8e Bougie : Je n'ai pas besoin d'être protégée !
La fin de semaine se déroula sans accroc. Lola fit mine d'être une fille bien sage, alla en cours et rentra avec Sébastien avec un brio digne d'une pièce de théâtre. Elle souriait, plaisantait, parlait de sa visite à sa mère ce dimanche. Les médecins affirmaient qu'elle réagissait tellement bien au dernier traitement, qu'ils envisageaient même une rémission de son cancer. Que d'excellentes nouvelles qu'elle admettait difficilement.
Sébastien n'était pas le seul à suspecter la jeune fille, elle aussi se remettait en question. Juliette se mourrait, Lola allait la voir avant de tomber dans un sommeil d'un jour et par miracle, sa mère guérissait ? Inutile de faire Saint Cyr pour comprendre qu'elle avait agi sur cette fichue maladie, d'une manière ou d'une autre. Une seule interrogation demeurait : comment ? Repousser des objets qui lui fonçait dessus relevait de la télékinésie, mais soigner un cancer...
– Vous n'avez plus faim ?
– Non... Merci.
Sa grimace équivalait à un sourire, mais elle ne devait pas être très convaincante.
– Vous êtes préoccupée ce soir ? À cause de votre mère ?
Son garde-chiourme alias Sébastien cuisinait pour elle, veillait sur sa santé, la ramenait en voiture du lycée... Il ressemblait de plus en plus à un majordome sexy prêt à se plier en quatre pour elle. Seulement, son badge d'agent du gouvernement traînait dans la poche de son pantalon, de quoi réduire tous les fantasmes à néant. Et puis sa manie de lui sortir du « vous », malgré ce qu'ils venaient de vivre, lui donnait envie de le frapper !
– Tu pourrais arrêter de me vouvoyer ?
– Au risque de me répéter, vous êtes sous ma protection et je suis en service...
Lola soupira avant de le relancer. Après tout, le mieux pour ne pas l'aiguiller sur ce qu'elle comptait faire demain restait de l'asticoter, non ?
– Tu as quel âge, Austère ? Tes réflexions ressemblent à celles d'un grand-père décati ! Non, attends, laisse-moi deviner... Tu es un vampire depuis trois cents ou cinq cents ans, tu portes une chevalière pour ne pas brûler en journée et ta peau ressemble à une boule disco si tu te mets au soleil ?
Il lui lança un œil noir tout en commençant la vaisselle.
– Vous regardez beaucoup trop de ces séries télé ridicules... Les vampires n'existent pas.
– Bha voyons... C'est pour cela que j'ai dormi une journée entière et vous aussi après m'être réveillée ? Un « pur hasard » peut-être ?
Ils ne discutaient jamais de ses pouvoirs en temps normal, comme un accord tacite. Lola pensait qu'il esquivait ainsi son devoir de parler à ses supérieurs. Pour sa part, sa peur panique de regarder la vérité en face la glaçait. Mais ce soir, son besoin de le pousser dans ses retranchements et le mettre éventuellement en colère lui tenaillait le ventre.
– Vous n'êtes pas un vampire. Vous...
Sébastien s'interrompit dans son récurage de casserole. Dans un sens, la panne du lave-vaisselle aurait eu au moins un avantage ; regarder un type pareil les mains dans la mousse offrait un spectacle pas commun.
– Je... quoi ?
– Allez vous coucher.
Cette fois, il n'échappa pas au petit ricanement de la jeune fille qui se rapprocha assez pour lui pincer le bras. De quoi lui confirmer au passage que ce type devait effectuer de la musculation pour être aussi insensible. Un adversaire à ne pas sous-estimer.
– Vous n'êtes pas mon père, je ne suis plus une enfant, demain c'est samedi et je ferai ce que je veux ! Lâchez-moi un peu, le week-end, vu ?
Elle l'avait vouvoyé juste pour le punir de le prendre sur ce ton. Et puis lui faire avaler sa propre soupe quotidienne, aussi. Il finirait par la rendre folle, à n'en pas douter. Mais s'il pouvait bouder dans son coin vingt-quatre heures, cela l'arrangerait.
Car demain, elle comptait bien empêcher un attentat.
Connaissez-vous ce sentiment fragile d'être capable de réaliser un exploit que personne d'autre n'arriverait à réussir ? Tandis qu'elle sortait de l'appartement sur la pointe des pieds, Lola se sentait en état d'arrêter un train en marche. Berner Sébastien relevait du défi de haut vol, mais ce matin, il dormait comme un loir. Partir à sept heures de chez elle un samedi représentait une torture, mais à l'idée de sauver des vies, la jeune fille ne parvenait plus à se tenir.
Ce sentiment d'en être capable, elle le sentait depuis son réveil, mardi. Ses pensées tournaient depuis en boucle : elle avait arrêté une fusillade, protégé plein de monde, peut-être guéri sa mère... Alors, pourquoi ne pas continuer ? Recommencer ? Gaël lui avait parlé du risque d'attentat sur les mairies de Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille. Il ne savait pas comment les terroristes comptaient s'y prendre, mais son agence semblait la mieux informée à l'heure actuelle, donc...
Ce jour serait la journée fatidique. Soit elle possédait des « pouvoirs » et empêcherait des morts, soit elle risquerait sa vie en essayant. L'idée de rejoindre son père ne lui faisait pas peur. Par contre, celle de laisser faire ces extrémistes sans les arrêter, si. Elle pouvait réussir, alors elle devait le faire ! Point.
Elle souriait à son arrivée à la mairie de Paris dans le 4e arrondissement. Nul doute qu'il serait visé. Ses yeux inquiets commencèrent par observer les lieux afin de statuer où elle pourrait bien se mettre. Rapidement ses pensées dérivèrent sur les raisons d'une cible pareille un jour de fermeture, quand plusieurs camions arrivèrent face à l'entrée. Plusieurs hommes descendaient en plaisantant et elle écouta sans vergogne leurs conversations. Après plusieurs minutes, elle comprit enfin. Un meeting sur l'environnement devait avoir lieu simultanément devant les mairies des quatre villes cibles !
– Excusez-moi, messieurs...
Tous les employés s'arrêtèrent une seconde pour la fixer de leurs yeux ébahis. Vu l'heure, ils ne devaient pas s'attendre à être dérangés.
– J'peux faire quelque chose pour vous ? demanda l'homme le plus près d'elle.
– À quelle heure le meeting débute-t-il ?
– Ah ! Z'êtes en avance. Le premier intervenant sera au micro vers dix heures, je crois. C'est ça les gars ?
Plusieurs « oué oué » lui répondirent avec mollesse, comme si tous se détournaient d'une conversation inintéressante. Mais celui qui venait de lui parler devait avoir des enfants ou du moins sentir un élan protecteur, car il reprit sur un ton paternaliste – très « Sébastien Oster » dans le genre.
– Vous avez un café juste à côté qui n'devrait pas tarder à ouvrir, pour ne pas attendre dans le froid...
– Merci monsieur.
Elle lui décocha son plus beau sourire pour le remercier, même si elle était fatiguée d'être pouponnée partout où elle passait. D'un soupir, elle décida de faire contre mauvaise fortune bon cœur et s'en alla attendre l'arrivée de la foule au café désigné.
Son téléphone arrêta de vibrer après le dixième appel de Sébastien. Avec une régularité d'horloger, il la harcelait toutes les dix minutes depuis neuf heures. Lola soupira avant de lui envoyer un SMS succinct capable de le calmer : « Suis avec une amie, fiche-moi la paix, on est samedi. ». Pourquoi ne fut-elle pas étonnée de voir un énième coup de téléphone de sa part juste après ? Elle décrocha sans aucune conviction.
« Quelle amie ? »
– Marie. Maintenant, lâche-moi. Je ne répondrai plus.
Elle coupa la conversation sans aucun remords. Le temps qu'il cherchât dans ses copines de classe qui pouvait être cette mystérieuse Marie, qu'il appelât sa mère quand il comprendrait qu'elle n'existait pas et qu'elle lui expliquât qu'elle était morte durant l'accident, cela lui demanderait déjà une bonne heure. Après il devrait encore obtenir l'information de l'endroit où elle avait été enterrée, le temps d'aller au cimetière et ne pas la voir, se rendre compte qu'elle le roulait dans la farine... Avec de la chance, l'attentat serait déjoué, des dizaines de vies sauvées. Qu'il soit en pétard ensuite la laissait de marbre.
– Vous prendrez autre chose ? lui demanda un serveur.
– Encore une, merci.
Sa troisième grenadine terminée, l'heure du meeting approchait. Pour un jour de janvier, beaucoup de monde s'était déplacé. En même temps, il faisait assez doux pour la saison... une autre excellente raison pour parler d'environnement et de réchauffement climatique. Lola prit la direction de la place de l'hôtel de ville et commença à épier les personnes tout autour. Plusieurs policiers en faction surveillaient eux aussi les lieux, ainsi que quelques types en costume trois-pièces qui puaient les gardes du corps à plein nez.
L'endroit se remplit rapidement d'une foule conséquente, plusieurs responsables de la mairie arrivèrent, les intervenants avec eux, même le ministre de l'Environnement était attendu. Plus le temps s'écoulait et plus Lola devenait nerveuse, à tel point qu'elle attira malgré elle le regard d'un pingouin qui assurait la sécurité. Son allure de Men In Black mis à part, il ressemblait assez à un acteur dont elle ignorait le nom : grand, très large, la peau sombre et le crâne rasé, il en imposait.
– Excusez-moi, vous pouvez me suivre, mademoiselle ?
– Je suis désolée, mais je vais devoir décliner votre charmante invitation.
– Ce n'était pas une... invitation.
Son oreille capta le crissement de pneu une seconde plus tard. Un gros van noir aux vitres fumées dérapa dans son champ de vision, des fusils dépassaient des portières. Lola se sentit figée sur place une seconde qui dura une éternité. La main déterminée de l'agent de sécurité la repoussa sans aucune douceur. Elle chuta sur le bitume dans un gémissement plaintif, alors que ses yeux toujours fixés sur lui le regardaient se faire tirer dessus.
– NON ! hurla-t-elle désespérée.
D'autres balles fusèrent à leur tour. Les cris de la foule hystérique vrillèrent les tympans de la jeune fille. Le brouhaha des chaises renversées, des tissus déchirés, l'odeur du sang et d'asphalte, la douleur de sa chute, tout se mélangea. Ses mains se levèrent instinctivement pour arrêter les projectiles. Sa peur se transforma en colère dès qu'elle sentit son énergie circuler à travers ses membres ankylosés. Les balles s'immobilisèrent qu'une seconde, avant de retourner vers leurs envoyeurs. Le bruit assourdissant des armes à feu se décupla l'instant d'après. Les pneus de la voiture éclatèrent, la carrosserie devint une passoire et Lola se demanda juste une seconde qui d'elle ou des policiers étaient responsables de ces dégâts.
Les occupants du van remontèrent leurs vitres en quatrième vitesse. Ils firent mine de partir malgré leurs roues défoncées. Lola s'en désintéressa aussitôt et rejoignit l'agent au sol à quatre pattes. Ses bras et ses jambes tremblaient trop pour qu'elle espérât se lever et il reposait juste à côté. Dès qu'elle se pencha au-dessus de lui, elle remarqua sa peau sombre plus pâle, ses lèvres exsangues et son regard paniqué.
– C'est... vous... la fille... qui...
– Chu-ut, ne dites rien. Gardez vos forces.
Elle vit passer des militaires et des agents du GIGN, personne ne leur prêtait d'intérêt. Ils se focalisaient sur le van d'où les terroristes se remettaient à tirer sans merci. Lola hésita à les rejoindre pour les aider, mais elle refusait de laisser l'homme allongé par terre. Elle avait déjà été obligée de regarder un policier mourir devant ses yeux... La jeune fille ferma les paupières une seconde, les mains posées sur le blessé, juste le temps d'y réfléchir.
Et le miracle se produisit...
Du bout de ses doigts, Lola sentit son énergie intérieure s'engouffrer dans le corps de cet homme. Elle le remplit tout entier, détecta chaque organe, chaque vaisseau, chaque os, avant de revenir vers elle. Lola avait l'impression de visualiser parfaitement la balle dans son thorax, les dégâts qu'elle avait causés, les cellules comprimées.
Il se mit à hurler de douleur.
Elle continua.
À présent, elle dirigeait ses forces vers ses blessures internes, repoussait le projectile vers la sortie, cicatrisait les tissus déchirés. Lola ne connaissait pas grand-chose en anatomie, mais il lui suffisait de le vouloir, pour que tout se réparât à sa demande.
– Vous... Qu'avez-vous fait ? balbutia l'agent de sécurité une minute plus tard.
Sa douleur s'était apaisée aussi vite qu'elle était venue. Ses yeux bruns se posèrent dans le regard clair de celle qui lui avait sauvé la vie, à n'en pas douter. Il la vit pâlir avant de s'effondrer sur lui.
– Merde !
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