38e Bougie : Connexion
« Ici Marie Dumo, en directe de l'hôpital ! La chaîne humaine de l'espoir ne cesse de croître depuis plus d'une heure trente et des bénévoles afflux de tout Paris et de banlieue pour venir aider. Il s'agit de la plus formidable démonstration de solidarité jamais vu ! D'après les derniers relevés, plus de trois mille cinq cents inconnus se tiennent par la main et ils sont plus de cinq mille au total, depuis le début, à avoir participé ! »
La jeune femme châtain qui présentait le reportage se déplaça devant un camion de pompier qui damnait le pion à une camionnette en bâtiment.
« Les secours, la police, des ambulances, plusieurs services masqués et quelques privés se tiennent tout du long pour assurer la protection des civils et décider des gens à remplacer. Et aussi incroyable que tout cela puisse vous paraître, plusieurs sociétés de construction ont envoyé des spécialistes pour aider à sécuriser et supporter le site, afin de soulager Messiah. Ils ont été vite rejoins par une équipe du génie. Une telle force de mobilisation inter-secteur reste du jamais vu. »
En arrière, plusieurs hommes portant des supports renforcés allaient et venaient entre un semi-remorque et le bâtiment un peu penché. Certains criaient des ordres, d'autres décidaient des emplacements les plus appropriés pour éviter la chute inévitable qui menaçait à chaque seconde. L'hôpital entier paraissait figé durant sa démolition, mais personne n'ignorait la raison.
« Pour rappel, deux opérations lourdes à haut risque sont encore en cours dans les sous-sol. Elles sont impossibles à interrompre sans mettre en danger les patients. Grâce à Messiah, toujours focalisée sur le maintient de l'édifice, les secours peuvent espérer sauver tout le monde. Mais chaque seconde qui s'écoule devient un risque supplémentaire : n'oublions pas que personne ne sait comment cette jeune fille de dix-huit ans arrive à empêcher cet endroit de s'écrouler ! A vous les studios ! »
Le visage de la pétillante demoiselle Dumo disparut pour laisser place au plateau de télévision du journal de midi, renommé « Numéro Spécial » pour l'occasion. Toutes les chaînes nationales et européennes ne parlaient plus que de « l'hôpital Messiah ». Des journaux du monde entier évoquaient cet événement inexplicable.
« Merci, Marie. Nous n'hésiterons pas à retourner vers vous plus tard. Rappelons tout de suite, l'actualité principal de ce midi... »
L'écran devint noir. Vladimir Kunzthaler n'avait pas besoin d'entendre à nouveau ces détails, surtout qu'il connaissait le fond de l'affaire. Il avait personnellement recruté le type chargé de poser ces petits bijoux. Même le détonateur, créé spécialement pour partir en fumée, avait été réglé sur un horaire pour éviter d'être tracé. Bien sûr, avec la loi de Murphy, il n'était pas en sécurité à cent pour cent, mais il avait fait au mieux.
– En voilà un qui aura au moins réussi sa mission... Bon bon bon... C'est une boy scout, alors ? Ou devrais-je dire « girl » scout ? Peu importe. Elle peut tenir une structure en béton immobile, soigner des maladies graves et arrêter des projectiles...
Il se renfonça dans son siège, ses yeux fixés sur la télévision éteinte. Sa main caressa son menton tandis qu'il réfléchissait, l'air dubitatif. Depuis le début de cette affaire, quelque chose clochait : il n'arrivait pas à définir les limites exactes de cette gamine.
– Elle peut agir autant sur la matière physique qu'organique... Capable de manier du très lourd comme réaliser une chirurgie précise... Même ces super-héros imbéciles ne sont pas aussi doués ! C'est magnifique !
Sa première offensive massive au manoir Markford lui avait appris de nombreux éléments utiles. Il pensait la piéger avec cet hôpital, mais elle avait réussi à le surprendre. Et si, au début, il désirait la tuer pour l'argent qu'elle lui rapporterait, sa motivation avait changé au fur et à mesure de ses tentatives. D'abord, son orgueil avait désiré sa tête. Mais aujourd'hui, il devait admettre qu'il ne s'agissait plus de cela non plus. Cette Messiah l'intriguait. Beaucoup.
– Serais-tu de classe Alpha, ma chère petite cible adorée ? Représenterais-tu l'être que je recherche depuis si longtemps ? Messiah... Ah ah ! Que ce soit toi, entre tous, mon Saint Graal, quelle ironie !
Non. Ne pas se précipiter... Il désirait tant un adversaire à sa mesure qu'il en oubliait les sécurités d'usage : toujours s'assurer de la dangerosité d'un spécimen trois fois. D'abord sa puissance physique. Ensuite sa force morale. Enfin ses capacités hors norme.
Mister K ricana d'un plaisir anticipé fébrile. Ses doigts tremblaient sur son accoudoir tandis qu'il réfléchissait au prochain test qu'il comptait lui faire passer. Ses yeux injectés de sang et sa bouche tordue, sous l'effet de la joie qu'il éprouvait, déformaient tellement son visage, qu'il ne ressemblait plus au gentil directeur qu'il était censé être.
– Vous m'expliquerez mon travail quand vous aurez un diplôme, mon vieux, d'accord ?
– Mais je n'essaye pas de...
Le chef des démineurs s'engueulait depuis cinq bonnes minutes avec l'un des responsables des équipes du bâtiment. Le premier refusait que les seconds entrassent, de peur de déclencher une bombe. Mais ceux du BTP considéraient qu'ils devaient « faire leur job » avant tout. Le commissaire divisionnaire s'intégra dans la discussion musclée et fit briller ses belles épaulettes, peine perdue. Même l'un des pompiers présent avec sa grosse lance à incendie ne réussit pas à les faire taire.
Sébastien contemplait Messiah, non loin, en essayant de tous les ignorer.
– Chef ?
La voix de Sam O'Bryan le sortit de ses pensées moroses. Toujours flanqué d'un Kiryu flegmatique, ils venaient d'arriver à ses côtés. Oster, assit sur une des chaises de la « table des opérations » tenait un café, devenu froid, dans une main, tandis qu'il se frottait le front avec la seconde. Il ne s'était rendu compte ni de l'un ni de l'autre.
– Vous vous sentez mieux ? s'enquit le rouquin.
Les yeux sombres de Kiryu le caressèrent une seconde avant de se darder sur leur supérieur. Sébastien comprit alors un détail d'importance, qui ne servait à rien, mais lui permit de focaliser son attention sur un élément moins traumatique que Messiah en danger.
– Sa perte d'énergie semble l'avoir plongé dans un état catatonique, constata O'Bryan, morose.
– Je reviens, déclara l'agent typé japonais.
Il s'en retourna sous les yeux reconnaissant de son compagnon qui se remit à parler à son supérieur, dans l'espoir de le faire réagir autrement que par mouvement oculaire. Mais Oster avait été détaché de force de Messiah, et depuis, il se remettait très lentement.
Quelques minutes plus tard, Kiryu revenait avec un médecin, une infirmière et un repas chaud. Sam approuva d'un hochement de tête appréciateur.
– Il ne parle toujours pas ? demanda le praticien, inquiet.
– Non, il semble nous entendre et nous comprendre, mais il reste amorphe, expliqua le rouquin.
Sébastien se laissa ausculter sans broncher. Son regard dérivait dès qu'il le pouvait vers sa protégée. Il se sentait vide et fatigué. Combien de temps Lola réussira-t-elle à tenir ?
Une grande pleine verte entourée d'une forêt impénétrable. Un immense chêne au milieu. Une brise fraîche et le son agréable des oiseaux...
– L'Emeth, marmonna Lola.
Elle avait trop forcé sur ses pouvoirs, malgré l'aide extérieur. La conscience de son corps restait flou. La présence de la foule autour d'elle, inexistante.
– Tu as fais le bon choix, déclara une voix asexuée non loin d'elle.
La jeune fille se retourna à toute vitesse vers elle, déjà sûre de ce qu'elle allait voir. Et comme à sa dernière visite, se tenait cet être étrange, ni garçon ni fille, aux yeux vairons et à l'allure si jeune. Ils se fixèrent en silence quelques instants.
– Qui es-tu ? demanda-t-elle, curieuse.
– Nous avons déjà eu cette conversation, tu ne t'en souviens plus ? Je suis toi.
Lola soupira. Elle avait oublié à quel point tout devenait plus compliqué, ici.
– Tu sais tout sur tout, mais ce n'est pas mon cas. Comment pourrais-tu être « moi » ?
Son ton un peu énervé glissa sur son interlocuteur comme l'eau sur les plumes d'un canard. Exactement comme à leur première rencontre, cet être semblait « lisse » : sans émotion aucune.
– Ton âme renferme toutes les réponses. Aurais-tu déjà oublié tes origines ?
– Non, souffla la jeune fille d'un air fataliste. Je suis censée être l'une des deux premières âmes de l'univers.
– Et tu es une partie de l'Orin, renchérit l'autre.
Le centre de l'univers, là d'où provient tout ce qui existe, l'Orin*. Lola sentit sa tête lui tourner un peu, alors elle s'assit dans l'herbe face à son « soi » un peu étrange.
– Pourquoi ne me ressembles-tu pas ?
A sa première visite ici, elle s'était surtout inquiétée et désirait rentrer. Cette fois, elle savait que retourner dans son corps trop tôt pourrait être une mauvaise idée. Mieux valait attendre un quelconque signe extérieur. En attendant, récolter des informations devenait une priorité.
– Une partie te ressemble. L'autre non. Une âme reste une âme. Ni femme ni homme. Ni belle ni moche. Tu aurais pu naître garçon. Cela n'aurait rien changé pour l'univers.
– Ah ah ! Je suis sûre que mon monde aurait mieux digéré mes pouvoirs si j'avais été un homme, pourtant ! s'exclama-t-elle, pince-sans-rire.
– Aucune élévation de pensée ne peut venir des habitudes, répliqua l'autre de sa voix neutre.
Cette remarque fit écho en Lola avec les paroles de son père. Une preuve qu'elle n'avait pas halluciné leur rencontre éphémère. Son cœur se réchauffa de plaisir et une idée germa dans son esprit.
– Tu pourrais m'aider à revoir mon père ? Je veux dire, Karon.
– En tant qu'Eola et Gardienne du Destin, tu en es capable.
Elle baissa les bras. Visiblement, la solution ne pouvait provenir que d'elle. Si encore elle savait comment elle avait réussi la dernière fois... Une brise légère ramena ses pensées vers les raisons qui l'avait conduite ici.
– Je vais être à court de temps, murmura-t-elle.
– Et Aloé ? reprit l'androgyne.
La jeune fille secoua la tête, négative. Voilà une quête qu'elle avait mise de côté, bien trop préoccupée à maîtriser ses pouvoirs et faire face au monde entier.
– Tu as besoin de lui, même si tu n'en as pas conscience, renchérit son « soi ».
Lola approuva d'un signe de tête, mais ne voyait pas trop en quoi tout cela l'aiderait à trouver une personne parmi plusieurs milliards d'humains... Tout autour d'elle, le paysage se mit à briller de plus en plus.
– Vous êtes connectés.
Elle continuait de hocher la tête pour ne pas vexer cette partie d'elle-même qu'elle ne comprenait pas toujours. L'endroit devint encore plus lumineux et Lola se sentit disparaître malgré elle.
– ...
Les dernières paroles de son inconscient se dissipèrent dans le vent de l'Emeth...
Une douleur atroce submergea tout son corps. Lola ouvrit la bouche pour reprendre sa respiration, mais sentit ses poumons se figer. Du sang effleura ses lèvres et glissa pour tomber. Elle ouvrit les yeux sur le bitume sous ses pieds maculé de rouge. Ses oreilles bourdonnaient trop pour qu'elle parvînt à entendre quoi que ce soit. Son odorat captait une odeur de fumée et de poussière.
Un bras enroulé autour de sa taille l'incitait à s'éloigner du mur qu'elle tenait. Qui était-ce ? Que faisait-elle ici ? Pourquoi avait-elle la sensation d'être écrasée par des centaines de tonnes ?
– Me...
Un son. Une voix. Une main dans son dos remonta jusqu'à sa nuque en un geste tendre.
– Me... Ah...
Elle se trouvait où, déjà ? Son sang continuait de goutter. Que s'était-il passé ? Le bras la tira encore vers l'arrière, mais elle ne voulait pas se détacher de ce mur ! Pourquoi était-ce si important ?
– Mess...Ah... Tu...tend ?
Un doigt allait et venait sur sa joue en une caresse apaisante. Lola prit conscience du froid qui gelait tous ses membres. Elle eut un hoquet de souffrance.
– Messiah... Lâche, c'est bon. C'est fini.
Sébastien. Sa voix agit comme un baume sur l'esprit perdu de la jeune fille qui se laissa enfin détacher du mur. Sa tête se relâcha et partit en arrière. Son regard capta le gris du ciel avant d'apercevoir le visage de l'homme, penché sur elle.
– Tu as réussi.
Elle voulut sourire. Qu'avait-elle réussi ? Qu'importait. Ses yeux se fermèrent de soulagement et elle sombra dans l'inconscience du sommeil.
Publié le 14/03/18
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