-Douze jours ! s'énerva-t-elle. Douze jours pour m'avouer qu'un clan t'a à l'œil ! Et tu t'attends à ce que je reste tranquille !

Je soupirais. Quand ça touchait à ma sécurité, Emma Winds pouvait être aussi colérique que ma mère. Et ce n'était pas peu dire. Je portais à ma bouche le chocolat chaud qu'elle avait gentiment décidé de me préparer avant d'apprendre la « terrible nouvelle ».

-Je ne t'ai pas dit ça pour que tu me fasses des leçons, Em.

-Kate ! soupira Emma. Deux métamorphes prédateurs viennent te voir juste devant chez toi, l'un d'eux te parle comme si vous vous connaissez depuis des années, et toi tu trouves ça normal ! Tu trouves normal aussi que des coups de feu retentissent dans ta rue juste ensuite ? Il t'a fallut douze jours pour que tu daignes m'en parler !

-Tu en as vu des pires que ça, rétorqué-je. Des métamorphes sont entrés dans la ville la même nuit pour essayer de faire sauter le siège du gouvernement. À quoi bon te rajouter des angoisses ? Ce qui m'est arrivé arrive tous les jours dans ma rue, tu le sais.

Emma balaya mes arguments d'un revers de la main. Elle remit ses lourd cheveux bruns bouclés derrière son épaule et me fusilla de ses yeux marron. Habituellement, la couleur chocolat de son regard me rassurait, mais ce jour-là, elle n'était pas d'une humeur apaisante.

-Raison de plus ! Ces métamorphes ont essayés de tuer Iwasagi. Tu ne lis pas la presse ?

-Si. Les battues ont commencées depuis hier. Ils les emmènent où, à ton avis ?

-Aucune idée. Dans la Jungle, j'espère. Mon parti les a forcé à écrire « dans un endroit sécurisé », mais ça veut tout et rien dire.

-Tu ne devrais pas plutôt te réjouir du fait que Iwasagi ne soit pas capable de tenir une petite rébellion de métamorphes ? la provoquais-je.

Emma me lança un regard noir. Elle était politicienne depuis la sortie de ses études, elle avait intégrée l'un des mouvements les plus en vogue de notre temps. Avec ses idées modernes et sa franchise, elle faisait partie des politiques préférées des humains. Et étonnamment aussi, des métamorphes, car elle défendait les droits des proies.

-Tu parles ! Le fait que des métamorphes l'attaque me met en difficulté, oui ! Ils accusent le parti d'avoir commandité cet attentat.

-C'était des prédateur, tempéré-je. Tu défends les proies.

-Certains ne font pas de différence entre les deux groupes.

Je soupirais et reportais mon attention dans la rue. Du haut de son appartement, Emma avait une splendide vue sur la place principale de la ville. On pouvait y voir les commerçants, les hommes et femmes d'affaires, parfois des étudiants qui venaient se détendre devant l'immense fontaine qui déversait des formes aquatiques au centre. Mon regard se perdit dans la contemplation de la statue en mouvement. Elle était fabriquée par les jets d'eau sous haute pression. Il n'y avait pas deux jours dans l'année où cette fontaine représentait la même chose. Aujourd'hui, c'était une sphère dans laquelle nageait un dauphin. La technologie humaine peut faire des merveilles, quand elle s'y met. Le point de vu imprenable sur cette sculpture était la raison principale pour laquelle Emma gardait cet appartement au loyer un peu trop cher pour elle.

-Kate ? Hé ! Tu m'écoutes ?

Je tournais à nouveau mon regard sur elle. Elle avait les bras croisés, était enfoncée dans son fauteuil et me fixait intensément. À sa tête, je devinais qu'elle m'avait posé une question, que je n'avais pas écoutée.

-Excuse-moi. Tu disais ?

-Tu as juste ça à me dire ou alors tu caches encore autre chose ? répéta Emma.

Je grimaçais. Emma avait le don pour percer à jour les autres. Elle comprenait ce qu'ils essayaient de cacher, elle décryptait leur langage corporel comme personne et elle avait les mots pour faire parler son interlocuteur. Elle avait développé ses talents depuis le jour de la mort de ses parents, à seulement dix ans. Du haut de ses vingt-cinq ans, elle était une femme à la fois diplomatique, perspicace et qui faisait les choses avec plusieurs coups d'avance. En d'autres termes, une excellente politique. En encore d'autres termes, une amie fidèle et formidable.

-Je me sens observée, avouais-je.

Emma haussa un sourcil. Comme elle ne commentait pas, je continuais.

-Tu vas trouver ça bizarre...

-Pas plus que le fait que tu n'aimes pas le chocolat au lait, je te rassure, me coupa-t-elle.

Je souris. Avec Emma, le mot « chocolat » était sacré.

-Je ne me sens jamais seule. Au départ, je pensais que les métamorphes me surveillaient, comme m'avait prévenu le jeune qui m'a parlé. Mais, le temps passant, je commence à me demander si ce n'est pas quelque chose... d'autre.

Emma fronça ses sourcils, réfléchissant déjà aux milles et une possibilité qui puissent expliquer ce pressentiment. N'importe qui pourrait me trouver bizarre et paranoïaque, mais pas elle. Elle n'avait jamais pris mes impressions à la légère, pour la simple raison qu'elles étaient toutes plus ou moins justifiées.

-Un autre clan de métamorphe ?

-Je n'en sais rien. C'est... étrange. Observateur, mais à la fois, jamais proche. C'est comme si quelque chose me regardait en permanence. Je ne suis pas tranquille.

-Viens vivre à la maison, me proposa-t-elle. Tu es trop proche des bas-quartiers, ça ne peut rien t'apporter de bon.

-Emma... c'est la maison de maman. Je ne veux pas la quitter.

-Je ne te demande pas de la quitter, je te demande de venir habiter ici pendant quelques temps pour ta propre sécurité. Tu sais, le truc qui est censé t'importer autant que ta survie ?

Je mordis ma lèvre et observais son parquet, fuyant son regard. Elle avait horreur que je ne prenne pas soin de moi comme il le fallait. Elle avait surtout horreur que je prenne à la légère toutes ces histoires de clans.

-Ils ne peuvent pas me faire de mal, je suis une humaine.

-On n'est jamais trop prudent, Kate. En plus, ta mère t'a déjà mis en garde contre ce genre d'impression. Tu devrais l'écouter.

Je serrais mes mains autour de la tasse encore chaude. Ma mère m'avait déjà en effet mis en garde contre ce genre de pressentiment. Je n'étais peut-être pas une métamorphe, mais j'en avais quelques caractéristiques quand même. Entre autre, un instinct plus aiguisé que celui des humains. Mais j'étais sûre de moi : jamais les métamorphes ne s'intéresseraient aux humains. Encore moins ceux qui paraissaient normaux. Et, avec mes cheveux bruns, mes yeux marrons et mon accoutrement banal, on pouvait faire difficilement plus normal. Les inquiétudes de mon amie n'étaient pas fondées : les prédateurs allaient forcément se désintéresser de moi à un moment ou à un autre pour s'attaquer entre eux.

-Elle m'a aussi dit que mon père était un habitant des bas-quartiers, et elle n'a jamais réussit à me le prouver, raillais-je.

-Ça ne me surprendrait pas que ta mère, aussi douce et gentille qu'une gazelle, parte mordre le premier qui lui mette des bâtons dans les roues. Elle n'avait pas la réputation de se laisser faire.

Je haussais mes épaules. Emma reprit.

-Si ça se trouve, ton père t'a retrouvé.

Mon père... la personne que je n'avais jamais connu de ma vie et que je ne voulais pas connaître. Il nous avait abandonné alors que je n'étais même pas née et je ne voulais pas entendre parler de lui. Je ne voyais pas non plus pourquoi il voudrait reprendre contact. En tout cas, moi, je ne voulais pas de sa présence néfaste dans ma vie.

-Il ne risque pas de réussir à me retrouver, j'ai changé de nom pour prendre celui de maman.

-Ma pauvre chérie, mais tu crois vraiment que ça suffit pour passer inaperçue ? soupira Emma. Il connaissait le nom de ta mère, tu habites exactement au même endroit, et en plus de ça tu parles avec des métamorphes sans te laisser démonter, comme elle l'aurait fait. Tu penses que les rumeurs t'ont épargnées, dans les bas-quartiers ?

Je grimaçais. En voyant mes dernières réticences, Emma ajouta la dernière vérité à sa pile d'arguments aussi solide que la roche.

-Crois-moi ma grande, si ton père t'a retrouvé, ça veut non seulement dire qu'il est bien plus dangereux que dans le passé, mais que si tu ne fais rien, tu vas être mêlée à une histoire de guerre des clans. Alors dégage de cet endroit tant qu'il décide de te ficher la paix !

-En venant chez toi ? Mademoiselle Winds, je ne vous connaissais pas un si grand goût du danger.

-Mademoiselle Riwald, vous ne devriez pas me sous-estimer.

-Si je viens chez toi, il va me poursuivre et ça va poser des problèmes à la Ville.

-Et si tu ne fais rien, il va revenir dans ta vie et te poser problème. Qu'est-ce que tu préfères ?

Je grommelais des paroles incompréhensibles. Je détestais choisir. Mais Emma avait raison : je ne pouvais pas me permettre de faire comme si de rien n'était ; même si je ne voyais pas pourquoi mon père reviendrait dans ma vie après vingt-deux ans d'absence.

-J'en parlerais au Doc, assurais-je en reprenant une gorgée de chocolat chaud.

-T'as bien raison. Avec un peu de chance, il arrivera à te trouver un nouvel appartement à Grinnhouse !

Elle rit et je secouais ma tête en souriant. Je n'en demandais pas tant. Mais le Docteur Brad pouvait bien m'aider à fuir ce genre de prédateur, il pouvait même me trouver une chambre de bonne le temps que le danger passe. Je refusais de mettre en danger Emma en allant chez elle. Je refusais également de croire que des métamorphes en avaient après moi parce que je n'avais pas balancé l'un de leurs espions. C'était insensé. Aussi insensé que de croire que mon géniteur oserait poser le pied dans ma vie.

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Bizur les Méta :3 comment allez vous ? C'est un chapitre de plus de 1 600 mots, donc assez long, donc... un seul cette semaine 😂 !

Non en réalité, j'ai juste plein de boulot et je ne pense pas pouvoir vous mettre un chap de week-end, mais il est déjà bien ce chapitre, non ? 😶 Les bases de l'intrigue commencent à vous apparaître ? 😏

Bref, je ne vous retiens pas plus que ça :3

Auvouar ! 💙