. J'avais joué ma meilleure carte ; il suffisait de mentionner les chauvesouris pour que je sois crédible, peu importe la question.
— Toute la journée ?
— Ouep.
— OK. Eh bien... prends soin de toi, Miö.
— Ouais.
Remi fit un pas de côté, me permettant d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur. Sans le regarder, j'entendis Remi s'éloigner ; je cachai la pince et la bouteille devant moi, les plaquant contre mon ventre.
— Eh, Miö ?
Je me retournai vers Remi, répondant d'un « quoi » d'un mouvement d'épaule.
— Qu'est-ce que t'es venu faire ici, au juste ?
— Je cherchai mon portefeuille, répliquai-je aussitôt. Je crois bien que je l'ai perdu.
— Ah. Eh bien, si je le vois, j'enverrai quelqu'un te le rendre.
— Merci.
L'ascenseur arriva enfin et je m'y engouffrai, appuyant sur le bouton du dixième et m'adossant au mur du fond. Quand les portes se refermèrent, je sentis mes jambes flancher et un énorme soupir sortir de ma bouche alors que la boule de stress dans mon ventre s'envolait d'un coup.
Mentir, je préférais encore laisser ça à Télio.
Mais alors que l'ascenseur s'arrêtait au dixième, que je me transformai en coinçant la pince dans l'une de mes pattes arrière et la bouteille dans l'autre, j'avais comme cette étrange impression dans la tête... c'était un peu comme si... j'essayai, sans même m'en rendre compte, de refouler une pensée obscène.
Un peu comme si...
J'avais aimé ça. Mentir.
*
Durant tout le voyage du retour, cette pensée ne m'avait pas quitté une seule seconde. Quand je fus enfin de retour à la rivière, un soupir de soulagement s'échappa d'entre mes lèvres ; il était temps que je m'occupe l'esprit à quelque chose d'un peu plus utile. Je me transformai en humain, me penchai pour reprendre la pince et la bouteille au sol, puis cherchai Télio des yeux. Je fronçai les sourcils, m'avançant vers le rocher où je l'avais laissé. Je le contournai ; Télio n'y était pas.
— Télio ? appelai-je.
Aucune réponse.
— Télio !
Je regardai partout, nerveux. C'était la nuit et il était habillé en noir ; c'était bien possible que j'ai simplement passé à côté sans vraiment le remarquer. Après tout, j'avais peut-être l'ouïe d'une chauvesouris, mais je n'avais pas la vision d'un hibou.
Je me transformai et m'envolai de quelques mètres au-dessus de la zone, puis poussait un cri ; fermant les yeux, j'arrivais à imaginer parfaitement le son buter contre les objets, me permettant de voir avec mes oreilles. Et tout ce que je voyais, c'était la rivière, la chute, les rochers... et pas de Télio.
J'allai à nouveau vers le rocher où il était autrefois allongé et repris forme humaine pour atterrir à quatre pattes, regardant attentivement le sol. Et là, je trouvai. Des traces de pas.
Trop nombreuses pour appartenir à une seule personne.
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