— C'était bien un accident.

Liam jeta le journal sur la table et posa ses mains sur ses hanches. Gustave prit le papier.

— Ils disent que, selon le rapport du légiste, la femme serait morte vers vingt-trois heures. Or le mari était à l'usine, il a pointé à vingt heures pour entrer et à deux heures cinq en partant. Il est visible sur les caméras de surveillance pendant tout ce laps de temps. Seigneur, la petite est restée plus de trois heures tout seule avec la cadavre de sa maman dans la pièce adjacente... Quelle horreur.

Le vampire soupira.

— Au moins, c'est ça de moins sur nos consciences, dit Liam. Assister à un meurtre presque en direct, ce n'est pas exactement ce que je voudrais comme souvenir...
— Je ne voulais pas non plus, répondit Gustave. Mais on ne m'a pas laissé le choix.

Liam plissa le nez. Le vampire s'éloigna alors et se laissa tomber dans le canapé. Il prit un coussin et le serra contre son torse, contrarié.

— Monsieur Von...
— Pas de monsieur avec moi, petit, le coupa Gustave. Je suis peut-être très âgé, mais nous ne vivons plus au dix-huitième siècle.

Liam se mordit la joue et hocha la tête.

— Que vouliez-vous me demander ?
— Juste que je suis désolé, je ne voulais pas vous contrarier.

Gustave souffla par le nez et se leva. Il s'approcha de Liam qui leva son visage vers lui.

— J'ai plus de sept cents ans, mon garçon, on ne m'énerve pas aussi facilement... ronronna-t-il.

Liam sentit ses joues rougir et il se détourna en se raclant la gorge. Gustave esquissa un sourire en croisant les bras.

— Ne refaites jamais ça, grogna le loup en retour.
— Faire quoi ? demanda innocemment le Vampire.
— Vous servir de votre charme vampirique sur moi ! Je ne suis pas de ce bord.
— Quel dommage... Vous auriez été un très bon minion.

Liam montra les dents en retour et gronda. La porte de la savonnerie coulissa alors, laissant entrer Scott et Anise. Quand Gustave grogna en retour sur Liam, le couple se figea. Lorsque Scott fit un pas en avant, Anise lui prit le poignet et il lui jeta un regard lourd de sens.

— Regarde ton fils, chéri... souffla-t-elle.

Scott reporta son attention sur le duo à une dizaine de mètres de là. Le vampire et le jeune loup n'avaient pas entendu la porte, pourtant tous deux capables d'entendre murmurer à dix mètres d'eux ; ils se faisaient face et Liam grognait sourdement. Gustave leva alors une main et la posa sur la joue du loup qui se tut aussitôt et se redressa.
Haussant les sourcils, Scott eut un mouvement, mais Anise le retint. Il lui jeta un regard en biais et elle lâcha sa prise. Il recula alors d'un pas, ouvrit la porte et la referma. L'effet fut immédiat, Liam bondit loin de Gustave qui se détourna pour aller sa vautrer dans le canapé.

— C'est nous ! claironna alors Anise comme s'ils venaient d'arriver. Oh, deux lève-tôt ! Bonjour, vous deux...
— Bonjour, Sorcière, répondit Gustave.

Liam marmonna quelque chose et Anise fronça les sourcils. Scott rejoignit son lieutenant.

— Gustave, dit alors la jeune femme. Je pourrais vous parler, en privé, plus tard dans la journée ?
— À quel sujet ?
— Nous en parlerons plus tard.
— Ce que sorcière veut...

Le vampire inclina la tête puis annonça qu'il allait dormir un moment. Il disparut dans l'escalier menant à un dortoir commun situé à l'étage de la savonnerie et Anise rejoignit ensuite Liam et Scott.

— Café ? demanda-t-elle.
— Volontiers, après la nuit que j'ai passée, j'en ai besoin... soupira Liam.
— Explique ? répondit Scott.

Anise s'éloigna vers le coin cuisine et entreprit de mettre le café à couler tout en écoutant la conversation d'une oreille. Quand elle entendit qu'il y avait eut un accident mortel durant la nuit, elle se retourna.

— Où ?
— Sur Conner Street. On était en patrouille avec Gustave quand on a entendu un gros juron. Je suis allé voir, c'était un homme qui rentrait du boulot. Il avait reversé son café, bref, je lui ai dit de rentrer et je suis reparti, mais quand j'ai rejoint Gustave, il a aussitôt reniflé l'air et j'ai compris qu'il avait senti du sang alors je l'ai envoyé dans la maison et il a découvert l'épouse de l'homme au juron, morte dans la cuisine... J'ai appelé Derek qui est venu avec Jared et le chat est entré dans la maison pour nous ouvrir de l'intérieur.
— Panthère, rectifia Anise. Jared est une panthère, pas un chat.
— C'est pareil. Tout ça pour dire que c'était un accident. C'est dans le journal. Sur ce, je vous laisse, je suis crevé.

Scott hocha la tête et le loup quitta le hangar. Anise observa son compagnon un moment puis soupira.

— Tu crois que ce serait aussi facile ?
— Ma puce, Liam n'est pas de ce bord, il ne laissera jamais un garçon le toucher et encore moins un vampire...
— Tu as vu comme moi, Liam était furieux et Gustave la calmé simplement en posant sa main sur sa joue... Il a un pouvoir apaisant et ni toi ni moi n'avons cela...

Scott inspira.

— Liam est mon lieutenant, dit-il. Je ne peux pas le laisser s'acoquiner avec un vampire.
— Liam est ton fils, Scott. Et de ce point de vue, je comprends ton refus, mais ce gamin est un loup depuis dix ans et il n'a toujours pas réussi à régler son problème de colère. Je pourrais sans doute lui fabriquer une potion ou un charme, mais après ? S'il n'apprend pas la gestion de la colère, un jour elle le submergera et le tuera. Ou il tuera quelqu'un.

Scott serra les lèvres. Il observa la cafetière un moment puis souffla.

— On verra plus tard. Tu rentres à Fresno demain, Derek et Stiles sont partis avec Malia pour Oshawa, ils ne vont pas rentrer avant deux semaines au moins, je dois faire des recherches sur Gustave sur tous les sites d'archives d'Europe, alors franchement je n'ai pas le temps de penser aux problèmes de colère de mon fils pour le moment.

Anise inclina la tête, compréhensive, et proposa ensuite qu'ils attendent les loups de nuit pour avoir leurs rapports avant de commencer leur journée.

.

— Prends soin de toi.
— Oui, et toi aussi. Ne te fais pas tuer.

Scott esquissa un sourire. Il croisa le profil de Gustave et secoua ensuite la tête.

— J'ai un vieux vampire sur les talons, je pense que c'est aussi efficace qu'un Chien des Enfers comme garde du corps.

Anise rigola. Scott lui prit alors son sac pour le ranger dans la soute du car qui partait pour Fresno et la jeune femme se tourna vers Gustave.

— Il va faire des recherches pour vous aider à retrouver votre famille de ce côté de l'océan ou, à défaut, en Europe. En échange, vous veillez sur mon homme.
— Entendu, Sorcière. Ne parlez pas de moi à vos sœurs, je n'ai pas envie d'être traqué comme à l'époque.
— Ne vous en faites pas, c'est terminé tout cela. Désormais, les sorcières aident les garous et les vampires à avoir une vie normale, répondit la jeune femme avec un sourire. Après tout, ce n'est que justice après que nous ayons passé des siècles à vous pourchasser...

Gustave inclina la tête. Il la tourna soudain et Anise suivit son regard. Elle posa une main sur son bras.

— Si le fils de Scott vous intéresse, tentez votre chance, mais je ne vous garantis rien, dit-elle. Il n'est pas de ce bord.
— Je sais. Et il ne m'intéresse pas pour cela, mais pour cette immense colère qui bouillonne en lui... J'étais comme lui quand on m'a transformé, furieux après le monde, furieux après moi-même d'avoir été assez stupide pour me laisser prendre...
— Liam n'a pas eu d'autre choix que de devenir un loup-garou, répondit Anise. Scott la mordu pour lui sauver la vie, il n'avait pas le choix. Soit il plantait ses crocs dans son bras pour lui éviter une chute mortelle, soit il le regardait s'écraser dix mètres plus bas...

Gustave serra les lèvres. Il posa une main sur celle d'Anise qui hocha la tête.

— Rendez-les-moi entier, c'est tout ce que je vous demande, Comte.
— Ne m'appelez pas ainsi...

Le vampire baissa le nez, yeux clos.

— C'est pourtant qui vous êtes.
— Il est mort depuis bien longtemps...
— Je n'en suis pas certaine.
— Le car pour Fresno part dans trois minutes ! aboya soudain un homme.
— Je dois y aller, dit Anise.
— Faites bon voyage, Sorcière.

La jeune femme inclina la tête puis se détourna et rejoignit Scott. Le vampire observa le couple s'enlacer et s'embrasser une longue seconde ; il sentit alors une présence et baissa les yeux pour découvrir Liam à ses côtés.

— Rentrons, dit-il alors en se détournant. J'ai besoin de dormir. Et de manger.

Liam eut un petit sursaut.

— Manger ?
— Oui. Cela fait deux mois que je n'ai rien avalé, je suis affamé, même si je pourrais jeune encore quelques semaines.
— Quoi ? Mais vous aviez dit que vous pourriez tenir beaucoup plus longtemps pourtant...

Gustave ne répondit rien. Liam le pourchassa dans le terminal de bus et ils sortirent dans la rue bondée.

— Allons à l'hôpital, dit le jeune loup. Madame Argent vous trouvera un peu de sang à d'avaler.
— La Sorcière pourrait me créer un sang synthétique, mais elle n'en est pas encore capable, répondit Gustave. Vous êtes sûr que cette femme...
— C'est la mère de l'Alpha.

Gustave releva le menton puis inclina la tête et Liam indiqua l'hôpital du menton. Le vampire sembla hésiter une seconde puis finir par accepter et ils prirent tous deux la direction du gigantesque bâtiment.

.

— Vous fournir du sang ?
— Un dé à coudre suffirait pour me permettre de jeûner encore deux semaines, mais ce serait sans doute moins dangereux pour les humains de cette ville si j'étais rassasié...

Melissa déglutit. Quand Scott lui avait parlé des vampires qu'il avait trouvés sur son territoire, elle ne l'avait d'abord pas cru, mais elle devait se rendre à l'évidence, cet homme magnifique, gracieux et délicat qu'elle avait devant elle ne pouvait être qu'un vampire...

— Madame A, on se réveille ! dit soudain Liam. Une poche de sang pour le vampire, c'est trop vous demander ?
— Liam, mon garçon, en temps normaux, j'aurais accepté, mais nous manquons cruellement de sang ces derniers mois... Les attaques diverses et variées nous ont laissé un grand trou dans le stock que nous peinons à combler...

Liam grimaça. Gustave tourna soudain les talons.

— Je suis désolée pour ton ami, dit alors Melissa. J'espère que tu comprends...
— D'une, ce n'est pas mon ami, et de deux, oui, je comprends, mais je sais aussi que s'il s'en prend à un humain, ce sera votre faute.

Liam tourna ensuite les talons. Il rejoignit Gustave au bout du couloir et ils disparurent tous deux derrière les portes battantes. Une infirmière s'approcha alors.

— Un vampire... Je savais que ton fils avait un meute plutôt hétéroclite, mais pas à ce point...
— Je ne pense pas qu'il va rester. Il est perdu, il a besoin de repères et une fois qu'il les aura, il partira comme il est venu, répondit Melissa, sourcils froncés.
— Je l'espère. Nous n'avons pas peur des créatures surnaturelles, mais d'autres, dans cette ville ou ailleurs, pourraient lui vouloir du mal.
— Tu crois ? Des Chasseurs ?

L'infirmière haussa une épaule ; son biper sonna alors et elle s'excusa. Melissa l'observa s'éloigner un moment puis attrapa un dossier patient et reprit sa journée.