Noir-Héliotrope

Cher TaeHyung.

Tu me vois ?

Tu m'entends ?

Tu te souviens ?

Tu te souviens du début ?

Et la fin ?

Est-ce qu'il y en aura une ?

TaeHyung ?

« TaeHyung. »

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En ville,
A ce qui paraît
Plus personne ne sourit.
Il n'y a pas de gentils
Que des méchants
Définitivement.

TaeHyung et JungKook, deux existences hors des rangs, hors des radars, hors des gens. TaeHyung et JungKook qui vont d'appartement, en appartement. TaeHyung et JungKook qui évitent les humains, qui n'en voient plus, qui ne se voient plus qu'eux même. TaeHyung et JungKook qui dorment collés l'un à l'autre, la peau confondue, les yeux éperdus, et l'âme absorbée dans celle de l'autre. TaeHyung et JungKook qu'on poursuit, les mêmes qui fuient sur les toits, au dessus de la ville, au dessus des vivants, des relents d'eau froide et d'amertume, qui s'imprègnent dans les murs, et dans ces corps sans vie qu'on est venu ramasser, qu'on a emmenés quelque part, ailleurs. Avec les autres. TaeHyung et JungKook qui savent mais qui ne savent pas.

Mais tout le monde n'est pas mort. Seulement, ils ne voient pas. Ils ne sont pas avec les gens. Les gens qui se serrent les uns contre les autres, soit pour s'entre-aider, soit pour s'égorger. Eux deux ne peuvent qu'imaginer le carnage, lorsqu'il leur laisse quelques traces. Des pièces détachées, qu'ils enjambent sans les ramasser. Ils ne sont qu'eux deux. Ils ne sont qu'un monde,
coincé dans un autre.

TaeHyung avec sa plaie qui se cicatrise, en travers du front. JungKook avec ses mèches trop longues que même l'élastique ne peut plus retenir, qui tombent sur ses joues, qui piquent, qui brûlent. TaeHyung et JungKook qui s'aiment même si le temps et la ville commencent à ronger leurs ongles, salir leur visage, épuiser l'étincelle de surprise au fond de leurs pupilles. Ils s'en foutent. Ils s'aiment. TaeHyung et JungKook, pâlis, mais ensemble. Ils ne pleurent pas la nuit, car elle dure toujours. Ils ne pleurent pas en attendant le jour. Ils ne pleurent pas à l'entente des loups dans les rues, qui hurlent et dévorent. Ce ne sont que des cauchemars, éveillés. Ils n'y peuvent rien. Ils ne s'endorment jamais complètement. Ils ont peur. TaeHyung a peur. JungKook aussi. Il ne faut pas le dire. Il ne faut pas ternir leur bravoure. Il ne faut rien ternir du tout. Alors dans ces instants d'angoisse, ils se blottissent plus fort, ils se souviennent de ce qui est réel.
Et de ce qui ne l'est
Jamais.

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Viens m'endormir
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TaeHyung et JungKook sur un toit plat, entre des immeubles beaucoup trop hauts. Ils se demandent, s'ils pourraient s'effondrer. Mais rien n'arrive sans raison. Pas vrai ?

Ils se demandent ce qu'ils ont fait.

Et maintenant, comme parfois,
TaeHyung regarde autour de lui, se rappelle de cette nuit là, dans cet appartement miteux, à la lueur flambante de la lampe. Il se souvient des mots. Il croit ne pas être fou. JungKook ne parle pas, il avance en silence, à une sérieuse distance. Il s'en souvient aussi. Il a tué l'incertitude, mais pas le danger. Ils peuvent se souvenir. Mais jamais rien changer.

TaeHyung.

TaeHyung ferme les yeux. Ils rejoignent un balcon désert sur l'immeuble d'en face. Leurs pas sont des souffles un peu graves dans l'escalier de secours. TaeHyung est derrière JungKook. Il observe son dos. Qui est réel.

Je veux que tu me promettes que quoi qu'il arrive, tu continueras de courir.

Les étages, impersonnels, vides, défilent. Ils existent quand même.

Que même s'ils te demandent de rester, tu continueras ta route.

Parfois, on entend un bruit. Il y a encore quelques ombres, peut être en vie.

Que même s'ils crient, même s'ils tirent avec leurs armes, même si je m'effondre, tu vas continuer.

Ils aperçoivent des lueurs colorées, derrière les bâtiments voisins, un peu lointains.

Je veux que tu me promettes que même si l'air est trop lourd, même si tu as mal, même si tu n'arrives plus à te lever, même si on t'attrape, même si on t'enferme, tu vas persister.

Les lueurs s'élèvent comme des trônes qui rejoignent le ciel, et eux deux gravissent les escaliers, comme une ascension céleste.

Je veux que même si on veut te faire saigner, te faire crier, te faire du mal en te faisant croire que tu le mérites, tu essaieras de fuir.

L'air se répercute contre les parois, et soupire. C'est tendre comme bruit.

Je veux que même quand il y aura du brouillard, tu continues de chercher les étoiles.

TaeHyung s'arrête, se penche pour scruter l'amas noir qui plane au dessus du monde.

Je veux que tu me jures de ne plier l'échine ni face aux autres, ni à toi même.

JungKook s'arrête aussi, se tourne vers TaeHyung. Il lui dit qu'il faut continuer.

Je veux que tu te souviennes jusqu'à l'amnésie que tu es juste et courageux.

TaeHyung acquiesce et reprend la montée.

Je veux que même à Minuit, tu croies toujours à l'aube, que même le froid te rappelle la chaleur de l'ambre, que même leurs couteaux n'obstruent pas mes caresses.

Arrivés tout en haut, ils fouillent le ciel des yeux, ils observent le toit. Tout est vide. Ils s'y précipitent en silence. Aux yeux de la ville, ils apparaissent un instant, puis s'évanouissent entièrement. Personne ne sait.

Je veux que quoi qu'il advienne, tu te souviennes
De nos mots
De nos silences
De nos défaites
Mais surtout de nos victoires
Et de celle qui arrive.
Et de celle qui arrive.

TaeHyung lève une nouvelle fois la tête vers la masse de noir, le plafond de la cité. Il cherche désespérément. Il fronce les sourcils. Il les cherche, encore, une dernière fois, s'il vous plaît, elles sont peut être là. Mais ses yeux désireux brillent plus fort que n'importe quel astre. Il supplie le ciel, il fait si froid, que cette ville d'enfer les laisse entrer. Laisse entrer les étoiles. Son visage est déformé par la peine et par l'espoir. Elles sont bien quelque part ! TaeHyung ! Il est toujours trop tard. TaeHyung est pâle sous la lueur héliotrope. La lune est apparue un instant.

On a pas le temps.

Promets moi que même à terre, tu continueras d'espérer.

TaeHyung veut voir les étoiles. Mais il ne peut pas. Il est tard. JungKook attrape sa main et l'entraîne avec lui. Il ne peut plus rêver. Il ne peut même plus les imaginer. Il a laissé son livre là bas. Il a laissé les dessins sur les murs. Et l'idéogramme perdure. Où sont-ils ? Les enfants martyrisés ? Ou sont-elles ? Ces étoiles mal aimées ?

Promets.

Et toi JungKook ?
Et toi
Est-ce que tu rêves ?