9 - Un vieil ami
Cette partie-là de la station était méprisée par bon nombre d'entre eux, mais Morgan portait un grand respect à ses habitants. En effet, les Bas-Fonds abritaient les Miraculés de la dernière catastrophe. La jeune femme avait toujours trouvé cela stupide qu'ils soient logés dans des quartiers si pauvres alors que leur vécu valait de l'or. A la place, les dirigeants avaient décidé que les Tribuns des Nations Naissantes logeraient dans les plus hauts niveaux.
La jeune femme arriva devant la dernière porte marquant la fin des Hauts Quartiers. Elle soupira en attachant ses cheveux clairs et commanda l'ouverture de la porte. Les lourds battant s'écartèrent pour laisser apparaître un escalier descendant vers les entrailles de la Terre. Les marches étaient noircies : l'unité de Nettoyage ne venait jamais aussi bas, et les habitants avaient rarement l'occasion de venir aussi haut.
Morgan entendit la porte se refermer derrière elle et elle s'engagea dans l'escalier sinueux. Sa destination se trouvait quelques étages en dessous de l'escalier principal, mais elle devait traverser bon nombre de quartiers avant d'y parvenir. Les premières minutes de la descente furent guère compliquées, puisqu'elle concentra ses pensées sur ce qu'elle avait à dire à son interlocuteur une fois qu'elle l'aurait trouvé.
Puis, à mesure qu'elle descendait encore et encore, s'enfonçant toujours plus loin dans ces profondeurs, les premiers bruits de la civilisation lui parvinrent. Principalement un brouhaha ambiant, souvent commun à la plupart des endroits de la station, puis des cris d'enfants et lorsque Morgan posa ses pieds sur les dernières marches, une musique assourdissante. Les Bas-Fonds n'avaient presque ni foi, ni loi, ce qui en faisait le cauchemar de chaque haut placé, et le bonheur de ses habitants.
Morgan déambulait parmi cette joyeuse foule, observant sur les premiers niveaux une population relativement aisée, vivant parfois dans des bâtiments construits à la naissance de la station, quand le Tribun précédent avait lancé un projet visant à améliorer la qualité de vie générale. Les autres avaient construit leur bidonville, ou dressé leur tente dans un coin.
Le quartier dans lequel Morgan se dirigeait était un de ceux de ce qu'on appelait le Mitan (ou Milieu). Ce dernier constituait l'ancienne maison de la jeune femme. C'était au Mitan qu'elle avait logé quelques mois, avant de bouger vers les niveaux supérieurs. La population avait beaucoup bougé et la majorité des personnes vivant là auparavant, avait monté, comme elle.
La jeune femme sentit une vague de malaise aussitôt qu'elle s'avança dans les premières rues. Les regards se tournaient vers elle, la dévisageant. Elle se sentait mise à nue. Ses pas la menèrent parmi les rares bâtiments, dont le principal était la taverne : l'endroit où les rencontres se faisaient, et Dieu savait qu'elles ne relevaient pas toutes de la légalité.
Aussitôt qu'elle passa la porte, la musique lui assourdit les oreilles. Les jeunes filles, -la plus vieille d'entre elles devait avoir dix-sept ans au plus-, se déhanchaient en rythme, enfermées dans des cages d'acier, autour desquelles se massaient des foules masculines.
Sans plus attendre, Morgan s'installa au bar et commanda un verre de whisky. Le liquide ambré coula dans son verre durant un instant. Puis, elle s'avança vers le barman et lui adressa un sourire :
- Grimm est là ?
Son interlocuteur fronça les sourcils un instant et finit par hocher la tête. Bonne nouvelle. Elle n'avait plus qu'à attendre quelques instants et son ami viendrait. Et c'est bien ce qu'il se passa à peine quelques secondes plus tard.
Par la grimace qui déformait le visage de son vieux compagnon, elle se rappela qu'il n'appréciait guère ce genre de lieux. Le vieux conteur les décrivait comme bordels, ce qu'ils étaient en effet. Grimm était un des rares Miraculés à ne pas s'être tué. Après la chute des villes qui avait marqué l'avènement des Nations Naissantes, beaucoup de Miraculés n'avaient pas supporté l'enfermement dans de petits espaces. Grimm lui, semblait survire à toute époque et évènements. Morgan finissait par croire qu'il était immortel.
Prononcer un mot dans un tel vacarme consistait en une tâche impossible, c'est pourquoi, après avoir réglé sa boisson, le duo quitta les lieux.
Comme à son habitude, Grimm ne pipa mot pendant les premiers mètres. Ils s'éloignèrent doucement du bruit, jusqu'à trouver leur emplacement familier : deux chaises datant probablement du siècle dernier, posées au coin d'un bazar. Morgan prit le siège de droite, Grimm celui de gauche : une vieille tradition des Bas-Fonds consistant à dire que l'hôte se devait de choisir la gauche.
- Lassée des hauts niveaux ? lança le vieil homme.
Morgan réprima un sourire :
- Les affaires qui m'amènent.
Grimm fronça légèrement les sourcils. En tant que Miraculé et semi-doyen de la station, il se devait de se tenir au courant des moindres agissements, même ceux des hauts placés. Or pour une fois, Morgan semblait avoir dépassé le maître.
- On a été attaqués, décréta-t-elle, tentant de songer le regard de son interlocuteur, perdu dans le vide.
Il sembla hocher gravement de la tête, unique signe que les paroles de la jeune femme lui parvenaient. Pour ainsi dire, il était tout à fait perdu dans son univers.
- Et on a capturé quelqu'un.
Un mouvement se fit percevoir : Grimm venait de bouger imperceptiblement. Morgan l'avait vu, grâce à de longues conversations jusque tard, sur cette même chaise, où elle avait apprit à savourer les silences du conteur. Cette information semblait avoir attisé la curiosité de son ami, qui, d'un vague mouvement de doigts, la convaincu de poursuivre.
- Un Bahyanite sûrement, mais rien n'est sûr.
Contrairement à ce qu'elle attendait de sa part, il ne flancha pas à cette annonce. Sa bouche se plissa légèrement aux extrémités, signe qu'il réfléchissait. Un groupe d'enfants passa, criant et poussant une balle dégonflée.
- C'était écrit.
Un courant d'air fit grincer une tôle et Morgan ne fut pas sûre d'avoir entendu correctement. De quoi parlait-il ?
- Je les ai vus.
Encore un silence.
Puis, il se leva brusquement, comme si une mouche l'avait piqué. Que lui arrivait-il ? Avant que Morgan ne puisse dire un mot, Grimm marchait déjà d'un pas déterminé vers une ruelle située un peu plus loin. La jeune femme quitta son siège à son tour et s'élança à la suite du vieil homme. Malgré son âge avancé, il se déplaçait avec une dextérité surprenante.
A mesure qu'ils progressaient parmi les rues miteuses, Morgan commença à reconnaître la direction qu'ils prenaient : ils descendaient. Les odeurs se firent plus insistantes plus les marches creusaient vers le fond. La foule compacte était parsemées de femmes portant des pots sur la tête, remplis d'objets en tout genre, revendus après dans les niveaux supérieurs. Un grand marché se trouvait au Mitan. Morgan pensa que cela devait faire presque deux ans qu'aucun contrôle n'avait été effectué dans cette partie de la station, raison pour laquelle on la dévisageait autant.
Grimm s'arrêta devant une vieille bicoque en taule, que la jeune femme reconnu être sa maison. Il lui intima de rester sur le pas de la porte et elle ne put s'empêcher de sourire : ses vieilles habitudes n'avaient donc pas changé. Morgan se rappelait être rentrée une unique fois dans cet espace, pour déposer son repas au vieil homme. Il l'avait rudement chassée et elle ne se souvenait pas de l'avoir déjà vu autant en colère. Personne n'entrait dans cette maison, et tout le monde avait apprit à le respecter. Même les Colporteurs n'osaient pas poser leurs tracts sur le palier.
Le conteur ressortit au bout de quelques minutes, un livre dans les mains. Même si la jeune femme en avait vu durant son apprentissage à l'école du Mitan, les ouvrages se faisaient rares. Encore un sourire : son ami ne manquait pas de la surprendre. Il lui tendit silencieusement et Morgan dévisagea un instant le titre figurant sur la couverture jaunie : Succession.
Elle murmura le mot du bout des lèvres, et un frisson parcourut son échine. Les Successions étaient un regroupement d'histoires mythiques, racontées auparavant aux petits. La jeune femme se remémora ces après-midi où leur professeure contait ces merveilleuses histoires de dieux et légendes.
- Des mythes, fit-elle remarquer en reportant son regard sur Grimm.
Le vieil homme effectua un léger mouvement de main et siffla, la regardant dans les yeux :
- Les réponses se trouvent à l'intérieur.
Morgan ouvrit la bouche, comme pour répliquer quelque chose, mais rien ne sortit et elle se contenta de ravaler son soupir. Hochant la tête, elle regarda son ami s'éloigner de son pas fatigué. Elle ne savait si elle devait le rattraper ou crier son nom à travers la foule. Elle finit par jurer pour elle-même, pile au moment où une main se posa sur son épaule.
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