6e Bougie : Le soleil se lève...
Un chuchotement ténu. La douceur d'un drap. La chaleur d'une main fraîche sur son front brûlant. Soupir. Une voix masculine lointaine ; elle la connaissait. Une odeur amère de café. La sensation de flotter entre deux états. Une lumière vive entre ses paupières entrouvertes. Puis le noir. La bouche sèche. Un gémissement ; le sien ? Un rêve ou... ?
– Lola ?
Encore. Ouvre les yeux ! Non. Dormir ! Elle se retourna et sombra à nouveau dans l'inconscience bienheureuse du sommeil...
Patient, Sébastien retira le gant tiède du front de la jeune fille pour le plonger dans la bassine d'eau à côté du lit. Dans un geste lent, il l'écrasa dans son poing ferme avant de le replacer sur elle avec délicatesse. Il n'avait pas dormi une seule minute. Après le départ du médecin appelé en urgence, il s'était assis au chevet de Lola et la veillait inlassablement depuis. « Fatigue nerveuse » avait-il diagnostiqué. « Elle a besoin de repos. » avait-il ajouté. Pas étonnant, compte tenu de tous les événements des derniers mois...
Les yeux verts de l'homme restaient fixés sur Lola, farouches. Voilà des heures qu'il réfléchissait à cette affaire sans parvenir à statuer. Au début, la fatigue nerveuse lui avait paru une bonne idée, mais plus le temps défilait et moins il réussissait à y croire. Il avait appelé le lycée, pour prévenir de son absence, avant de commencer à douter. Après plus de dix-huit heures de sommeil, l'agent du gouvernement tablait sur autre chose qu'un peu de fatigue...
À bout de nerf, il finit par pianoter un numéro sur son smartphone, la mâchoire serrée au-delà du raisonnable. Seules deux sonneries suffirent à son interlocuteur pour décrocher.
« Ouep ? » demanda une voix guillerette.
– Gaël, j'ai besoin d'un coup de main...
« Oh ! Professeur X ! Que m'vaut le plaisir d'un appel de ta part ? »
Gaël Tréménec représentait sans nul doute la figure de proue de l'idée du « geek ». Mais pas celui qui s'en vantait, l'autre. Celui qui connaissait tout mais parlait peu et qui faisait souvent mouche. Depuis que Sébastien s'occupait de Lola, Gaël lui avait occtroyé un nouveau nom de code : « Professeur X ». Il trouvait sa farce si drôle, qu'il avait été jusqu'à modifier les fichiers officiels. Sébastien regrettait l'ancien, même s'il était tout aussi ridicule...
– Je ne suis pas d'humeur à écouter des âneries, Gaël ! C'est sérieux !
« Pour changer... » railla son interlocuteur.
L'agent Oster n'était certainement pas connu pour son sens de l'humour ou sa propension à s'amuser, mais bien pour son efficacité lors de missions et son flegme inébranlable. Si Lola pensait être la première et la dernière à l'avoir surnommé « Austère », elle se trompait lourdement. Cette blague éculée le rendait encore dingue, tant il l'avait entendue à ses débuts au bureau des affaires spéciales... Et comme par hasard, le premier aussi lui venait de ce cher Gaël !
– Écoute, est-ce que tu as les moyens d'effectuer des analyses de sang en dehors des clous ?
« Oh... Ta petite copine serait... ? »
– Chut ! Ne dis rien. Elle dort trop et si je l'emmène à l'hôpital, le bureau va me tomber dessus... J'ai besoin d'un service, là !
« ... »
– Gaël, elle aura fait le tour du cadran dans moins d'une heure. Je m'inquiète !
« Ouais ouais, ferme-la une seconde, tu veux ? »
Le bruit accéléré de doigts qui enfonçaient des touches de clavier fut plus efficace pour taire Sébastien que la remarque de son collègue. Un silence absolu s'abattit entre eux, quelques voix derrière Gaël passèrent avant de disparaître et enfin il reprit la parole.
« Écoute Seb, c'est pas possible. Je viens de faire une recherche rapide sur le dossier de ta copine, y'a une irrégularité côté de la mère, ta copie est passée orange. »
– Quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
« Aucune idée. Le fichier a été mis à jour y'a cinq heures. Par Marc, qui s'occupe de la liaison avec l'hosto, visiblement. Passe par un centre d'analyses médicales, ce sera plus sûr. »
– T'es amusant, Gaël, mais si je pointe sa carte vitale à ton centre, son dossier va s'allumer comme un sapin de Noël !
Un rire bref de son interlocuteur l'avertit qu'il avait fait le rapprochement avec la période de l'année. Sébastien accepta sa défaite et esquiva un sourire au bout du fil avant de soupirer, abattu et découragé.
« OK vieux. Jouons-la comme ça. Prie, car je vais accomplir un miracle pour toi. Je t'envoie l'adresse d'un copain, tu n'auras qu'à dire que tu viens de la part d'Altab et il s'occupera de tout. J'dirai rien à personne, mais en échange, tu travailles avec moi sur l'affaire. Quoi que tu découvres, j'veux en être, vu ? »
– D'accord, céda Sébastien, trop acculé pour refuser une si maigre compensation.
Gaël raccrocha une minute après et le téléphone vibra dans la seconde pour afficher sur un SMS le sésame promis. Un regard bref de l'homme sur une Lola toujours profondément endormie malgré le bruit de la conversation termina de le convaincre qu'il était temps pour lui d'agir.
L'ami de Gaël lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, côté mentalité. Un chercheur en laboratoire le jour, mais un joueur de haut niveau sur moba la nuit, avec un sens de l'humour aussi douteux. Sébastien s'interrogea un bref moment de la méthode de rencontre de ces deux-là, avant de laisser tomber. Un mystère qu'il ne préférait pas connaître, à bien y songer.
– J'vous fais les analyses les plus rapides ou j'pousse aussi loin que possible ?
La question le fit sortir de ses pensées.
– Les rapides en priorité, ensuite vous me décortiquez tout au maximum...
– Chargez ! s'écria l'homme en blouse d'un air triomphant.
Pantois, Sébastien le regarda s'activer immédiatement sur les éprouvettes face à lui, sans plus se préoccuper de sa présence. Ce type se mit d'ailleurs à discuter tout seul, non sans relancer son mp4 branché sur haut-parleurs qui entreprit de cracher du black métal ou musique équivalente. Comprenant qu'il se retrouvait de trop dans cet univers inconnu, l'agent s'en alla sans avoir échangé plus de quatre phrases avec lui. Le nom « Altab » lui avait ouvert les portes de ce petit laboratoire de recherche et comme cette connaissance de Gaël se retrouvait seule à travailler à cette heure, l'affaire fut bouclée en moins de cinq minutes.
De nouveau dehors, Sébastien reprit la route pour l'appartement des Becquerel non sans craindre le pire. Il se sentait déjà coupable d'avoir abandonné Lola, même un quart d'heure... Une fois rentré, il fonça à sa chambre pour la découvrir toujours endormie. Il en fut atterré un moment. Elle venait de dépasser avec une facilité déconcertante les vingt-quatre heures de sommeil...
– Lola ?
Il se rapprocha d'elle pour déposer sa main encore fraîche sur son front chaud. Il jurerait qu'elle n'avait pas de fièvre, mais son inconscience commençait à l'angoisser. S'il l'emmenait à l'hôpital, le bureau... L'hôpital ! Avec Gaël et son ami loufoque, il avait oublié l'irrégularité mentionnée ! D'un pas rapide, il sortit de la chambre et pianotait déjà le numéro de téléphone de Juliette.
« Allo ? »
– Madame Becquerel ? C'est Sébastien...
« Oh ! Vous allez pouvoir me rassurer ! Cela fait des heures que j'essaye de joindre Lola, que se passe-t-il ? »
Difficile de répondre à la mère que sa fille dort depuis la veille au soir... Il cherchait une explication logique à toute allure, quand Juliette reprit la parole.
« Je devais lui parler d'urgence ! »
– Un problème médical ? s'enquerra de suite l'agent, inquiet.
« Oui. Mais plutôt une bonne nouvelle. Je vais mieux aujourd'hui, il semble que le nouveau traitement agisse ! N'est-ce pas merveilleux ? »
Le traitement... ou Lola ? Pour Sébastien, la réponse devenait aussi claire que de l'eau de roche. Voilà pourquoi elle dormait depuis un jour ! Il ne savait pas comment, ne comprenait pas de quelle manière, mais cette gamine avait réussi à aider sa mère. Son esprit enfiévré réfléchissait à toute allure : comment avait-elle soigné Juliette ? Est-ce que son sommeil résultait d'un effet secondaire ou d'une fatigue naturelle ? Se trouvait-elle en danger ? Devait-il l'emmener à l'hôpital au risque d'alerter le bureau ? Devait-il prévenir sa mère que sa fille était mêlée à son amélioration ?
« Monsieur Oster, vous êtes encore là ? »
– Oui oui, pardon. Je...
Elle essayait de le faire réagir depuis un moment sans résultat. Lui ne parvenait toujours pas à statuer de ce qu'il devait faire. Une situation inextricable ! Dans le doute, il préféra se taire et garder pour soi son idée. Après tout, peut-être qu'il s'imaginait des choses... Ou qu'il essayait de se faire croire qu'il devenait fou. Afin d'accepter une hypothèse difficile à avaler en temps normal.
– Je suis désolé, madame Becquerel, Lola dort, mais je lui en parlerai demain matin, au petit déjeuner, si vous voulez...
« Bien sûr, vu l'heure... Mais vous pourriez vérifier son téléphone portable ? Il doit avoir un souci, pour qu'elle ne me réponde pas. »
– Bien sûr, je n'y manquerai pas...
Depuis quand réussissait-il à mentir aussi facilement ? Il ne se reconnaissait plus. Il coupa court à la conversation avec Juliette et raccrocha d'un soupir fatigué. Le bureau devait connaître l'état de santé de la mère et se poser des questions, d'où le dossier réactivé. Il ne fallait sous aucun prétexte les alerter plus. Sébastien récupéra une couverture et s'en alla dormir dans la chambre de Lola, juste au cas où.
Pour la première fois de sa vie, il se surprit à prier le ciel pour que la jeune fille se réveillât toute seule...
Un murmure presque inaudible en temps normal le fit sursauter. Un gémissement ? Un soupir ? Ses sens encore engourdis ne parvenaient pas à focaliser. Mais tout son esprit embrumé par sa nuit infernale carburait déjà : Lola ? Lola ? Lola ? À peu de chose près, voilà qu'il se retrouvait à paniquer alors que ses yeux s'ouvraient sur un sol dur comme la pierre et une chambre aussi sombre que la veille. Il vérifia l'heure sur son smartphone et grommela sur son unique heure de repos arrachée à son inquiétude.
– Sé...
« Sa » voix ! Il bondit sur ses jambes plus vite qu'un clown de sa boîte-surprise et se pencha sur elle avec l'espoir fou de la trouver éveillée et lucide.
– Lola ? Vous m'entendez ?
– Sé...
Elle lui répondait ! Sébastien récupéra sa main dans la sienne et continua de lui parler. Il croyait naïvement qu'un peu de stimuli l'aideraient à émerger. Mais il discuta seul une bonne dizaine de minutes sans plus de résultat qu'une syllabe répétée en boucle. Il serra un peu ses doigts et déposa son autre main sur son front.
– Vous devez vous réveiller ! Faites quelque chose, Lola ! Je ne peux pas vous emmener à l'hôpital...
– Sé...
– Ouvrez les yeux, bon sang ! Utilisez votre pouvoir s'il le faut !
Pour lui, elle possédait toutes les facultés possibles en elle. Après tout, elle avait bien arrêté des balles à mains nues et venait sans doute de soigner sa mère ! Qui savait ce dont elle était capable ? Il aurait pu jurer sur sa vie qu'il protégeait quelqu'un de bien plus important que lui-même. Certes, elle demeurait encore une gamine immature, mais...
– Sé... ba... s...
– Lola ! Je suis là ! Réveille-toi !
Elle l'appelait ? Dans la panique, il en oublia le vouvoiement. Par tous les dieux qui n'existaient pas, ce serait bien la première fois qu'elle faisait appel à lui volontairement ! Il eut une pensée fugitive pour ses prières de la veille et se traita mentalement d'imbécile. Toute cette affaire commençait à le faire délirer !
– S....
– Reviens vers moi, Lola, lutte ! Utilise tous les moyens qu'il faut !
Il sentit comme une réponse dans sa main, lorsque Lola la serra faiblement. Puis une chaleur indescriptible qui provenait de leurs paumes liées. Une euphorie passagère fit place à un grand voile blanc qui s'abattit devant ses yeux. Sébastien connaissait parfaitement ce phénomène déjà vécu : sa tension chutait brutalement. Sa dernière pensée échoua pour Lola, avant de sombrer.
Il s'effondra à moitié sur le lit.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro