45e Bougie : Prestidigitation
– Bonjour, Messiah. Laissez-moi me présenter dans les formes, je m'appelle Vladimir Kunzthaler, expert-comptable et président directeur général de Konpta, une entreprise spécialisée dans la gestion des biens d'entreprise. Et je suis particulièrement enchanté de vous rencontrer enfin !
Un peu à l'écart de la foule dans l'espoir de respirer un peu, Lola maudit le destin de ramener un nouvel inconnu à ses côtés. Son visage fatigué exprima sans doute le fond de sa pensée, car l'homme émit un léger rire amusé avant de reprendre, d'un ton paternel.
– Loin de moi le désir de vous déranger, mais comme je m'occupe d'une partie des biens de votre entreprise, il me semblait poli de vous saluer... Je peux me retirer, si vous le souhaitez...
Lola n'avait aucune idée des détails de la gestion de sa propre « marque » et chercha discrètement Sébastien du regard. Depuis le début de la soirée, il la suivait comme son ombre et comme par magie, le voilà qu'il disparaissait au moment le plus ennuyeux ! Elle se voyait mal tenir la jambe à un comptable... Un soupir intérieur submergea ses pensées confuses et fatiguées. Après tout, l'homme ne paraissait pas plus méchant qu'un gros nounours de fête foraine...
– Restez, je vous prie. Vous avez raison, la politesse n'a jamais tué personne, n'est-ce pas ?
Une seconde, elle esquissa un rire avant de se reprendre. La sensation diffuse d'avoir sortie une bêtise lui traversa la tête. Pourquoi ? La chaleur ou l'épuisement de cette soirée bruyante auraient-ils raison d'elle ? Lola secoua un peu la tête, comme prise aux doutes. Fort heureusement, son interlocuteur ne sembla pas le remarquer et s'amusa de sa boutade d'un rire digne d'un Père Noël :
– Ho ho ho ! Vous avez le mot pour rire, Messiah ! Vous plairiez à ma femme !
L'homme enchaîna une anecdote sur sa tendre épouse et ses enfants qui laissa le temps à la jeune fille de se remettre les idées en place. Venait-il de l'aider sans le vouloir ? La conversation passa de sa famille à son entreprise avec fluidité et il s'enthousiasmait sur les performances mises en place depuis le début de l'année, lorsque Lola remarqua qu'ils se trouvaient dans un recoin obscur de la salle, deux verres de champagne en main, sans même qu'elle n'en ait eu conscience. Et l'absence de Sébastien continuait...
– Pardon d'avoir monopolisé la conversation, je suis incorrigible ! Parlez-moi donc de vous ! Tout se passe au mieux avec monsieur Oster ? Cela fait bien une heure qu'il n'est plus là et tout le monde sait que vos disputes sont légendaires !
Le sourire affable de Kuzthaler fit frissonner Lola malgré elle. Il venait de poser le doigt sur un détail qui commençait à la déranger plus qu'elle n'aimerait l'admettre... Et surtout, pour quelle raison parvenaient-ils à se retrouver seuls aussi longtemps ? Elle aurait pensé que son hôte serait venu la récupérer depuis longtemps. Hélas, avec les grands rideaux qui séparaient cet alcôve du reste de la salle, seul le brouhaha des conversations s'entendaient. Difficile de se lever pour aller chercher des yeux un homme sans offenser son interlocuteur... Surtout qu'ils ne faisaient rien de répréhensible ! Comment pourrait-elle justifier son embarras ?
– Hm... Oui, tout va pour le mieux, je vous remercie. Sans doute un appel qui...
Un hurlement l'interrompit dans son essai pathétique de justifier l'absence de son protecteur. D'un bond, elle s'était déjà redressée et aller filer vers la source du cri lorsqu'une main ferme s'enroula autour de son poignet avant de se sentir tirer mollement en arrière.
– Voyons, où allez-vous ?
– Monsieur, je dois aller... Des gens sont en danger !
– Ne soyez pas inconsciente, jeune fille ! S'il se passe quoi que ce soit, soyez sûre qu'ils viennent pour vous et pas la ramassis de pontes agglutinés ici ! Soyez raisonnable, mieux vaut fuir !
La remarque, pleine de bon sens, restait en travers de la gorge de la jeune fille, tandis que d'autres glapissements hystériques faisaient écho au premier. Pourrait-elle s'en aller, la queue entre les jambes, alors qu'une centaine d'invités risquaient Dieu-seul-savait-quoi dans la salle ?
Concentrée sur son envie de rejoindre la foule, mais convaincue que Sébastien l'aurait forcée à se retirer, elle hésitait encore lorsque l'expert-comptable la força à prendre une décision :
– Foncer tête baissée vers le danger risque de faire plus de mal que de bien, vous savez...
Toutes ses expériences passées criaient le contraire, mais Lola ne se trouvait pas dans un état d'esprit capable d'argumentation quelconque. Surtout car l'homme utilisait un ton de voix très proche de celui de son père lorsqu'elle désirait faire une bêtise. Sans compter sur sa peur qui grandissait malgré elle et risquait de la submerger, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas. De quoi avait-elle peur ?
– Venez, commençons par nous éloigner et collectons des informations.
Malgré le vacarme qui grandissait dans la salle, elle finit par obéir au comptable et ils sortirent par la fenêtre qu'il venait d'ouvrir. Le modèle, très grand et assez bas, permettait d'enjamber sans soucis, malgré la robe de cocktail hors de prix. La brise du soir rafraîchit son visage surchauffé tandis qu'elle commença à suivre l'homme le long du bâtiment éclairé.
Un autre frisson la secoua des pieds à la tête. Cette fois, comment pouvait-elle le justifier ? Par le vent qui jouait avec ses cheveux et rafraîchissait sa nuque ? Son regard se pencha sur son bras, toujours tiré par celui qu'elle ne connaissait pas, une heure avant.
Lola s'arrêta sans prévenir et posa sa main libre contre son ventre. L'homme au visage souriant un peu plus tôt, affichait une mine inquiète et angoissée.
– Que se passe-t-il ? Vous avez mal quelque part ?
Elle hocha la tête en silence, focalisée sur son propre corps. La jeune fille n'avait jamais pensé encore devoir utiliser ses propres forces sur elle-même. En vérité, elle pensait en être incapable, jusqu'à la perte temporaire de ses jambes. Mais depuis, elle parvenait à faire circuler son énergie de façon à pouvoir tout savoir de son état de santé. Après cette découverte, Gaël lui avait trouvé un surnom : Maître Shaolin. Cette blague les avait fait sourire tous les deux...
Ce soir, elle remercia intérieurement ses efforts. Grâce à ses facultés qu'elle avait affinées, et malgré son état, elle pouvait comprendre ce qui avait probablement provoqué tout ce bazar...
– Nous avons été drogués...
Sa remarque fusa dans un souffle ténu. Lola n'était même pas sûre de ce qu'elle avançait, mais les symptômes correspondaient à ceux de la réaction allergique des deux agents de sécurité soignés chez Markford, à un détail près : la majeur partie des informations provenaient du cerveau et non pas du corps.
– Qu'avez-vous dit ? Je n'ai pas entendu, insista Vladimir Kunzthaler.
Il se rapprocha soudain d'elle, perplexe. En réaction, Lola retira sa main de son ventre pour la déposer sur la sienne qui tenait toujours son poignet. Son énergie se diffusa dans le corps du comptable rapidement. Accélérer sa collecte d'informations avait aussi été l'une de ses priorités du mois dernier.
Encore une fois, elle se félicita intérieurement, car elle venait à peine de le toucher que l'homme bondit en arrière, tel un coupable, non sans la regarder avec une intensité qui la fit frissonner à nouveau.
– Pourquoi réagissez-vous ainsi, monsieur ? demanda-t-elle d'une voix fluette pleine d'innocence.
Drogue dans son organisme. Chaleur intense, sans doute dû au premier problème. Coup de fatigue, raison sans doute identique.
– Pardon, un vieux réflexe, se justifia d'un air idiot l'homme face à elle.
Et un menteur comme unique escorte.
Une femme l'avait retenu pour parler, puis une seconde, une troisième, une quatrième... En moins d'un quart d'heure, Sébastien s'était retrouvé submergé par des cougars affamés prêts à le dévorer tout cru. Il n'avait pas prévu cela et se défendait comme il pouvait, mais lorsqu'elles se mirent à lui parler de parrainage, il baissa les bras. Dans son oreillette, Gaël se foutait royalement de sa gueule avec une joie digne du Diable.
Lola demeurait dans son champ de vision. Elle parlait avec plusieurs invités, toujours sous bonne escorte de leur hôte. Mike continuait de surveiller lui aussi, avec d'autres agents déployés pour l'occasion.
Alors comment, par tous les dieux, se réveillait-il nu dans un lit ?
– Gaël, croâssa-t-il dans un gémissement.
Son regard fiévreux chercha ses affaires, sans les trouver. Un gémissement à ses côtés l'interrompit. Une masse de cheveux roux pointaient de sous le drap et le profil d'une femme qui émergeait à son tour l'avertit qu'il ferait mieux de s'éloigner fissa, même nu. Le cri outré de la belle s'enchaîna d'une question auquel il ne s'attendait pas :
– Vous m'avez droguée pour coucher avec moi ? glapit l'inconnue.
Un pan entier de sa mémoire lui revint à ces paroles. « On » lui avait proposé un fond de verre « juste pour goûter » ! Qui ? Il ne parvenait plus à se souvenirs.
– Nous avons tous été drogués...
La pâleur fantomatique de Sébastien avertit sans doute la femme qu'il ne plaisantait pas, car elle se remit rapidement de sa colère initiale et bondit hors du lit à son tour, le drap autour de son corps. Son geste réveilla Oster de ses pensées et il se remit à récupérer ses affaires éparses autour du lit. Dès que ses doigts se refermèrent sur son oreillette, il l'accrocha dans l'espoir de récupérer des informations. Ce besoin vital se fichait de sa petite tenue.
– Altab ! Tu m'entends ? Vieux, par pitié, répond !
Seul le grésillement répondit et son cœur se serra.
– Mais... Je vous reconnais ! C'est vous le type avec Messiah, non ?
Avec tout cela, Sébastien en avait presque oublié le sosie de Margareth. Par tous les démons des Enfers, pourquoi devait-il coucher avec une femme qui ressemblât à son ex-fiancée lorsqu'il était drogué ? D'ailleurs... Avaient-ils vraiment...
– Oui. Pardonnez-moi cette question, mais qui êtes-vous ?
Elle émit un sourire désabusé avant de répondre, non sans hausser les épaules.
– Personne d'important, rassurez-vous. J'étais serveuse à la soirée, regardez.
D'une main elle tendit sa tenue froissée en avant et de l'autre elle présenta son badge de la salle de réception. Après avoir confirmé ses dires, Sébastien fronça les sourcils et planta son regard dans le sien.
– Si j'ai appris une chose depuis que je côtoie Messiah, c'est que tout le monde est important. Donc arrêtez de vous dénigrer.
– Hé ! C'est plus facile à dire lorsqu'on est censé protéger la femme la plus importante sur Terre, non ? Arrêtez votre psychologie à deux ronds, vu ?
Sur ce, elle alla s'enfermer dans la salle de bain avec ses vêtements, plantant un Sébastien éberlué sur place. Non seulement elle ressemblait à Margareth, mais elle aussi avait un caractère pareil ? Serait-il particulièrement malchanceux ?
Il termina de se rhabiller, retrouva avec un soupir son arme intacte et se rapprocha de la sortie.
– Je peux vous laisser, ça ira ?
– Oui oui, allez-vous-en ! Je saurai toujours où vous trouver si je tombe enceinte, rassurez-vous !
Le ricanement qu'il entendit le fit grommeler et il hésita sur la marche à suivre. Était-ce une plaisanterie ? La vérité ? Avec Margareth, il n'avait jamais appris à décoder ce genre de remarque. Il décida donc de partir sans un mot, non sans un dernier soupir.
Une fois dehors et seul, il prit la direction de la salle de réception. Dès qu'il arriva sur le balcon supérieur qui surplombait les lieux, il remarqua bien vite tous les agents occupés à calmer une foule paniquée. Ce spectacle le cloua sur place.
– Altab, tu me reçois ?
Le silence inquiétant ne présageait rien de bon. Il changea sa fréquence.
– Mike ? Où es-tu ?
Une longue seconde s'écoula. Une deuxième... Une troisième...
« Monsieur, ici Kiryu. Wilkes a été assommé et nous sommes submergés par les cas d'hystérie collective... Nous avons essayé de vous joindre ainsi que monsieur Tréménec, sans succès depuis plus d'une heure. »
– Merde ! jura aussitôt Sébastien pour lui-même. Où est Messiah ? demanda-t-il en activant à nouveau son oreillette.
Encore une fois, il lui fallut attendre la réponse dans l'angoisse, tandis qu'il descendait les escaliers rejoindre les invités hagards, hilares ou en pleine crise de folie. Son sixième sens connaissait déjà la réponse. Son esprit lui hurlait la réponse. L'ambiance absurde de la salle claquait la réponse. Pourtant, quand Kiryu la confirma, il sentit son monde s'effondrer.
« Pardon, monsieur. Nous n'en savons rien... »
Publié le 16/05/18
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro