02 | UNE PROPOSITION ALLÉCHANTE & UN CORNET DE GLACE ÉCRASÉ
𝐴𝑙𝑜𝑖̈𝑠 𝑃𝑒𝑟𝑟𝑖𝑛
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TROUVER UN JOB D'ÉTÉ N'AVAIT RIEN DE SORCIER. Le garder, cependant, se révélait légèrement plus compliqué lorsque l'on s'appelait Aloïs, qu'on était gaucher et qu'on travaillait au stand de glace du lac, juste en face de la berge appartenant à Montdesbois.
— Aloïs ! Va prendre la commande des personnes qui viennent de s'asseoir ! J'en ai marre de te voir te battre avec la machine à granité !
C'était Katia qui venait de parler, la patronne du jeune homme. Avec sa carrure svelte, ses cheveux mi-longs châtains clairs et sa taille de lilliputienne, la trentenaire aurait pu passer pour une adorable jeune femme. Du moins, si elle ne s'évertuait pas à crier à tout va contre ses employés, qui, selon elle, étaient tous plus empotés les uns que les autres. Alors elle râlait, ses lunettes de vue à monture carrée glissant le long de l'arrête de son nez, puis elle frappait dans ses mains pour les faire activer et de son regard céruléen, elle se confondait en excuses auprès de ses clients.
Katia n'était pas une méchante personne, elle était juste un peu autoritaire et énormément stressée, surtout à cette période de l'année. Les touristes ne cessaient d'affluer au petit village de Saint-Lac, et bien qu'ils étaient beaucoup moins nombreux qu'à Montdesbois, cela suffisait amplement à bouleverser les habitudes des employés du Royaume Glacé. Et celles d'Aloïs en premier.
C'était la première fois que le rouquin aux boucles angéliques et au regard saphir décrochait un boulot de saisonnier, aussi tentait-il tant bien que mal de ne pas faire trop de bêtises susceptibles de le faire renvoyer. C'était l'idée de son père à vrai dire, et alors qu'Aloïs s'attendait à ce que sa mère ne soit guère d'accord avec lui, cette dernière avait trouvé l'idée fabuleuse et avait même aidé le jeune homme à faire son curriculum vitae. Au plus grand dam de ce dernier.
Les tables en plastiques jaunes pissenlits disposées devant le vendeur de glace étaient pour la plupart occupées, aussi Aloïs mit-il quelques temps avant de trouver les nouveaux clients dont Katia parlait. Un calepin de secours dans la poche de son jean, son sac banane accroché autour de sa taille, le rouquin tournoyait prudemment autour des tables, cherchant les nouveaux arrivants. Puis des exclamations retentirent brusquement sur sa gauche, bientôt suivies par son prénom et un sourire s'étira le long de ses lèvres constellées de taches de rousseur.
— Qu'est-ce que vous fichez là ? s'étonna le jeune en découvrant ses amis, assis près d'une famille dont les enfants chahutaient sans retenue.
— On est venus se saouler au Fanta pour oublier notre existence médiocre de futurs étudiants, ironisa un garçon brun aux airs de bad boy en carton. Non plus sérieusement, on voulait juste te voir galérer.
Aloïs gratifia le jeune homme d'un haussement de sourcil, un petit rictus au bord des lèvres. Il était toujours comme ça Barnabé, à se la jouer mec ultra cool empli de sarcasme alors qu'il avait passé la moitié de son existence soit dans un camp de scout, à construire des cabanes plus ou moins solides, soit à l'aumônerie du coin, que géraient ses parents en compagnie du prêtre de Saint-Lac, le père Laurent. Un bâtonnet incandescent reposait entre ses doigts, qu'il porta nonchalamment à ses lèvres charnues. Les rayons du soleil brillaient contre sa peau vaguement hâlée, avant de se refléter sur la chaîne de baptême qu'il portait autour du cou.
— Écoute pas cet imbécile, Lo', rétorqua une métisse aux beaux cheveux bouclés — Delphine. Si on est là c'est parce que Céleste a eu une idée de génie. Vas-y, dis-lui, encouragea-t-elle en donnant un coup de coude à une brunette au teint de porcelaine.
— La mairie de Saint-Lac recherche des gens pour animer la fête du village de samedi soir, je me suis dit que ce serait sympa de s'y présenter, exposa Céleste en redressant son chapeau à large bord sur le sommet de son crâne.
— Tu veux que les Alphapabêtes jouent à la fête du coin ? résuma Aloïs en sortant son carnet de commande — Katia le regardait intensément depuis quelques instants, aussi jugea-t-il préférable de faire semblant de prendre leur commande.
Céleste hocha vivement de la tête et ses boucles mordorées s'agitèrent dans son dos. Delphine souriait à pleines dents, les mains croisées sur la table bancale du glacier. Elle semblait attendre la réaction d'Aloïs avec impatience. De son côté, Barnabé avait entouré les épaules de Céleste de son bras libre et ses iris noisettes fixaient le jeune homme avec intensité. C'était à ce moment là que le rouquin remarqua qu'Élie, leur cinquième copain, manquait à l'appel et Aloïs se demanda bien pourquoi il n'était guère présent.
Aussi préféra-t-il s'en inquiéter avant de poursuivre cette conversation.
— Vous avez noyé Élie ou quoi ? demanda Aloïs en notant brièvement quelques termes sur son calepin — deux boules mangue, une boule fraise, une glace à l'italienne au citron.
— C'est plutôt lui qui serait susceptible de nous noyer avec ses biceps de body builder, pouffa Delphine et ses épaules étroites se soulevèrent légèrement. Il nous rejoint plus tard, il fallait qu'il termine quelque chose.
— Et par quelque chose, Delphino veut plutôt dire quelqu'un, jugea bon d'ajouter Barnabé avant que Céleste ne lui donne une petite tape sur l'arrière du crâne. Aïe ! Pourquoi t'as fait ça, Cél' ?
— Le petit Jésus voudrait pas que tu dises ça, se contenta de justifier la jeune fille en tirant la langue à son petit copain.
Delphine et Aloïs échangèrent un regard désespéré face au petit couple et à leurs manières bourrées d'amour à vous faire vomir. Et pendant que Barn' et Cél' s'embrassaient comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis une décennie, la métisse en profita pour relancer son ami couvert de taches de rousseur.
— T'es partant alors ? Pour la fête du village je veux dire, ajouta Delphine alors qu'Aloïs, ayant totalement perdu le fil, fronçait les sourcils.
— Carrément ! s'exclama ce dernier, peut-être un peu plus fort qu'il ne l'aurait souhaité — déjà les gens d'à côté le dévisageaient en maugréant légèrement. Faut juste qu'on prévienne Élie, mais je pense qu'il va accepter !
Delphine, un air radieux sur son minois en cœur ouvrit la bouche l'instant d'après, sûrement pour clamer sa joie. Toutefois, Aloïs ne l'entendit guère car une voix plus forte — et vraiment autoritaire — s'époumona non loin de ses oreilles :
— Aloïs ! Je te paye pas pour des prunes à ce que je sache ! Alors bouge tes fesses et ramène la commande de ces petits gars !
C'était Katia, Aloïs n'avait même pas besoin de se retourner pour le savoir. En même temps, il fallait tout de même rappeler que ce n'était pas la première fois qu'elle lui criait après. Entre la fois où le rouquin avait renversé un plateau entier de boissons et l'autre où il s'était emmêlé les pieds dans une prise, et avait par conséquent débranché l'ensemble des machines à granité, Aloïs avait été servi. Alors il s'empressa de prendre congé auprès de ses amis, un air contrit sur son visage allongé, et se rendit jusqu'à la cabane au pas de course.
Mais comme il fallait s'y attendre, rien ne s'était passé comme prévu. Aussi Aloïs s'était-il retrouvé sur le postérieur en moins d'un instant. Le bout de sa Vans était recouvert de crème glacée au cassis et un cornet écrasé gisait à ses côtés. Le jeune homme se demandait bien comment une telle gourmandise avait échoué par terre, cependant il n'avait eu qu'à tourner la tête pour découvrir la moue tristounette d'un bambin aux boucles brunes. Aloïs — contrairement à ce que Katia pouvait penser — ne mit guère de temps à faire le rapprochement et, après s'être relevé, s'était emparé de la main du petit garçon.
— Allez viens, je vais t'en donner une autre. Une glace beaucoup plus grosse que celle-là.
Le gosse décrocha un sourire faiblard au rouquin mais le suivit tout de même jusqu'aux machines à sorbet qui ronronnaient paisiblement derrière la vitrine colorée.
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Le Royaume Glacé avait fermé depuis de longues minutes désormais. Les clients avaient disparu petit à petit, emportant avec eux leurs lots de soucis et de piaillements. Et Aloïs, dès lors que Katia avait quitté la cabane en lui souhaitant une bonne soirée, s'était emparé d'un paquet de M&M's, qu'il gardait jalousement dans une poche de son sac à dos. Puis assis le long de la berge, à même le sol, le rouquin contemplait distraitement l'herbe s'étirant face à lui, au-delà de l'onde verdoyante, celle qui appartenait au village d'à côté. Montdesbois.
Aloïs mordit dans l'une des cacahuètes enrobées de chocolat, laissant ses pensées divaguer au gré du vent. Le jeune homme n'avait jamais compris pourquoi les habitants de Saint-Lac détestaient autant ceux de Montdesbois. Certains aimaient se justifier en usant du fait qu'ils leur avaient piqués le lac et à peu près tout ce qui faisait leur vedette. Mais ces paroles, c'était juste du vent, juste des justifications sans fondements que l'on sortait par réflexe parce qu'on savait pas trop pourquoi on n'aimait pas Montdesbois.
Les amis du jeune homme étaient un peu comme ça, à dénigrer le village perdu au milieu des monts et des bois. Mais mis à part Céleste, dont le père avait trompé sa mère avec une femme de ce village, la génitrice de Noé Snapp, un gars de sa classe de terminale, Aloïs ne saisissait pas vraiment ce qui motivait les autres à le détester eux aussi. Barnabé prétendait souvent que c'était par principe, qu'il fallait faire comme tout le monde à Saint-Lac et écouter ce que clamaient les vieux bourrés au pastis.
Pourtant, toutes ces superstitions n'empêchaient pas les adultes de Saint-Lac d'envoyer leurs enfants suivre leur scolarité à Montdesbois. Il fallait croire qu'ils étaient quand même bien contents de le trouver à ce moment-là.
Aloïs soupira suite à cela et froissa inconsciemment le paquet, désormais vide, de bonbons au chocolat. Un miaulement faiblard se fit retentir non loin de lui et le jeune homme se retourna, curieux de savoir d'où il provenait. Un petit rictus se dessina sur son visage pâle lorsque ses iris azur rencontrèrent une petite boule de poil blanche, au museau tacheté de noir. Le chat, constatant qu'il avait réussi à capter l'attention du garçon, se mit à rouler dans l'herbe brûlée de la berge et Aloïs le caressa doucement, pouffant légèrement à chaque cabriole.
— T'es un sacré toi, commenta-t-il en laissant retomber sa main le long de son corps.
Et comme pour appuyer ses dires, le chat roula une nouvelle fois.
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Un chapitre tout doux pour vous préparer tranquillement à la rentrée. Je crois qu'Aloïs est mon personnage préféré parmi ceux que j'ai pu créer pour cette histoire, il est si innocent ce petit, c'est un truc de dingue.
J'espère en tout cas que le chapitre vous aura plu ! N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires, de votre avis etc... On commence tout doucement à rentrer dans l'intrigue, aussi j'espère que vous ne vous ennuyez pas trop jusqu'à présent.
Suite aux nombreux retours que j'ai eu sur mon mur, je vais sans doute publier dans mon rant book une partie consacrée à ma semaine de pré-rentrée en PACES. Elle devrait normalement sortir dimanche dans la journée et j'espère qu'elle vous plaira !
En attendant, je vous souhaite une bonne journée et je vous dis à vendredi/samedi prochain !
capu ton cygne ✶
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