Chapitre 23 Réécriture : La Disparition
En ouvrant les yeux, je constate avec peu de surprise que les lieux ont repris leur forme originelle, plus de vitres brisées, plus de mobilier en morceaux. Les élèves studieux penchés sur un exercice de traduction ne semblent pas perturbés par la présence de Michael dans la salle de cours, ni par l’absence d’Alexandre.
— Bien dormi la marmotte ? me questionne Mathilda en me donnant un petit coup dans l’épaule. Si tu veux pas être seule, tu peux te mettre avec nous sur le devoir, continue-t-elle avec un grand sourire.
Cette dernière ainsi que tous les autres ont oublié, comme mes parents, les événements qui viennent de se dérouler. Ma blessure au front n’est plus, mais une douleur au crâne me rappelle que ma chute était bien réelle. Je porte un regard complice sur le duo mystique qui débattent ensemble. Notre mystérieux professeur discrètement achève de panser ses plaies, l’Angelot semble le questionner. Je comprends que l'être céleste a de nouveau usé de son tour de passe-passe pour éviter de devoir gérer une crise chez tout ce petit monde. Je me lève sous le regard surpris de Mathilda qui me voit légèrement chanceler sur place.
— Où est Alexandre ? demandé-je aux deux comparses que j'ai rejoints au bureau de l’enseignant.
Leurs mines défaites ne laissent rien présager de bon. Le regard fuyant de M. HARKER me glace le sang à l'évocation de l’adolescent. L’homme, si élégant habituellement, est décoiffé, à bout de force, les vêtements en guenille.
— Je n’ai pas pu intervenir à temps, Stéphanie, commence solennellement Michael. Son ton et son air triste me laissent imaginer le pire.
Je m’agrippe au bureau essayant de me remémorer les gestes du monstre et de ce qu'il aurait pu lui faire. Tout comme pour Marie, je n’ai pas su le protéger et je l’ai exposé à un danger.
— Il s’est enfui avant que j’arrive, nous ne savons pas vraiment où il a pu partir, conclut Michael en me tenant par les épaules, voyant que je perdais l’équilibre.
— Il va bien alors, répliqué-je en lui attrapant la main.
Il me caresse le visage, diffusant en moi une vague de bien-être et de réconfort. Mes pensées s’égayent de nouveau, oubliant à mon tour l’anormalité de l'absence de mon camarade. Seul ce mal de tête persiste comme un rappel dont la raison, les origines s'amenuisent dans mon esprit.
— Professeur, je ne me sens pas bien, dis-je d'une voix faible avant de me diriger vers la porte.
C'est dans cet état presque hypnotique que Michael me guide vers l'infirmerie. Ma vision floutée, je navigue dans un brouillard, mon esprit enivré par cette sensation de bien-être, je ne me pose aucune question. Le sol meuble, sous mon pas lourd, me laisse imaginer que je piétine des nuages. À notre arrivée au lieu de toutes mes espérances, je m'écroule dans un lit que l'infirmière scolaire m’a vite mis à disposition.
— Que m’as-tu fais ? demandé-je à l’archange dont je ne distingue plus que sa silhouette floue dans l’encadrement de la porte.
— Dors, repose-toi, je m’occupe du reste, me répond-il en ricanant.
Son attitude me questionne, un sentiment de doute et de duperie s’empare de ma faible carcasse. Je tente, dans un geste de panique, de me lever, mais un sommeil profond me submerge, m’entrainant encore plus dans ce voile de douceur contre lequel je n’ai pas la force de lutter.
Où suis-je ? Qui est cette personne que j’enlace ? Pourquoi ai-je autant envie de la voir joyeuse et pleine de vie ? Pourquoi je m’inquiète pour ce petit être fragile que je tiens au creux de mes bras ? Dans cette pénombre, elle pleure. Chaque sanglot qui s’échappe de cette jeune fille me perce le cœur comme une lame de couteau. Mon seul remède contre sa peine est de la préserver un instant de sa souffrance en lui offrant ma chaleur et mon réconfort. Je lui caresse les cheveux pour apaiser sa tristesse quand ces pleurs cessent enfin. Je veux que ce moment reste ainsi pour l’éternité, elle et moi, et rien d’autre au monde. Je veux continuer à ressentir son souffle chaud dans mon cou et ses mains sur mon torse ignorant le bouleversement que ce simple geste provoque chez moi.
Elle relève la tête. Je vais enfin voir son visage, mais tout devient sombre et froid, je tombe sans fin dans un épais manteau obscur. Il n’y a pas de bruit, juste des sanglots retentissant dans cette atmosphère sans vie. Je chute inexorablement, rien ne peut me ralentir ou me stopper.
— Tu n’étais qu’un bâtard, résonne dans cette obscurité une voix ignoble et inhumaine.
Ces mots horribles induisent un doute dans les fondements de mon être, fissurant mon univers tout entier à mesure que ces syllabes se répètent sans fin dans l’écho de ce néant. Je m’enfonce dans cette noirceur, mes certitudes, mes croyances se craquellent. Pourquoi ces mots me font autant mal ? Je dois savoir si c’est vrai, si cette fille a dit vrai, si l’on me ment depuis tout ce temps sans scrupule ?
J’échoue devant une porte que j’ouvre sans prendre la délicatesse de signaler ma présence. Une femme que je ne connais pas m’accoste, nous discutons, mais je n'entends rien. La discussion n’est pas sereine, le ton monte. Mon cœur s'accélère, j’ai peur de ce qu’elle va dire, je doute de sa franchise et de son honnêteté envers moi. L’échange devient très houleux, je pleure et elle aussi. Mes mouvements deviennent amples et violents, je fracasse le verre d’eau qu’elle m’a servi pour me calmer sur le sol avant de partir en courant. De nouveau, je sombre dans cet océan d' absence de clarté. Une douleur me broie l’estomac, mon cœur est serré. Ma respiration se saccade et mes joues se noient dans un fleuve de tristesse que je n’arrive pas à étancher.
Dans ce silence assourdissant, seul un rire résonne, celui de la personne ou de la chose qui m’a annoncé cette tragique vérité. Dans cette déroute de mon esprit, sur ce rejet de toute mon existence, je me laisse ensevelir par cette obscurité qui résume à merveille la couleur que revêt mon âme à cet instant précis. Je suis seule, désormais rongée par la colère.
D’un bond, je me réveille avant que ma mère ne vienne à mon chevet ; elle discute de mon état avec l'infirmière. Dans ma tête, ce rêve, cette colère, cette tristesse se bousculent : qu’est-ce qui vient de se passer ? Ce n’était pas un rêve. Toutes ces émotions étaient bien trop vives et réelles à mon goût. Je fixe le miroir de la salle de l’infirmerie pour me rendre compte qu’une larme de sang coule sur ma joue. D’un revers de la main, je l’essuie avant que ma mère et la nurse s'aperçoivent de cette bizarrerie. Après un échange rapide, elles me regardent toutes deux avec un air sérieux et grave sur le visage. Ma mère remercie la femme en blouse blanche qui fait un signe de croix en me jetant un rapide coup d'œil.
— On y va, on rentre à la maison, me murmure ma mère qui m'a rejoint.
En silence, bercés au son de la radio, nous rentrons à la maison. Elle m’installe dans le canapé avec un plaid épais et une collation. Son regard voilé en demi-teinte d’inquiétude et de doute, elle me fait un baiser sur le front avant de partir s’enfermer dans la cuisine où je l'entends s'affairer à la préparation du repas de ce soir. Je m’occupe l’esprit avec, en fond sonore, les sons des émissions de la télé que je ne regarde pas. Mon esprit est toujours agité par ce rêve, par ces émotions que je ne veux plus jamais ressentir, par ce sentiment de tout perdre à cause d’une phrase hasardeuse. Un bruit me distrait, celui du téléphone. Je me lève du canapé pour me diriger vers le téléphone fixe de la maison, mais ma mère l’a déjà décroché. Nos regards se croisent, elle dévie immédiatement ses pupilles noisettes des miennes, me confirmant que quelque chose ne va pas ; d'habitude, elle serait restée à mon chevet à me dorloter et me cajoler.
Que se passe-t-il ? songé-je en me recouchant, refixant mon attention au plafond blanc du salon.
— C’est pour toi, c’est Anna, me dit-elle en posant le combiné sur le guéridon.
Je me presse de prendre la communication, je regarde l’heure : il est presque dix-neuf heures, mon père et mon frère ne vont pas tarder à rentrer. Un pressentiment me parcourt l’esprit, une sueur froide longe mes vertèbres, je sais qu’une mauvaise nouvelle m’attend, je tremble en prenant le combiné entre mes mains.
— Salut, articulé-je difficilement la gorge nouée.
— Stéphanie, tu as des nouvelles d’Alexandre ? me questionne-t-elle immédiatement avec un stress palpable dans sa voix.
Alexandre, son prénom retentit dans ma tête comme un boomerang, mon rêve se rejoue dans mon esprit, ces émotions c’était les siennes, cette fille dans ses bras c’était moi. Ma mémoire se rembobine encore et encore pour me rejouer la scène dans la salle de cours, pour me montrer que ces mots qui l’ont meurtri, qui l’ont anéantie, sont sortis de ma bouche.
Le rire du démon se manifeste dans mon être.
— Non, je n’en ai pas et je pense qu’il doit me détester, confessé-je.
Un silence se pose dans notre échange, elle semble répéter mes dires à une autre personne.
— Je suis avec Tim, la mère d’Alexandre l’a appelé, il est introuvable, m’avoue-t-elle.
J’entends alors notre acolyte d’enfance pester derrière elle. Je m’écroule devant le téléphone me culpabilisant, m’imaginant le pire des scénarios pour cette personne qui a voulu me venir en aide et qui a subi une peine bien trop lourde pour son geste d'innocence et de gentillesse. Devant mes pleurs, ma mère vient me consoler.
— Que se passe-t-il ? me demande-t-elle encore plus inquiète.
Elle prend l’appareil et échange avec Anna qui lui explique la situation sans comprendre. Au bout d’une heure, mes amis arrivent à la maison, ma mère appelant tous les hôpitaux du coin, Anna derrière son PC portable à pianoter pour tracer son téléphone portable et Tim appelant toutes les connaissances qu’il a en commun avec Alexandre. Seule assise sur le canapé les yeux dans le vide, je me morfonds sur les évènements qui ont conduit à cette disparition.
Si tu veux le revoir, je peux t'aider, moi, je sais où il est, s’invite dans mes pensées sombres le démon qui se matérialise à mes côtés en m’enlaçant.
— Laisse-moi tranquille, tout est de ta faute, c'est toi qui a fait ça, hurlé-je devant tout le monde en me levant d’un bond du canapé.
Tous me regardent, s'interrogent sur l’origine de mes cris et de ma colère si soudaine, mais je ne leur prête aucune attention. Je fixe le démon qui se prélasse sur le canapé avec un énorme sourire sur les lèvres, me révélant ainsi sa culpabilité dans cet acte perfide.
— C’est une plaisanterie. J’y peux rien si c’est vrai et encore moins s’il a réagi ainsi. Par contre, je peux réellement t’aider à le retrouver, se confesse-t-il en riant.
Il se lève un air sérieux sur son visage monstrueux. Il me fait face, ma respiration sous l’effet de la colère est rapide. Mes yeux sont écarquillés alors que ceux de la bête sont rieurs et moqueurs.
— Michael, c’est lui qui va m'aider. Tu n’es qu’un monstre, comment pourrais-tu me venir en aide ! m’exclamé-je.
Mon frère, avec un regard inquiet, me saisit la main comme pour me ramener auprès d’eux. Sa mine est froide et fermée. Je lui accorde une oeillade furtive pour constater son désarroi et sa peur. Des larmes coulent de ses billes grisâtre. Je comprends alors que tous me fustigent du regard avec cette expression d’incompréhension sur le visage. Ma mère m‘observe en serrant la mâchoire.
— Il ne peut plus le trouver. Il a sombré comme toi dans un monde où le Seigneur n’a plus sa place, me crache-t-il à la tête.
— En plus, c’est simple, tu as juste à m’accepter et je te prête mes pouvoirs. Dépêche-toi, plus le temps passe, plus il risque d’y rester, tic-tac, tic-tac, s’amuse-t-il.
Mon sang se glace dans mes veines à l’évocation que sa vie est en jeu. David me prend alors dans ses bras, me tirant vers le bas, mais je ne peux quitter des yeux l’engeance qui ne semble pas mentir. Je réfléchis rapidement sans mesurer l’ensemble des conséquences que cette décision aura sur moi ou ma famille, mon esprit dans l’urgence s’emmêle et se focalise sur un seul objectif : retrouver Alexandre coûte que coûte.
Si Michael ne peut pas venir en aide à Alexandre, alors c’est moi qui doit le sortir de là. Le démon ne me laissera pas mourir, il ne renoncera pas aussi facilement à mon âme. Enfin Michael n’aura plus qu'à intervenir sur moi pour résoudre le problème, raisonné-je dans mon fort intérieur.
— Qu’est-ce que je dois faire pour accepter ton aide ? le questionné-je en poussant mon frère.
Comme un enfant auquel on donne un bonbon, le démon saute de joie. Un sourire malsain s’étire encore plus sur sa bouche immonde.
— À qui tu parles ? hurle David en agrippant mon bras, les yeux embués de larmes.
Le monstre rit en voyant le désarroi du garçonnet. Mon père et ma mère, ne sachant plus comment agir, restent immobiles, ne comprenant pas ce qui ne va pas chez moi. Mes amis, tout aussi choqués par ce spectacle, me regardent avec une mine interrogative.
— Tu as juste à dire “je t’accepte” et le tour sera joué. Je te laisserai voir ton amoureux et je te prêterai ma force, m’indique l’être démoniaque qui me fait face.
— Je t’accepte, articulé-je après un dernier regard aux êtres qui m'entourent comme un au revoir.
Un rire monstrueux échappe de la gueule béante de ce monstre. Ce son assourdissant résonne dans mon crâne. Une douleur me broie la poitrine, me faisant de nouveau saigner les plaies pourtant cicatrisées que la cérémonie m’a laissées sur la peau. La lumière du salon vacille alors que mon corps lévite à quelques centimètres du sol sous les yeux apeurés de mes amis et de ma famille. Comme un flash, je le vois marchant dans l’ancien quartier de l’usine désaffectée.
— Je sais où il est, annoncé-je lorsque mes pieds entrent en contact avec le sol.
Je n'attends pas leur réponse ou leurs réactions, je me dirige vers la voiture. Sans une question, mon père se lance à ma poursuite, suivi d’Anna et de Tim, laissant mon frère à genoux par terre en pleurs et ma mère qui semble mieux que personne avoir compris ce qui vient de se dérouler sous ses yeux ; elle s'aperçoit mieux que moi de la terrible erreur que je viens de commettre.
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