Chapitre 37 ✅
J'avais les yeux fixés au plafond quand la porte de ma chambre s'ouvrit et se referma. Je savais que c'était Télio, mais je ne dis rien pour le saluer.
— Tu m'avais demandé ? dit-il après une longue minute de silence.
— Il me semble, dis-je vaguement. Mais honnêtement, je ne me rappelle plus du tout pourquoi. J'ai pas vu Remi depuis que je me suis réveillé, il y a peut-être vingt minutes, mais je suis sûr qu'il m'a donné des anxiolytiques dans mon sommeil. Et qu'il n'a toujours aucune idée de la dose dont j'ai besoin. Foutu docteur qui fait jamais ses devoirs...
— Tu vas bien ?
— Non ! J'ai l'impression d'avoir la tête dans les nuages.
— T'arrives à voler aussi haut ? s'étonna Télio.
— C'est qu'une façon de parler...
Je fermai les yeux ; j'étais épuisé. Mais c'était la faute des médicaments.
— Math m'a un peu raconté ce qui se passe, dit Télio. Enfin, seulement que tu deviens fou.
— Je suis pas fou ! Il a vraiment dit ça ? m'étonnai-je.
— Oui, soupira Télio. Vraiment. C'était pas un mensonge.
Télio s'éloigna de la porte et vint s'assoir sur la chaise près de mon lit. Je fermai à nouveau les yeux et Télio s'empressa de claquer des doigts sous mon nez, me faisant sursauter.
— T'endors pas, je veux pas avoir fait tout ce chemin pour rien. Tu m'expliques ce qui s'est vraiment passé ?
Je haussai les épaules d'un geste las, puis racontai tout d'une traite, luttant pour ne pas tomber endormi. Télio dut me secouer à plusieurs reprises pour que je puisse me rendre à la fin de l'histoire. Et je lui répétai les confessions du roi malgré l'avertissement de Tom, et fini par ma crise d'exaspération qui avait un peu égratigné quelques vitres.
— Wow, dit Télio une fois mon récit terminé. C'est vraiment l'effet que ça te fait, les révélations...
Télio s'interrompit, grimaçant.
— Quoi ? T'as une révélation à me faire ?
— Non.
— Je vais pas paniquer, je suis trop drogué pour ça.
Télio sembla hésiter pendant une seconde. Je sentais son regard brûler sur moi, alors que, complètement à l'ouest, je m'étais remis à la contemplation des tuiles du plafond.
— J'ai rien à dire. Tu sais tout ce que je sais... Mais vraiment, t'arrives à casser des fenêtres à la force de ton cri ?
— Pas toi ?
— J'ai jamais essayé, dit-il dans un rire nerveux.
— Je l'ai pas fait souvent. Et j'avais jamais cassé de fenêtres avant. C'était toujours ce truc qui se détraquait, dis-je en pointant la machine à photo aux rayons X au fond de la pièce.
— Des crises de paniques, et maintenant des crises d'exaspérations... j'ai pas hâte de voir tes crises de colère.
— Je suis un peu extrême, dis-je dans un ricanement.
Télio hocha vaguement la tête, sans plus. Il y eut un long silence.
— T'es pas étonné ? demandai-je enfin.
— Si, tu m'étonneras toujours !
— Je parle du roi. Que tout est sa faute.
— Ah non, je le suis pas du tout. Dès la première fois que je l'ai vu, j'ai tout de suite su qu'il était pitoyable.
— Ah tiens ! m'écriai-je. Je viens de me rappeler pourquoi je te voulais ici. Je veux que tu m'aides à me venger !
Télio garda le silence pendant qu'il me dévisageait de ses grands yeux verts.
— Tu devrais dormir, on en reparlera demain, dit-il enfin.
— Je suis sérieux !
— Tu es drogué, surtout. Tu l'as dit toi-même.
— Je peux pas être les deux en même temps ?
— Je crois pas, non. Tu racontes n'importe quoi.
— Je veux que tu m'aides, le suppliai-je me redressant dans le lit pour me mettre face à lui.
— T'as pas les idées claires, soupira Télio. Je t'écouterais demain, pas avant. Il faut vraiment que tu te reposes.
— OK, très bien, m'énervai-je. Mais je veux pas dormir ici, je te dis, Remi va profiter de ma présence pour m'ouvrir ! Aide-moi au moins à sortir...
Télio prit deux secondes de plus pour me dévisager, puis hocha la tête. Je sautai aussitôt en bas du lit, au côté de Télio, et ma vision se fit trouble alors que je sentais mes jambes flancher. Télio m'agrippa le bras pour me retenir et m'attirer près de lui.
— Ça va ?
— Oui, lâche-moi ! grognai-je.
Je me dégageai et allai jusqu'à la porte d'entrée, m'appuyant sur tout ce que je pus trouver sur mon chemin. Télio me suivait, incertain, prêt à me rattraper si je tombai. Je faisais de mon mieux, mais, bien malgré moi, je savais que j'aurais besoin de son aide pour ne pas m'affaler dans le plancher et m'endormir là. J'avais eu ma dose d'évanouissement pour un bon moment !
— On a vraiment eu des journées de dingue, dernièrement ! dit Télio derrière mon dos alors que j'ouvrais la porte et m'avançai à petits pas dans le corridor. À commencer par le vieux dans la cave de sa maison, ensuite... (Télio garda le silence quelques secondes, embarrassé) Bah, disons simplement que c'était fort en émotion. J'ai peut-être pas fait de crise de n'importe quoi, mais... c'était ouf...
— Ça va, je t'ai entendu pleurer.
Télio s'arrêta de marcher, une main sur mon épaule pour que j'en fasse autant. Je me retournai vers lui, appuyé au mur. Je n'avais certainement jamais été à ce point fatigué de ma vie.
Le visage de Télio avait viré au rouge, et je fus presque étonné de le voir bouche bée. Télio qui ne sait plus quoi dire ! J'en aurais presque ri.
— N'aie pas honte, j'en n'ai rien à foutre. Tu peux bien te laisser aller de temps en temps. Et je t'espionnais pas, j'ai juste entendu quelqu'un pleurer, et je me suis approché... et quand j'ai compris que c'était toi, je suis parti sans me poser de questions. De toute façon, j'avais préféré essayer de l'oublier.
Je haussai les épaules en lui faisant un petit sourire las.
— Alors, oublions.
Télio se détendit, son visage reprenant une teinte un peu plus normale. Il répondit à mon sourire, et je me retournai pour continuer mon chemin, toujours appuyé contre le mur.
— Je crois que ton ouïe est meilleure que la mienne, quand même, dit Télio en tournant au coin d'un corridor.
— Peut-être bien. Rien ni personne n'a une ouïe plus claire que les chauvesouris. (Je tapotai le coin de mon oreille, éclatant d'un petit rire débile.) Je me suis explosé les tympans, tout à l'heure, en criant. Ça saignait ! Mais depuis, j'ai toujours pas guéri, parce que j'ai l'impression d'entendre un peu moins fort que d'habitude. Je m'en plains pas, hein... Ça fait du bien. Ça fait mal, mais ça fait du bien.
— Ça va s'arranger vite, t'en fait pas. D'ici demain... (Télio garda le silence pendant quelques secondes, avant de reprendre :) Justement, j'entends des pas qui se dirigent vers nous.
— Pas moi ! m'étonnai-je. Et tu ne mens pas, hein ?
— Tu viens tout juste de dire que tu entends moins, et maintenant, tu crois que je mens quand moi, j'entends un truc ! s'écria Télio en levant les bras au ciel. C'est l'accusation la plus cruelle que j'ai jamais vue de ma vie ! Répète encore que c'est moi, le plus débile, et je te fous une raclée !
— OK, désolé ! dis-je sur le même ton. Mais... alors, du coup, t'avais pas menti ?
— Non, grogna-t-il. Regarde par toi-même.
Télio leva le doigt devant nous, vers la fin du corridor. Après une dizaine de secondes dans l'attente, quelqu'un émergea au coin de l'aller. J'avais peur que ce soit Remi et qu'il essaye de me ramener à ma chambre, mais il faut croire qu'il se faisait tard et qu'il était déjà retourné chez lui — de toute façon, si ç'avait vraiment été lui, je suis sûr que Télio se serait fait un plaisir de lui enfoncer quelques coups de poing. Mais non, cette fameuse personne, c'était Debbie.
En la voyant, je sentis tous mes muscles se détendre. Mais c'était plutôt une mauvaise chose, sur le moment, car j'étais tellement fatigué qu'il m'en aurait fallu de peu pour que je m'endorme là.
— Je t'avais dit, murmura Télio à mon oreille.
— Miö ! s'écria Debbie en courant vers moi.
Elle fit deux pas, puis se figea en remarquant Télio. Son sourire disparut aussitôt, remplacé par une moue d'incompréhension.
— Debbie, dis-je avant qu'elle n'ouvre la bouche. Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'ai croisé Math en rentrant, il m'a dit que tu étais ici... (ses yeux s'égarèrent à nouveau en direction de Télio.) Qu'est-ce que...
— Je suis désolé, Debbie, pas que j'ai pas envie de te parler, c'est juste que je suis tellement drogué... et je suis vraiment fatigué. Si je me rends pas à mon lit d'ici deux minutes, Télio va devoir me porter.
Télio éclata d'un rire moqueur avant de répliquer :
— Je te trainerais par les pieds.
Debbie fit la moue, n'ayant visiblement pas compris son sarcasme — du moins, j'osais espérer que c'en était. Elle s'élança à nouveau vers moi et me serra contre elle, posant un timide baiser dans le creux de mon cou avant d'y appuyer la tête. J'enroulai mes bras autour de son dos, essayant de ne pas trop me soutenir sur elle.
— Je peux t'aider, t'as pas à être coincé avec lui.
— Non, vraiment, c'est bon. C'est moi qui lui ai demandé de venir.
Debbie s'éloigna aussitôt pour croiser mon regard ; elle semblait presque en colère.
— Tu lui a demandé de venir ?
Je secouai platement la tête, tous mes efforts à rester éveillé.
— S'te plait... je t'explique demain.
— T'essaies de te débarrasser de moi ?
Je fermai les yeux, n'y tenant plus.
— C'est pas contre toi, je suis épuisé.
— Mais...
— Non, mais tu fais chier ! s'énerva Télio. Tu vois pas qu'il tombe de fatigue ? J'ai pas envie de le porter, mais comme ça va, j'aurais plus le choix !
Il y eut un long silence tendu, mais je ne pris même pas la peine de regarder sa réaction. Et quand elle se retira de mes bras, je passai près de m'affaler au sol, réalisant que, malgré que j'avais fait de mon mieux pour ne pas trop lui donner de mon poids, je m'étais vraiment appuyé sur elle. Quelqu'un m'attrapa fermement par les épaules ; je me laissais faire, complètement ailleurs.
— Elle est partie..., dit Télio. Elle n'avait pas l'air enjouée.
— Je te dirais d'aller te faire foutre demain...
— Je serais choqué demain.
Télio me poussa légèrement dans le dos pour que j'avance. Je me coinçai un pied dans l'autre, passant près de tomber, mais Télio me rattrapa à temps.
— Ce que t'es mou, on pourrait te confondre avec une vieille peluche. Mais tu vois, maintenant, pourquoi je voulais pas t'écouter ? J'ai envoyé ta copine chier, et t'en as rien à faire ! C'est pas un indice que t'as quelque chose qui tourne pas rond ?
— La journée entière a tourné complètement de travers.
— Arrête là, on est arrivés.
J'ouvris un œil en une toute petite fente pour apercevoir l'ascenseur. Télio pressa le bouton.
— Mais je reste sur ma décision, marmonnai-je. Je veux me venger.
— Très bien, tu te vengeras, dit Télio.
Les portes s'élargirent et Télio m'agrippa fermement le bras pour m'y faire entrer. Il y eut un long silence. J'étais sur le point de tomber de fatigue, appuyé contre le mur de la cage et glissant lentement vers le sol.
— On va chez toi, j'imagine ? T'as tes clés ?
— Ouais. (Je tapotai la poche de mon jean.) C'est la première chose que j'ai faite en me réveillant, tout à l'heure, j'ai sauté sur mes clés. Mais je me suis sentis bizarre et je suis retourné me coucher... On est arrivé à l'appart ?
— Miö, on n'est même pas sortie de la tour !
— Oh... Merde. Bah...
Je glissai encore un peu plus, me tête tombant sur ma poitrine.
— Reste éveillé ! s'exclama soudain Télio en me secouant comme un prunier. Plus que cinq minutes à pieds.
— Mmh... C'est dix minutes, normalement.
— Mais non, c'est cinq. Tu peux le faire.
— Nah, je peux pas...
— Mais si !
— Naaaah...
— Tu vas le faire, Miö !
— Mmmh...
Télio me secoua à nouveau vigoureusement d'avant en arrière, mais c'est à peine si je le remarquai. J'ouvris légèrement un œil pour le voir, devant moi, les mains sur mes épaules.
— J'aurais dû rester chez moi, souffla-t-il. Et t'aurais dû rester à l'hôpital.
— Non !
— Cinq secondes, et tu meurs.
— Tu serais trop triste de te passer de moi.
— Ah non, j'en trouverais un autre !
— Hein ?
Télio ne répondit même pas à ma question, embarrassé. Ou bien j'avais imaginé cette drôle d'expression sur son visage. N'y tenant plus, je m'endormis dans ses bras, et ce fut son problème de me trainer jusqu'à l'appartement.
Ce fut également, sans conteste, la journée la plus bizarre de mon existence.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro