Chapitre 3 Réécriture : Une Intriguante Rencontre
Nous roulons depuis des heures vers le camping. Mon frère, après avoir demandé à maintes reprises si nous étions arrivés, s'est endormi. Mon père conduit en chantonnant les tubes de sa jeunesse qui passent à la radio. Ma mère le guide en complément du GPS, avec une vieille carte routière griffonnée par de nombreuses annotations témoignant d'une longue transmission familiale.
Je contemple le paysage qui défile, m'offrant des tableaux magnifiques de végétations diverses. Nous traversons des champs agricoles envahis de plantes dont les petites fleurs jaunes apportent une pointe de fraîcheur et de gaieté à cet horizon plat. Puis, nous longeons une forêt à la végétation luxuriante qui cache aux passants trop curieux ses mystères. Le paysage change encore, nous arpentons les flancs d'une montagne que je m'amuse à voir enneigée. Mon imagination vagabonde au fur et à mesure des kilomètres qui se dérobent.
— Lady and Gentleman, ici votre commandant de bord. Nous vous annonçons que nous amorçons nos derniers kilomètres, s'amuse mon père qui me sort de ma rêverie.
Son intervention me fait sourire. Je lui lance un regard complice qu'il approuve à travers le rétroviseur avant de me remettre à fabuler. Je songe à mon séjour loin de toutes mes préoccupations quotidiennes. Je me fais encore un vieux film dans ma tête, celui de me faire une foule de nouveaux amis. Je pouffe de rire toute seule. Nouer des relations amicales avec des inconnus grâce à mon incroyable déficit de confiance en moi. N'importe quoi mon cerveau. Cependant, rien ne m'empêche d'essayer de faire la connaissance d'au moins une personne.
Depuis, les événements de la messe et du parc, les hallucinations et autres phénomènes ont disparu comme par magie, plus rien ne se produit. Naïvement, je mets tout cela sur le compte du stress et du choc que m'avaient occasionné ma décision, une sorte de chagrin d'amour. Je visse mes écouteurs dans mes oreilles pour m'immerger encore plus dans mon monde imaginaire. J'aurais aimé que Tim et Anna soient aussi de la partie, mais malheureusement ils avaient d'autres projets.
Nous prenons un chemin en terre dont les nids de poule et les trous chahutent la voiture dans tous les sens. Ce grand ballotage réveille mon frère qui m'observe avec inquiétude.
— La voiture bouge trop, me dit-il avec ses mains sur la bouche.
Nous débouchons avec hâte sur un vaste parking. Malheureusement, pour David et sa nausée, il se trouve en aussi mauvais état que la route. Mon père décide de se garer à la première place qu'il trouve pour éviter le drame du nettoyage de la voiture et l'odeur pestilentielle d'une régurgitation. Il sort du véhicule pour courir vers l’arbuste le plus proche et mettre sa tête entre les jambes. J'aide mon père en vidant le coffre de notre berline de nos bagages tout en écoutant les gémissements de mon frère. Ma mère arrive à temps pour assister mon cadet que nous entendons à présent vomir.
— Il faut se présenter à l'accueil pour qu'ils nous enregistrent et nous donnent les clés du mobil-home, nous informe ma mère en donnant à mon père les documents de réservation.
Nous nous chargeons des bagages pour faire un premier voyage vers l'entrée. Nous passons une arche enfouie sous une végétation dense de lierre et de jasmin. Le parfum de ces délicates fleurs blanches m'enivre, je ne peux m'empêcher de savourer leur doux arôme à chaque inspiration. Cette fragrance raffinée nous guide jusqu'à une petite maison en pierre d'époque. Un petit tableau vert placardé sur la porte d'entrée indique avec une écriture soignée à la craie le mot “accueil”.
— Je crois que nous avons trouvé notre bonheur, me confirme mon père.
Nous pénétrons dans ce local en exprimant notre présence par un "bonjour". Une odeur de renfermé et de vieille boiserie nous accueillent. Je pose avec très peu de grâce et de délicatesse le bagage à main de ma mère et mon sac à dos.
— Elle a mis quoi là-dedans, maman ! m’exclamé-je.
— Elle a emporté la maison comme toujours, me répond mon père en riant.
Nous attendons ainsi quelques minutes avant qu'une personne n'arrive pour nous renseigner.
— Bonjour, dit-elle en tendant la main vers mon père.
L'homme à la chevelure grisonnante prend les documents. Sans un regard vers nous, il se tourne face à l'ordinateur pour pianoter hasardeusement les quelques informations dans le logiciel de réservation.
— Allée 1, parcelle 61, mobil-home 8, nous annonce l'homme sur un ton assez froid.
Je me prépare physiquement et psychologiquement à porter de nouveau mon enclume.
— Je prends le relais, Tony ! s'exclame une personne à l'entrée de la petite bâtisse en pierre.
Je ne prête pas attention à cet individu qui me semble pourtant plus jovial que la porte de prison qui nous a reçu. Il attrape avec dextérité les clés que lui lance le fameux Tony. Je me baisse pour prendre les bagages.
— Ah non ! ça c'est mon travail, me dit-il en me souriant.
Je relève légèrement la tête pour me retrouver prise au piège. Je suis hypnotisée par deux prunelles qui m'enveloppent de leur douce chaleur brune. À la fois troublée et fascinée par l'intensité et l'insolente confiance de ce regard qui pénètre en moi, je n'oppose aucune résistance. Je me prends au jeu en me laissant absorber par les iris captivants de cet inconnu.
— Enzo, ne traîne pas, il y a du monde aujourd'hui qui arrive, aboie nonchalamment le vieillard aigri.
— Détends-toi un peu mon vieux ! ça va bien se passer, lui répond le jeune homme en riant et en détachant son attention.
Je m'éloigne en l’observant avec curiosité. Son visage, dont la peau a reçu la caresse du soleil, est voilé d'une fine couleur dorée. Ses cheveux d'un brun foncé sont écrasés sous une casquette noire à l'effigie du camping. Il porte avec une plus grande facilité que moi les bagages. Nous sortons escortés par notre guide, ma mère et David nous rejoignent à l'extérieur de la maisonnette.
— Salut ! leur lâche-t-il en affichant un immense sourire. Suivez-moi, je vous conduis à votre mobil-home et je vous expliquerai les deux trois trucs à savoir sur le camping, continue-t-il.
Nous découvrons notre lieu de résidence pour les trois prochaines semaines qui, comme annoncé par ma chère maman, est très arboré. Nous suivons un chemin de gravier blanc qui longe une immense piscine en forme de L. Mon jeune frère s’extasie à la vue des deux grands toboggans aquatiques. Une lueur de malice éclaire son regard quand il colle son visage sur le grillage. Je comprends aisément que mon frangin prévoit dans son esprit de petit garçon de son âge tous les coups fourrés qu’il pourra me réserver.
— De dix heures à dix-huit heures tous les jours sauf aujourd'hui, on a mis un traitement choc pour l'eau, indique notre guide avec un ton de satisfaction en voyant les étoiles dans les yeux de David.
Il s’approche du petit garçon en lui expliquant les bonnes positions pour s’élancer dans les toboggans, garantissant ainsi un maximum d’éclaboussures pour les personnes qui seront à la sortie du tube. Ils continuent de discuter et de rire ensemble. Je suis méfiante par cette promiscuité. Ce spectacle me donne une impression de fausse gaieté, un sentiment qu’il s’agit d’une scène surjouée. Mon instinct me pousse à rester sur mes gardes avec Enzo. Je décide de prendre mes distances, il cache quelque chose derrière ce sourire de façade.
— Oh c'est pas vrai ! hurle David en se détournant de sa discussion avec le guide.
Nous perdons définitivement le garçonnet quand ces deux billes grises se posent sur le parc de jeux d'enfants qui est en face de la piscine. L'immense sourire sur son visage nous laisse aisément deviner la joie qui explose dans son petit corps. Il devient incontrôlable, une pile électrique.
Après une longue négociation avec l'enfant surexcité pour quitter le lieu de ses rêves, nous continuons notre visite. Mes parents sont attentifs aux précieuses indications qui leur sont distillées quand ils ne reprennent pas David qui court de partout. Je foule le sol de mes pas curieux. Ce petit coin de verdure provoque en moi la même magie que pour mon frère, j'ai une envie de courir, de rire comme une gamine en m'émerveillant devant la beauté des lieux. Des arbres centenaires nous protègent de la chaleur caniculaire du soleil. Des parterres de fleurs décorent les allées et leur senteur finit de m’emporter dans un autre monde. Je n’écoute pas les explications de notre guide, je préfère me perdre en écoutant le chant harmonieux des oiseaux nichés dans ces arbres vénérables.
Nous nous approchons d'une parcelle dont la clôture est submergée par des grappes de fleurs de glycine. Timidement des fleurs de jasmin tentent de se frayer une place face à son imposante voisine. Ce mélange enivrant de l'odeur de ces deux fleurs me réconforte et me calme. Je ressens une certaine sérénité. Ce petit bout de terrain continue de se dévoiler au fur et à mesure de notre ascension. Entièrement recouvert de gravier, des jardinières de géraniums et d'autres fleurs massives habillent subtilement cet espace, le mobil-home trônant majestueusement au centre.
— Vous êtes chez vous ! s'exclame Enzo en ouvrant le portillon.
Mon cœur gonfle de joie, ce havre de paix est pour nous. Mon frère se précipite à l'intérieur, je le suis avec la même hâte, extériorisant l'excitation que je contiens depuis un bon moment . Nous ne résistons pas à la tentation de nous jeter dans la balancelle.
— Doucement les enfants, ce n'est pas un jeu ! nous prévient ma mère.
Nous échangeons un rire complice en continuant de nous balancer. Enzo donne les dernières recommandations à mes parents.
— Bienvenue et bon séjour, conclut-il en refermant le portillon.
Dans un dernier éclat de rire, je jette un coup d'œil en direction de notre hôte qui m'observe lui aussi. Je lui fais un fin sourire pour le remercier. C'est ainsi, que sans un mot, il s'éloigne pour reprendre sa besogne, en ajustant sa casquette pour couvrir la partie supérieure de son visage.
Nous prenons possession des lieux en installant nos effets personnels dans nos chambres respectives. Seul mon frère n'arrive pas à faire redescendre son excitation. Il court dans le mobil-home de pièce en pièce pour nous partager ses dernières trouvailles.
— J'ai fini, annoncé-je à ma mère. Je peux amener David au parc ? lui proposé-je.
Elle m'observe en soupirant en entendant le pas de course du jeune garçon résonner sur le linoléum du plancher de notre résidence.
— Je veux bien avant que ce modeste lieu ne finisse en poussière sous ses pas, se navre-t-elle.
Je me dirige vers la sortie sous le regard attentif de mon frère qui raconte avec énergie sa découverte à mon père.
— Je vais au parc, lui annoncé-je en le fixant avec un grand sourire.
Les yeux de l'enfant s'éclairent d'une nouvelle lueur. Cette journée est un rêve éveillé pour lui. Il hurle de joie en courant vers la sortie. Il ne prend pas le temps de descendre les quelques marches entre le mobil-home et le auvent qu'il préfère sauter par-dessus. Il court jusqu'au portail, puis observe ma progression.
— Dépêche-toi. On perd du temps là ! me crie-t-il.
Je l'observe se dandiner sur place d'impatience. Tout paraît si simple dans son monde d'enfant. Je laisse échapper un petit rire avant d'ouvrir le portail. Nous nous dirigeons ainsi vers le parc. David se presse plus qu'il ne faut. Il maugre au loin en me voyant flâner. Contrairement à lui je prends le temps de me créer des repères dans cet endroit inconnu.
— Calme-toi un peu, nous avons trois heures devant nous, soufflé-je en le rejoignant.
Je presse à mon tour le pas pour le rattraper, mais le petit gredin s'éloigne de nouveau en me narguant avec son rire enfantin. Il ne prend pas garde au terrain accidenté, préférant me lorgner par-dessus son épaule. Son pied vient se loger dans une racine d'arbre qui sort du sol. Il s'étale de tout son long, ayant pour unique réflexe que de tendre ses bras pour amortir le choc. Le bruit de sa chute semble retentir dans les bois. Le chant des oiseaux se stoppe, un silence s'installe avant d'être rompu brusquement par les braillements de David. Je m’élance vers lui pour lui venir en aide, mais il se relève seul, péniblement. Il reste au milieu de l'allée, les genoux en sang et les mains écorchées, en train de pleurer.
— Tu vas bien ? m'inquiété-je en le rattrapant enfin.
Il baragouine une réponse incompréhensible que je n'arrive malheureusement pas à déchiffrer. Je regarde avec minutie l'étendue des dégâts.
— Nous sommes bons pour retourner à la case départ, l'informé-je sur un ton déçu en me mettant accroupie et en lui montrant mon dos pour que je le porte.
— Eh bien ! Que se passe-t-il ici, s'exclame une voix familière derrière nous.
Je me retourne brusquement, il s'agit d'un couple de notre communauté qui en entendant les cris de David a accouru pour nous porter secours. Mme Mesliers a même anticipé en se munissant de sa trousse de premier soin. Elle s'occupe de mon frère qui évacue encore quelques sanglots. Son époux réconforte le jeune garçon avec ses phrases toutes faites que seuls les anciens utilisent. Je me relève en soupirant, quand je sens sur moi à nouveau ce regard intense presque dérangeant qui me donne l'impression de pénétrer dans ma chair. Enzo observe la scène en retrait, attendant de pouvoir prendre congé. Je soutiens son regard sans me montrer intimidée.
— Vous allez au parc ? demande-t-il avec son immense sourire qui sonne faux.
— Oui, lui réponds-je sur un ton détaché pour essayer de cacher mon agacement.
Il s'approche plus près de moi pour me murmurer quelque chose à l'oreille.
— Voilà j'ai fini. Tu as deux genoux tous neufs, annonce Mme Mesliers.
Cette nouvelle est si soudaine qu'il sursaute. Le couple remercie leur jeune guide avec toute la gentillesse que je leur connais. Je les remercie aussi pour leur intervention qui m'évite de rebrousser chemin. Je me retrouve seule avec Enzo et David.
— Je te porte jusqu'au parc ? interrogé-je le petit garnement.
— Non, je suis un grand, me répond-il en faisant la moue après avoir jeté un coup d'œil à Enzo.
Je n'accorde pas plus d'attention au préposé du parc en continuant ma route. David, par précaution, me donne la main.
— Je peux venir avec vous ? J'ai fini mon job, nous questionne-t-il.
Étant beaucoup moins douée que mon adversaire à ce petit jeu, je ne peux continuer à dissimuler mon désaccord derrière mon air détaché. Une grimace de désapprobation se dessine sur mon visage.
— Oui, tu peux venir, autorise mon frère.
Je lui donne un coup de coude qui déclenche un petit ricanement moqueur de ma pestouille de frère.
— Tu es une asociale, ma pauvre sœur, me chuchote-t-il suffisamment fort pour qu'Enzo entende.
Nous marchons silencieusement, je bougonne intérieurement en cherchant un moyen de me débarrasser de ce gêneur. David me lance un regard malicieux, annonçant un mauvais coup. Puis, il s'éloigne en clopinant m'abandonnant à notre invité.
— David revient ! m’exclamé-je.
— Donc ton frère s'appelle David et toi, c'est quoi ton prénom ? me demande-t-il.
— Stéphanie, prononcé-je à peine du bout des lèvres.
Sa voix grave se fait plus douce et chaude que lors de notre première rencontre. Je comprends à son intonation qu'il essaie de me mettre à l'aise. Un silence pesant, néanmoins, s'installe de nouveau. Il cherche un sujet de discussion pour briser la glace qui me sert de protection.
— Je t'ai froissée, me demande-t-il avec un air franc. Si c'est le cas, je suis désolé, conclut-il.
Je me rends compte à ses mots que j'abuse un peu. Je donne une image de moi-même peu flatteuse qui ne me ressemble pas du tout. Un sentiment de culpabilité m'envahit. Il est vrai que je me méfie de lui, mais cela ne m'empêche pas d'être un minimum agréable.
— Non, c'est moi qui suis désolée. Je me suis fait... , avoué-je à demi-mot sans finir ma phrase.
— Tu as l'air un peu timide, j'ai pas trop mis les formes, je suis trop direct. En même temps, il y a pas beaucoup de jeunes de notre âge cette année, confesse-t-il en retirant sa casquette.
Une crinière brune qu'il ébouriffe de sa main prend naturellement place. Je l'observe fixement, ce qu'il remarque rapidement en me faisant un sourire marquant une légère gêne.
Ah monsieur, pas si agréable que ça d'être observé avec insistance ! pensé-je en détournant mon regard. Un sourire de satisfaction se dessine sur mes lèvres sans que je ne puisse le retenir.
— Dépêchons-nous un peu, il faut le rattraper ! s'exclame Enzo en me prenant par la main sans me ménager.
Nous courons ainsi main dans la main pour rejoindre mon frère. David accélère de plus belle en nous voyant gagner du terrain.
— Dis-moi, tu veux bien qu'on soit amis tous les deux ? me demande-t-il essoufflé après notre marathon avec un visage souriant.
Il ne m'offre pas de faciès commercial. Cette fois-ci il est naturel et spontané. Mon souffle se coupe, je ne peux pas répondre. Sa mise à nue me frappe en pleine face. Est-ce son vrai visage ? Est-ce que je peux finalement avoir confiance ? Ce n'est que pour trois semaines après tout ?
— OK, lui lâché-je timidement en rougissant légèrement.
Nous passons les heures qui suivent à faire connaissance. Je comprends rapidement que nous avons les mêmes références culturelles. Mon objectif est atteint. Je me surprends moi-même en repensant à mes réflexions sur le trajet, d'y être arrivée si facilement.
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