49e Bougie : Révélation
Les longs couloirs en bois rouge autour d'un grand jardin intérieur de plantes tropicales ; le sol de matière tressée ou de planches sombres ; les plafonds sculptés et décorés avec soin ; la nourriture digne d'un grand restaurant ; le service impeccable et toujours souriant ; et la chaleur.
Lola vivait depuis trois jours au rythme des repas et de la gentille Fleur de Lotus qui s'occupait d'elle avec dévotion. Son monde demeurait entre ces pièces immenses dédiées à son confort et les plantes autour d'une mare d'eau. La seule sortie à cette annexe spacieuse était soigneusement gardée par deux hommes armées à l'extérieur qu'elle avait aperçu alors qu'elle flânait dans le coin à dessein.
– Désirez-vous quelques morceaux de fruits frais ?
Sa femme de chambre passait sa journée à anticiper ses besoins et répondre à ses questions par une unique phrase qui résumait les dernières trente-six heures : « Voyez avec le Maître à son retour. ». Ce « maître » qu'elle n'avait pas encore rencontré demeurait un mystère. A quoi bon la kidnapper pour la faire attendre ? Lola envisageait toutes les possibilités les unes à la suite des autres. Son impatience grandissait à mesure que les heures s'écoulaient dans l'ennui le plus absolu.
Depuis son arrivée, elle avait exploré tout l'espace qui lui avait été dédié, compté les heures des repas et d'allées et venues dans ses appartements, trouvé plusieurs caméras dissimulées dans les murs et la végétation, aperçu les gardes qui devaient l'empêcher de sortir... Elle se forçait au calme et à ne montrer qu'une expression languissante digne d'une parfaite demoiselle qui attend la suite. Mais tout son corps bouillonnait.
Afin de tromper son monde, elle se forçait à développer ses pouvoirs allongée les yeux fermés, ou adossée à un montant quelconque de la maison qu'elle sondait par petits bouts chaque jour. Elle estimait déjà qu'en une semaine, elle en aurait fait le tour. Quoi faire, ensuite ?
– Madame ?
Lola sursauta et reporta son attention sur Fleur de Lotus qui la regardait, une expression inquiète sur le visage. N'aurait-elle pas réagi à une question ?
– Pardon, je suis indisposée par la chaleur, aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi...
La faible excuse sembla convaincre la jeune servante qui reposa sa coupelle de fruits avant de récupérer un éventail qu'elle activa près du visage de sa maîtresse dans l'espoir de la rafraîchir.
– Cela vous fait-il du bien, madame ?
– Oui, merci, chuchota Lola en fermant les yeux.
Si sa méfiance pour Fleur de Lotus demeurait au minimum, elle se refusait malgré tout à lui parler. Faire confiance à quiconque dans ces conditions serait ridicule et dangereux. Malgré le luxe autour d'elle et le confort dont elle bénéficiait, elle ne devait pas oublier qu'elle était prisonnière. S'échapper sans connaître les intentions de son geôlier serait contre-productif. Et tant qu'elle ne pourrait pas arrêter les projectiles qu'elle ne voyait pas venir vers elle, essayer une évasion demeurait trop risqué.
« J'espère que Sébastien garde la tête froide... »
Un pincement au cœur la surprit et elle se força à recentrer ses pensées sur ses pouvoirs dès qu'elle sentit des larmes menacer au bord de ses yeux. L'absence de son premier protecteur ressemblait à un tison chauffé à blanc planté dans son ventre. Un garde-fou efficace pour ne pas oublier sa colère d'être enfermée et dépendante d'un inconnu.
« Sébastien... »
Bien vite, sa main se porta vers son visage pour dissimuler une larme qui venait de franchir, bien malgré elle, la barrière de ses longs cils frémissant. Et son esprit capitula face à son cœur. Lola tendit toutes ses forces vers celui qui lui manquait tant...
« Lola... »
Ses pieds se figèrent et tout son corps pivota vers le sud. Un sentiment impérieux venait d'arrêter sa marche et tout son être désirait à présent courir que dans un seule direction. Une sensation digne de ses anticipations. La vision de la jeune fille qui lui tendait les bras, au loin, dans le ciel.
– J'arrive.
Sébastien faisait toujours confiance à son instinct. Encore plus depuis qu'il ne vivait que pour la retrouver. Il mangeait pour ne pas tomber. Il marchait pour ne pas s'arrêter. Il réfléchissait uniquement par besoin vital. Les braises de sa fureur étaient devenues les cendres d'une colère froide, déterminée et implacable.
Il lança quelques pièces au guide engagé plus tôt et le remercia dans un chinois plus qu'approximatif avant de prendre la direction du sud sans sourciller. Le brave homme lui parla bien et agitait ses mains et sa tête, mais Oster n'y comprenait rien et salua de sa main pour le faire taire.
Le soleil déclinait à l'horizon pour la cinquième fois, lorsqu'il comprit ce qui faisait tant peur au brave homme. Une immense ville aux gratte-ciel de verre s'étendait au loin, coupée en deux par un fleuve tout aussi gros qu'elle qui remontait vers le nord et descendait encore plus au sud. Impossible d'entrer ou de traverser sans aide...
Face à un obstacle pareil, il lui faudrait un plan sérieux. Il décida de faire comme la dernière fois et remonta vers le nord à la recherche d'un quelconque village le plus petit possible. Une simple fermette isolée ferait également l'affaire. Son histoire, bien rodée à présent, fonctionnait à tous les coups. Dans un pays où les hommes devaient se battre pour trouver une femme, compte tenu de la population démographique, il se faisait passer pour un étranger dont la sienne avait été enlevée alors qu'ils visitaient le pays. John Smith lui avait fait apprendre son texte par cœur avant de lui fourrer un dictionnaire français-chinois dans les mains ; ledit livre ne lui servirait plus à grand chose, compte tenu du nombre de dialecte parlés dans le pays...
Dans un soupir de fatigue, il longea une route jusqu'à ne plus y voir à quelques mètres et s'enfonça dans la végétation à côté dans l'espoir de se reposer quelques heures. Emmitouflé dans un grand manteau vert foncé, un chapeau de paille sur la tête, il s'effondra dans le premier buisson touffu venu et s'endormit aussitôt.
Demain serait un autre jour...
Une vaste plaine herbeuse surplombée d'un arbre gigantesque. Lola sous ses ramures tressait des couronnes de fleurs avec un sourire magnifique. Elle lui posa une question, mais il n'entendait rien. Sa main fine se tendit vers lui et il se rapprocha d'elle pour la prendre entre ses doigts. Un bien-être ineffable l'inonda tout entier.
– Sébastien ! Tu vas bien ?
– Oui...
Il se pencha et s'agenouilla à ses côtés avant de la prendre dans ses bras, sa tête enfoncée dans son cou, tel un petit garçon heureux de retrouver sa mère. Les bras graciles de la jeune fille se refermèrent sur lui avec délicatesse et ils restèrent ainsi un long moment. Une éternité...
– Je te promets... Je te jure, Lola, que je vais te retrouver ! Je vais te sauver !
Ses poings se serrèrent sur elle, sa force retrouvée et il se détacha d'elle pour mieux la contempler.
– J'ai conscience que ce n'est qu'un rêve, mais je m'en fou ! Celui qui t'a fait ça le paiera cher ! Tu m'entends ? Je vais le...
Un doigt se déposa doucement sur ses lèvres pour l'empêcher de continuer, tandis que Lola continuait de sourire avec bienveillance. Son cœur son gonflait de joie de le retrouver... Elle en avait retenu sa respiration tellement son bonheur était entier.
– Tout va bien, Seb. Je vais bien... Je suis chouchoutée dans une grande maison luxueuse, il fait chaud et humide, il y a des plantes tropicales dans le jardin et tout le personnel a un style asiatique plutôt fin. J'essaye d'obtenir plus d'informations, mais je suis cloisonnée, c'est donc difficile de...
A son tour, elle se fit interrompre par une main qui couvrit sa bouche. L'expression soucieuse de l'homme face à elle la fit rire intérieurement.
– Tais-toi. Quitte à délirer, je préfère encore juste profiter de ta présence... Je ne veux pas...
La gifle qu'il reçut sur sa joue lui fit l'effet d'une cascade d'eau glacée qui serait soudainement tombée sur son crâne. Les yeux agrandis par la surprise, il retira ses doigts pour se masser la joue, en mode perplexe.
– Ce n'est pas un rêve, Sébastien ! Nous sommes en Emeth ! J'y accède pour la première fois consciemment ! Et tu es là... C'est... Incompréhensible, mais je m'en fiche ! Crois en mois, d'accord ?
Elle le força à retirer sa main de sa joue encore rouge et déposa ses lèvres à la place, avant de le reprendre dans ses bras. Ce n'est qu'à ce moment-là que Lola se permit de lâcher prise et ses larmes commencèrent à couler sur ses joues.
– Sébastien...
– Lo...la...
A son tour, l'homme la serra contre lui, ému plus qu'il ne l'aurait cru. Il ne comprenait rien à cette situation, ni comment il était arrivé là, mais il s'en fichait. Ils restèrent dans les bras l'un de l'autre un long moment. Une éternité...
Lorsqu'ils se détachèrent, Lola bougea ses lèvres pour lui dire quelque chose, mais il n'entendit rien.
Il se sentit partir la seconde d'après...
Un convoi de voitures vrombissait à quelques mètres de lui et venait de l'éjecter de son sommeil. Groggy et encore endormi, il ne bougea pas d'un millimètre, le temps de remettre de l'ordre dans ses pensées. Le temps de se souvenirs... Un rêve lucide ? Non, encore mieux. Il avait parlé à Lola directement. Il l'avait touchée, sentie. Ils avaient lié leurs esprits le temps d'une nuit...
– Lola, gémit-il.
Il se surprit à fondre en larmes juste après, ses hoquets de désespoir recouverts par la cacophonie des véhicules qui défilaient à côté. Cinq minutes plus tard, le silence régnait à nouveau sur la route et dans son cœur. Ses yeux vert levés vers le ciel bleu à peine éclairé par le soleil qui se levait, ses pensées focalisées sur son objectif de la journée, les indices offerts par Lola faisaient leur bonhomme de chemin dans sa tête.
Les premiers cris percèrent ses oreilles moins d'un quart d'heure plus tard, alors qu'il grignotait une ration de survie de son paquetage. Cette fois, il rampa jusqu'à la route de terre pour découvrir un 4x4 arrêté en plein milieu juste derrière un camion miteux de livraison. La porte arrière de ce dernier, à moitié ouverte, un mercenaire forçait une jeune femme à remonter dedans à grands coups de fusil semi-automatique. Aussitôt fait, il referma la porte avant de la cadenasser dans un grognement de rage. Celui qui l'attendait dans l'autre véhicule lui lança un mot qui les firent rire tous les deux.
Des trafiquants de femmes... Sébastien sentit son sang bouillir. Il attendit de voir le 4x4 repartir et fonça sur le camion pour s'accrocher aux portes arrières. Des couinements horrifiés à moitié étouffés montèrent à ses oreilles. Sa rage se décupla et il sortit son couteau de chasse de son étui avant de l'insérer dans l'anneau du cadenas. Là, il le fit pivoter et cassa le mécanisme avant de le retirer et ouvrir le battant pour entrer, sous les cris de paniques vite réprimés d'une douzaine de jeunes femmes.
Les yeux vert du nouvel arrivant fut sans doute ce qui le sauva, car la treizième levait déjà ses poings pour le frapper par derrière, lorsque toutes les autres lui hurlèrent d'arrêter. Sébastien se retourna vers la plus courageuse - ou la plus désespérée - et lui fit signe de se taire.
– Je suppose qu'aucune d'entre vous ne parle le français ? chuchota-t-il, perplexe.
– Moi parler anglais, un peu, baragouina l'une d'entre elle. Toi être qui ?
– Je cherche ma femme, elle a été enlevée, expliqua-t-il en anglais, cette fois.
Des râles s'entendirent à ce moment et Sébastien leur refit signe de se taire. Il repositionna son couteau dans sa main sous les yeux exorbités de ses spectatrices involontaires. Là, il attendit patiemment l'arrivée de celui qu'il suspectait être le conducteur du camion. Ce dernier sembla furieux de découvrir l'absence de cadenas et ouvrit en grand, sans doute dans l'idée de vérifier la « marchandise ». A peine venait-il de repousser la porte que la lame de Sébastien lui tranchait la carotide tandis que sa main étouffait son cri. Il le fit retomber à l'intérieur et le tira pour le « ranger » dans un coin.
– Vous avoir faire quoi ? paniqua la seule qui parvenait à communiquer avec lui.
– Je m'occupe du second et on file, prépare tes copines, va falloir courir !
Il disparut dehors sans attendre sa réponse et se dirigea vers l'avant du véhicule, son couteau ensanglanté dans la main, le visage aussi inexpressif qu'une statue et sa rage au maximum.
« Lola aurait pu être avec eux... Ces types pourraient travailler avec celui qui a kidnappé Lola... Celui qui détient Lola pourrait bien diriger ces sales raclures... »
Il frappa sur la portière côté passager, l'autre ouvrit en râlant sans réfléchir et subit le même sort que le premier. Sans sourciller, Sébastien Oster le repoussa sur le siège avant d'utiliser le sang sur ses doigts pour écrire un idéogramme sur le pare-brise du camion.
« La guerre est déclarée ! »
Lorsqu'il retourna vers l'arrière, le mot « Mort » dégoulinait encore...
Publié le 27/06/18
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