42e Bougie : Un "vieil" ami
Sébastien, l'oreille plaqué contre la porte, les mains posées à plat dessus pour éviter toute vibration et agenouillé au-dehors, ressemblait à un indien embusqué qui attendait le passage de l'envahisseur. Il entendait que par saccade, mal, sans comprendre tout, mais aurait préféré se couper la langue plutôt que de s'éloigner d'un mètre de sa place.
– Oui. Si tu le veux bien, j'aimerais...
Les sourcils froncés, il n'entendit soudain plus que du silence. Le vaillant protecteur de Messiah se colla un peu plus contre l'entrée, et aurait fini incrusté dans le bois si la voix grave de Mike ne l'avait pas interrompu :
– Seb ? Mais qu'est-ce que tu fais ?
– Chuuuuuuut, bordel ! J'veux entendre ce qu'il voulait lui demander ! gémit-il dans un souffle non sans avoir sursauté.
Sans gêne aucune, le géant se rapprocha de lui et posa à son tour son oreille contre le battant. L'absence totale de bruit le convainquit que son supérieur n'obtiendrait pas ses réponses aussi facilement qu'il l'aurait souhaité. Le chef de la sécurité esquissa une moue perplexe.
– Si t'as peur au point de jouer à l'espion, pourquoi t'y retournes pas ? ronchonna-t-il, une pointe d'amertume dans le coeur.
– ...
Il l'entendit ronchonner dans sa barbe et ne comprit pas un traître mot à ses paroles. Depuis quand Sébastien parlait une langue étrangère pour râler ? Et c'était quoi, du russe ?
– Viens, j'ai une surprise pour toi, décréta Mike.
D'un geste, le chef de la sécurité invita son supérieur à le suivre. Mais Sébastien, récalcitrant, fronça les sourcils avant de hocher la tête pour seule dénégation. Son collègue soupira avant de l'empoigner par le bras d'une main ferme et le tirer derrière lui à sa suite. Incapable de se défaire de la prise de cet ancien agent de sécurité, Oster ouvrit et ferma la bouche à plusieurs reprises tel un poisson hors de l'eau, avant d'admettre sa défaite.
Wilkes l'emmena jusqu'à une pièce minuscule, remplie d'écrans sombres, où il le fit asseoir devant. Là, il actionna plusieurs boutons sur la console placée sur le bureau et tout s'alluma comme par magie. Les hauts parleurs placés de part et d'autre laissèrent entendre deux voix et, sous les yeux effarés de Sébastien, l'appartement de Lola se dévoilait. Mike l'avait truffé de caméras...
– Tu...
– Chut ! l'interrompit à son tour le géant.
Oster ravala ses remarques et ses émotions prirent le dessus. Il darda son regard sur l'écran juste devant lui et se tut.
Gaël, agenouillé, sa tête posée sur les genoux de Lola, pleurait. Elle lui caressait les cheveux avec délicatesse, son autre main entrelacée à la sienne. La jeune fille souriait à demi, mais n'en menait pas large aussi et ses yeux embués trahissaient ses émotions.
« Je suis si heureux de t'avoir retrouvée ! » croassa la voix de l'homme.
Pour seule réponse, elle hocha la tête en silence. Ils restèrent immobiles, ainsi, plusieurs minutes, dans le plus grand silence. Les deux espions, toujours planqués derrière leurs écrans, échangèrent un regard perplexe.
« Alors... Hmm... Tu veux bien de moi à tes côtés ? » murmura la voix de Gaël, soudain plus aiguë.
Sébastien bondit de son siège. La poigne aussi ferme que tout à l'heure de Mike lui broya alors l'épaule et le força à se rasseoir non sans une grimace de douleur.
– Laisse-les tranquilles.
Le ton n'était pas menaçant, mais il sentit un souffle glacé lui descendre toute la colonne vertébrale. Pourquoi l'avait-il engagé, déjà ? Sur l'écran, Lola se penchait sur Gaël pour mieux le prendre dans ses bras dans un rire cristallin qui faucha définitivement les jambes de Sébastien.
« Bien sûr ! Je suis si heureuse que tu sois là ! J'ai l'impression de me réveiller ! » s'exclamait la jeune fille.
Tous les écrans de la pièce s'éteignirent. Mike qui observait, aussi curieux que son patron, reporta son attention sur lui. Sébastien avait bien tout éteint, les yeux fermés et pâle comme un fantôme.
– Qu'est-ce qu'il te prend ? C'est pas toi qui voulait savoir ?
Avec brusquerie, il se releva et lança un œil noir vers le chef de la sécurité. Cette fois, ce dernier le laissa faire car il sentit qu'il y avait un problème. Celui qui se dressait devant lui paraissait défait.
– Plus maintenant ! Je refuse !
En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Sébastien s'en allait du bureau et laissa Mike seul. Indécis, ce dernier ralluma les écrans et le son. Pour quelle raison son chef venait-il de partir comme s'il avait tout perdu ? La jeune fille semblait connaître ce Gaël et paraissait heureuse de lui reparler. Le chef de la sécurité ne voyait pas le problème. Il décida donc de les espionner encore un peu, par curiosité.
Peut-être que la suite lui révélera plus d'informations...
Dans les bras l'un de l'autre, Lola et Gaël, assis sur le canapé, discutaient à mi-voix.
– Je ne pensais pas pouvoir te retrouver ici, je t'avoue. Mais, dans un sens, maintenant que j'y réfléchis, cela me paraît presque normal, chuchota l'homme, pensif.
Il laissa la jeune fille réfléchir et profita de sa présence avant de reprendre, encore plus doucement.
– Et... Tu l'as trouvé ? ... Kan**, je veux dire...
Un léger frémissement trahit la réaction de Lola avant que sa voix fluette ne vînt prendre le relais, sur le même ton de la confidence.
– Non... Pas encore.
Un autre silence. L'une des mains de Gaël caressait le dos de la jeune fille tandis qu'il scrutait le ciel nuageux au-dehors. Cette fois, ce fut à son tour à elle de relancer la discussion, toujours dans un murmure à peine audible.
– Tu... Tu vas m'en empêcher ?
Elle redressa un peu la tête pour le regarder dans les yeux. Mais il continuait de fixer l'extérieur, comme s'il réfléchissait à ce qu'il allait lui dire. Lola attendit un long moment et craignît de n'avoir jamais de réponse, lorsque enfin, il souffla :
– Non.
Les yeux bleus clairs qu'il reporta sur elle paraissaient remplis de souffrance, mais aussi d'acceptation. La jeune fille suspendit sa respiration, sentant la suite arriver. Il se redressa un peu et se pencha sur elle, la forçant à basculer sur le canapé. Elle se retrouva allongée, avec l'homme au-dessus d'elle, sa main sur sa joue, leurs regards liés. Aucune peur dans ses iris, juste un mélange étrange de joie, de douleur et d'espoir.
– Je sais bien que vous êtes liés, tous les deux. Et dans cette... dimension ? Nous ne sommes rien. Je t'aime, Aela. Et c'est pour cette raison que je suis bien conscient de son importance dans ta vie. Tu as besoin de lui pour maîtriser tes pouvoirs, c'est ça ?
Gaël contemplait son visage tel un assoiffé regarderait un oasis en plein désert. Il n'avait jamais cessé de la chercher et maintenant qu'elle se tenait face à lui, il accepterait de la laisser ? Impossible. Pourtant... Il était le mieux placé sur Terre pour savoir l'importance de ce type dans sa vie à elle.
– Nex...
Le chuchotement ténu glissa en lui avec un plaisir délectable. Elle tendit sa main pour lui caresser la joue, à son tour, lui forçant une larme. Il n'aurait échangé cet instant pour rien au monde, même si son cœur éprouvait plus de douleur que jamais auparavant. Un sourire pitoyable éclaira son visage ravagé par la souffrance.
– Je suis désolé... Si j'avais su que nous rencontrer ramènerait tous ces souvenirs entre nous...
Elle l'interrompit en décalant son pouce sur ses lèvres.
– Comment aurais-tu pu savoir ? Moi-même, je l'ignorait... Mais... Je préfère, ainsi... Tu es... La personne la plus précieuse à mes yeux... Et je ne m'y attendais pas.
Gaël gémit à ces mots et se pencha pour déposer sa tête sur sa poitrine. Ses bras l'enlacèrent et elle fit de même, émue. Ils restèrent ainsi, incapables de parler pendant un long moment. Il se passa encore un long moment avant qu'il ne brisât une fois encore l'atmosphère paisible :
– Je vais démissionner du bureau.
Il se redressa, plein d'une résolution nouvelle. Mais elle l'arrêta d'un geste de la main.
– Non ! Ne fais rien sans y avoir bien réfléchis !
– Mais c'est fait ! Je viens t'aider ! Tu ne penses quand même pas sérieusement me refuser d'être à tes côtés à cause d'une stupide âme liée à toi ? Pas dans cette dimension, Aela ! Pas encore ! Ici, tu n'es pas obligée d'être avec lui ! Nous pouvons être ensemble ! Tu n'es pas obligée d'être avec lui pour être heureuse ! Je suis là ! Et si je dois te séduire à nouveau, je le ferai !
Enflammé, Lola regardait cet homme qu'elle n'avait encore jamais vu hier, d'un oeil nouveau. Dans une autre vie... Dans un autre monde, il s'appelait Nexrim**. Et ils s'aimaient. Mais ici... Ils se connaissaient à peine. Elle se redressa à son tour, gênée. Sa main s'accrocha à sa chemise.
– Aela ? s'inquiéta-t-il.
– Lola. Ici, dans cette naeva, c'est comme cela qu'on m'appelle... Gaël.
Il serra la mâchoire et se crispa tout entier.
– Qu'importe ton nom, tu le sais bien, marmonna-t-il avec un brin de colère.
– Je sais... Mais... Joue le jeu, tu veux bien ? Si je commence à parler de Valdoria** à Sébastien, je vais le perdre. Le pauvre... Déjà qu'il a du encaisser pas mal de révélations, ces derniers temps, si j'en rajoute d'autres, il finira fou !
Pour seule réponse, l'homme fronça les sourcils. Elle se força à sourire et reprit :
– Et je n'ai parlé à personne d'autres de la vérité, c'est mon seul allié... Alors... Sois gentil avec lui, d'accord ?
– T'as oublié ? Nous avons été collègues et nous sommes amis... Professeur X et moi, c'est une longue histoire d'amour ! ricana Gaël.
Lola laissa échapper un petit rire entendu. Elle avait presque oublié ce détail, après ce rebondissement imprévu !
– Pardon. Je ne voudrais surtout pas m'immiscer dans votre couple ! plaisanta-t-elle.
Le grognement qu'il émit la fit sourire à nouveau. Elle tapota sur sa jambe et réfléchit un instant à la suite des événements avant de reprendre.
– Mais... Je pense qu'il doit savoir que nous nous connaissons... Sinon, il risque de trouver bizarre de...
– Aela... Pardon, Lola... Dis-lui la vérité. Sébastien n'est pas autant en sucre, tu sais ! Et puis ce serait l'occasion pour vous, comme pour moi, de mieux comprendre la situation. Je t'avoue que je suis un peu perdu, dans tous ça... Et un oeil neuf vous serait bien utile, je paris !
La jeune fille soupira et baissa la tête, vaincue. Depuis quand se mettait-elle à surprotéger Sébastien ? Que craignait-elle, au juste ?
– Tu as raison... Je suis une idiote !
– Ne dis pas ça, je t'interdis de te déprécier ! Appelle-le et réglons ça maintenant ! Nous avons un abruti à trouver !
Lola lui donna une tape amicale sur l'épaule.
– Ne parle pas comme ça ! Je sais que tu n'aimes pas Kan, mais tu ne le connais même pas, ici !
– C'est vrai, cette fois c'est toi qui a raison...
Ils échangèrent un sourire.
– D'ailleurs, il s'appelle comment, ici ? Il a un nom ?
– Aloé... Enfin, du moins, c'est celui de son âme. Je n'ai aucune information sur son nom exacte... C'est bien là le problème.
Le hurlement de rire de Gaël l'interrompit. Elle le regarda se tordre comme un asticot durant un bon moment avant qu'il réussît à parler de nouveau, les bras autour du ventre et la respiration courte.
– Aloé ? ... Non mais c'est quoi ce prénom ridicule ?
– A la naissance de l'univers, l'aloe verra n'existait pas encore, tu sais, ronchonna Lola.
L'homme tiqua, perdit son grand sourire idiot et la fixa avec un sérieux à toute épreuve.
– Attends... Vous êtes vraiment si vieux que ça ?
– Oui, marmonna la jeune fille, de plus en plus renfrognée.
– Et en aussi longtemps, vous n'avez jamais pensé à mettre en place un système pour vous retrouver plus facilement ? Genre un code, une astuce ou un autre détail, qui vous aiderait ?
Lola redressa les yeux pour les poser dans ceux de Gaël, éberlué.
– Tu sais... Normalement... Je devrais ignorer tout cela... Sans un concours de circonstance, tout cela n'aurait jamais eu lieu...
Il ricana de nouveau avant de lui faire un pichenette sur le front.
– Tu veux dire, le hasard ? Quand est-ce que tu pigeras qu'il s'agit d'une des astuces du destin pour parvenir à ses fins ?
– Le Destin, chuchota Lola.
Et en temps que sa Gardienne, ne pouvait-elle pas l'influer ?
Publié le 18/04/18
** Références venant de L'Île de Verre. Aela, Kan et Nexrim apparaissent dedans.
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