Chapitre 19 Réécriture : L'origine de mon Mal
Nous nous dirigeons en famille vers l’église de notre ville située à quelques rues de notre domicile. Nous arpentons, à pied, ses artères si calmes en ce début de matinée dominicale. Nous laissant profiter du parfum de la rosée du matin, dont les quelques gouttes encore visibles persistent en s’accrochant aux fleurs et aux feuilles garnissant les grillages des jardins des maisons. Mon frère sur les épaules de mon père nous distance de quelques pas. Le nez en l’air, il s’amuse à deviner des formes dans les nuages. Nous faisant part de ses découvertes souvent étranges qui nous arrachent des sourires voire des ricanements étouffés à ma mère, qui se tient à mes côtés, et à moi-même.
— Tu as l’air en forme ce matin, me dit-elle en me saisissant la main.
Depuis que ce liquide noirâtre a été explusé de mon corps, je me sens mieux, j’ai retrouvé le plaisir d’avoir des nuits sereines, sans insomnies, sans cauchemars, sans cette créature.
— Oui, j'ai fait plusieurs nuits complètes ces derniers temps, c’est agréable ! lui confié-je, en souriant.
A cette confidence, son sourire s’agrandit, ne cachant pas sa joie de me voir en meilleure forme. Je ne peux défaire mon regard de sa mine réjouie dénotant de son visage vide, sans vie, de mes cauchemars. Ses magnifiques boucles blondes brillent au passage d’un rare rayon de soleil qui peine à se frayer un chemin à travers la chape de nuage qui obstrue le ciel. Son regard bienveillant me balaye le visage comme une caresse de réconfort, m’assurant de son soutien indéfectible.
Cependant, ma joie est de courte durée, à l’approche de notre destination, j’éprouve un malaise, une gêne indescriptible. A la vue de l'édifice qui abrite la parole de Dieu et de son Fils, mon corps se crispe.
— Que se passe-t-il ? me questionne ma mère, étonnée de voir mon pas se stopper.
Mon visage si détendu affiche à présent une grimace de peur. Mon souffle devient court quand j'ose porter sur le monument une œillade apeurée.
— Tu as vu quelque chose ? me demande-t-elle en sondant du regard les alentours.
Mon père fait descendre mon frère de ses épaules en nous observant inquiet. Se massant pour dissiper la douleur d'avoir servi de monture à un petit garnement.
— Tout va bien, me murmure-t-il après nous avoir rejoint en passant sa main dans mes cheveux.
Mon frère, sans se soucier de nous, court jusqu'au lieu de ma frayeur pour retrouver ses camarades de catéchisme. Sans réponse de ma part, nous restons silencieux en reprenant notre route, mes parents me tenant chacun la main. Mon ventre se broie quand nous franchissons le parvis de ce lieu saint. Je ne peux dissimuler mes frissons, mon être se glace.
— Tu as froid ? m'interroge-je mon père après avoir jeté un coup d'œil à ma mère.
Ils ne comprennent pas, m'énerve-je intérieurement.
Comment pourraient-ils comprendre un comportement que moi-même je ne sais pas m'expliquer, pensé-je en me tenant la poitrine dans laquelle une douleur lancinante s'enracine, me forçant à arrêter tout effort.
Au seuil de la porte du lieu saint, je gîs à genoux par terre. Mon être tout entier ressentant que quelque chose se débat, agonise, pris au piège dans mon corps. Les images de ma séquestration refaisant surface devant moi. Je me tiens la tête avec les mains avant d'hurler de désespoir.
Je ne veux plus revoir ces images, m’agacé-je mentalement.
— Stéphanie, lève-toi, s'il te plaît, me supplie ma mère.
Mes cris et mes pleurs résonnent dans l’enceinte de la maison de Dieu dont je refuse de franchir le seuil, me sentant souillée, salie par cette entité qui ne me lâche pas. Les ténèbres, il n’y a que cette réponse à mes questions. Je suis condamnée à la noirceur, à la désolation et au désespoir. Lentement, je perds pieds, je me laisse submerger par cette obscurité.
— Va te faire foutre, articulé-je avec une voix qui n'est pas la mienne.
Je suis consciente de ce qui se passe, mais mon corps ne m'obéit plus. Il est gouverné, habité par une force d'une telle noirceur qu'elle me terrifie. Une haine m'envahit, je me relève péniblement en poussant mes parents quand ils me contraignent à rentrer dans l’église. Nous nous donnons ainsi en spectacle devant toute notre communauté, dont je perçois les murmures désapprobateurs et les regards inquisiteurs.
— Qu'est-ce qui vous arrive ? demande père Emmanuel à ma mère à bout de force.
Elle ne me quitte pas des yeux, me regardant me débattre comme une bête. Les larmes perlent le long de ses joues. Ses billes noisettes si joyeuses tantôt se sont voilées de tristesse et d'incompréhension.
— Dégage, sale menteur, hurlé-je avec ce timbre monstrueux au prêtre qui s'approche de nous.
La colère me consume à mesure que ses pas hésitants se dirigent dans ma direction. Cette énergie mystérieuse commence à se diffuser en moi. Les picotements courent dans mes doigts, mais elle est différente de la dernière fois. Elle est plus insidieuse, plus sombre et malsaine.
— Ne t'approche pas de moi, sale simoniaque, crié-je en me débattant de l'étreinte de mon père.
Dans son immense compréhension et générosité, l’homme d’église pose sa main sur mon front. Il prend une profonde inspiration en fermant les yeux, puis entame une prière du bout des lèvres. Ce chant à peine audible, ce contact sur ma peau me provoque une vive douleur. Mon corps animé de cette haine continue de se débattre. Je veux que tout cela cesse pour le bien de tous, un pressentiment, une inquiétude me parcours l’esprit.
— Amen, prononce clairement le prêtre en rouvrant les yeux sur mon visage déformé par la colère.
Je me fige, mon regard débordant d’animosité scrute ses joues joufflues, son front dégarni par une calvitie naissante dont quelques mèches dorées ondulent sur le bas de son crâne. Son nez retroussé comme un petit cochon et cette bouche fine qui transmet la bonne parole. Mes yeux me brûlent à force de ne plus cligner, se remplissant davantage d’hostilité à la vue de ce col romain et de son amict. Son regard si bienveillant se change en celui d’une proie qui comprend son erreur. Je lui crache au visage ce liquide charbonneux. Je ris aux éclats quand le dégoût s’installe sur son visage en retirant mon crachat.
— Dégage ! Elle est à moi, hurlé-je de nouveau avec cette voix d’outre-tombe.
L’énergie en moi afflux vers ma poitrine, m’aphyxiant de noirceur et de douleur. Je saisis rapidement les intentions de cette chose. Je veux les prévenir de s'éloigner, de ne plus me contraindre, de me laisser fuir, mais ils ne m’entendent pas. Je ne peux rien faire, obligé d’assister à cette scène contre ma volonté.
Concentre-toi, si tu ne peux pas agir à l'extérieur, essaie d’agir sur cette force que tu abrites, me conseille une voix intérieure.
C'est malheureusement la seule solution qui me reste. Je me focalise alors sur cette source d’énergie que je tente d’atténuer et de faire disparaître, mais trop tard, une vague d’énergie balaie mon père qui percute la porte de l’édifice et le prêtre qui échoue dans les bancs d’église.
Libérée de cette maudite emprise, je récupère rapidement l’usage de mon corps, je m'enfuis sans un regard vers les personnes que je viens de projeter violemment dans les airs. Dans ma fuite, je croise le gérant de la cafétéria du lycée auquel j’assène un regard noir qui le paralyse sur place.
— Stéphanie ! crie mon père en se relevant difficilement.
Il s’apprête à partir à ma poursuite, mais ma mère et le père Emmanuel le retiennent, pensant que l’isolement me permettra de me calmer. Je cours sans réfléchir en pleurs, me laissant guider par mes jambes, déambulant dans les rues à la recherche d’un réconfort, d’un pardon. Mon cœur serré dans ma poitrine me fait mal, j’ai commis un acte impardonnable.
Que m’arrive-t-il ? Ce n’est pas dû au traumatisme, comme le médecin l’a annoncé à mes parents. Il y a autres choses de plus sinistre, il me faut des réponses, songé-je dans ma course sans fin.
Soudainement, dans cette frénésie irréelle, je revois le visage de cet enfant innocent, mon sauveur, celui qui m'a conduit vers la lumière quand je gisais au plus profond des ténèbres.
Il aura peut-être une explication à me fournir sur mon état, lui ou cette chose qui l'accompagne tout le temps, pensé-je.
Cette idée me fait ralentir, je prends conscience de l'endroit où je me situe en écoutant le son de l'eau qui ruisselle. Mon égarement m’a conduit au parc et plus précisément au pied de la fontaine. Ma poitrine sursautant sous l'effet de ma course et des sanglots qui inondent mes joues. Je m'écroule devant la construction aquatique, le regard vide criant ma peine.
C'est ici que tout a commencé, me remémoré-je.
Sous les arbres centenaires abritant les oiseaux qui chantent à tue-tête ignorant ma présence et ma détresse, je me relève péniblement pour m'asseoir sur le rebord en pierre de la structure. Mon rythme cardiaque se stabilise peu à peu, mon souffle se calme, mon corps se détend. Sans quitter des yeux l'eau, je laisse ma main jouer avec l'onde qui trouble le calme de la surface de ce liquide transparent, n'attendant qu'une chose avoir une de ces visions, pouvoir parler et questionner ces deux êtres dont je ne suis même pas certaine de leur existence.
Les secondes défilent durant lesquelles rien ne se produit. J'en viens à douter de toutes ces hallucinations que j'ai eues cet été.
Pourquoi ça ne fonctionne pas ? réfléchis-je en faisant un geste plus énergique trahissant mon agacement.
— Je dois m'immerger complètement, réalisé-je à voix haute à la limite du cri, ce qui fait taire les oiseaux.
Je n'éprouve aucune gêne, aucune réticence en enjambant le bassin. Ainsi, debout au milieu de la fontaine, l'eau à mi-mollet, je décide de m'allonger en son sein. Les bras le long du corps, les pieds joints, j'attends en retenant mon souffle, les joues gonflées d'air, le moment où débutera cette vision libératrice. Encore une fois, je m'impatiente, mais rien ne se produit.
— C'est comme ça, vous m'abandonnez, vous aussi ! hurlé-je de colère en me relevant. Soit ! Et bien, je vais rester allongée dans ce bassin jusqu'à ce que l'air me manque et que je me noie, continué-je blessée avant de prendre une profonde inspiration et de m'immerger de nouveau, me cognant la tête sur le fond en béton de la structure.
Le bruit de l'eau comme seule mélodie, je ferme lentement les yeux pour me concentrer sur la rétention de l'air dans mon organisme. Très rapidement, je sens que mon corps se soulève, qu'on me hisse hors de l'eau.
Mais qui ? Qui peut venir me déranger dans un moment pareil ? Je ne peux pas être seule deux minutes. pensé-je.
— Stéphanie, ouvre les yeux, réveilles-toi, me supplie-t-on. Je te l'avais dit, on aurait dû réagir avant, gronde une voix enfantine.
— Mais non, elle va bien, ne t'inquiète pas, répond tranquillement une autre personne au timbre féminin.
Ces voix, je les connais, une joie intense irradie mon être, me poussant sans plus attendre à rouvrir les yeux. Je me retrouve alors face à une femme au visage marqué par le temps et la souffrance, Aimée. Un léger courant d’air anime sa chevelure argentée pour finir sa course sur mes épaules humides, m’arrachant un frisson. Nous sommes assises silencieuses sur le rebord de la fontaine.
— Aimée, tu es seule ? l'interrogé-je en contemplant les alentours.
Ma longue observation me confirme que nous sommes seules. Cependant, la personne assise avec moi n’est pas celle que je côtoie habituellement, elle est calme et ne crie pas. Je ne l’ai jamais connue ainsi, depuis que je suis enfant, c’est une personne agitée qui hurle à qui veut bien l’entendre que la fin du monde est proche. Elle me prend la main entre les siennes, un sourire se dessine sur ses lèvres gercées. Son regard se pose alors sur moi.
— C’est nous, me dit-elle avec une voix enfantine. Nous avons dû trouver un autre moyen pour venir à ta rencontre, continue-t-il avec une voix tremblotante.
Mes yeux s'écarquillent quand je perçois les pupilles de la dame à mes côtés. Ce ne sont pas les siennes, mais celles de cet être salvateur. Je saute à son cou, un sentiment libérateur m’envahit, je suis soulagée, ils sont là, je ne suis pas seule.
— Nous n’avons pas beaucoup de temps, indique la voix de la créature à la chevelure blanche.
Je redeviens sérieuse en lâchant prise pour fixer la personne aux yeux entièrement noirs, me confirmant l’identité de mon interlocuteur.
C’est elle, je suis sauvée, pensé-je.
— Ce qui t’arrive n’est pas dû au traumatisme. Cette chose que tu vois est dangereuse pour toi et tes proches. C’est elle qui t'empêche de rentrer en contact avec nous. Temps qu’elle est là, tu es en danger et nous aussi, m’explique-t-elle en me serrant la main.
Je le savais au plus profond de moi, j’en étais certaine. Cette cérémonie, ce rituel n’était pas qu’un passe-temps malsain pour cette secte. Ils m’ont souillée. Une larme de soulagement coule le long de ma joue. Même si je ne suis pas guérie, je peux mettre un mot sur ce que j’ai.
— Je ne suis pas folle, murmuré-je. Je suis possédée par un démon, c’est ça, comme dans les films, articulé-je péniblement.
Elle me caresse affectueusement la joue comme pour atténuer mes tourments, mes peurs et mes angoisses. Son geste me lave de ma tristesse, des pensées négatives que j’ai accumulées depuis ce matin.
— Stéphanie, tu es possédée par un puissant démon, reprend-elle. Il faut que tu trouves l’exorciste, celle du Vatican, il n’y a qu’elle qui peut te venir en aide, me dit-elle avec une voix douce. Il y a des personnes autour de toi qui pourront t’aider, mais ils ne pourront pas le vaincre, continue-t-elle.
Au loin, nous entendons de l’agitation des cris appelant Aimée. Je regarde en direction du son qui vient troubler notre discussion.
— Si je veux vous parler, je dois voir Aimée, c’est ça ? C’est pas facile de lui parler, vous savez ; elle n’a plus toute sa tête, demandé-je hâtivement en mimant de la main le signe de la démence.
Deux rires différents me parviennent, celui de l’enfant que je veux sauver et de la créature. Cette douce mélodie m’arrache un sourire. Leurs pupilles, amusées par mon ignorance, une verte et une noire, me dévisagent.
— Elle n’est pas folle, c’est une méduim, mais malheureusement elle s’est perdue dans le voile, m’informe l’enfant. Ne t'inquiète pas, on veille sur toi et on te guidera, soit juste attentif aux signes, me confie-t-il avec un immense sourire.
Je les saisis contre moi, je ne veux pas qu’ils s’en aillent. Cette confidence me rassure, met fin à une longue angoisse et me donne ce souffle de combativité qu’il me manque. Je réalise que le chemin ne sera pas simple, mais je dois en parler déjà aux personnes de confiance qui m’entourent : mes parents.
— Putain, c’est quoi ce truc, entends-je dans mon dos.
En me retournant, je m'aperçois que nous n’étions pas aussi seules que je le pensais. Un spectateur des plus indésirables s’est faufilé jusqu'à nous. Aimée relève la tête instinctivement, apportant confirmation à notre témoin.
— C’est qui ? me questionne la créature.
Dans un état confus par la situation, je bégaye une réponse inaudible en portant mon attention sur Aimée. Le regard noir de la créature envers Alexandre qui est paralysé par la peur ne me rassure pas.
— Je vais le tuer, au moins il ne nous dérangera plus, affirme-t-elle en se levant.
— Non ! Je t’interdis de toucher à un de ses cheveux, hurle la voix enfantine.
La pupille larmoyante de l’enfant fixe mon dérangeant camarade. Son regard le couve tendrement, transmettant un sentiment de manque, une joie pour lui de voir cette personne. Pourtant, il ne le connaît pas. Les appels s’intensifient et se rapprochent de nous, une autre personne ne va pas tarder à arriver. Je m’empresse de me lever, comprenant avec une boule dans la gorge que je ne pourrais pas dire au revoir à mes amis. J’attrape Alexandre par le bras pour m’éloigner d’Aimée à laquelle je jette une dernière oeillade, assistant à la disparition de ses hôtes, laissant de nouveau place à cette femme agitée qui se met à hurler et pleurer.
— Ça va, demandé-je en percevant le trouble du joueur de basket tout en essayant de réfréner mon agacement à son égard.
Sans me répondre, il repousse ma main avant de courir à toute vitesse. Je le regarde ainsi disparaître à toute jambe, espérant qu’il gardera pour lui ce moment irréel pour un simple mortel.
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