53e Bougie : Réunion
L'arbre géant au milieu de la prairie restait le même. Ainsi que les rayons du soleil qui éclairaient son feuillage. En réalité, l'Emeth demeurait tel qu'elle l'avait contemplé la première fois ; lumineux, agréable et grandiose. Lola s'assit aux pieds de l'immense chêne et posa sa tête dans ses mains, les coudes repliés sur ses genoux contre son ventre. L'épée du Destin qu'elle avait utilisé venait sans doute de l'affaiblir de trop...
– Je ne me sens pas fatiguée, pourtant, murmura-t-elle.
Un bruissement sur le côté l'incita à tourner la tête dans cette direction ; rien.
– Suis-je parano ?
Ses yeux marron se relevèrent et son regard parcourra le ciel immaculé. Un second bruit suspect dans la végétation plus loin la fit bondir sur ses pieds.
– Qui est là ?
La jeune fille se rapprocha en douceur, atteignit les premiers buissons et écarta quelques feuilles, les mains un peu moites. Malgré l'apparence paisible de cet endroit, cette « naeva », elle craignait malgré tout une mauvaise surprise. Peut-être pas un troll de deux mètres avec des pieds poilus, mais au moins un inconnu qui pourrait, théoriquement, réagir n'importe comment.
Avec surprise, elle croisa deux iris verts perdus dans un visage recouvert de boue aux longs cheveux emmêlés ; un homme tout nu. Dès qu'il la vit, ils restèrent figés quelques secondes avant que, pris de peur, l'homme se mît à s'enfuir à toutes jambes.
Une fois la première surprise passée, où Lola faillit rire d'avoir vu un tel phénomène, les fesses à l'air, s'échapper comme s'il venait de croiser une méchante sorcière, elle s'interrogea. Malgré l'air sauvage manifeste de cette apparition, une impression de déjà-vu persistait dans son esprit.
Cette fois, ce furent des sanglots qui provenaient de l'arbre qui interrompirent ses réflexions. D'un soupir, Lola prit le chemin inverse et retourna à son point de départ. Là, elle découvrit le même gamin asexué qu'à leur première rencontre ; à un détail près : il arborait bien les mêmes cheveux châtains et bruns, mais, cette fois, il était mal habillé, les pieds nus et au comble du désespoir.
– Qu'as-tu ? Que se passe-t-il ? lui demanda-t-elle non sans s'accroupir face à lui.
Ses yeux vairons, marron et vert, se plantèrent dans les siens.
– J'ai peur ! couina l'enfant. Et j'ai froid ! renchérit-il moins d'une seconde après.
Lola tendit ses bras vers lui et il s'y engouffra aussitôt, comme s'il n'avait attendu que cette invitation. Durant plusieurs minutes, elle essaya de le réchauffer autant que de calmer ses hoquets, ses larmes et sa tristesse manifestes. Mais quoi qu'elle lui demandât, cet étrange petit être ne répondait rien.
– Un sauvage tout nu, un enfant qui passe son temps à pleurer... Je ne dirais pas non à un indice ou deux, chuchota la jeune femme, abattue.
– Je suis perdu, renifla celui qu'elle consolait toujours.
– Ce n'est pas logique...
La jeune fille l'obligea à se détacher d'elle pour l'inciter à la regarder dans les yeux. Une fois encore, son regard étrange l'intrigua, mais elle se força à se concentrer sur son problème présent.
– La dernière fois, tu possédais toutes les réponses à mes questions ! reprit-elle.
– Je ne vous connais pas, déclara le gamin, catégorique.
– Tu as perdu la mémoire ? C'est toi qui m'as expliqué que nous étions en Emeth et... et pleins d'autres trucs !
En vérité, elle n'arrivait plus à se souvenirs de grand-chose de leur premier échange, sinon qu'elle ne risquait rien ici, tant qu'elle n'y restait pas. L'enfant, de son côté, continuait de la fixer de son air vide, un peu incrédule, avant de finir par sourire.
– Tout ce que je sais, c'est que je dois protéger lui, là !
Il se retourna et désigna l'homme nu, actuellement planqué derrière un tronc d'arbre qui les observait en silence. Lola le regarda à son tour, persuadée de le connaître. Un éclat du soleil traversa alors le feuillage pour venir éclairer le visage de cet « inconnu » et Lola poussa un cri, autant de surprise que d'angoisse.
– Sébastien !
Prise de panique, elle pose le gamin devant elle et se redresse à l'aide du gros tronc dans son dos, lorsqu'une menotte arrêta sa course. Ses yeux effrayés rencontrèrent alors ceux vairons de son jeune compagnon. Son cœur se serra face à l'expression soudain adulte et au rictus mauvais qu'il affichait, ainsi qu'à sa poigne sur sa jambe qui s'affermissait de seconde en seconde.
– Que... commença-t-elle.
– Je dois les tuer ! C'est mon rôle, ma destinée ! Ils t'ont fait du mal ! Ils t'ont prise à moi !
– Mais de quoi...
Lola fut bien incapable de comprendre lorsque l'expression qu'affichait cet « enfant » se modifia une fois encore. Son visage s'adoucit en même temps que son rictus se transforma en une esquisse lasse et triste de sourire. « Il » semblait souffrir.
– Ton âme jumelle s'est perdue, Eola, si tu ne la retrouves pas vite, vous mourrez tous les deux !
– Pourquoi ? demanda-t-elle dans un glapissement craintif.
– N'oublie pas : ta présence perturbe l'Équilibre. Plus tu courberas le Destin, plus sa Mémoire s'effacera.
Elle ouvrait déjà la bouche afin de demander des précisions que son interlocuteur la poussât contre l'arbre qui l'aspira, une fois encore. Lola comprit immédiatement qu'elle venait d'être éjectée de l'Emeth !
– Non ! Je...
– Non ! Je...
Elle se tordait les doigts depuis cinq bonnes minutes, dans l'espoir de trouver une explication moins farfelue qu'un ange de l'Emeth qui l'aurait averti sur l'état de Sébastien. Nul doute que monsieur Smith ne croirait jamais à une vérité pareille ! Déjà qu'elle-même avait encore du mal à le concevoir... Rien qu'à l'idée qu'elle avait cherché si loin un type qui se tenait depuis le début à ses côtés ! Du moins, si elle avait bien compris ce détail...
– Je ne vois rien dans votre récit qui justifie votre...
– Je sais !
Le responsable présidentiel fronça ses sourcils avant de la mitrailler de son regard noir. Elle le voyait à nouveau ouvrir la bouche, mais décida de lui couper la parole.
– C'est ma réponse : je sais. Par pitié, John, ne me demandez pas comment, j'ai déjà du mal moi-même à y voir clair !
L'autre poussa un long soupir et agita ses deux mains comme s'il lâchait l'affaire. Il réalisa quelques pas dans un sens, puis dans l'autre, la fixa une seconde avant de se remettre à marcher, non sans reprendre d'une voix résignée :
– Donc Sébastien est perdu, sans doute amnésique et vous, vous devez éviter d'utiliser vos pouvoirs pour empêcher que la situation ne dégénère davantage. Ai-je bien résumé ?
– Plus ou moins, marmonna-t-elle en réponse, non sans émettre un petit sourire gêné.
Ils se fixèrent un moment sans rien dire, jusqu'à ce que Smith laissât son regard retomber sur les mains de Lola qu'elle continuait de triturer sans répit.
– Fort bien. Reposez-vous, je vais voir ce que je peux faire !
Rassurée, elle le regarda repartir de la suite, non sans ronchonner dans sa barbe que « ces deux-là le rendaient déjà marteau » et qu'il « prendrait vite sa retraite, une fois rentré ». La porte d'entrée claqua sur ce dernier mot et Lola comprit qu'il était, sinon en colère, au moins profondément vexé. En même temps, sauf un résumé complet de son enlèvement, sa détention et de son évasion, elle avait refusé d'expliquer d'où provenait toutes ses informations sur Sébastien.
Ayoub arriva sur ces entre-faits, un grand sourire affiché sur son visage.
– J'ai croisé votre ami dans le couloir, il paraissait contrarié ! Vous ne lui avez rien dit ?
– Si si, répliqua la jeune fille, l'esprit ailleurs.
Le médecin déposa ses sachets sur la table avant de se rapprocher d'elle. Depuis leur folle échappée, leur relation n'avait fait que s'améliorer et il commençait à reconnaître les signes évocateurs d'ennuis imminents.
– Expliquez-moi, proposa-t-il d'une voix conciliante.
Lola émit un léger gloussement. Elle aussi arrivait à mieux le comprendre et elle reconnaissait là l'une de ses techniques favorites pour obtenir des réponses.
– J'ai justement refusé de lui répondre à propos de Sébastien, Ayoub ! Et tu voudrais les infos ?
– Ah ! Ce Sébastien ? Je vois, je vois...
Amusée, elle le laissa réfléchir et s'en alla vers la salle de bain. Nanning était certes une ville magnifique, mais la chaleur humide représentait, pour elle, un horrible défi. Lola regrettait tellement la fraîcheur française... Dire qu'à New York ils étaient sous la neige ! Fichus tropiques !
Le Guangxi Stadium ressemblait à une calebasse à moitié écrasée qui pouvait s'ouvrir en journée afin d'accueillir le soleil. Après plus d'une semaine de pourparlers, Smith avait réussi à mettre les hauts fonctionnaires chinois de Nanning dans sa poche ; comment ? Elle n'en savait rien. Quoi qu'il en soit, une « représentation publique » demeurait la meilleure solution afin de retrouver Sébastien. D'après John, même amnésique, Sébastien conserverait ses réflexes d'espion. Donc un fort rassemblement de population deviendrait, pour lui, une ampoule géante au milieu de la nuit.
– Plus qu'à croiser les doigts, ronchonna Lola.
Elle n'appréciait pas beaucoup cette idée. Déjà, car elle ne pouvait pas être assurée de sa présence dans Nanning ; ensuite, car rien ne l'assurait qu'il viendrait jusqu'au stade et enfin, car elle devrait soigner des gens. Or son « ange » lui avait bien spécifié qu'elle devait faire attention !
– Rassurez-vous, j'ai cru comprendre que votre ami planifiait d'autres détails à côté de la représentation... Il a peut-être des idées ?
Ayoub la suivait partout, en grande partie par décision personnelle, mais Smith lui avait aussi demandé de garder un œil sur Messiah. Le Destin possédait parfois un humour singulier...
– Venez !
Lola reprit sa respiration et prit résolument la main du médecin. Il l'entraina à travers les couloirs jusqu'à la scène fabriquée exprès pour aujourd'hui. Des anglais supervisaient les transmissions d'informations avec l'équipe technique chinoise. Et par un curieux hasard, la décoration des lieux avait été orchestrée par un groupe italo-brésilien spécialisé dans l'événementiel. Sans compter sur plusieurs écrans géants, installés de part et d'autre du stade, avaient été posés par des spécialistes des olympiades qui passaient ici avant de partir pour le Japon. Le monde entier, ou presque, semblait avoir participé à cette journée folle...
À peine arrivée en haut de l'estrade, le soleil l'éblouit et elle dut cacher ses yeux de sa main quelques secondes. Un homme en costume trois-pièces parlait déjà au micro et se tournait vers elle, un large sourire affiché sur son visage. Ayoub la poussa légèrement en bas de son dos et elle comprit aussitôt le message. Lola s'avança de quelques pas, juste assez pour atteindre l'ombre bienfaisante et enfin contempler les centaines d'habitants rassemblés face à elle. Indécise face à tant de personnes parfaitement silencieuses, elle se dépêcha de retrouver les trois phases apprises par cœur pour l'occasion, qu'elle articula non sans une légère inclinaison du buste.
Et la foule se déchaîna...
La jeune femme ne comprenait rien, sinon le sourire ravi de John Smith plus loin. Il tenait une sorte de papier dans sa main et donna un ordre à une personne de l'organisation. Pendant ce temps, une femme portant un jeune garçon montait sur scène, en larmes. Quelqu'un de l'équipe s'approcha alors d'elle pour lui chuchoter :
– Li Kang est malade depuis sa naissance d'une malformation cardiaque et sa mère n'a pas les moyens pour une opération...
Elle l'arrêta d'un geste dans les explications. Elle invita sa mère à se rapprocher et s'asseoir dans l'unique fauteuil, sans doute prévu à cette intention. Elle sentit la femme assez récalcitrante, mais une jeune femme du staff lui glissa quelques mots qui semblèrent la rassurer. Dès qu'elle fut assise, Lola se rapprocha et s'agenouilla. Après un bref échange d'explications grâce à la gentille traductrice à côté, Messiah posa ses mains sur l'enfant et ferma les yeux.
Le silence absolu reprit ses droits dans l'immense stade aux sièges vides.
Lorsque Messiah rouvrit les yeux après avoir guéri Li Kang, son regard capta d'abord les larmes de la mère, avant qu'un mouvement derrière elle ne l'attirât. Ses iris marron captèrent alors ceux, vert forêt, d'une personne qu'elle reconnaîtrait n'importe où. Lola se mit à sourire, le cœur soulagé d'un poids immense...
– Sébastien, murmura-t-elle.
Note : Désolée pour ce retard, mes soucis d'épaule m'empêchaient de taper au clavier ! :/
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